Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... D..., d'une part, et M. B... C..., d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 31 mars 2023 par lesquelles la préfète du Rhône les a obligés à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination en cas d'exécution d'office et leur a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de six mois.
Par deux jugements n°s 2303122 et 2303123 du 21 juillet 2023, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions de la préfète du Rhône fixant le pays d'éloignement en tant qu'elles désignaient la Syrie et a rejeté le surplus de leurs demandes.
Procédure devant la cour
I- Par une requête enregistrée le 6 mars 2024 sous le n° 24LY00629, Mme D..., représentée par Me Dachary, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2303122 du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 21 juillet 2023 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) d'annuler les décisions de la préfète du Rhône du 31 mars 2023 l'obligeant à quitter le territoire français et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de six mois ;
3°) d'enjoindre à l'autorité préfectorale de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au profit de son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision d'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen complet de son dossier dès lors qu'elle bénéficiait de la protection subsidiaire en Espagne ;
- elle méconnaît, pour les mêmes raisons, son droit à être entendue ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que, bénéficiant de la protection subsidiaire en Espagne, elle ne pouvait faire l'objet d'une décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 21 de la convention du 19 juin 1990 d'application de l'accord de Schengen et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée la préfète du Rhône qui n'a pas présenté d'observations.
II- Par une requête enregistrée le 6 mars 2024 sous le n° 24LY00631, M. C..., représenté par Me Dachary, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2303123 du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon du 21 juillet 2023 en tant qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions ;
2°) d'annuler les décisions de la préfète du Rhône du 31 mars 2023 l'obligeant à quitter le territoire français et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de six mois ;
3°) d'enjoindre à l'autorité préfectorale de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans le même délai et sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au profit de son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision d'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen complet de son dossier dès lors qu'il bénéficiait de la protection subsidiaire en Espagne ;
- elle méconnaît, pour les mêmes raisons, son droit à être entendu ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors que, bénéficiant de la protection subsidiaire en Espagne, il ne pouvait faire l'objet d'une décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français ;
- elle méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article 21 de la convention du 19 juin 1990 d'application de l'accord de Schengen et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée la préfète du Rhône qui n'a pas présenté d'observations.
Mme D... et M. C... ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par des décisions du 24 janvier 2024.
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et les décisions de la Cour de justice de l'Union européenne n°s C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014 ;
- la convention du 19 juin 1990 d'application de l'accord de Schengen ;
- la directive n° 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
La présidente de la formation de jugement ayant dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Vinet, présidente-assesseure,
- et les observations de Me Dachary, représentant Mme D... et M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... et Mme D..., ressortissants syriens nés respectivement en 1986 et 1988, sont entrés en France à la date déclarée du 15 avril 2018, accompagnés de leurs trois enfants mineurs, un quatrième enfant étant né en France. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 26 mars 2019, ainsi que leurs premières demandes de réexamen, le 16 septembre 2021, au motif qu'ils bénéficient déjà de la protection subsidiaire en Espagne. Entretemps, le 10 juillet 2019, le préfet de l'Essonne les a obligés à quitter le territoire français, sous trente jours. Le 31 mars 2023, la préfète du Rhône les a obligés à quitter le territoire français dans le même délai, a fixé le pays de renvoi et leur a interdit le retour sur le territoire français pendant six mois. Par des jugements du 21 juillet 2023, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions de la préfète du Rhône fixant le pays de destination en tant qu'elles désignent la Syrie et a rejeté le surplus des conclusions des demandes de M. C... et Mme D.... Ils relèvent appel de ces jugements en tant qu'ils n'ont pas annulé les décisions d'obligation de quitter le territoire français et les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français pendant six mois.
2. Les deux requêtes visées ci-dessus étant relatives à la situation des deux époux, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. D'une part, aux termes du paragraphe 1 de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. ". Aux termes du paragraphe 2 de ce même article : " Ce droit comporte notamment : /- le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre (...). ". Aux termes du paragraphe 1 de l'article 51 de la Charte : " Les dispositions de la présente Charte s'adressent aux institutions, organes et organismes de l'Union dans le respect du principe de subsidiarité, ainsi qu'aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en œuvre le droit de l'Union (...). ".
4. Ainsi que la Cour de justice de l'Union européenne l'a jugé dans ses arrêts C-166/13 et C-249/13 des 5 novembre et 11 décembre 2014, le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour implique que l'autorité administrative mette le ressortissant étranger en situation irrégulière à même de présenter, de manière utile et effective, son point de vue sur l'irrégularité du séjour et les motifs qui seraient susceptibles de justifier que l'autorité s'abstienne de prendre à son égard une décision de retour. Il n'implique toutefois pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement.
5. Le droit d'être entendu implique que l'autorité préfectorale, avant de prendre à l'encontre d'un étranger une décision portant obligation de quitter le territoire français non prise concomitamment au refus de délivrance d'un titre de séjour, mette l'intéressé à même de présenter ses observations écrites et lui permette, sur sa demande, de faire valoir des observations orales, de telle sorte qu'il puisse faire connaître, de manière utile et effective, son point de vue sur la mesure envisagée avant qu'elle n'intervienne.
6. Une violation des droits de la défense, en particulier du droit d'être entendu, n'entraîne l'annulation de la décision prise au terme de la procédure administrative en cause que si, en l'absence de cette irrégularité, cette procédure pouvait aboutir à un résultat différent.
7. D'autre part, il ressort des dispositions des articles L. 611-1, L. 621-1 et L. 621-4 à L. 621-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que le champ d'application des mesures obligeant un étranger à quitter le territoire français et celui des mesures de remise d'un étranger à un autre État ne sont pas exclusifs l'un de l'autre et que le législateur n'a pas donné à l'une de ces procédures un caractère prioritaire par rapport à l'autre. Il s'ensuit que, lorsque l'autorité administrative envisage une mesure d'éloignement à l'encontre d'un étranger dont la situation entre dans le champ d'application de l'article L. 531-1 ou des deuxième à quatrième alinéas de l'article L. 531-2, elle peut légalement soit le remettre aux autorités compétentes de l'Etat membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, sur le fondement des articles L. 531-1 et suivants, soit l'obliger à quitter le territoire français sur le fondement de l'article L. 511-1. Ces dispositions ne font pas non plus obstacle à ce que l'administration engage l'une de ces procédures alors qu'elle avait préalablement engagée l'autre.
8. Toutefois, si l'étranger demande à être éloigné vers l'Etat membre de l'Union Européenne ou partie à la convention d'application de l'accord de Schengen d'où il provient, ou s'il est résident de longue durée dans un Etat membre ou titulaire d'une " carte bleue européenne " délivrée par un tel Etat, il appartient au préfet d'examiner s'il y a lieu de reconduire en priorité l'étranger vers cet Etat ou de le réadmettre dans cet Etat. Il y a lieu, enfin, de réserver le cas de l'étranger demandeur d'asile.
9. Il ressort des pièces des dossiers qu'avant de prendre les décisions contestées d'obligation de quitter le territoire français, la préfète du Rhône n'a pas mis M. C... et Mme D... à même de présenter leurs observations écrites ou orales. Cette irrégularité procédurale, en l'espèce, les a privés de la possibilité de faire valoir qu'ils avaient obtenu la protection subsidiaire en Espagne, élément dont la préfète, d'après les termes de ses décisions, n'avait pas connaissance, et de demander à faire l'objet de mesures de remise, plutôt que de décisions d'obligation de quitter le territoire français, assorties en outre, d'interdictions de retour sur le territoire français avec signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen. La préfète aurait, le cas échéant, été tenue, ainsi qu'il a été dit au point 8 ci-dessus, d'examiner laquelle de ces deux mesures d'éloignement aurait été la plus appropriée pour M. C... et Mme D.... Il suit de là, qu'en l'absence de cette irrégularité, les procédures menées à l'encontre des intéressés auraient pu aboutir à un résultat différent. Par suite, les décisions d'obligation de quitter le territoire français contestées sont illégales et doivent être annulées, de même que, par voie de conséquence, les décisions d'interdiction de retour sur le territoire français.
10. Il résulte de ce qui précède que M. C... et Mme D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon a rejeté le surplus de leurs conclusions.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
11. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...). ". Aux termes de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, (...) l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. ".
12. L'annulation des obligations de quitter le territoire implique nécessairement que la préfète du Rhône réexamine la situation de M. C... et de Mme D... et leur délivre une autorisation provisoire de séjour. Il y a lieu d'enjoindre à la préfète du Rhône de réexaminer la situation des intéressés dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de les munir chacun, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a toutefois pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais des litiges :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au profit de Me Dachary, conseil de M. C... et de Mme D..., au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : Les jugements n°s 2303122 et 2303123 du 21 juillet 2023 du magistrat désigné du tribunal administratif de Lyon sont annulés en tant qu'ils ont rejeté le surplus des conclusions des demandes de M. C... et Mme D..., de même que les décisions de la préfète du Rhône du 31 mars 2023 d'obligation de quitter le territoire français et d'interdiction de retour sur le territoire français prises à l'encontre de M. C... et Mme D....
Article 2 : Il est enjoint à la préfète du Rhône de réexaminer la situation des intéressés dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de les munir chacun, dans l'attente, d'une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à Me Dachary, au titre des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., àMme A... D..., à Me Dachary et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Lyon en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative.
Délibéré après l'audience du 5 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, présidente de chambre,
Mme Vinet, présidente-assesseure,
M. Moya, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 décembre 2024.
La rapporteure,
C. VinetLa présidente,
C. Michel
La greffière,
F. Bossoutrot
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N°s 24LY00629, 24LY00631
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