Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la décision du 20 septembre 2021 par laquelle le ministre du travail a annulé la décision implicite de refus opposée par l'inspecteur du travail à la demande d'autorisation de le licencier déposée par son employeur, l'association inter consulaire pour favoriser l'apprentissage (AIFA), a retiré sa propre décision implicite rejetant le recours hiérarchique présenté par cette association et a autorisé son licenciement.
Par un jugement n° 2103024 du 28 février 2023, le tribunal a annulé la décision du ministre.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 27 avril 2023, la chambre des métiers et de l'artisanat de Bourgogne, venant aux droits de l'AIFA, représentée par Me Cour, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande de M. B... ;
3°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que contrairement à ce qu'a jugé le tribunal les faits reprochés à M. B... sont établis et sont suffisamment graves pour justifier un licenciement.
Par un mémoire enregistré le 5 avril 2024, la ministre du travail, de la santé et des solidarités déclare s'associer aux écritures de la chambre des métiers et de l'artisanat de Bourgogne et demande en conséquence à la cour d'annuler le jugement du tribunal et de rejeter la demande de M. B....
Elle fait valoir que la requête n'appelle pas d'autres remarques que celles déjà présentées devant le tribunal.
Par un mémoire enregistré le 22 avril 2024, M. B..., représenté par Me Meunier, conclut au rejet de la requête et qu'il soit mis à la charge de l'État une somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- compte tenu du délai d'un jour ayant séparé son entretien préalable de licenciement et la réunion du comité social d'entreprise, il n'a pas été en mesure de présenter une défense éclairée devant cette instance ;
- l'arrêté du 20 septembre 2021, qui est intervenu au-delà du délai de quatre mois prévu par l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, et ne mentionne pas les motifs de l'illégalité des décisions des 24 août 2020 et 16 août 2021, les a illégalement retirées ;
- l'autorisation de licenciement, qui ne se prononce pas sur la prescription de certains faits, est insuffisamment motivée ;
- ainsi que l'a jugé le tribunal, la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;
- le prononcé d'un licenciement constitue une sanction disproportionnée ;
- le licenciement se fonde pour partie sur des faits frappés de prescription ;
- il se fonde pour partie sur des faits ayant déjà donné lieu à un blâme, ce qui méconnaît la règle non bis in idem ;
- il se fonde sur des faits antérieurs à la dernière sanction disciplinaire dont il a fait l'objet.
Par une ordonnance du 22 avril 2024, l'instruction a été close, en dernier lieu, au 10 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Cour, pour la chambre des métiers et de l'artisanat de Bourgogne ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., qui exerçait depuis le 28 août 2006 les fonctions de formateur spécialisé en mathématiques au sein de l'association inter consulaire pour favoriser l'apprentissage (AIFA) et était membre du comité social et économique (CSE), a fait l'objet d'une procédure de licenciement disciplinaire. Par décision du 1er septembre 2020, l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement. Sur recours hiérarchique présenté par M. B..., la ministre du travail a, par décision du 15 février 2021, annulé pour vice de procédure la décision de l'inspecteur du travail et constaté qu'il n'y avait pas lieu de statuer sur la demande d'autorisation de licenciement, une décision implicite de rejet de la demande de licenciement étant intervenue le 24 août 2020. Sur recours hiérarchique présenté par l'AIFA contre cette décision implicite, la ministre du travail a, par décision du 20 septembre 2021, retiré la décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique, née le 15 août 2021, et non le 16 août comme indiqué par erreur dans la décision, annulé la décision implicite de l'inspecteur du travail née le 24 août 2020 et autorisé le licenciement de M. B.... La chambre des métiers et de l'artisanat de Bourgogne, venant aux droits de l'AIFA, relève appel du jugement du 28 février 2023 par lequel le tribunal administratif de Dijon a annulé la décision de la ministre du travail du 20 septembre 2021.
Sur le motif d'annulation du tribunal :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. Pour décider d'annuler la décision implicite par laquelle l'inspecteur du travail a refusé le 24 août 2020 d'accorder l'autorisation de licencier M. B... et autoriser ce licenciement, la ministre du travail a estimé qu'il était établi qu'au cours de l'année 2018/2019 M. B... avait parlé de sa vie personnelle avec des allusions sexuelles et s'était mêlé de la vie personnelle des élèves, qu'il avait touché les cheveux d'une élève dans des circonstances gênantes, qu'il avait fait ses cigarettes en cours, qu'il avait dormi en cours pendant le visionnage d'un film en fin d'année et qu'il avait eu des contacts avec des élèves sur le réseau social Facebook en dehors du cadre scolaire.
4. Il ressort des pièces du dossier que la direction de l'AIFA a été informée le 13 février 2020 que lors d'un cours sur la condition de la femme, des apprenties d'une classe de BP coiffure avaient relaté à leur professeur que M. B... avait eu un comportement inadapté en cours durant l'année 2018/2019. A la suite de ce signalement, six apprenties ont été reçues en entretien le jour même. Un compte-rendu de cet entretien a été établi et une attestation, signée des six apprenties, produite. Si ce compte-rendu et cette attestation ne sont pas très précis sur certains points, la plupart des faits sur lesquels le ministre s'est fondé pour prendre la décision ont été reconnus par M. B... lui-même, tout en les minimisant, au cours de la réunion du CSE et lors de l'entretien tenu le 8 décembre 2020 dans le cadre de l'examen de son propre recours hiérarchique. Il a ainsi reconnu avoir parlé de sa vie personnelle et s'être mêlé de la vie personnelle, notamment affective, des élèves pendant les cours. Il a également admis avoir relaté à ses élèves, en détail, une anecdote à caractère sexuel et scatologique concernant l'un de ses amis. Il a enfin concédé avoir roulé des cigarettes en mettant ses pieds sur le bureau, son endormissement au cours de la projection d'un film et les liens entretenus sur le réseau social Facebook en dehors du cadre scolaire. Il a en revanche affirmé ne pas se souvenir avoir touché les cheveux d'une des étudiantes. A supposer même ce dernier fait non avéré, les autres éléments relevés à son encontre sont, en l'état du dossier, suffisamment établis.
5. Il en résulte que M. B... a, par son comportement, instauré une proximité excessive et inappropriée avec les élèves, sortant de son rôle de professeur. Les faits qui lui sont reprochés ne sont pas isolés. A supposer même que le fait qu'il ait pris contact sur les réseaux sociaux avec certains de ses élèves ne puisse être qualifié de comportement fautif, dès lors que cette pratique paraissait tolérée par la direction de l'AIFA et que la teneur exacte des propos qui auraient été échangés dans ce cadre avec les élèves de cette classe de BP coiffure n'est pas établie, les autres faits qui lui sont reprochés, en particulier la trop grande proximité avec ses élèves, son immixtion dans leurs vies privées et les propos à caractère sexuel, relatant en termes crus un comportement dégradant, de nature à déstabiliser ses élèves, sont, pour un enseignant, d'une particulière gravité et ce, alors même que M. B... dit avoir été animé de bonnes intentions, essayant ainsi de régler des conflits dans sa classe et de mettre en garde ses étudiants.
6. Compte tenu de leur gravité, et alors que le requérant avait déjà fait l'objet, le 27 janvier 2020, d'un avertissement pour avoir notamment adopté, au cours de l'année 2019/2020, un comportement déplacé à l'égard d'une mineure à laquelle il avait adressé des messages tendancieux sur Facebook au moment des congés de Noël et avait demandé de rester après un cours et avoir tenu des propos pendant les cours sur des sujets inappropriés, parfois à caractère sexuel, la ministre, qui pouvait prendre en compte pour apprécier la proportionnalité de la mesure prise par l'employeur l'existence de cette sanction intervenue antérieurement, a pu estimer que les faits imputés à M. B... au cours de l'année 2018/2019 étaient suffisamment graves pour justifier un licenciement.
7. Par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la décision de la ministre du travail au motif que les faits dont la matérialité était établie, s'ils présentaient un caractère fautif et justifiaient le prononcé d'une sanction, n'apparaissaient pas suffisamment graves, à eux-seuls, pour justifier le licenciement.
8. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal et devant elle.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne les moyens propres à la décision en tant qu'elle retire la décision implicite de rejet du recours hiérarchique et qu'elle annule la décision de l'inspecteur du travail :
9. Aux termes de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, applicable d'après l'article L. 241-1 de ce code sous réserve notamment de dispositions législatives et réglementaires spéciales : " L'administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d'un tiers que si elle est illégale et si l'abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de décision ". Aux termes de l'article R. 2422-1 du code du travail : " Le ministre chargé du travail peut annuler ou réformer la décision de l'inspecteur du travail sur le recours de l'employeur, du salarié ou du syndicat que ce salarié représente ou auquel il a donné mandat à cet effet. / Ce recours est introduit dans un délai de deux mois à compter de la notification de la décision de l'inspecteur. Le silence gardé pendant plus de quatre mois sur ce recours vaut décision de rejet ".
10. Lorsqu'il est saisi d'un recours hiérarchique contre une décision d'un inspecteur du travail statuant sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, le ministre chargé du travail doit, soit confirmer cette décision, soit, si celle-ci est illégale, l'annuler puis se prononcer de nouveau sur la demande d'autorisation de licenciement compte tenu des circonstances de droit et de fait à la date à laquelle il prend sa propre décision.
11. En premier lieu, et d'une part, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières, dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
12. La présentation, dans le délai imparti pour introduire un recours contentieux contre une décision administrative, d'un recours administratif, gracieux ou hiérarchique contre cette décision a pour effet d'interrompre ce délai. Il en va notamment ainsi lorsque, faute de respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, le délai dont dispose le destinataire de la décision pour exercer le recours juridictionnel est le délai raisonnable découlant de la règle énoncée ci-dessus.
13. D'autre part, aux termes de l'article L. 112-3 du code des relations entre le public et l'administration : " Toute demande adressée à l'administration fait l'objet d'un accusé de réception ". Aux termes de l'article R. 112-5 de ce code : " L'accusé de réception prévu par l'article L. 112-3 comporte les mentions suivantes : 1° La date de réception de la demande et la date à laquelle, à défaut d'une décision expresse, celle-ci sera réputée acceptée ou rejetée ; (...) Il indique si la demande est susceptible de donner lieu à une décision implicite de rejet ou à une décision implicite d'acceptation. Dans le premier cas, l'accusé de réception mentionne les délais et les voies de recours à l'encontre de la décision (...) ". Aux termes de l'article L. 112-6 du même code : " Les délais de recours ne sont pas opposables à l'auteur d'une demande lorsque l'accusé de réception ne lui a pas été transmis ou ne comporte pas les indications exigées par la réglementation ".
14. Par application combinée des dispositions de l'article 1er de l'ordonnance du 25 mars 2020 visée ci-dessus relative à la prorogation des délais échus pendant la période d'urgence sanitaire et à l'adaptation des procédures pendant cette même période, dans sa version applicable depuis le 5 juin 2020, et de l'article 7 de cette même ordonnance, le délai de deux mois à compter duquel une décision implicite de rejet de la demande d'autorisation de licenciement de l'AIFA, reçue par l'administration le 11 juillet 2020, a commencé à courir le 24 juin 2020. Une décision implicite de rejet est en conséquence intervenue le 24 août 2020. Or, il ressort des pièces du dossier que, lorsqu'elle a accusé réception de la demande de l'AIFA, l'administration a indiqué par erreur que cette décision implicite de rejet naîtrait le 12 septembre 2020, date qui ne correspondait ni au délai de deux mois à compter de la réception de la demande, ni au délai spécial prévu pendant la période de l'état d'urgence sanitaire, de sorte que la mention des voies et délais de recours, selon laquelle cette décision pourrait être attaquée dans un délai de deux mois à compter de cette date, était erronée. L'AIFA ignorant qu'une décision implicite de rejet était intervenue n'a pu la contester dans le délai recours, et ce d'autant que l'inspecteur du travail a décidé, le 1er septembre 2020, de lui accorder l'autorisation de licenciement sollicitée. L'AIFA, qui n'a eu connaissance de cette décision implicite qu'à compter de la notification qui lui a été faite de la décision de la ministre du travail du 15 février 2021, a présenté son recours gracieux par courrier du 14 avril 2021, reçu le 15. Dans ces conditions, son recours gracieux, n'était, par application des principes rappelés aux points 11 et 12 ci-dessus, pas tardif.
15. En deuxième lieu, il résulte des dispositions du code du travail précitées au point 9 que le rejet implicite du recours hiérarchique formé par la société contre une décision de l'inspecteur du travail, né du silence gardé pendant quatre mois par le ministre du travail, peut être retiré, si celui-ci est illégal, par une décision expresse du ministre prise dans un délai de quatre mois qui suit la naissance de cette décision implicite. Dans ce même délai de quatre mois, le ministre du travail peut également retirer la décision de l'inspecteur du travail, sous réserve de l'illégalité de cette décision, alors même que le délai de quatre mois à compter de la naissance de la décision de l'inspecteur du travail, prévu par l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration, est expiré. Il suit de là que la ministre du travail a pu légalement, par sa décision expresse du 20 septembre 2021, retirer sa décision implicite née le 15 août 2021 et la décision de l'inspecteur du travail du 24 août 2020, toutes deux entachées d'illégalité.
16. En troisième lieu, dans le cas où le ministre, ainsi saisi d'un recours hiérarchique, annule la décision par laquelle un inspecteur du travail s'est prononcé sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, il est tenu de motiver l'annulation de cette décision ainsi que le prévoit l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration, que cette annulation repose sur un vice affectant la légalité externe de la décision ou sur un vice affectant sa légalité interne. Dans le premier cas, si le ministre doit indiquer les raisons pour lesquelles il estime que la décision de l'inspecteur du travail est entachée d'illégalité externe, il n'a pas en revanche à se prononcer sur le bien-fondé de ses motifs. Dans le second cas, il appartient au ministre d'indiquer les considérations pour lesquelles il estime que le motif ou, en cas de pluralité de motifs, chacun des motifs fondant la décision de l'inspecteur du travail est illégal.
17. La ministre du travail, qui a retiré la décision implicite de rejet du recours hiérarchique de la société, née le 15 août 2021, annulé la décision implicite de l'inspecteur du travail du 24 août 2020 et autorisé le licenciement de M. B..., a exposé dans la décision litigieuse les motifs pour lesquels elle estimait qu'il devait être fait droit à la demande d'autorisation de licenciement pour motif disciplinaire de M. B.... Elle a relevé les faits qui lui paraissaient matériellement établis, s'est prononcée sur leur caractère fautif et leur gravité et a examiné l'existence d'un lien avec le mandat. Si la ministre n'a pas précisé, dans la décision en litige, qu'elle estimait, pour ces motifs, que la décision implicite de l'inspecteur du travail était illégale et que, pour les mêmes motifs, elle décidait de retirer sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique et d'autoriser le licenciement de M. B..., en l'espèce, cette motivation est suffisante dès lors, d'une part, que la décision de l'inspecteur du travail étant implicite, son retrait n'appelait pas d'autres justifications que celles apportées par la ministre et, d'autre part, qu'il apparait et n'est pas contesté que les circonstances de fait et de droit étaient les mêmes à la date de chacune des décisions de sorte que l'appréciation portée par la ministre pouvait valoir tant pour le retrait des décisions implicites de rejet que pour la décision d'autoriser le licenciement. Par suite le moyen tiré de ce que la décision serait insuffisamment motivée doit être écarté.
En ce qui concerne l'autorisation de licencier M. B... :
18. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III. ".
19. Saisie par l'employeur d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé auquel s'appliquent l'article L. 2421-3 et le premier aliéna de l'article R. 2421-9 du code du travail, il appartient à l'administration de s'assurer que la procédure de consultation du CSE a été régulière. Elle ne peut légalement accorder l'autorisation demandée que si le comité d'entreprise a été mis à même d'émettre son avis en toute connaissance de cause, dans des conditions qui ne sont pas susceptibles d'avoir faussé sa consultation. En cas de brièveté du délai laissé au salarié pour préparer son audition le juge doit rechercher si en l'espèce, celle-ci a été de nature à empêcher le comité de se prononcer en toute connaissance de cause ou à faire regarder l'avis comme émis dans des conditions ayant faussé sa consultation.
20. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été convoqué par courrier du 27 mars 2020 à un entretien préalable qui s'est tenu le 16 avril à 9 h. Il a été également convoqué, par courrier du même jour, à la réunion du CSE qui s'est tenue le 17 avril à 9 h et au cours de laquelle ce dernier a été appelé à émettre un avis sur son licenciement. Si M. B... n'a disposé que d'une journée entre son entretien et son audition par le CSE, il avait été destinataire, avec la convocation au CSE de l'ensemble des éléments sur lesquels l'employeur s'est fondé pour demander son licenciement, en particulier le compte-rendu de la réunion du 13 février 2020 au cours de laquelle les apprenties se sont plaintes de son comportement au cours de l'année 2018/2019 ainsi que le document écrit signé par les apprenties entendues le 13 février 2020. Il a confirmé en avoir eu bonne réception par courriel du 30 mars 2020. Dans ces conditions, malgré la brièveté du délai entre son entretien préalable et la tenue du CSE, cette brièveté n'a pas, en l'espèce, été de nature à empêcher le comité de se prononcer en toute connaissance de cause ou à faire regarder l'avis comme émis dans des conditions ayant faussé sa consultation.
21. En deuxième lieu, l'article L. 1332-4 du code du travail dispose que : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales. ".
22. Il ressort des pièces du dossier que les faits fautifs ont été portés à la connaissance de l'employeur le 13 février 2020. Il n'est pas établi que les faits reprochés à M. B... pour l'année 2018/2019 auraient étaient connus avant cette date. Les poursuites disciplinaires ont été engagées par l'envoi du courrier le 27 mars 2020 le convoquant à l'entretien préalable, de sorte que M. B... n'est pas fondé à soutenir que les faits étaient prescrits.
23. En troisième lieu, les faits qui ont justifié que soit prononcé le licenciement disciplinaire de M. B... portent sur la période antérieure à ceux qui ont fondé l'avertissement prononcé à son encontre le 27 janvier 2020 qui se fondait sur les faits rapportés par une apprentie pour l'année scolaire 2019/2020. Par suite, M. B... n'est pas fondé à soutenir que le licenciement prononcé à son encontre méconnaitrait le principe non bis in idem.
24. En quatrième lieu, l'employeur qui, ayant connaissance, dans une même période de temps, de divers faits commis par un salarié, non atteints par la prescription résultant de l'article L. 1332-4 du code du travail et considérés par lui comme fautifs, choisit de n'en sanctionner qu'une partie, ne peut légalement prononcer une nouvelle mesure disciplinaire en vue de sanctionner les autres faits dont il avait connaissance à la date de l'infliction de la première sanction. Toutefois, en l'espèce, l'AIFA, qui n'avait pas connaissance des faits survenus au cours de l'année 2018/2019 à la date à laquelle la première sanction a été prononcée, n'a pas méconnu ce principe.
25. En dernier lieu, l'article L. 1132-1 du code du travail dispose : " (...) aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, telle que définie à l'article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, (...) en raison de son origine, de son sexe, de ses mœurs, de son orientation sexuelle, de son identité de genre, de son âge, de sa situation de famille ou de sa grossesse, de ses caractéristiques génétiques, de la particulière vulnérabilité résultant de sa situation économique, apparente ou connue de son auteur, de son appartenance ou de sa non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une prétendue race, de ses opinions politiques, de ses activités syndicales ou mutualistes, de son exercice d'un mandat électif, de ses convictions religieuses, de son apparence physique, de son nom de famille, de son lieu de résidence ou de sa domiciliation bancaire, ou en raison de son état de santé, de sa perte d'autonomie ou de son handicap, de sa capacité à s'exprimer dans une langue autre que le français. ".
26. M. B..., qui ne se prévaut pas de ce que l'autorisation de licenciement dont il a fait l'objet résulterait d'une discrimination à raison d'un des critères énoncés par l'article L. 1132-1 du code du travail cité ci-dessus, n'est pas fondé à soutenir que la décision de la ministre serait illégale à raison de la méconnaissance, par son employeur, de ces dispositions.
27. Il résulte de ce qui précède que la chambre des métiers et de l'artisanat de Bourgogne est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé la décision de la ministre du travail du 20 septembre 2021.
Sur les frais liés au litige :
28. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de M. B... une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la chambre des métiers et de l'artisanat de Bourgogne et non compris dans les dépens.
29. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'État qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à M. B... la somme qu'il réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2103024 du tribunal administratif de Dijon du 28 février 2023 est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. B... devant le tribunal et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : M. B... versera à la chambre des métiers et de l'artisanat de Bourgogne une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la chambre des métiers et de l'artisanat de Bourgogne, à M. A... B... et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 3 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 octobre 2024.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre du travail et de l'emploi en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
2
N° 23LY01459
al