Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. B... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler les décisions du 23 mai 2024 par lesquelles la préfète de l'Ain lui a fait obligation de quitter le territoire français, a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de son éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de cinq ans, et d'enjoindre à la préfète de l'Ain de procéder à un nouvel examen de sa situation.
Par un jugement n° 2405215 du 26 juin 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé les décisions de la préfète de l'Ain du 23 mai 2024 et a enjoint à cette autorité de procéder à un nouvel examen de la situation de l'intéressé dans le délai de quatre mois et de lui délivrer dans l'attente, et sous deux mois, une autorisation provisoire de séjour.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 19 juillet 2024, la préfète de l'Ain demande à la cour d'annuler ce jugement.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le premier juge a prononcé l'annulation des décisions du 23 mai 2024 au motif que la mesure d'éloignement de M. A... avait été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que, depuis 1997, celui-ci a été condamné à des peines d'emprisonnement cumulées de 29 ans, 7 mois et 15 jours, pour des faits graves, et qu'il représente une menace pour l'ordre public ;
- les moyens invoqués en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire enregistré le 2 décembre 2024, M. A..., représenté par Me Naili, conclut au rejet de la requête et demande que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les moyens soulevés par la préfète de l'Ain ne sont pas fondés ;
- eu égard à la durée de sa présence en France et à la stabilité de sa relation avec une ressortissante française, avec laquelle il vit depuis 2012 et a eu une fille née en 2016, à l'ancienneté des actes pour lesquels il a été condamné et alors qu'il ne dispose pas d'attaches au Maroc, la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- cette décision méconnaît l'article 3§1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- la décision lui refusant le bénéfice d'un délai de départ volontaire est illégale en raison de l'illégalité entachant la mesure d'éloignement ;
- la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement est illégale en raison de l'illégalité entachant la mesure d'éloignement ;
- cette décision est entachée d'erreur de fait et d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité entachant la mesure d'éloignement ;
- elle méconnaît l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation et méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3§1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 septembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la Cour a désigné Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure, pour présider la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- et les observations de Me Prudhon, représentant M. A....
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant marocain né le 25 avril 1977 à Langres (Haute-Marne), réside en France depuis sa naissance, sans avoir été titulaire d'un titre de séjour depuis sa majorité. Alors qu'il était incarcéré au centre pénitentiaire de Bourg-en-Bresse, en application de la dernière condamnation à la peine de quinze ans de réclusion criminelle prononcée à son encontre par la Cour d'assises de la Haute-Marne statuant en appel, la préfète de l'Ain, par un arrêté du 23 mai 2024, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination de son éloignement et lui a fait interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de cinq ans. Par un jugement du 26 juin 2024, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé ces décisions. La préfète de l'Ain relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 2° L'étranger, entré sur le territoire français sous couvert d'un visa désormais expiré ou, n'étant pas soumis à l'obligation du visa, entré en France plus de trois mois auparavant, s'est maintenu sur le territoire français sans être titulaire d'un titre de séjour ou, le cas échéant, sans demander le renouvellement du titre de séjour temporaire ou pluriannuel qui lui a été délivré ; (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale. / Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
3. Il ressort des pièces du dossier, ainsi que le magistrat désigné l'a retenu au terme de son jugement et ainsi que le reconnaît d'ailleurs la préfète, que M. A... a vécu la totalité de sa vie en France où il est né, qu'il y dispose de liens familiaux importants du fait de la présence de ses frères et sœurs de nationalité française, qu'il a engagé en décembre 2012 une relation avec une ressortissante française malgré la situation de privation de liberté qu'il subissait et a eu une enfant de nationalité française née en 2016 de cette relation, avec laquelle il entretient des liens, notamment téléphoniques. M. A... ne saurait cependant, sur ce point, et nonobstant sa présence alléguée auprès de sa famille lors de ses permissions de sortie de détention, se prévaloir d'une communauté de vie effective avec sa concubine depuis 2012, le justificatif d'abonnement à un service de fourniture d'eau daté du 21 août 2024, par ailleurs postérieur aux décisions attaquées, étant insuffisant à cet égard.
4. Toutefois, il est constant qu'ainsi que la préfète de l'Ain l'a relevé, M. A... a été condamné à des peines d'emprisonnement d'une durée cumulée de dix-huit ans et sept mois, est incarcéré depuis le 30 avril 2010 pour des faits, en majorité commis en état de récidive légale, de violences aggravées par une ou plusieurs circonstances, menaces d'atteinte aux biens et aux personnes, vols simples et aggravés, remise illégale de fonds à un détenu, extorsion avec arme, extorsion avec violences ayant entraîné une incapacité de travail et recel de biens et a, en dernier lieu, été condamné à une peine de quinze ans de réclusion criminelle prononcée le 16 mai 2014 par la Cour d'assises de la Haute-Marne statuant en appel. Eu égard à la nature et à la gravité des faits de délinquance ainsi commis par M. A... et, compte tenu de la répétition de ces faits qui n'a été interrompue que par son incarcération, au caractère actuel de la menace à l'ordre public que constitue dès lors son comportement, la préfète n'a pas, en lui faisant obligation de quitter le territoire français, porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Dans ces conditions, contrairement à ce qu'a estimé le premier juge et quand bien même M. A... a bénéficié de réductions de peines pour bonne conduite en détention et aurait depuis manifesté des efforts de réinsertion, la mesure d'éloignement litigieuse n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
5. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....
Sur les autres moyens :
6. En premier lieu, l'arrêté en litige a été signé par le chef du bureau de l'éloignement et du contentieux de la préfecture de l'Ain qui disposait d'une délégation à cette fin de la part de la préfète de l'Ain par un arrêté du 15 février 2024 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de cette administration le 19 février 2024.
7. En deuxième lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus au point 4, cet arrêté n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé.
8. En troisième lieu, selon l'article 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Dès lors qu'à la date de l'arrêté en litige, M. A... n'établit pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de sa fille de nationalité française, en dépit des liens qu'il a pu nouer avec elle durant son incarcération, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
9. En quatrième lieu, il résulte des points précédents que le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la mesure d'éloignement, soulevé à l'appui des conclusions dirigées contre la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire, ne peut qu'être écarté.
10. En cinquième lieu, pour les mêmes motifs que ceux retenus aux points précédents, le moyen tiré de l'exception d'illégalité de la mesure d'éloignement, soulevé à l'appui des conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination de cette mesure ne peut qu'être écarté. En outre, dès lors que l'arrêté prévoit en son article 1er que M. A... a l'obligation de quitter le territoire français à destination de son pays d'origine ou d'un pays vers lequel il apporterait la preuve de son admissibilité, et que la préfète a retenu, par des motifs qui ne sont pas utilement contestés, que M. A... n'établit pas être apatride ainsi qu'il le soutient et que sa nationalité est établie par filiation en raison de la nationalité marocaine de ses deux parents, la décision portant fixation du pays de destination n'est entachée ni d'erreur de fait, ni d'erreur d'appréciation.
11. En sixième lieu, l'intéressé n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision l'obligeant à quitter le territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision portant interdiction de retour sur ce territoire. En outre, en se bornant à soutenir que la durée de cinq années de cette interdiction est excessive au regard de sa situation familiale, du fait de l'impossibilité de maintenir des liens familiaux et affectifs avec son enfant et sa concubine toutes deux de nationalité française, alors qu'ainsi qu'il a été dit, ces liens ne présentent pas une intensité particulière, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de l'erreur d'appréciation et de la méconnaissance des articles 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doivent être écartés.
12. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que la préfète de l'Ain est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon a annulé son arrêté et, d'autre part, que M. A... n'est pas fondé à soutenir, sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée en défense devant le tribunal, que l'arrêté en litige serait entaché d'illégalité. Par suite, le jugement précité doit être annulé et les conclusions de M. A... présentées devant le tribunal administratif doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
13. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à la présente instance, une somme au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du 26 juin 2024 du magistrat désigné par la présidente du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif et ses conclusions d'appel sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la préfète de l'Ain, au ministre de l'intérieur, à Me Naili et à M. B....
Délibéré après l'audience du 10 décembre 2024, à laquelle siégeaient :
Mme Emilie Felmy, présidente de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 janvier 2025.
La présidente rapporteure,
Emilie FelmyL'assesseure la plus ancienne,
Sophie CorvellecLa greffière,
Péroline Lanoy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY02068