Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 17 février 2023 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination de son éloignement et a assorti ces décisions d'une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par jugement n° 2305006 du 27 octobre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 19 janvier 2024, Mme D..., représentée par Me Alampi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler les décisions susvisées ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Isère, à titre principal, de lui délivrer sans délai un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", à titre subsidiaire de réexaminer sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de séjour et la décision portant obligation de quitter le territoire français sont entachées d'incompétence ;
- ces décisions sont insuffisamment motivées ;
- elles sont entachées d'un défaut d'examen ;
- elles méconnaissent les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elles sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français a méconnu son droit d'être entendu ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est entachée d'erreur d'appréciation ;
- elle justifie de circonstances humanitaires qui font obstacle à l'édiction de cette interdiction.
La requête a été communiquée au préfet de l'Isère qui n'a pas produit d'observations.
Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 20 décembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Le rapport de Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., ressortissante marocaine née le 31 janvier 1971, déclare être entrée en France le 30 novembre 2018 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa de court séjour valable dix jours. A la suite du rejet définitif de sa demande d'asile en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile, le préfet de l'Isère a pris à son encontre le 19 novembre 2020 un arrêté portant obligation de quitter le territoire français. Le 2 juin 2022, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Mme D... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 février 2023 du préfet de l'Isère refusant de lui délivrer le titre de séjour sollicité, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays à destination duquel elle pourra être éloignée d'office et portant interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Sur les moyens communs aux décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, l'arrêté attaqué a été signé par Mme C... B..., attachée principale, cheffe du service de l'immigration et de l'intégration, qui disposait à cet effet d'une délégation de signature consentie par arrêté du préfet de l'Isère du 26 juillet 2022. Cet arrêté de délégation, librement accessible sur le site internet de la préfecture, a été régulièrement publié au recueil des actes administratifs spécial de la préfecture de l'Isère du même jour. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions en litige doit être écarté.
3. En deuxième lieu, il ressort des termes de la décision portant refus de séjour en litige que le préfet de l'Isère a notamment visé les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, fondement de la demande de titre de séjour présentée par l'intéressée, et l'article 3 de l'accord franco-marocain ainsi que l'article L. 611-1 du code précité s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français. Il a fait état, de façon circonstanciée, des motifs de fait justifiant l'absence de délivrance de titre de séjour. En vertu de l'article L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas à faire l'objet d'une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dès lors que, comme en l'espèce, cette décision a été prise sur le fondement du 3° de l'article L. 611-1 du même code. Les décisions susvisées comportent ainsi les motifs de droit et de fait qui en constituent le fondement et sont suffisamment motivées. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de ces décisions doit être écarté.
4. En troisième lieu, les décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français font état de la situation administrative, personnelle et familiale de l'intéressée telle qu'elle ressort des éléments qu'elle a mentionnés dans sa demande de titre de séjour. Par suite, le moyen tiré de ce que ces décisions sont entachées d'un défaut d'examen de sa situation personnelle doit être écarté.
5. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, applicable aux ressortissants marocains en vertu de l'article 9 de l'accord du 9 octobre 1987 visé ci-dessus : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (...) ".
6. Mme D... est entrée en France à l'âge de 47 ans et est célibataire et sans charge de famille. Si elle fait état de sa présence en France depuis quatre ans à la date des décisions édictées, elle ne justifie de cette durée de présence qu'en raison de l'examen de sa demande d'asile et l'absence d'exécution d'une mesure d'éloignement édictée le 19 novembre 2020 à son encontre. Si elle justifie de la présence en France de deux de ses sœurs, elle a vécu dans son pays d'origine la majeure partie de sa vie et y conserve ses parents et trois frères et sœur. Elle possède ainsi de fortes attaches familiales et privées dans son pays d'origine. Sa relative insertion professionnelle en qualité d'assistante de vie depuis juillet 2020 et la circonstance qu'elle bénéficie d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps partiel depuis novembre 2022 sont insuffisants pour caractériser une insertion particulière au sein de la société française. Elle ne justifie ainsi pas de liens anciens, stables et intenses en France. Dans ces conditions, les décisions susvisées n'ont pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elles ont été prises. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doivent être écartés. Pour les mêmes motifs, doit également être écarté le moyen tiré de ce que les décisions en litige seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de leurs conséquences sur la situation personnelle de Mme D....
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
7. Le préfet de l'Isère a statué sur une demande de délivrance d'un titre de séjour présentée par Mme D..., laquelle a ainsi été en mesure d'exposer utilement les motifs pour lesquels elle estimait qu'elle devait être autorisée à séjourner sur le territoire français. Le préfet de l'Isère n'a ainsi pas méconnu son droit d'être entendu.
Sur la légalité de la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
8. Aux termes de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque l'étranger s'est maintenu irrégulièrement sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l'autorité administrative édicte une interdiction de retour. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder deux ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
9. Il appartient au préfet, en vertu des dispositions précitées de l'article L. 612-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, d'édicter une interdiction de retour sur le territoire français en cas de maintien sur le territoire français d'un ressortissant étranger à l'expiration du délai de départ volontaire qui lui avait été accordé pour exécuter une obligation de quitter le territoire français sauf dans l'hypothèse où des circonstances humanitaires justifieraient qu'il soit dérogé au principe.
10. En l'espèce, Mme D... s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français au-delà du délai de départ volontaire de 30 jours qui lui avait été accordé pour exécuter l'obligation de quitter le territoire français prise à son encontre le 19 novembre 2020. Les circonstances dont il est fait état au point 6 caractérisant la situation de Mme D... ne peuvent être regardées comme des circonstances humanitaires qui auraient pu justifier que l'autorité administrative ne prononçât pas d'interdiction de retour sur le territoire français. S'agissant de la durée de cette interdiction, la décision en litige fait référence à la durée de présence de Mme D... en France, à la nature et à l'ancienneté de ses liens avec la France, à l'absence d'exécution d'une précédente obligation de quitter le territoire français édictée le 19 novembre 2020 et à l'absence de menace que son comportement constitue pour l'ordre public. Dans les circonstances de l'espèce, le préfet de l'Isère n'a pas commis d'erreur d'appréciation ni méconnu les dispositions précitées en fixant à un an la durée de l'interdiction de retour en France édictée à l'encontre de Mme D....
11. Il résulte de ce qui précède que Mme D... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme D... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2024, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 novembre 2024.
La rapporteure,
Vanessa Rémy-NérisLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Florence Bossoutrot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière
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N° 24LY00163