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09/01/2025 | FRANCE | N°24LY00610

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 09 janvier 2025, 24LY00610


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



La société La Française des Formations a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes du 20 juillet 2022 lui faisant obligation de verser au Trésor public la somme de 27 024,50 euros au titre d'actions de formation professionnelle inexécutées, et la décision implicite du directeur de la Caisse des dépôts et consignations du 7 janvier 2023 refusant sa demande de re-référencement sur la plateforme " Mon compte

formation ", ainsi que de condamner la caisse des dépôts et consignations à lui verser la somme...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

La société La Française des Formations a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes du 20 juillet 2022 lui faisant obligation de verser au Trésor public la somme de 27 024,50 euros au titre d'actions de formation professionnelle inexécutées, et la décision implicite du directeur de la Caisse des dépôts et consignations du 7 janvier 2023 refusant sa demande de re-référencement sur la plateforme " Mon compte formation ", ainsi que de condamner la caisse des dépôts et consignations à lui verser la somme totale de 2 413 080,20 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis.

Par un jugement n° 2207110, 2304883 du 9 janvier 2024, le tribunal a rejeté sa demande dans l'affaire n° 22707110, a annulé la décision implicite du 7 janvier 2023 de la Caisse des dépôts et consignations, a enjoint à cette dernière de procéder au réexamen de la demande de référencement de la société la Française des Formations dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement et a rejeté le surplus des conclusions de la demande dans l'affaire n° 2304883.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 6 mars 2024, la société La Française des Formations, représentée par Me Bensahkoun, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande dans l'affaire n° 2207110, et le surplus des conclusions de sa demande dans l'affaire n° 2304883 ;

2°) à titre principal, d'annuler la décision du préfet de la région Auvergne Rhône-Alpes du 20 juillet 2022 et, à titre subsidiaire, de réduire à de plus justes proportions la sanction prononcée à son égard ;

3°) de condamner la Caisse des dépôts et consignations à lui verser une somme d'un montant de 2 413 080,20 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du manque à gagner lié au refus de référencement, et aux formations dont le paiement a été suspendu puis jamais versé ;

4°) de mettre à la charge de la Caisse des dépôts et consignations la somme de 5 000 euros, et à la charge de l'État la même somme en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle justifie suffisamment, par les pièces produites, de l'éligibilité des formations qui ont été contrôlées par la direction régionale de l'économie, de l'emploi, du travail et des solidarités (DREETS) au compte de formation personnel ; elle n'a pas à s'acquitter de leur montant ;

- la sanction prononcée est manifestement disproportionnée au regard des circonstances de l'espèce, de son comportement, de sa situation financière et des éléments sur lesquels elle se fonde ;

- la Caisse des dépôts et consignations, en refusant de procéder au paiement des formations exécutées, qui n'ont fait l'objet d'aucun contrôle, a illégalement substitué à une sanction de suspension une sanction de non-paiement en méconnaissance de l'article 4.1 des conditions particulières " Mon compte formation " ; elle rapporte suffisamment la preuve de l'existence de sa créance quant à l'effectivité des formations réalisées et dues, alors que la Caisse des dépôts et consignations a validé l'attestation de service fait ;

- la sanction de suspension du référencement est arrivée à son terme le 22 juin 2022 ; elle a adressé sa demande de réinscription le 8 juillet 2022 à la Caisse de dépôts et consignations en apportant la preuve de la fin des agissements qui ont conduit à la suspension, en résiliant toute collaboration avec des centres d'appels ; elle ne fait l'objet d'aucune interdiction d'exercer la fonction de prestataire de formation professionnelle et remplit les conditions requises à l'article 4.3 des conditions particulières applicables aux organismes de formation pour son inscription ; la Caisse des dépôts et consignations a constaté la conformité des dossiers de formation qu'elle a été appelée à contrôler ; la procédure de contrôle diligentée par la DREETS était clôturée le 26 avril 2022 et la Caisse des dépôts et consignations ne pouvait lui opposer qu'une telle procédure était en cours pour lui refuser la réinscription sollicitée ;

- ces illégalités fautives sont à l'origine d'un préjudice correspondant aux formations dont le paiement a été suspendu, estimé à 446 173,20 euros, au manque à gagner lié au non référencement de ses formations sur la plateforme depuis le 22 juin 2022 et à la perte de douze mois de référencement, soit 1 966 907 euros, à parfaire ;

Par un mémoire enregistré le 13 mai 2024, le ministre du travail, de la santé et des solidarités conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que la requérante ne justifie pas de l'exécution des formations dont elle doit verser le montant au trésor public en application de l'article L. 6362-4 du code du travail, sans que puisse être opposée une disproportion de la sanction.

Par un mémoire enregistré le 16 mai 2024, la Caisse des dépôts et consignations, représentée par Me Nahmias, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) d'annuler le jugement en ce qu'il a annulé sa décision implicite de rejet du 7 janvier 2023 et de rejeter les conclusions présentées à son encontre ;

3°) de mettre à la charge de la société La Française des Formations la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision portant refus de réinscrire la société sur la plateforme " Mon compte formation ", qui faisait suite à une demande de la société La Française des Formations, n'avait pas à être motivée, dès lors qu'elle ne constitue pas une sanction et que la société n'avait aucun droit à un référencement automatique au cours des deux années suivant une sanction, en application de l'article L. 6323-9-1 du code du travail ; la société requérante était informée des motifs de ce refus, par un mail du 19 octobre 2022, ainsi qu'aux termes de la décision du 23 juin 2023 rejetant la demande indemnitaire de la société ;

- la décision du 22 décembre 2021, devenue définitive, était explicite quant à l'absence de versement des formations bloquées, sans lien avec la période de déréférencement ; elle n'a procédé à aucune substitution de sanction ;

- il ne lui était pas opposé une absence de service fait mais la non-conformité des actions de formation ; la société n'apporte aucunement la preuve de l'exécution correcte des formations en cause ni par suite de la naissance d'une quelconque créance ;

- la société a formulé sa demande de réintégration à compter du 8 juillet 2022, qui était incomplète, et n'a transmis les éléments complémentaires que le 15 septembre suivant, auxquels il convient d'ajouter le temps de l'instruction ; elle ne justifie pas du montant de sa créance ; elle est de nouveau référencée depuis le 13 octobre 2023 ;

- le montant demandé repose sur un calcul inexact, alors que la société ne produit que deux bilans comptables lacunaires pour 2021 et 2022, ne justifie pas du montant de ses charges fixes, ni du temps nécessaire à la montée en charge de son activité ensuite de la suspension, ni de ses activités hors compte personnel de formation ; le chiffre d'affaires antérieur au contrôle ne peut servir de base de calcul, alors que les actions étaient irrégulières.

Par une ordonnance du 13 mai 2024, l'instruction a été close au 24 mai 2024.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;

- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

- et les observations de Me Givord, substituant Me Nahmias, pour la Caisse des dépôts et consignations ;

Considérant ce qui suit :

1. La société La Française des Formations, qui exerce une activité de prestations de formation professionnelle continue depuis le mois de janvier 2021, a fait l'objet, à compter du 10 novembre 2021, d'un contrôle de l'administration du travail, réalisé dans les conditions prévues par les articles L. 6362-1 et suivants du code du travail. Par une décision du 26 avril 2022, le préfet de la région Auvergne Rhône-Alpes lui a fait obligation de verser au Trésor public la somme de 27 024,50 euros au titre d'actions de formation professionnelle inexécutées. La société a formé le recours administratif préalable obligatoire prévu par l'article R. 6362-6 du code du travail. Par une décision du 20 juillet 2022, qui s'est substituée à la décision initiale, le préfet de la région Auvergne Rhône-Alpes a confirmé l'obligation de reversement mise à la charge de la société La Française des Formations.

2. Parallèlement, la Caisse des dépôts et consignations a décidé à l'encontre de la société d'une sanction de déréférencement et de suspension des paiements le 22 décembre 2021. Le 7 novembre 2022, la société La Française des Formations a demandé à la Caisse des dépôts et consignations à être de nouveau référencée sur la plateforme " Mon compte formation ", à obtenir le paiement des formations qu'elle estimait avoir exécutées et à être indemnisée à hauteur de 2 413 080,20 euros des préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de la suspension des paiements intervenue durant la période contrôlée, du refus de lui accorder le paiement des formations exécutées et du refus de la référencer à nouveau sur la plateforme " Mon compte formation ". Par une décision implicite née le 7 janvier 2023, la Caisse des dépôts et consignations a rejeté sa demande et, par une décision expresse du 23 juin 2023, a rejeté la demande indemnitaire préalable de la société.

3. La société La Française des Formations a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du préfet de la région Auvergne-Rhône-Alpes du 20 juillet 2022 ainsi que la décision implicite du directeur de la Caisse des dépôts et consignations du 7 janvier 2023, et de condamner la Caisse des dépôts et consignations à lui verser la somme totale de 2 413 080,20 euros en réparation des préjudices qu'elle estime avoir subis. Par un jugement du 9 janvier 2024 dont la société la Française des Formations relève partiellement appel, le tribunal a annulé la décision implicite du 7 janvier 2023, a enjoint à la Caisse des dépôts et consignations de procéder au réexamen de la demande de référencement de la société dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, et a rejeté le surplus de ses demandes.

Sur les conclusions de la société la Française des Formations :

En ce qui concerne la sanction prononcée en application de l'article L. 6362-7-1 du code du travail confirmée le 20 juillet 2022 par le préfet de la région Auvergne Rhône-Alpes :

4. Aux termes de l'article L. 6362-5 du code du travail : " Les organismes mentionnés à l'article L. 6361-2 sont tenus, à l'égard des agents de contrôle mentionnés à l'article L. 6361-5 : (...) 2° De justifier le bien-fondé de ces dépenses et leur rattachement à leurs activités ainsi que la conformité de l'utilisation des fonds aux dispositions légales et réglementaires régissant ces activités. (...) ". Aux termes de l'article L. 6362-6 de ce code : " Les organismes chargés de réaliser tout ou partie des actions mentionnées à l'article L. 6313-1 présentent tous documents et pièces établissant les objectifs et la réalisation de ces actions ainsi que les moyens mis en œuvre à cet effet. / A défaut, celles-ci sont réputées ne pas avoir été exécutées et donnent lieu à remboursement au cocontractant des sommes indûment perçues. ". Aux termes de l'article L. 6362-7-1 du même code : " En cas de contrôle, les remboursements mentionnés aux articles L. 6362-4 et L. 6362-6 interviennent dans le délai fixé à l'intéressé pour faire valoir ses observations. / A défaut, l'intéressé verse au Trésor public, par décision de l'autorité administrative, une somme équivalente aux remboursements non effectués. ".

5. Aux termes de l'article R. 6332-25 de ce code : " Le paiement des frais de formation pris en charge par les organismes collecteurs paritaires agréés est réalisé après exécution des prestations de formation et sur transmission de pièces justificatives, dont les attestations de présence ou les éléments mentionnés à l'article R. 6332-26 contribuant à établir l'assiduité du stagiaire des stagiaires. ". Aux termes de son article R. 6332-26 : " Les employeurs ou les prestataires de formation adressent à l'organisme collecteur qui en fait la demande une copie des feuilles d'émargement à partir desquelles sont établies les attestations de présence ou des éléments mentionnés à l'article D. 6353-4 qui sont pris en compte pour établir l'assiduité du stagiaire qui suit une séquence de formation ouverte ou à distance. Ces feuilles d'émargement ou éléments font partie des documents que les organismes collecteurs sont tenus de produire aux agents chargés du contrôle prévu aux articles L. 6362-5 à L. 6362-7. ".

6. Enfin, aux termes de l'article D. 6313-3-1 de ce même code : " La mise en œuvre d'une action de formation en tout ou partie à distance comprend :1° Une assistance technique et pédagogique appropriée pour accompagner le bénéficiaire dans le déroulement de son parcours ; 2° Une information du bénéficiaire sur les activités pédagogiques à effectuer à distance et leur durée moyenne ; 3° Des évaluations qui jalonnent ou concluent l'action de formation. ".

7. Il résulte de ces dispositions qu'il appartient à l'administration d'apprécier, au regard des pièces produites par l'organisme objet du contrôle, sur lequel pèse la charge de la preuve, et sous le contrôle du juge du fond qui apprécie souverainement, sous réserve de dénaturation, les pièces du dossier qui lui est soumis, la réalité des activités conduites en matière de formation professionnelle continue. Il s'ensuit que l'autorité préfectorale est en droit de remettre en cause la fiabilité ou l'authenticité des pièces que l'organisme a fournies, en particulier les feuilles d'émargement signées par les stagiaires, et de se fonder sur les anomalies ou les incohérences existant entre les divers justificatifs pris en compte pour regarder des actions de formation comme n'étant pas réalisées.

8. En l'espèce, le contrôle initié le 10 novembre 2021 par la DREETS a identifié quatorze formations prises en charge par la Caisse de dépôts et consignations dans le cadre du compte personnel de formation des stagiaires, pour un montant total de 27 024,50 euros. A l'issue de la procédure contradictoire, l'administration a considéré que ces formations étaient réputées ne pas avoir été exécutées. Faute pour la société de s'en être acquitté dans le délai imparti pour présenter ses observations, l'administration a mis cette somme à sa charge, en application des dispositions de l'article L. 6362-7-1 du code du travail.

9. En premier lieu, la société La Française des Formations fait valoir qu'elle a présenté toutes les pièces exigibles pour établir l'effectivité et l'éligibilité des formations dispensées, soit le programme de formation, l'attestation de formation, le dossier de prise en charge, l'émargement individuel par demi-journée, le rapport d'évaluation, et elle produit en outre des attestations sur l'honneur des stagiaires ainsi que des relevés des temps de connexion. Toutefois, faute pour la société La Française des Formations d'avoir mis en place de système de suivi des formations, il n'apparaît pas que les formations, toutes délivrées à distance, auraient été effectivement réalisées dans leur totalité par les stagiaires. A ce titre, la production pour l'ensemble des heures de formation d'une seule feuille d'émargement par stagiaire, qui ne comporte pas de mention du nom du formateur et, ultérieurement, de feuilles d'émargement, par demi-journée, complétées postérieurement au contrôle et non au cours des formations, ne saurait suffire à justifier de l'effectivité du suivi des formations. Au demeurant le contrôle a révélé des contradictions et des incohérences affectant ces dernières productions. En outre, il n'apparaît pas que la société aurait mis en place une assistance technique et pédagogique et des évaluations jalonnant ou concluant le parcours de formation. Et, comme le fait valoir le ministre, la simple cession ou la mise à disposition de supports à finalité pédagogique ne saurait être regardée comme une action de formation professionnelle. Enfin, ni les attestations que les stagiaires ont signées électroniquement plusieurs mois après la formation, qui n'apportent au demeurant aucune précision sur les prestations délivrées ou leur contenu, ni les relevés de pages de connexion, avec les adresses mail, les dates et les durées de connexion qu'ils comportent, ne permettent davantage de caractériser une réalisation complète et conforme aux modalités prévues des formations litigieuses. Dès lors, aucune preuve n'est apportée par la société requérante de l'effectivité des formations suivies.

10. En second lieu, eu égard aux manquements relevés, et alors que la société ne conteste pas que le montant mis à sa charge corresponde exactement à la prise en charge des formations en cause par la Caisse des dépôts et consignations, il n'apparaît pas que la sanction infligée serait disproportionnée. Les conclusions que la société requérante a présentées à titre subsidiaire tendant à ce que la sanction soit réformée, voire ramenée à un avertissement, compte tenu de la bonne foi dont elle a, normalement, fait preuve durant les opérations de contrôle, et des difficultés financières que ses propres agissements lui ont causées, ne peuvent qu'être rejetées.

11. La société La Française des Formations n'est pas fondée à soutenir que la sanction prononcée à son encontre le 20 juillet 2022 serait illégale et que ses conclusions aux fins de décharge seraient justifiées.

En ce qui concerne non-paiement de formations au titre de l'exercice 2021 :

12. Aux termes de l'article R. 6316-9 du code du travail : " (...) II.- En cas d'anomalie constatée dans l'exécution de l'action mentionnée au 4° de l'article L. 6313-1 ou de non-respect des dispositions des articles L. 6211-1, L. 6211-2 et L. 6231-2, l'organisme financeur notifie à l'organisme prestataire les anomalies constatées et l'invite à présenter des observations écrites ou orales dans un délai de quinze jours à compter de cette notification. À l'expiration de ce délai, l'organisme financeur peut, par une décision motivée, refuser à l'organisme prestataire toute prise en charge de nouvelles actions de formation par apprentissage durant la période de six mois mentionnée au premier alinéa du I. ".

13. La société requérante soutient que la Caisse des dépôts et consignations ne pouvait, sans erreur de droit, substituer à sa décision de suspension de référencement du 22 décembre 2021, une décision " implicite " de non-paiement des formations exécutées sur l'exercice 2021, qui n'avaient fait l'objet d'aucun contrôle et que la caisse avait validées. S'il est vrai que le déférencement constitue une sanction distincte de celle de non-paiement, ainsi qu'il résulte de la combinaison du tableau annexé aux " conditions particulières s'appliquant aux organismes de formation ", dénonçant le " démarchage répété et non consenti " parmi les pratiques commerciales interdites, et de l'article 4.1 des conditions particulières, distinguant au titre des mesures pouvant sanctionner ce type de pratique le déréférencement, le signalement aux services de l'État, le non-paiement des actions de formation, le dépôt d'une plainte pénale, le remboursement des sommes perçues, il résulte cependant des termes de la décision du 22 décembre 2021 qu'elle porte, d'une part, déférencement pour une durée de six mois, pour des faits de démarchage abusif, et, d'autre part, en application de l'article 4.1 des conditions particulières, " suspension des paiements " " au regard de la gravité des faits ". Cette seconde sanction, qui n'est adossée à aucune durée et n'est relative à aucune formation particulière, s'analyse comme une sanction de non-paiement. Par suite la société requérante n'est pas fondée à soutenir que, par substitution de sanction, l'absence de paiement des formations en cause résulterait d'une erreur de droit.

14. Au surplus, il n'apparaît pas que les formations en cause auraient été éligibles à leur prise en charge par la caisse des dépôts et consignations au titre de la formation professionnelle. Si la société indique qu'elle a changé ses pratiques à la suite des contrôles dont elle a fait l'objet, notamment par résiliation de ses contrats avec des plateformes d'appel, rien ne permet cependant d'établir la conformité des formations dont elle demande le remboursement sur l'exercice 2021. La production d'un tableau récapitulatif comportant des numéros de dossier et de factures, les dates d'émission et montants de ces dernières, un statut et une date de règlement dit " en attente ", ainsi que celle d'une " copie des dossiers dont le paiement est suspendu ", ne permet pas de considérer que ces formations auraient respecté les modalités prévues pour une telle prise en charge. A ce titre, le simple constat d'un " service fait ", dans ces dossiers, validé par la Caisse des dépôts et consignation, ne permet pas de conclure que ces formations sont réputées exécutées au sens des dispositions du code du travail, même si elles n'ont fait l'objet d'aucun contrôle. Dès lors, la société n'est pas fondée à demander le remboursement de ces formations.

15. Enfin, faute pour la société de justifier, par les documents ci-dessus, des sommes engagées au titre des formations concernées pour l'année 2021, l'existence de sa créance n'est pas avérée.

En ce qui concerne le déréférencement :

16. Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ". Aux termes de l'article L. 6323-9-1 du code du travail : " Les prestataires mentionnés à l'article L. 6351-1 adressent à la Caisse des dépôts et consignations une demande de référencement sur le service dématérialisé mentionné à l'article L. 6323-9. Ces prestataires sont référencés sur le service dématérialisé à condition : (...). (...) La Caisse des dépôts et consignations peut refuser de référencer le prestataire qui, au cours des deux années précédentes, a fait l'objet d'une sanction du fait d'un manquement à ses obligations contractuelles prévues par ces conditions générales d'utilisation. (...) ".

17. Il résulte de ces dispositions que la Caisse des dépôts et consignations peut refuser à un prestataire son référencement, dès lors qu'il a fait l'objet d'une sanction relative à des manquements à ses obligations contractuelles, intervenue dans les deux années précédant sa demande de référencement. Par suite, durant les deux années consécutives à une telle sanction, le référencement du prestataire n'est pas de droit, quand bien même il remplirait les autres conditions légales prévues par le code du travail.

18. En l'espèce, la société La Française des Formations a présenté une demande de re-référencement le 7 novembre 2022. La décision du 20 juillet 2022 du préfet de la région Auvergne Rhône-Alpes étant confirmée par le présent arrêt, la société devait être regardée comme ayant fait l'objet d'une sanction relative à des manquements à ses obligations contractuelles, intervenue dans les deux années précédant sa demande de référencement. Elle entrait donc dans les cas où la Caisse des dépôts et consignation pouvait refuser de la référencer la société requérante, pour ce seul motif. Par suite, les conclusions de la société tendant à ce qu'elle soit indemnisée d'un manque à gagner du fait de ce défaut de référencement ne peuvent qu'être écartées.

19. Au surplus, la société demande une indemnité de 1 966 907 euros au titre d'un manque à gagner consécutif à son non référencement. Elle produit deux bilans comptables pour 2021 et 2022 qui mentionnent un chiffre d'affaires net de 1 966 987 euros en 2021, et de 284 324 euros en 2022. Mais le chiffre d'affaires antérieur à l'année de contrôle, compte tenu de l'irrégularité des actions, ne peut servir de base de calcul, et la société ne justifie ni du montant de ses charges fixes, ni de ses activités hors compte personnel de formation.

20. Il résulte de tout ce qui précède que la société La Française des Formations n'est pas fondée à soutenir que le tribunal aurait à tort rejeté ses conclusions aux fins d'annulation et de décharge ainsi que ses conclusions indemnitaires.

Sur l'appel incident de la Caisse des dépôts et consignations :

21. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; (...). ".

22. Ainsi qu'il a été dit au point 17, en application des dispositions précitées de l'article L. 6323-9-1 du code du travail, le référencement du prestataire qui a fait l'objet d'une sanction relative à des manquements à ses obligations contractuelles n'est pas de droit durant les deux années consécutives à une telle sanction. Dans ces conditions, la décision par laquelle la Caisse des dépôts et consignations oppose un refus à ce prestataire n'a pas à être motivée.

23. La décision implicite de rejet née le 7 janvier 2023 et portant refus de référencement n'avait donc pas à faire l'objet d'une telle motivation. Il en résulte que la Caisse des dépôts et consignations est fondée à soutenir que, pour l'annuler, le tribunal s'est à tort fondé sur le motif tiré de ce qu'elle n'avait pas répondu dans le délai d'un mois prévu par les dispositions précitées du code des relations entre le public et l'administration au courrier de la société La Française des Formations demandant de lui communiquer les motifs de cette décision implicite.

24. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés à l'appui des conclusions tendant à l'annulation de cette décision.

25. En premier lieu, une décision implicite ne saurait, faute de signature par son auteur, être regardée comme entachée d'incompétence. Le moyen ne peut qu'être écarté.

26. En deuxième lieu, ainsi qu'il a été dit au point 18, la Caisse des dépôts et consignations pouvait, sans erreur de droit ni de fait, refuser de référencer la société requérante au seul motif qu'elle avait fait l'objet d'une sanction relative à des manquements à ses obligations contractuelles dans les deux dernières années.

27. En dernier lieu, il résulte de ce qui précède que les conclusions de la société tendant à l'indemnisation d'un manque à gagner du fait d'un défaut de référencement ne peuvent qu'être rejetées.

28. Il en résulte que la Caisse des dépôts et consignations est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a annulé sa décision implicite née le 7 janvier 2023.

Sur les frais liés au litige :

29. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la société La Française des Formations une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la Caisse des dépôts et consignation et non compris dans les dépens. Il résulte de ce qui précède que les conclusions présentées sur ce même fondement par la société La Française des Formations ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lyon en date du 9 janvier 2024, en tant qu'il a annulé la décision implicite de la caisse des dépôts et consignations née le 7 janvier 2023, est annulé.

Article 2 : Les conclusions à fin d'annulation de la décision de la caisse des dépôts et consignations du 7 janvier 2023 que la société La Française des Formations a présentées devant le tribunal et le surplus de ses conclusions devant la cour sont rejetés.

Article 3 : La société La Française des Formations versera à la Caisse des dépôts et consignations une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié La Française des Formations, à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles et à la Caisse des dépôts et consignations.

Copie en sera adressée au préfet de la région Auvergne Rhône-Alpes.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

Mme Boffy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 janvier 2025.

La rapporteure,

I. Boffy

Le président,

V-M. Picard

La greffière,

A. Le Colleter

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY00610

kc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY00610
Date de la décision : 09/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

66-09 Travail et emploi. - Formation professionnelle.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Irène BOFFY
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : ADDEN AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-09;24ly00610 ?
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