Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La société Cinven Capital Management (V) General Partners (CCMGP) a demandé au tribunal administratif de Grenoble de prononcer la décharge de la retenue à la source à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012 et mise à la charge de la société Prezioso Linjebygg Group (PL Group).
Par un jugement n° 1801749 du 11 septembre 2020, ce tribunal a fait droit à sa demande.
Par un arrêt n° 20LY03395 du 2 juin 2022, la cour administrative d'appel de Lyon a, sur appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance, annulé ce jugement et remis à la charge de la société PL Group la retenue à la source en litige.
Par une décision n° 466144 du 6 mars 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux, saisi d'un pourvoi présenté par la société CCMGP, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.
Procédure devant la cour
I. Par effet de la décision du Conseil d'Etat du 6 mars 2024, la cour se trouve à nouveau saisie de la requête présentée par le ministre de l'économie, des finances, désormais enregistrée sous le n° 24LY00611.
Par des mémoires enregistrés les 4 et 15 avril 2024, la société CCMGP, représentée par Me Nouvion, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 5 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que la somme de 2 300 000 euros ne devait pas être soumise à la retenue à la source en application du paragraphe 230 des commentaires administratifs publiés le 1er septembre 2012 au BOFiP sous la référence BOI-IR-DOMIC-10-10.
Par des mémoires en défense enregistrés les 5 avril et 3 mai 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1801749 du 11 septembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble ;
2°) de remettre à la charge de la société PL Group la retenue à la source en litige.
Il soutient que la société CCMGP n'est pas fondée à se prévaloir du paragraphe 230 des commentaires administratifs publiés le 1er septembre 2012 au BOFiP sous la référence BOI-IR-DOMIC-10-10 dès lors que la somme de 2,3 millions d'euros, qui ne constitue pas une simple commission versée en cas de succès de l'opération, rémunère la revue approfondie de l'opération, des documents et des contrats clés ; elle constitue ainsi la rémunération de prestations de services.
La SAS Prezioso Linjebygg Group, qui a été informée de la reprise de l'instance après cassation, n'a pas présenté d'observations.
II. Par une requête enregistrée le 5 avril 2024 sous le n° 24LY00976, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande à la cour, sur le fondement des articles R. 811-15 et R. 811-16 du code de justice administrative, d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 11 septembre 2020.
Il soutient que :
- le moyen qu'il soulève dans la requête au fond présente un caractère sérieux ;
- l'exécution du jugement attaqué risque d'exposer l'Etat à la perte définitive de la somme retenue à la source.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Moya, rapporteur,
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique ;
- et les observations de Me Nouvion pour la société CCMGP.
Considérant ce qui suit :
1. Les requêtes n° 24LY00611 et n° 24LY00976 sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour qu'elles fassent l'objet d'un même arrêt.
2. La société Montecin France I, devenue société Prezioso Linjebygg Group (PL Group), a versé en 2012 la somme de 2 300 000 euros à la société de droit britannique Cinven Capital Management (V) General Partners (CCMGP). A l'issue d'une vérification de comptabilité de la société PL Group, l'administration fiscale a estimé que cette somme avait été versée en rémunération de prestations utilisées en France et devait, par suite, être soumise à la retenue à la source mentionnée au c du I de l'article 182 B du code général des impôts. Après avoir remboursé cette imposition à la société PL Group qui l'avait acquittée, la société CCMGP a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'en prononcer la décharge et d'ordonner que la somme correspondante lui soit restituée. Par un jugement du 11 septembre 2020, ce tribunal a fait droit à sa demande. Par un arrêt du 2 juin 2022, la cour administrative a, sur appel du ministre de l'économie, des finances et de la relance, remis à la charge de la SAS PL Group la retenue à la source supportée par la société CCMGP au titre de l'exercice 2012. Par une décision du 6 mars 2024, le Conseil d'Etat statuant au contentieux a, saisi d'un pourvoi présenté par la société CCMGP, annulé l'arrêt du 2 juin 2022 et renvoyé l'affaire à la cour, désormais enregistrée sous le n° 24LY0611. Par la requête n° 24LY00976, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique demande, sur le fondement des articles R 811-15 et R 811-16 du code de justice administrative, qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 11 septembre 2020 du tribunal administratif de Grenoble.
Sur la requête n° 24LY00611 :
3. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration.(...) Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...). ".
4. Aux termes des énonciations du paragraphe 230 des commentaires administratifs publiés le 1er septembre 2012 au Bulletin officiel des finances publiques (BOFiP) - Impôts sous la référence BOI-IR-DOMIC-10-10 : " il est admis que les commissions versées à des personnes non domiciliées en France, en rémunération de démarches et diligences diverses effectuées à l'étranger, ne soient pas considérées comme des prestations utilisées en France ".
5. La société de droit britannique CCMGP, implantée à Guernesey, a conclu en 2010 avec la société Montecin France I une convention cadre dénommée " contrat de gestion " prévoyant l'intervention de la première en vue de convaincre le comité d'investissement du groupe britannique Cinven de lever les fonds permettant à la société PL Group de financer l'acquisition des titres des entités du groupe Prezioso Technilor. Pour justifier que les prestations réalisées ayant donné lieu au versement de la commission d'arrangement de 2 300 000 euros étaient constitutives de " démarches et diligences diverses ", la société CCMGP se prévaut d'une lettre d'engagement du 26 juin 2012, selon laquelle cette commission lui a été versée en contrepartie des services fournis et à fournir dans le cadre de la levée de fonds propres et de la levée et de la négociation d'un financement par emprunt, de la recommandation d'investissement finale portant sur le groupe Prezioso Technilor, annexée au compte rendu de réunion du 4 avril 2012, au terme de laquelle le comité d'investissement de la société Cinven Partners LLP a émis une recommandation tendant à soumettre une offre ferme pour " l'acquisition de Prezioso " pour une valeur de 305 millions d'euros et d'une attestation du 12 novembre 2015, rédigée par ses soins, dans laquelle elle indique que, conformément à la convention de commission d'arrangement conclue le 26 juin 2012, elle a effectué un examen approfondi de l'acquisition proposée, de tous les documents d'audit préalable pertinents ainsi que de tous les contrats et documents de transaction clés. Toutefois, les justificatifs produits, compte tenu de leur imprécision, ne permettent pas d'apprécier la nature exacte des prestations rémunérées par la somme en litige, ni d'établir en conséquence que cette somme aurait la nature d'une commission versée " en rémunération de démarches et diligences diverses effectuées à l'étranger " au sens des énonciations des commentaires administratifs cités au point 4. Ainsi, la société CCMGP, qui ne démontre pas entrer dans les prévisions de cette doctrine, n'est pas fondée à s'en prévaloir.
6. Il suit de là que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a déchargé la SAS PL Group de la retenue à la source de 766 666 euros et décidé que cette somme serait restituée à la société CCMGP au motif que cette dernière pouvait se prévaloir, sur le fondement de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales, du paragraphe 230 de la documentation BOI-IR-DOMIC-10-10.
7. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner le moyen tiré de la méconnaissance de la loi fiscale.
8. Aux termes du I de l'article 182 B du code général des impôts : " Donnent lieu à l'application d'une retenue à la source lorsqu'ils sont payés par un débiteur qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés, relevant de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés, qui n'ont pas dans ce pays d'installation professionnelle permanente : / (...) / c. Les sommes payées en rémunération des prestations de toute nature fournies ou utilisées en France ; / (...). " Il résulte de ces dispositions que sont soumises à retenue à la source les sommes payées par une société qui exerce une activité en France à des personnes ou des sociétés qui n'y disposent pas d'une installation professionnelle permanente, en rémunération de prestations qui sont soit matériellement fournies en France, soit, bien que matériellement fournies à l'étranger, effectivement utilisées par le débiteur pour les besoins de son activité en France.
9. Il résulte de l'instruction que la retenue à la source en litige a été établie à raison d'une somme versée par la SAS PL Group, qui exerce son activité en France, à la société britannique CCMGP, qui n'y dispose d'aucune installation professionnelle permanente, en rémunération de prestations de services effectivement utilisées par la SAS PL Group pour les besoins de son activité en France. C'est, dès lors, par une exacte application du c du I de l'article 182 B du code général des impôts que l'administration a assujetti la SAS PL Group à la retenue à la source à raison de la rémunération qu'elle a versée à la société CCMGP au titre de l'exercice clos en 2012.
10. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge de la retenue à la source à laquelle la société CCMGP a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012. Il y a lieu d'annuler le jugement et de remettre à la charge de la SAS PL Group la retenue à la source pratiquée.
11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice font obstacle à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
Sur la requête n° 24LY00976 :
12. Dès lors que le présent arrêt statue sur l'appel présenté contre le jugement n° 1801749 du tribunal administratif de Grenoble du 11 septembre 2020, la requête n° 24LY00976 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement est devenue sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 24LY00976 du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Article 2 : Le jugement n° 1801749 du tribunal administratif de Grenoble du 11 septembre 2020 est annulé.
Article 3 : La retenue à la source de 766 666 euros à laquelle la SAS PL Group a été assujettie au titre de l'exercice clos en 2012 est remise à sa charge.
Article 4 : La demande présentée par la société CCMGP devant le tribunal administratif de Grenoble et ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics, à la société Cinven Capital Management General Partners Ltd et à la SAS Prezioso Linjebygg Group.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, présidente de chambre,
Mme Vinet, présidente-assesseure,
M. Moya, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.
Le rapporteur,
P. Moya
La présidente,
C. Michel
La greffière,
F. Bossoutrot
La République mande et ordonne au ministre auprès du Premier ministre, chargé du budget et des comptes publics en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N°s 24LY00611 - 24LY00976
B