Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler l'arrêté du 21 février 2023 par lequel le préfet de la Côte-d'Or l'a obligé de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans.
Par jugement n° 2300545 du 6 mars 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté cette demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 11 avril 2023, M. B..., représenté par Me Ben Hadj Younes, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté susvisé ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français en litige est entachée d'un vice de procédure dès lors que le préfet aurait dû solliciter l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration dès lors qu'il avait fait état de problèmes de santé ;
- cette décision méconnaît les dispositions du 9°) de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de sa situation ; le préfet aurait dû user de son pouvoir général de régularisation ;
- la décision portant interdiction de retour est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;
- les décisions subséquentes à la décision portant obligation de quitter le territoire français sont illégales en raison de l'illégalité de celle-ci.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 novembre 2023, le préfet de la Côte-d'Or conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Rémy-Néris, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant algérien, né le 12 août 1985 à Chlef (Algérie), est entré irrégulièrement en France en août 2021. Il a fait l'objet le 20 février 2023 d'une interpellation par les services de la police aux frontières de Chenôve (Côte-d'Or) pour des faits de " détention et usage de faux documents " et a été placé en garde à vue. Par un arrêté du 21 février 2023, le préfet de la Côte d'Or l'a obligé de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourra être reconduit d'office et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français : / (...) 9° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. (...) ".
3. Il résulte de ces dispositions que lorsqu'elle envisage de prononcer une obligation de quitter le territoire français à l'encontre d'un étranger, l'autorité préfectorale n'est tenue, en application des dispositions de l'article R. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de recueillir préalablement l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) que si elle dispose d'éléments d'information suffisamment précis permettant d'établir que l'intéressé présente un état de santé susceptible de le faire entrer dans la catégorie des étrangers qui ne peuvent faire l'objet d'une telle mesure d'éloignement.
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a déclaré, lors de son audition par les services de la police aux frontières de Chenôve le 20 février 2023, prendre un traitement médicamenteux pour des crises d'épilepsie et vouloir rester en France pour se soigner et pour travailler sans autre précision ou élément justificatif. Il ne peut ainsi être regardé comme ayant apporté des précisions suffisantes sur la gravité de son état de santé. En outre, le requérant ne produit aucune pièce médicale établissant que son état de santé nécessiterait des soins dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité ou qu'il ne pourrait pas bénéficier dans son pays d'origine d'un traitement adapté. Il se borne à produire une ordonnance pour son traitement contre l'épilepsie. Par suite, le préfet de la Côte-d'Or n'a pas entaché sa décision d'un vice de procédure en s'abstenant de solliciter l'avis du collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ni d'une méconnaissance des dispositions du 9°) de l'article L. 611-3 du code précité à supposer ce dernier moyen soulevé.
5. En deuxième lieu, M. B... soutient justifier d'un emploi salarié depuis le mois d'octobre 2021 et que ce motif constitue une des modalités de régularisation exceptionnelle des ressortissants étrangers. Toutefois, l'arrêté en litige n'emporte pas refus de séjour et le requérant n'a pas présenté de demande de titre de séjour en qualité de salarié ou pour motifs exceptionnels. La seule circonstance qu'il ait travaillé au cours de sa durée de présence en France ne saurait révéler une erreur manifeste d'appréciation commise par le préfet de la Côte-d'Or dans l'exercice de son pouvoir de régularisation.
6. En troisième lieu, les moyens soulevés à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français ayant été écartés, M. B... n'est pas fondé à soutenir que les décisions subséquentes portant refus de délai de départ volontaire, fixation du pays de renvoi et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux sont illégales en conséquence de l'illégalité de cette décision.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour (...) ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11 ".
8. Il résulte de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux.
9. Il incombe ainsi à l'autorité compétente qui prend une décision d'interdiction de retour d'indiquer dans quel cas susceptible de justifier une telle mesure se trouve l'étranger. Elle doit par ailleurs faire état des éléments de la situation de l'intéressé au vu desquels elle a arrêté, dans son principe et dans sa durée, sa décision, eu égard notamment à la durée de la présence de l'étranger sur le territoire français, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France et, le cas échéant, aux précédentes mesures d'éloignement dont il a fait l'objet. Elle doit aussi, si elle estime que figure au nombre des motifs qui justifie sa décision une menace pour l'ordre public, indiquer les raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit, selon elle, être regardée comme une telle menace. En revanche, si, après prise en compte de ce critère, elle ne retient pas cette circonstance au nombre des motifs de sa décision, elle n'est pas tenue, à peine d'irrégularité, de le préciser expressément.
10. En l'espèce, le préfet de la Côte-d'Or, après avoir énoncé les éléments caractérisant la situation administrative et personnelle de M. B..., s'est fondé, pour prendre à son encontre une interdiction de retour, sur les circonstances que l'intéressé était présent en France en situation irrégulière depuis un an et six mois sans entamer de démarches pour régulariser sa situation, qu'il est dépourvu d'attache familiale sur le territoire français et que sa présence constitue une menace pour l'ordre public. Une telle motivation n'atteste pas, ainsi que le soutient M. B..., de la prise en compte du critère tiré de l'existence ou de l'absence d'une précédente mesure d'éloignement. En outre, le préfet de la Côte-d'Or ne justifie pas dans cette décision des raisons pour lesquelles la présence de l'intéressé sur le territoire français doit être regardée comme une menace pour l'ordre public. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que cette mesure est insuffisamment motivée. Pour ce motif, cette décision doit être annulée.
11. Il résulte de ce qui précède que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Côte-d'Or du 21 février 2023 en tant qu'il lui a été fait interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans et à demander l'annulation de cette dernière décision.
12. Il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administratif, l'Etat n'étant pas partie perdante pour l'essentiel.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2300545 du 6 mars 2023 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Dijon est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions tendant à l'annulation de la décision du 21 février 2023 par laquelle le préfet de la Côte-d'Or a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans à l'encontre de M. B....
Article 2 : La décision du 21 février 2023 par laquelle le préfet de la Côte-d'Or a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans à l'encontre de M. B... est annulée.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Côte-d'Or.
Délibéré après l'audience du 23 mai 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Dèche, présidente,
Mme Vergnaud, première conseillère,
Mme Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 juin 2024.
La rapporteure,
V. Rémy-NérisLa présidente,
P. Dèche
Le greffier,
C. Gomez
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
Le greffier en chef
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N° 23LY01269