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16/01/2025 | FRANCE | N°23LY02451

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 4ème chambre, 16 janvier 2025, 23LY02451


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



L'office public Lyon Métropole Habitat, d'une part, et son assureur, la société L'Auxiliaire, d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner in solidum, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Iliade Génie Climatique et Electrique, Didier Pierron DPI, cabinet Denizou, Li Sun Environnement et Dekra Industrial à leur verser, respectivement, les sommes de 29 821, 63 euros, en remboursement

des sommes restées à sa charge au titre des désordres acoustiques qui ont affecté qu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'office public Lyon Métropole Habitat, d'une part, et son assureur, la société L'Auxiliaire, d'autre part, ont demandé au tribunal administratif de Lyon de condamner in solidum, sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs, les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Iliade Génie Climatique et Electrique, Didier Pierron DPI, cabinet Denizou, Li Sun Environnement et Dekra Industrial à leur verser, respectivement, les sommes de 29 821, 63 euros, en remboursement des sommes restées à sa charge au titre des désordres acoustiques qui ont affecté quarante logements en accession à la propriété de la résidence Domaine du Tournesol à Corbas, et de la somme de 289 883,12 euros qu'elle a versée en réparation de ces désordres.

Par jugement n° 1406570 du 22 mai 2023, le tribunal a, d'une part, condamné in solidum les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Li-Sun Environnement et Dekra Industrial à verser la somme de 289 883,12 euros à la société L'Auxiliaire, d'autre part, condamné les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Li-Sun Environnement et Dekra Industrial à se garantir à hauteur, respectivement, de 50 %, 35 % et 15 % de la condamnation prononcée, enfin, mis à la charge, d'une part, des sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Li Sun Environnement et Dekra Industrial une somme de 1 500 euros à verser à la société L'Auxiliaire et, d'autre part, de Lyon Métropole Habitat la somme de 1 500 euros à verser à la société Billon, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en rejetant le surplus des demandes des parties.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 20 juillet 2023, la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes, représentée par Me Tetreau (SELARL Verne Bordet Orsi Tetreau), demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et de rejeter la demande de Lyon Métropole Habitat présentée à son encontre devant le tribunal administratif de Lyon ;

2°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement et de condamner les sociétés Li-Sun Environnement, Dekra Industrial et cabinet Denizou à la garantir de toute condamnation ;

3°) à titre subsidiaire, de réformer ce jugement et de réduire la condamnation prononcée à son encontre.

Elle soutient que :

- aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre, dès lors que les désordres acoustiques ne sont pas dus à un vice de conception, mais à un défaut non connu des matériaux utilisés, et ne lui sont dès lors nullement imputables ;

- la part de responsabilité incombant à la société Li-Sun Environnement doit être rehaussée, eu égard aux missions qui étaient les siennes ;

- une part de responsabilité doit être imputée à la société cabinet Denizou, qui a rédigé le CCTP du lot n° 2 ;

- la part de responsabilité incombant à la société Dekra Industrial doit être rehaussée, eu égard aux missions qui étaient les siennes ;

- le montant du préjudice retenu doit être réduit du montant de la plus-value que représente l'utilisation de ces nouveaux matériaux, dont la charge financière doit revenir à Lyon Métropole Habitat.

Par mémoires enregistrés le 25 septembre 2023 et le 8 février 2024, la société L'Auxiliaire, représentée par Me Pacifici (SELARL Tacoma), demande à la cour :

1°) de rejeter la requête et les conclusions présentées par la SAS Dekra Industrial ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Iliade Génie Climatique et Electrique, Didier Pierron DPI, Li-Sun Environnement, Dekra Industrial et cabinet Denizou à lui verser la somme de 289 883,12 euros ;

3°) de mettre à la charge de la société Pierre Vurpas et Associés Architectes la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- tous les membres du groupement de maîtrise d'œuvre engagent leur responsabilité du fait de l'absence de préconisation faite au maître d'ouvrage de recourir à un BET acoustique.

Par mémoires enregistrés le 19 octobre 2023 et le 18 juin 2024, la SARL DPI et la SAS Illiade Génie Climatique et Electrique, venant aux droits de la société SETAM, représentées par Me Burrus (SELARL C/M A...), demandent à la cour :

1°) de rejeter les demandes formées à leur encontre et de confirmer le jugement en ce qu'il rejette la demande formée à l'encontre de la société DPI ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Li-Sun Environnement et Dekra Industrial et cabinet Denizou à les garantir de toute condamnation.

Elles soutiennent que :

- la demande de la société Li Sun Environnement tendant à ce que la société Illiade Génie Climatique et Electrique la garantisse de toute condamnation, est irrecevable dès lors qu'elle a été présentée au-delà du délai de prescription de cinq ans et est infondée, à défaut de tout argument à l'appui ;

- les désordres ne leur sont nullement imputables, étant étrangers à leurs missions ;

- elles n'ont commis aucune faute ;

- elles ne sont pas davantage responsables des désordres thermiques et affectant les façades qui n'ont pas encore donné lieu à condamnation ;

- subsidiairement, le contrôleur technique, le bureau d'études HQE et l'architecte devront être condamnés à les garantir ;

- la même garantie sera retenue en cas de condamnation au titre des désordres thermiques et affectant les façades.

Par mémoires enregistrés le 29 novembre 2023 et le 16 juillet 2024, la société Hervé Thermique, venant aux droits de la société Billon, représentée par Me Laurand (SELARL Cinetic avocats), demande à la cour :

1°) de rejeter les demandes formées à son encontre ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Li-Sun Environnement et Dekra Industrial à la garantir de toute condamnation ;

3°) de mettre à la charge de la société Pierre Vurpas et Associés Architectes, ou de tout succombant, la somme de 5 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la demande formulée à son encontre par la société Li Sun Environnement est prescrite ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- elle est étrangère aux désordres en cause ;

- aucune faute ne lui est imputable.

Par mémoire enregistré le 28 décembre 2023, la SAS Dekra Industrial, venant aux droits de la société Norisko Construction, représentée par Me Loctin, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) par la voie d'appels incidents et provoqués, d'annuler le jugement en ce qu'il la condamne et de rejeter la demande présentée à son encontre en première instance par la société L'Auxiliaire ;

3°) subsidiairement, de réformer ce jugement et de rejeter les demandes tendant à ce qu'elle soit condamnée solidairement avec d'autres parties, de réduire la condamnation prononcée et de condamner solidairement les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Iliade Génie Climatique et Electrique, Billon, Li-Sun Environnement et cabinet Denizou à la garantir de sa condamnation ;

4°) de mettre à la charge de Lyon Métropole Habitat et de la société L'Auxiliaire la somme de 7 000 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés ne sont pas fondés ;

- aucune condamnation ne peut être prononcée à son encontre, dès lors qu'en application de l'article L. 111-24 du code de la construction et de l'habitation, sa responsabilité ne peut être engagée que dans les limites de sa mission, qu'aucune norme acoustique, dont il lui appartenait de vérifier le respect, ne proscrit l'utilisation des monomurs et qu'il ne lui appartenait pas de faire des mesures acoustiques ;

- aucune condamnation solidaire ne pouvait être prononcée entre elle et les autres constructeurs, aucune stipulation de son contrat ne prévoyant une telle solidarité ;

- le maître d'ouvrage a commis une faute, en s'abstenant d'avoir recours à un bureau d'études techniques acoustiques, justifiant qu'une part de responsabilité soit laissée à sa charge ;

- si sa responsabilité devait être retenue, celle-ci ne pourrait excéder 5 % des condamnations prononcées.

Par mémoires enregistrés le 10 avril 2024, le 3 juillet 2024 et le 21 octobre 2024, l'office public de l'habitat de la Métropole de Lyon (Lyon Métropole Habitat), représenté par Me Letang (SELARL CVS), conclut au rejet de la requête et des demandes de la société Li Sun Environnement et demande à la cour de mettre à la charge des sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Li-Sun Environnement et Dekra Industrial la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle expose que les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par mémoire enregistré le 27 mai 2024, la SASU Li Sun Environnement, représentée par Me Albisson, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête et toute demande tendant à sa condamnation ;

2°) par la voie d'appels incidents et provoqués, d'annuler le jugement en ce qu'il la condamne et de rejeter la demande présentée à son encontre en première instance par la société L'Auxiliaire ;

3°) à titre subsidiaire, de condamner solidairement les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Iliade Génie Climatique et Electrique, Hervé Thermique, Dekra Industrial et cabinet Denizou à la garantir de toute condamnation ;

4°) de mettre les sommes de 3 000 euros à la charge de la société Pierre Vurpas et Associés Architectes et de Lyon Métropole Habitat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- sa responsabilité ne saurait être engagée, dès lors qu'elle n'est pas à l'origine du choix des matériaux, lesquels lui ont été prescrits par le maître d'ouvrage et son assistant, dès lors seuls responsables des désordres ;

- sa mission se limitait à s'assurer du respect des exigences du cahier des exigences environnementales (CEE) rédigé par le maître d'ouvrage et son assistant.

La clôture de l'instruction a été fixée au 6 septembre 2024, par ordonnance du même jour.

Par courriers du 25 novembre 2024, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office l'irrecevabilité des conclusions d'appels provoqués, dans l'hypothèse où la situation de celui qui les formule ne serait pas aggravée à l'issue de l'examen de l'appel principal et l'irrecevabilité des conclusions d'appel provoqué présentées par la société SASU Li Sun Environnement contre les sociétés L'Auxiliaire, Iliade Génie Climatique et Electrique, Hervé Thermique, Dekra Industrial et cabinet Denizou, ces conclusions étant nouvelles en appel.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code civil ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Sophie Corvellec ;

- les conclusions de Mme Christine Psilakis ;

- et les observations de Me Leprovost pour Lyon Métropole Habitat, celles de Me Loctin pour la société Dekra Industrial, celles de Me Albisson pour la société Li Sun Environnement, celles de Me Burrus pour les sociétés DPI et Iliade Génie Climatique et Electrique et celles de Me Charreton pour la société Hervé Thermique ;

Considérant ce qui suit :

1. L'office public d'aménagement et de construction (OPAC) du Rhône, Lyon Métropole Habitat, a engagé en 2006 la construction du Domaine du Tournesol comprenant cent-trente-neuf logements, pour certains destinés à être vendus, à Corbas. La maîtrise d'œuvre a été confiée à un groupement conjoint composé de la société Pierre Vurpas et Associés Architectes, mandataire solidaire, du bureau d'études techniques (BET) " structure " Didier Pierron DPI, du BET " fluides " SETAM Ingenierie, depuis devenue Iliade Génie Climatique et Electrique, du BET " haute qualité environnementale (HQE) " Li Sun Environnement et du cabinet Denizou, économiste, par acte d'engagement du 10 janvier 2007. Le contrôle technique a été confié à la société Norisko Construction, depuis reprise par la société Dekra Industrial, et les travaux de construction du bâtiment à un groupement, comprenant la société AJEBAT, pour le lot " gros œuvre maçonnerie " et la société Billon pour celui " plomberie sanitaire ". Ces travaux ont été réceptionnés en deux tranches, le 22 février 2010 et le 27 juillet 2010, avec effets aux, respectivement, 14 décembre 2009 et 24 juin 2010.

2. Dès le mois de janvier 2011, les copropriétaires de la résidence et leur syndicat se sont plaints de désordres acoustiques et ont constaté des fissures en façade. Par ordonnance du 15 février 2011, le juge des référés du tribunal administratif de Lyon a désigné un expert qui a rendu son rapport le 29 juillet 2013. Par jugement du 6 avril 2021 devenu définitif, le tribunal judiciaire de Lyon a condamné Lyon Métropole Habitat à verser aux copropriétaires de la résidence 286 200 euros, outre intérêts légaux, en indemnisation des travaux de reprise des désordres acoustiques et des préjudices subis, tels que la perte de surface habitable. Cette condamnation a été entièrement prise en charge par la société L'Auxiliaire, assureur de Lyon Métropole Habitat. Celle-ci a dès lors saisi le tribunal administratif de Lyon afin d'obtenir la condamnation solidaire des membres du groupement de maîtrise d'œuvre et du contrôleur technique, sur le fondement de la garantie décennale, Lyon Métropole Habitat demandant en outre le remboursement de sommes restées à sa charge. Par jugement du 22 mai 2023, le tribunal a, d'une part, rejeté la demande de Lyon Métropole Habitat et, d'autre part, condamné in solidum les sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Li-Sun Environnement et Dekra Industrial à verser la somme de 289 883,12 euros à la société L'Auxiliaire et à se garantir mutuellement à hauteur, respectivement, de 50 %, 35 % et 15 %. La société Pierre Vurpas et Associés Architectes relève appel de ce jugement.

Sur le fond du litige :

Concernant l'appel principal de la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes :

S'agissant de la responsabilité décennale :

3. Il résulte des principes qui régissent la responsabilité décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

4. Il est constant que, postérieurement à la réception des travaux et au terme d'une campagne de mesures réalisées au cours des opérations d'expertise, l'isolement aérien des logements s'est avéré non conforme à la réglementation acoustique. Il n'est pas contesté que ces désordres, qui résultent de la propagation des paroles des habitants et touchent l'intégralité des pièces à vivre dans une même construction, sont de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination, eu égard aux exigences de tranquillité et d'intimité inhérentes à tout logement, ainsi que l'a retenu le tribunal judiciaire de Lyon dans son jugement du 6 avril 2021.

5. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire remis le 29 juillet 2013, que ces désordres proviennent du recours, pour la construction des logements, à des monomurs en brique, sans doublage par un isolant. En vertu du cahier des clauses administratives particulières (CCAP) et du cahier des clauses techniques (CCTP) du marché de maîtrise d'œuvre du 15 décembre 2006, la mission du groupement de maîtrise d'œuvre, constituée notamment des éléments " avant-projet (AVP) ", " étude de projet (PRO) " et " assistance pour la passation des contrats de travaux (ACT) ", comprenait plus particulièrement la réalisation des études d'avant-projet, qui ont notamment pour objet de " confirmer les choix techniques (...) et préciser la nature et la qualité des matériaux et équipements et les conditions de leur mise en œuvre (...) " et d'arrêter, au stade de l'avant-projet définitif (APD), " le descriptif technique de l'ouvrage " ainsi que " les lots et leur coût ", mais aussi des études de projet, au terme d'une étude acoustique, établissant " un coût prévisionnel des travaux " et s'assurant de " la prise en compte des contraintes HQE, notamment au travers de fiches matériaux ", enfin, l'élaboration des pièces techniques du dossier de consultation des entreprises, ce qui inclut les CCTP des marchés publics de travaux précisant " les matériaux et matériels choisis avec références ". Il résulte des " fiches contrats " annexés au CCTP que la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes a participé à l'élaboration de ces documents, intervenant ainsi dans le choix des matériaux retenus, et par suite des monomurs à l'origine des désordres acoustiques constatés. Eu égard aux missions qui lui étaient ainsi confiées, la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes est intervenue dans l'opération de travaux à l'origine des désordres en cause et ne peut dès lors soutenir que ces désordres ne lui sont aucunement imputables. Les circonstances que l'usage de ces matériaux pour la construction de logements était encore récent, et leur insuffisance non encore identifiée, lesquelles ne constituent pas un cas de force majeure et devaient inciter à la plus grande prudence, ni davantage la responsabilité éventuellement encourue par l'entrepreneur en charge des travaux de gros œuvre, ne sont pas de nature à l'exonérer de la responsabilité qu'elle encourt au titre de la garantie décennale. Par suite, et indépendamment même de toute faute commise, la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes n'est pas fondée à soutenir que sa responsabilité ne pouvait être recherchée au titre de ces désordres.

S'agissant des préjudices :

6. Le coût des travaux nécessaires pour réaliser un ouvrage propre à sa destination sont à la charge du maître de l'ouvrage.

7. Les travaux préconisés pour remédier à ces désordres acoustiques sont nécessaires pour rendre l'ouvrage propre à sa destination et auraient dû, en tout état de cause, être réalisés. Dès lors, leur coût doit incomber au seul maître d'ouvrage, à l'exception des seuls surcoûts liés à la reprise des travaux. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise judiciaire, que ces travaux consistent à poser un isolant acoustique et un doublage sur les parois concernées, après dépose des équipements, tels que radiateurs, interrupteurs ou plinthes, sous la direction et le contrôle d'un BET acoustique. D'après les devis annexés à la note de synthèse du 29 mars 2013 qui a précédé le rapport d'expertise, le coût du matériel nécessaire au doublage, pose comprise, peut être évalué à 2 266,88 euros HT pour un appartement de type T2 ou T3 et à 2 327,60 euros HT pour un appartement de type T4, auquel doit être ajoutée une majoration de 10 % pour la direction des travaux. Il ressort du jugement du tribunal judiciaire de Lyon du 6 avril 2021 que sont concernés par ces travaux dix-huit appartements T2 ou T3 et deux appartements T4, pour un montant total qui doit rester à la charge du maître d'ouvrage de 50 004,94 euros (18 x 2 266,88 + 2 x 2 327,60 + 4 545,90). Par ailleurs, est sans incidence le taux de 10 % de TVA, évoqué par la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes, le tribunal judiciaire ayant retenu des sommes hors taxes. En conséquence, la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes est fondée à soutenir que le montant de la condamnation solidaire prononcée par le jugement attaqué doit être ramené à 239 878,18 euros (289 883,12 - 50 004,94).

S'agissant du partage de responsabilité :

8. En premier lieu, comme indiqué au point 5, ces désordres acoustiques résultent du recours, pour la construction des logements, à des monomurs en brique, sans doublage par un isolant. Il résulte de l'instruction que le choix de cette technique a été encouragée par le cahier des exigences environnementales (CEE) établi par le maître d'ouvrage, repris par la maîtrise d'œuvre, ainsi qu'il résulte du " tableau de bord environnemental " établi par la société Li Sun Environnement en qualité de BET HQE, et validé par l'assistant au maître d'ouvrage HQE, en raison de ses performances thermiques. Aucune faute ne saurait, dans ces circonstances, être imputée à la société Li Sun Environnement à raison du choix de ce matériau, qui ne lui incombait pas. En revanche, celle-ci était plus spécifiquement chargée de veiller au respect des exigences du CEE, lequel fixait l'objectif d'un confort acoustique rehaussé à un niveau " approfondi ", c'est-à-dire amélioré par rapport aux pratiques courantes, ainsi que l'obtention de la certification Qualitel " Habitat et environnement ", supposant le respect de la réglementation acoustique. Aucune réserve, ni aucune préconisation quant aux matériaux utilisés n'a été formulée à cet égard par la société Li Sun Environnement, laquelle ne démontre pas davantage avoir réalisé l'évaluation du confort acoustique des bâtiments lui incombant, en vertu de la " fiche contrat 3 " annexée au CCTP du marché de maîtrise d'œuvre. Si une faute lui est ainsi imputable, celle-ci n'est toutefois pas de nature, eu égard au rôle prépondérant de l'architecte dans le choix et le contrôle du caractère approprié des matériaux de construction retenus, à justifier qu'une part de responsabilité supérieure aux 35 % retenus par les premiers juges soit laissée à sa charge.

9. En deuxième lieu, il ne résulte pas de l'instruction que le cabinet Denizou, économiste, soit intervenu dans le choix de ce matériau, celui-ci étant chargé de l'évaluation du coût des travaux. Par suite, et alors même qu'il aurait participé à la rédaction du CCTP du lot " gros œuvre ", il ne pouvait qu'intégrer ce choix dans le document contractuel qu'il devait rédiger. Il s'ensuit que la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes n'établit pas que l'économiste aurait commis une faute justifiant qu'une part de responsabilité soit mise à charge.

10. En troisième lieu, si la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes soutient, à juste titre, que le contrôle du respect de la réglementation acoustique relevait de la mission acoustique PH h dont le contrôleur technique était chargé et que celui-ci a commis une faute en s'abstenant de toute observation ou réserve à ce titre, cette faute n'est pas nature à justifier qu'une part de responsabilité supérieure aux 15 % retenus par les premiers juges soit laissée à sa charge.

11. Il résulte de ce qui précède que la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont fixé à 50 % l'obligation de garantie à laquelle elle est tenue.

Concernant les appels incidents de la société Li Sun Environnement et de la société Dekra Industrial :

12. En demandant à être intégralement garanties de la condamnation prononcée par le jugement attaqué, et ainsi à ce que la part de responsabilité laissée à la charge de la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes soit rehaussée, les sociétés Li Sun Environnement et Dekra Industrial ont saisi la cour de conclusions d'appel incident.

13. En premier lieu, la société Li Sun Environnement ne se prévaut d'aucun moyen de nature à démontrer que la part de responsabilité de 50 % mise à la charge de la SA Pierre Vurpas et associés architectes serait insuffisante.

14. En second lieu, si la société Dekra Industrial reproche au groupement de maîtrise d'œuvre de ne pas avoir fait appel à un BET " acoustique ", cette circonstance, dépourvue en elle-même de caractère fautif, n'est pas de nature à justifier que soit mise à la charge de la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes une part de responsabilité plus importante que celle déjà retenue par les premiers juges.

15. Ces conclusions d'appel incident doivent dès lors être rejetées.

Concernant les appels provoqués de la société Li Sun Environnement et de la société Dekra Industrial :

16. En demandant, d'une part, que les condamnations prononcées à leur encontre par le jugement attaqué, au profit de la société L'Auxiliaire, soient supprimées, d'autre part, que leurs condamnations ne soient pas solidaires et, enfin, à être garanties par des constructeurs, autres que la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes, les sociétés Li Sun Environnement et Dekra Industrial ont saisi la cour de conclusions d'appel provoqué. Toutefois, leur situation n'étant pas aggravée à l'issue de l'appel principal, ces conclusions sont irrecevables et doivent être rejetées.

Concernant l'appel provoqué de la société L'Auxiliaire :

17. La société l'Auxiliaire demande, à titre subsidiaire, la condamnation solidaire des sociétés Pierre Vurpas et Associés Architectes, Iliade Génie Climatique et Electrique, Didier Pierron DPI, Li-Sun Environnement, Dekra Industrial et cabinet Denizou à lui verser la somme de 289 883,12 euros. Si elle fait valoir que le groupement de maîtrise d'œuvre a commis une faute en s'abstenant de recourir aux services d'un BET acoustique, il résulte de l'acte d'engagement du 10 janvier 2007 que ce groupement n'était que conjoint. Par suite, à défaut pour la société l'Auxiliaire de démontrer toute implication des sociétés Iliade Génie Climatique et Electrique, Didier Pierron DPI et cabinet Denizou dans les travaux à l'origine des désordres, elle n'est pas fondée à soutenir que ces membres du groupement de maîtrise d'œuvre devaient être condamnés solidairement.

18. Ces conclusions d'appel provoqué doivent ainsi être rejetées.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Pierre Vurpas et Associés Architectes est seulement fondée à demander que la condamnation solidaire prononcée au profit de la société L'Auxiliaire au titre des désordres acoustiques soit ramenée à 239 878,18 euros.

Sur les frais liés au litige :

20. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter l'ensemble des conclusions présentées par les parties en appel en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La condamnation solidaire, prononcée par l'article 1er du jugement n° 1406570 du tribunal administratif de Lyon du 22 mai 2023, est ramenée de 289 883,12 euros à 239 878,18 euros.

Article 2 : Le jugement n° 1406570 du tribunal administratif de Lyon du 22 mai 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1 du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Lyon Métropole Habitat et aux sociétés L'Auxiliaire, Dekra Industrial, Pierre Vurpas et Associés Architectes, Didier Pierron DPI, Li Sun Environnement, Iliade Génie Climatique et Electrique, cabinet Denizou et Hervé Thermique. Copie en sera adressée à la SARL Société de revêtement et peinture en bâtiment (SRPB).

Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, où siégeaient :

M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,

Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,

Mme Sophie Corvellec, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 janvier 2025.

La rapporteure,

S. CorvellecLe président,

Ph. Arbarétaz

La greffière,

F. Faure

La République mande et ordonne à la préfète du Rhône en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 23LY02451


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY02451
Date de la décision : 16/01/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

39-06-01-04 Marchés et contrats administratifs. - Rapports entre l'architecte, l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage. - Responsabilité des constructeurs à l'égard du maître de l'ouvrage. - Responsabilité décennale.


Composition du Tribunal
Président : M. ARBARETAZ
Rapporteur ?: Mme Sophie CORVELLEC
Rapporteur public ?: Mme PSILAKIS
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS CORNET VINCENT SEGUREL

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-16;23ly02451 ?
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