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15/11/2023 | FRANCE | N°21LY01880

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 15 novembre 2023, 21LY01880


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société hydroélectrique de la Dore a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une part, de réformer l'article 7.1 de l'arrêté du 19 octobre 2017 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme l'a autorisée à exploiter la microcentrale de Chantelauze pour la production d'énergie hydraulique, pour une durée limitée à quinze ans à compter de la mise en service de 1'installation, au titre des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement, et de fixer cette durée à trente ans, d'autre

part, d'annuler le dernier alinéa de l'article 5.1.2 de cet arrêté lui prescrivan...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société hydroélectrique de la Dore a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'une part, de réformer l'article 7.1 de l'arrêté du 19 octobre 2017 par lequel le préfet du Puy-de-Dôme l'a autorisée à exploiter la microcentrale de Chantelauze pour la production d'énergie hydraulique, pour une durée limitée à quinze ans à compter de la mise en service de 1'installation, au titre des articles L. 214-1 à L. 214-3 du code de l'environnement, et de fixer cette durée à trente ans, d'autre part, d'annuler le dernier alinéa de l'article 5.1.2 de cet arrêté lui prescrivant d'évacuer les déchets flottants et dérivants remontés hors de l'eau par dégrillage vers des sites habilités à les recevoir.

Par un jugement n°1800007 du 8 avril 2021, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 8 juin 2021, la société hydroélectrique de la Dore, représentée par Mes Remy et Brunner, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 8 avril 2021 ;

2°) de réformer l'article 7.1 de l'arrêté du 19 octobre 2017 du préfet du Puy-de-Dôme relatif à la durée de l'autorisation d'exploitation afin de porter cette durée à trente ans ;

3°) d'annuler l'article 5.1.2 de cette décision en tant qu'il prescrit d'évacuer les déchets flottants et dérivants vers des sites habilités à les recevoir, et par conséquent de supprimer les visas 8 à 10 de l'arrêté ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'autorité préfectorale a commis une erreur manifeste d'appréciation en fixant la durée d'autorisation de la microcentrale de Chantelauze à quinze ans ;

- l'autorité préfectorale a commis une erreur manifeste d'appréciation en prévoyant que les déchets flottants et dérivants remontés hors de l'eau par dégrillage devaient être évacués vers des sites habilités à les recevoir ;

- il n'existe aucune disposition législative ou réglementaire permettant à l'autorité préfectorale de prescrire à une centrale hydroélectrique soumise au régime de l'autorisation, l'évacuation des déchets flottants et dérivants remontés hors de l'eau par dégrillage ;

- les dispositions de l'article 21 du décret du 27 avril 2016 ne lui sont pas applicables, dès lors qu'elle relève du régime de l'autorisation et non de celui de la concession ;

- les dispositions de l'article L. 211-1 du code de l'environnement ne sont pas applicables, dès lors que les éléments visés par l'article 5.1.2 de l'arrêté attaqué ne constituent pas une source de pollution des eaux ;

- elle ne saurait être considérée comme détentrice des déchets au sens des dispositions de l'article L. 541-1-1 du code de l'environnement.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 septembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens présentés par la société hydroélectrique de la Dore ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 10 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 2 décembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de l'énergie ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me Gravier, représentant la société hydroélectrique de la Dore.

Une note en délibéré, enregistrée le 6 novembre 2023, a été présentée pour la société hydroélectrique de la Dore.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 19 octobre 2017, le préfet du Puy-de-Dôme a, notamment, autorisé la société hydroélectrique de la Dore à exploiter pour la production d'énergie hydraulique la microcentrale de Chantelauze pour une durée de quinze ans à compter de la mise en service de 1'installation et lui a prescrit d'évacuer les déchets flottants et dérivants remontés hors de l'eau par dégrillage vers des sites habilités à les recevoir. La société relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant, d'une part, à la réformation de l'arrêté attaqué afin que la durée de l'autorisation d'exploitation qui lui a été accordée soit portée à trente ans et, d'autre part, à l'annulation de l'obligation d'évacuation des déchets flottants qui lui a été imposée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 531-1 du code de l'énergie : " I. ' L'octroi par l'autorité administrative de l'autorisation permettant l'exploitation d'installations utilisant l'énergie hydraulique également soumises aux articles L. 214-1 à L. 214-11 du code de l'environnement est entièrement régi par ces dispositions et par celles du chapitre unique du titre VIII du livre Ier du même code et les actes délivrés en application du code de l'environnement valent autorisation au titre du présent chapitre, sous réserve de ses dispositions particulières (...) ". Aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'environnement, dans sa version applicable au litige : " I.-Les dispositions des chapitres Ier à VII du présent titre ont pour objet une gestion équilibrée et durable de la ressource en eau ; cette gestion prend en compte les adaptations nécessaires au changement climatique et vise à assurer : (...) 2° La protection des eaux et la lutte contre toute pollution par déversements, écoulements, rejets, dépôts directs ou indirects de matières de toute nature et plus généralement par tout fait susceptible de provoquer ou d'accroître la dégradation des eaux en modifiant leurs caractéristiques physiques, chimiques, biologiques ou bactériologiques, qu'il s'agisse des eaux superficielles, souterraines ou des eaux de la mer dans la limite des eaux territoriales ; (...) 5° La valorisation de l'eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource ; (...) / II.- La gestion équilibrée doit permettre en priorité de satisfaire les exigences de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population. Elle doit également permettre de satisfaire ou concilier, lors des différents usages, activités ou travaux, les exigences : (...) 3° (...) de la production d'énergie, en particulier pour assurer la sécurité du système électrique, (...) ". Il résulte de ces dispositions que la valorisation de l'eau comme ressource économique, en particulier, pour le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable constitue l'un des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l'eau doivent assurer le respect. Il appartient ainsi à l'autorité administrative compétente, lorsqu'elle autorise au titre de cette police de l'eau des installations ou ouvrages de production d'énergie hydraulique, de concilier cet objectif avec tous ceux qui lui sont assignés, dont la préservation du patrimoine hydraulique, compte tenu du potentiel de production électrique propre à chaque installation ou ouvrage.

En ce qui concerne la durée de l'autorisation :

3. Aux termes de l'article L. 531-2 du code de l'environnement : " Les autorisations délivrées au titre du présent chapitre ne peuvent excéder soixante-quinze ans ". Ces dispositions ne font pas obstacle à ce que le préfet fixe une durée d'exploitation inférieure à la durée maximale de soixante-quinze ans pour les ouvrages hydroélectriques.

4. La société requérante reprend en appel, sans l'assortir d'éléments nouveaux, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation que le préfet aurait commise en fixant à quinze ans, aux termes de l'article 7.1 de son arrêté, la durée de l'autorisation d'exploitation dont elle bénéficie, en faisant de nouveau valoir que cette limitation fait obstacle à l'amortissement de ses investissements et charges, et que le contrat qu'elle a conclu avec la société Electricité de France est susceptible de couvrir une durée de vingt ans. Il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, d'écarter ce moyen.

En ce qui concerne la prescription d'enlèvement et d'évacuation des déchets flottants remontés par dégrillage :

5. Aux termes de l'article L. 215-14 du code de l'environnement : " Sans préjudice des articles 556 et 557 du code civil et des chapitres Ier, II, IV, VI et VII du présent titre, le propriétaire riverain est tenu à un entretien régulier du cours d'eau. L'entretien régulier a pour objet de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre, de permettre l'écoulement naturel des eaux et de contribuer à son bon état écologique ou, le cas échéant, à son bon potentiel écologique, notamment par enlèvement des embâcles, débris et atterrissements, flottants ou non, par élagage ou recépage de la végétation des rives. Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions d'application du présent article ". Aux termes de l'article 16 de l'article annexe à l'article R. 214-85 du même code approuvant le modèle de règlement d'eau des entreprises autorisées à utiliser l'énergie hydraulique, en vigueur en dépit de l'abrogation des dispositions de l'article R. 214-85 par le décret n°2014-750 harmonisant la procédure d'autorisation des installations hydroélectriques avec celle des installations, ouvrages, travaux et activités prévue à l'article L. 214-3 du code de l'environnement et renvoyant aux dispositions de l'article L. 215-14 du code de l'environnement : " Entretien de la retenue et du lit du cours d'eau / (...) / Toutes dispositions devront en outre être prises par le permissionnaire pour que le lit du cours d'eau soit conservé dans son état, sa profondeur et sa largeur naturels, notamment en considération des articles L. 215-14 et L. 215-15-1 ". Aux termes de l'article R. 521-28 du code de l'énergie, relatif au règlement d'eau : " Le règlement d'eau prévu à l'article L. 521-2 ne peut contenir, conformément à l'article L. 181-11 du code de l'environnement et au 1° de l'article L. 521-4 du présent code, que les prescriptions individuelles nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement ou que des prescriptions relatives aux moyens de surveillance, aux modalités des contrôles techniques et aux moyens d'intervention en cas d'incident ou d'accident. / Le règlement d'eau fixe en particulier les conditions techniques applicables à l'exploitation des ouvrages hydrauliques dans toutes les hypothèses connues et prévisibles et portant sur : (...) -la suppression des embâcles et le dégrillage ; (...) ".

6. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées que l'obligation d'enlèvement des embâcles et autres déchets flottants qui pèse sur les propriétaires riverains est également applicable aux exploitants d'une installation hydroélectrique. Il en résulte que le préfet du Puy-de-Dôme n'a pas entaché son arrêté d'un défaut de base légale en imposant, comme en l'espèce, à l'exploitant d'une centrale autorisée de procéder à la récupération et à l'évacuation en site habilité de ces éléments.

7. En deuxième lieu, ainsi que les premiers juges l'ont retenu, dès lors qu'elle a été édictée en application des dispositions de l'article L. 215-14 du code de l'environnement et de l'article 16 de l'article annexe à l'article R. 214-85 du même code, la prescription contestée a pour objet d'assurer le respect des intérêts déterminés à l'article L. 211-1 du code de l'environnement. Il ne ressort pas des termes de cet article rappelés au point 2 que celui-ci, qui vise la lutte contre toute pollution générée par des matières de toute nature, exclurait par principe les dépôts ou déversements de matière végétale. Ainsi, la société hydroélectrique de la Dore qui soutient, sans toutefois le démontrer par une analyse de cette contrainte réalisée par un cabinet d'ingénierie en juin 2018, un procès-verbal de constat d'huissier du 26 juin 2018 et une étude réalisée par un bureau d'études en août 2001, que la majorité des éléments charriés par la rivière La Dore serait d'origine naturelle et constituée notamment de végétaux nécessaires à l'équilibre chimique et biologique du cours d'eau, et ne pourraient pour ce motif être qualifiés de déchet, n'est pas fondée à soutenir que le préfet aurait commis une erreur de droit ou une erreur d'appréciation en lui imposant la prescription litigieuse. En outre et en tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction et notamment pas des mentions de l'arrêté du 19 octobre 2017 que le préfet du Puy-de-Dôme aurait entendu regarder tous les éléments flottants ou dérivants sur la Dore comme des déchets devant en être extraits en vue de leur traitement. Par suite, et alors que la prescription imposée doit être regardée comme portant sur l'enlèvement des seuls embâcles préjudiciables au libre écoulement des eaux et remontés par dégrillage conformément aux dispositions précitées, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit être écarté en toutes ses branches.

8. En troisième lieu, il y a lieu, par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges, et dès lors que l'arrêté n'est pas fondé sur les dispositions de l'article 21 du décret du 27 avril 2016 relatif au régime de la concession, d'écarter d'une part comme inopérant le moyen tiré du défaut de base légale de cet arrêté, d'autre part le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au vu des difficultés techniques d'exécution de la prescription relative à l'évacuation par dégrillage et à l'élimination des déchets flottants ou dérivants et qui seraient issues de la situation de la prise d'eau de la centrale hydroélectrique de Chantelauze dans un endroit encaissé, en contrebas de la route, de telles contraintes étant sans incidence sur la légalité de l'obligation édictée.

9. Il résulte de ce qui précède que la société hydroélectrique de la Dore n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 19 octobre 2017 en tant que le préfet du Puy-de-Dôme a limité son autorisation d'exploitation pour une durée de quinze ans et lui a prescrit d'évacuer les déchets flottants et dérivants remontés hors de l'eau par dégrillage vers des sites habilités à les recevoir.

Sur les frais liés au litige :

10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, la somme que la société hydroélectrique de la Dore demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de la société hydroélectrique de la Dore est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société hydroélectrique de la Dore et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Délibéré après l'audience du 31 octobre 2023, à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

M. Joël Arnould, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 15 novembre 2023.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Sandra Bertrand

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 21LY01880


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21LY01880
Date de la décision : 15/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

44-02-02-01-02 Nature et environnement. - Installations classées pour la protection de l'environnement. - Régime juridique. - Pouvoirs du préfet. - Modification des prescriptions imposées aux titulaires.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : REMY

Origine de la décision
Date de l'import : 22/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2023-11-15;21ly01880 ?
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