Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 2 juillet 2021 de la rectrice de l'académie de Grenoble de ne pas imputer au service l'agression dont il a été victime par un parent d'élève le 11 juin 2021.
Par une ordonnance n° 2108615 du 6 mai 2022, le président de la 3ème chambre du tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 juillet 2022 et le 28 mars 2023, M. A..., représenté par Me Scholaert, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ainsi que la décision de la rectrice de l'académie de Grenoble, ensemble le rejet de son recours gracieux ;
2°) d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Grenoble dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt de prendre une nouvelle décision déclarant imputable au service l'agression dont il a été victime, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, sa demande était recevable dans la mesure où, d'une part, les informations essentielles contenues dans la décision attaquée étaient lisibles sur la copie qu'il avait produite à l'appui de sa demande et, d'autre, part, qu'il avait produit la justification de l'exercice du recours gracieux ;
- le refus de qualifier l'agression dont il a été victime d'accident de service est illégal dès lors que cette agression est survenue à une date certaine, par le fait du service, qu'il en a résulté une lésion, qu'il a bénéficié de la protection fonctionnelle et que la circonstance qu'il ait été en arrêt maladie, qui est une position d'activité, est sans incidence sur cette qualification.
Par des mémoires enregistrés les 24 février et 5 mai 2023, la rectrice de l'académie de Grenoble conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées par courrier du 15 septembre 2023 par application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur le moyen relevé d'office tiré de ce que les conclusions présentées par M. A... tendant à l'annulation du rejet de son recours gracieux, qui sont nouvelles en appel, sont irrecevables.
M. A... a présenté ses observations sur ce moyen relevé d'office le 18 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, rapporteure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Scholaert pour M. A... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., professeur d'histoire-géographie au collège Henri Barbusse de Buis-les-Baronnies, a été victime le 11 juin 2021 d'une agression d'un parent d'élève qui a été condamné le 29 novembre 2021 par le tribunal judiciaire de Valence à six mois d'emprisonnement avec sursis probatoire pendant dix-huit mois pour violences volontaires commises sur un enseignant dans l'exercice ou du fait de l'exercice de ses fonctions. A la suite du dépôt par M. A... d'une déclaration d'accident de service, la rectrice de l'académie de Grenoble a rejeté sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de cet accident le 2 juillet 2021. Par courrier du 30 août 2021, reçu le 8 septembre 2021, M. A... a adressé un recours gracieux contre cette décision. A défaut de réponse de l'administration, si ce n'est une réponse d'attente adressée par mail le 27 septembre 2021 lui proposant d'échanger sur sa situation, une décision implicite de rejet est née le 8 novembre 2021. Il a alors saisi le tribunal administratif de Grenoble d'une demande tendant à l'annulation de la décision du 2 juillet 2021. M. A... relève appel de l'ordonnance du 6 mai 2022 par laquelle le président de la 3ème chambre du tribunal a rejeté sa demande comme manifestement irrecevable.
Sur la recevabilité des conclusions dirigées contre le rejet du recours gracieux :
2. Devant le tribunal, M. A... n'a demandé que l'annulation de la décision du 2 juillet 2021 de la rectrice de l'académie de Grenoble de ne pas imputer au service l'agression dont il a été victime. Ses conclusions tendant à l'annulation du rejet de son recours gracieux sont nouvelles en appel et, par suite, irrecevables.
Sur la régularité de l'ordonnance :
3. Aux termes de l'article R. 412-1 du code de justice administrative : " La requête doit, à peine d'irrecevabilité, être accompagnée, sauf impossibilité justifiée, de l'acte attaqué ou, dans le cas mentionné à l'article R. 421-2 [c'est-à-dire le cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet], de la pièce justifiant de la date de dépôt de la réclamation ". En application de ces dispositions, la requête est irrecevable en l'absence de production soit de la décision attaquée ou d'un document en reprenant le contenu, soit de l'accusé de réception de la réclamation adressée à l'administration ou de toute autre pièce permettant d'établir une telle réception.
4. M. A... a produit à l'appui de sa demande une copie de la décision du 2 juillet 2021 sur laquelle pouvaient être lus sa date, son objet, son motif ainsi que son auteur. Ces éléments suffisaient, alors même que toute la décision n'était pas lisible, pour que M. A... soit regardé comme ayant respecté l'exigence prévue à l'article R. 412-1 du code de justice administrative de production de la décision attaquée. Ainsi M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Grenoble a, en application des dispositions précitées, rejeté sa demande comme manifestement irrecevable. Par suite, l'ordonnance du 6 mai 2022 doit être annulée.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Grenoble.
Sur la légalité de la décision :
6. Aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires visée ci-dessus alors en vigueur, désormais repris aux articles L. 822-18 à L. 822-21 du code général de la fonction publique : " I.- Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. (...) / II.- Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu'en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l'accident du service ".
7. Constitue un accident de service, pour l'application de ces dispositions, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l'occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci. Un accident survenu sur le lieu et dans le temps du service, dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par un fonctionnaire de ses fonctions ou d'une activité qui en constitue le prolongement normal présente, en l'absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant cet évènement du service, le caractère d'un accident de service. Il en va également ainsi, en dehors de ces hypothèses, si l'accident présente un lien direct avec le service. Il appartient dans tous les cas au juge administratif, saisi d'une décision de l'autorité administrative compétente refusant de reconnaître l'imputabilité au service d'un tel événement, de se prononcer au vu des circonstances de l'espèce.
8. Dès lors que M. A... était en congé ordinaire de maladie lorsqu'il a été victime de son agression par un parent d'élève, son accident n'est pas survenu dans le temps et le lieu du service au sens des dispositions précitées. Par suite, son agression ne rentrait pas dans le champ des accidents présumés imputables au service au sens du II de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Toutefois, il ressort des pièces du dossier et n'est d'ailleurs pas contesté par l'administration que, ainsi que l'a indiqué le tribunal judiciaire, l'agression dont M. A... a été victime est en lien direct avec l'exercice de ses fonctions, son agresseur l'ayant attaqué au seul motif qu'il était l'enseignant de son fils. Il est, par suite, fondé à soutenir qu'en refusant de reconnaître l'imputabilité au service de cet événement survenu à une date certaine, par le fait du service, dont il est résulté une lésion, l'autorité compétente a fait une inexacte application de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983. Pour ce motif, la décision du 2 juillet 2021 doit être annulée.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
10. Eu égard au motif d'annulation, il y a lieu d'enjoindre à la rectrice de l'académie de Grenoble de reconnaître, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, l'imputabilité au service de l'accident dont M. A... a été victime, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction du prononcé d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2108615 du 6 mai 2022 du président de la 3ème chambre du tribunal administratif de Grenoble est annulée.
Article 2 : La décision du 2 juillet 2021 de la rectrice de l'académie de Grenoble de ne pas imputer au service l'agression dont M. A... a été victime le 11 juin 2021 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint à la rectrice de l'académie de Grenoble de reconnaître, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, l'imputabilité au service de l'accident dont M. A... a été victime.
Article 4 : L'État versera à M. A... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.
Copie en sera adressée à la rectrice de l'académie de Grenoble.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2023 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 novembre 2023.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière
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N° 22LY02152
kc