Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... C... B... représenté par son tuteur, M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 453 553,30 euros, outre intérêts légaux et leur capitalisation, en réparation du préjudice résultant du décès de M. E... C... en détention.
Par jugement n° 210822 du 31 mai 2022, le tribunal a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 18 juillet 2022, M. C... B... représenté par son tuteur, M. A... B..., représentés par Me Paquet-Cauet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 453 553,30 euros avec intérêts au taux légal à compter du 18 décembre 2020 et capitalisation des intérêts à compter du 18 décembre 2021 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le suicide de M. E... C... est la conséquence directe de la faute de l'administration, engageant la responsabilité de l'Etat, constituée par un défaut de surveillance et de vigilance alors qu'il présentait un risque suicidaire sérieux ;
- M. C... souffrait d'un état dépressif majeur ayant donné lieu à une hospitalisation en secteur psychiatrique ainsi qu'à un suivi médical et psychiatrique et prenait un traitement antidépresseur ; le risque suicidaire et la vulnérabilité de M. C..., de même que le risque de passage à l'acte imminent, étaient connus de l'administration ;
- la surveillance dont M. C... bénéficiait n'était pas suffisante, dès lors que son suicide est intervenu plus de quatre heures après la dernière ronde ; en outre, l'administration a fait preuve de négligence en laissant à sa disposition, d'une part, une couverture et des ciseaux, couverture de laquelle il a découpé la bordure utilisée pour la pendaison et, d'autre part, son traitement médicamenteux lourd, l'analyse toxicologique ayant révélé une poly-intoxication et une consommation récente de cannabis ; le suivi psychiatrique dont il faisait l'objet était trop peu fréquent ; dans la mesure où il devait être statué sur le placement de son unique enfant mineur, une surveillance plus étroite s'imposait ;
- compte tenu de son lien de parenté avec M. C... et de sa qualité d'orphelin, il justifie la réalité du préjudice moral subi, estimé à 50 000 euros ;
- il justifie de la réalité et du montant du préjudice résultant de la perte de revenus de son père, évalué à 303 553 euros ;
- compte tenu des circonstances du décès, il justifie d'un préjudice d'angoisse et de souffrances endurées d'un montant de 100 000 euros.
Par mémoire enregistré le 12 janvier 2024, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- l'Etat n'a commis aucune faute, dès lors qu'aucun élément ne laissait présager le suicide de M. C... ;
- bien que M. C... était suivi pour une dépression et inscrit sur la liste des personnes détenues soumises à une surveillance pour vulnérabilité au risque suicidaire, aucun signalement d'un passage à l'acte imminent n'avait été effectué par les services médicaux ; il faisait l'objet d'une bonne intégration en détention et recevait des visites de sa famille ;
- les mesures de prévention du suicide adoptées par l'administration, qui impliquaient de ne pas mettre M. C... seul en cellule et consistaient en un suivi hebdomadaire par un psychologue, par un suivi régulier par un psychiatre et par un personnel de service d'insertion et de probation ainsi que par un contrôle visuel de la présence de l'intéressé, étaient adaptées, compte tenu, d'une part, de l'encadrement réglementaire des contrôles, notamment nocturnes, et d'autre part, de l'absence de risque imminent de suicide caractérisé, justifiant une surveillance particulière ;
- en l'absence de comportement laissant présager un risque imminent de suicide, il n'y avait pas de motif de priver M. C... de ses effets personnels ou de lui remettre un kit suicide en lieu et place de son pyjama et de sa couverture ;
- il ne saurait être fait grief à l'administration pénitentiaire de contrôler le traitement médicamenteux de M. C... ni de ne pas avoir détecté la consommation de stupéfiants malgré les fouilles effectuées récentes en cellule ;
- en cas de faute, le préjudice moral de son unique fils mineur peut être évalué à une somme comprise entre 25 000 et 30 000 euros avec une majoration de 40 à 50 % pour un enfant mineur orphelin ; le préjudice d'angoisse, de mort imminente et de souffrances endurées ne présente pas de caractère direct ; le préjudice résultant d'une perte de revenus ne présente pas de caractère certain.
La clôture d'instruction a été fixée au 12 mars 2024 par ordonnance du même jour, prise en application des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.
M. C... B... a été admis au bénéficie de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 octobre 2022.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de procédure pénale ;
- le code pénitentiaire ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Psilakis,
- et les conclusions de M. Savouré, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... C... a été placé en détention provisoire à la maison d'arrêt de Saint-Etienne La Talaudière par ordonnance du 29 mars 2016 du juge des libertés et de la détention près le tribunal judiciaire de Saint-Etienne. Il a été découvert pendu dans sa cellule lors de la ronde effectuée le 20 novembre 2016 à 03h02, et son décès a été constaté. Son enfant mineur, M. D... C... B..., représenté par son tuteur légal, M. A... B..., a demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner l'Etat à lui verser la somme de 453 553,30 euros, outre intérêts légaux et leur capitalisation, en réparation de son préjudice moral résultant du décès de son père. Il relève appel du jugement du 31 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
2. La responsabilité de l'État en cas de préjudice matériel ou moral résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée pour faute des services pénitentiaires en raison notamment d'un défaut de surveillance ou de vigilance. Une telle faute ne peut toutefois être retenue qu'à la condition qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas pris, compte tenu des informations dont elle disposait, en particulier sur les antécédents de l'intéressé, son comportement et son état de santé, les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir le suicide.
3. Aux termes de l'article D. 271 du code de procédure pénale, alors en vigueur : " La présence de chaque détenu doit être contrôlée au moment du lever et du coucher, ainsi que deux fois par jour au moins, à des heures variables ". Aux termes de l'article D. 272 du même code : " Des rondes sont faites après le coucher et au cours de la nuit, suivant un horaire fixé et quotidiennement modifié par le chef de détention, sous l'autorité du chef d'établissement ". Et aux termes de l'article 5 du règlement intérieur des établissements pénitentiaires, annexé à l'article R. 57-6-18 du même code : " Aucun objet ou substance pouvant permettre ou faciliter un suicide (...), aucun outil dangereux en dehors du temps de travail ne peuvent être laissés à la disposition d'une personne détenue ".
4. Il résulte de l'instruction que M. C..., dont l'état de santé justifiait l'administration d'un traitement à base d'antidépressifs et d'anxiolytiques, a été placé sous le régime d'une " surveillance spécifique/surveillance adaptée pour vulnérabilité risque suicidaire " dès son entrée en détention, et qu'il y a été maintenu, par décisions successives de la commission pluridisciplinaire unique du centre pénitencier (CPU), jusqu'à la date de son suicide. Par ailleurs, l'expertise psychologique réalisée le 9 novembre 2016 fait état de l'impossibilité d'exclure tout acte " auto agressif ". Toutefois, un tel risque n'est pas présenté par cette expertise comme immédiat mais comme le résultat d'une prise de conscience, à terme, de la gravité de ses agissements. Si des indices en faveur d'un risque accru de passage à l'acte ont induit des consignes de vigilance rehaussée de la part du personnel pénitentiaire lors des semaines antérieures et postérieures à la date anniversaire de son fils ainsi qu'au cours de celle où M. C... a été informé des suites données au placement provisoire en pouponnière de l'enfant, ni le suivi hebdomadaire par un psychologue et mensuel par un psychiatre, outre celui, régulier, d'un médecin traitant, ni le témoignage de son codétenu, ni encore les propres déclarations de l'intéressé au cours des évaluations du risque suicidaire faites dès son entrée en détention et, pour la dernière, le 4 novembre 2016, n'ont révélé un risque de passage à l'acte suicidaire imminent justifiant une vigilance plus particulière à la date du suicide. Enfin, M. C... bénéficiait d'un soutien familial par de fréquentes visites aux parloirs de sa mère et de contacts réguliers avec sa famille, participait aux activités socio-éducatives proposées par l'établissement et bénéficiait, conformément aux décisions de la CPU, d'un encellulement avec un codétenu dès juillet 2016. Ni l'état de santé de M. C..., ni son comportement, ni aucun autre indice ne pouvait ainsi laisser prévoir un passage à l'acte imminent la nuit du 19 au 20 novembre 2016. Si M. F... fait par ailleurs grief aux services pénitentiaires d'avoir laissé M. C... en possession d'une paire de ciseaux et de cannabis, désinhibiteur consommé deux heures avant la pendaison suivant les constats de l'autopsie, il est constant que la cellule de l'intéressé avait été infructueusement fouillée quelques jours avant son passage à l'acte, si bien que l'administration a pris les mesures propres à éviter ce dernier. Dans de telles conditions, aucun élément porté à la connaissance de l'administration n'appelait un renforcement supplémentaire de la surveillance adaptée dont M. C... faisait déjà l'objet, et notamment, le contrôle visuel plus fréquent de sa cellule lors des contrôles nocturnes ou la confiscation de ses vêtements et effets personnels ou de son traitement médicamenteux. Ainsi, en le soumettant à un contrôle oculaire de l'intérieur de sa cellule par l'œilleton à 19h47 et à 23h47 la veille, et 3h05 au cours de la nuit du suicide, l'administration a pris les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir ce risque. Il s'ensuit que M. D... G... n'est pas fondé à soutenir qu'en ne prenant pas des mesures de surveillance plus importantes que celles déjà mises en œuvre à l'égard de M. C... et en lui laissant la disposition de la couverture qu'il a utilisée pour pratiquer la pendaison, l'Etat a commis une faute de nature à lui ouvrir droit à indemnisation.
5. Il résulte de ce qui précède que M. C... B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
6. Enfin, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. C... B....
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. G... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... B... représenté par son tuteur légal, M. A... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Evrard, présidente,
Mme Psilakis, première conseillère,
Mme Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.
La rapporteure,
C. PsilakisLa présidente,
A. Evrard
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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22LY02170