Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 29 juillet 2022 par lequel le préfet de l'Isère a prononcé son expulsion du territoire français et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2207258 du 16 février 2024, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 16 avril 2024, M. A... D..., représenté par Me Bescou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, à verser à son conseil, une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est entaché d'insuffisance de motivation concernant ses moyens tirés du défaut d'examen particulier de sa situation personnelle, de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision d'expulsion est entachée de défaut d'examen particulier de sa situation personnelle et d'erreur de droit ;
- elle est entachée d'inexacte application de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de fait sur ses liens avec son fils ;
- elle méconnaît les articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision désignant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'expulsion.
Le préfet de l'Isère, qui a reçu communication de la requête, n'a pas présenté d'observations.
M. D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 mai 2024.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Porée, premier conseiller,
- les conclusions de M. Laval, rapporteur public,
- et les observations de Me Guillaume, représentant M. D... ;
Considérant ce qui suit :
1. M. D..., ressortissant albanais, né le 19 février 1992, entré sur le territoire français le 10 décembre 2018 selon ses déclarations, s'est marié le 16 février 2018 avec une compatriote, Mme E... D..., bénéficiaire de la protection subsidiaire, avec laquelle il a eu un fils B..., né le 22 septembre 2019. Par un arrêté du 29 juillet 2022, le préfet de l'Isère a décidé d'expulser M. D... du territoire français et a fixé le pays de destination. M. D... relève appel du jugement du 16 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande en annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Le tribunal administratif, qui n'était pas tenu de se prononcer sur tous les arguments de M. D..., a répondu aux points 4, 5 et 6 de son jugement, de manière suffisamment circonstanciée, sur les moyens du requérant tirés du défaut d'examen particulier de sa situation personnelle, de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué ne serait pas suffisamment motivé sur ces points doit être écarté.
Sur la légalité des décisions :
3. En premier lieu, la décision d'expulsion, après avoir rappelé la condamnation par un jugement du tribunal correctionnel d'Albertville du 18 décembre 2020, mentionne qu'en raison de la gravité des faits commis et du caractère récent des faits, la présence de M. D... sur le territoire français constitue une menace grave et actuelle pour l'ordre public. Par suite, les moyens tirés du défaut d'examen particulier de la situation personnelle du requérant et de l'erreur de droit doivent être écartés.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3. ".
5. L'autorité compétente pour prononcer une mesure d'expulsion d'un étranger, laquelle a pour objet de prévenir les atteintes à l'ordre public qui pourraient résulter du maintien d'un étranger sur le territoire français, doit caractériser l'existence d'une menace grave au vu du comportement de l'intéressé et des risques objectifs que celui-ci fait peser sur l'ordre public. Lorsque l'administration se fonde sur l'existence d'une menace grave à l'ordre public pour prononcer l'expulsion d'un étranger, il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les faits qu'elle invoque à cet égard sont de nature à justifier légalement sa décision.
6. Il ressort des jugements du tribunal correctionnel d'Albertville du 18 décembre 2020 et du juge d'application des peines de Vienne du 18 février 2022, produits à l'instance par M. D..., qu'il a été déclaré coupable de faits d'acquisition, de transport, de détention, d'offre ou cession, non autorisés de cocaïne et d'héroïne, s'étant déroulés du 1er juillet 2019 au 25 mai 2020 dans les départements de la Savoie et du Rhône, d'avoir plus précisément approvisionné les secteurs de Moutiers et Aigueblanche, se chargeant de la réception des produits, de la tenue de la comptabilité et de la gestion des points de vente, pour le compte d'un commanditaire se trouvant en Albanie, que le requérant a alors été condamné à la plus lourde peine par rapport aux coauteurs, soit quatre ans d'emprisonnement et une amende de 6 000 euros. En outre, il ressort du jugement du juge d'application des peines que M. D... a déclaré qu'il avait poursuivi son trafic de stupéfiants après la naissance de son fils en raison des difficultés pour sortir du réseau auquel il appartenait, et une consommation occasionnelle de cocaïne et cannabis à laquelle il affirmait avoir mis un terme. Le requérant ne conteste d'ailleurs pas les termes de l'avis de la commission d'expulsion du 4 mars 2022 selon lesquels " la situation de Monsieur D..., qui multiplie les séjours dans différents pays d'Europe sans donner de précisions sur ses activités professionnelles, demeure opaque ". Enfin, il ressort également du jugement du juge d'application des peines du 18 février 2022 que l'intéressé a fait l'objet de suspensions de permis de visite, lors de son incarcération en France pour exécuter la peine d'emprisonnement de quatre ans à la suite d'incidents aux parloirs. Dans ces conditions, et alors qu'il ressort de ce jugement du juge d'application des peines que le requérant a, en outre, été déjà condamné en 2014 à une peine de six mois d'emprisonnement pour vol aggravé par deux circonstances, la présence de M. D... sur le territoire français constitue une menace grave et actuelle à l'ordre public. Le moyen tiré de l'inexacte application des dispositions précitées ne peut dès lors qu'être écarté.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. ".
8. Il ressort des pièces du dossier que M. D... vit avec son épouse, qui bénéficie de la protection subsidiaire et qu'il entretient des liens avec son fils mineur contrairement à ce qu'a retenu le préfet dans la décision en litige. Toutefois, l'intéressé, qui ne séjourne sur le territoire français que depuis un peu moins de quatre ans, ne justifie pas d'une insertion dans la société française, ayant débuté son trafic de stupéfiant le 1er juillet 2019, soit sept mois environ après son entrée sur le territoire français. Il a été incarcéré dès le 29 mai 2020 et s'il est titulaire d'une promesse d'embauche pour un contrat à durée indéterminée de l'entreprise Thermys Habitat en tant que façadier, il ne démontre avoir travaillé en tant qu'auxiliaire de cuisine qu'à partir du 27 octobre 2020, pendant son incarcération. M. D... n'est pas dépourvu de toutes attaches personnelles et familiales en Albanie où il a vécu vingt-six années et où résident ses parents, une sœur et un frère. En outre, il résulte du point 6 du présent arrêt que le requérant menace gravement l'ordre public. Eu égard à ce qui précède, quand bien même l'intéressé s'occupe de son fils, le préfet de l'Isère, en édictant une mesure d'expulsion à son encontre, n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. D..., ni à l'intérêt supérieur de l'enfant mineur, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Dès lors, il n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Pour les mêmes motifs, la décision d'expulsion n'est pas entachée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant.
9. En quatrième et dernier lieu, il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision d'expulsion du territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
10. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 10 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 novembre 2024.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 24LY01113