Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Mme A... C... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 26 septembre 2023 par lequel le préfet de l'Isère a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a désigné le pays de destination de cette mesure d'éloignement, et d'enjoindre audit préfet de lui délivrer une carte de résident, subsidiairement de réexaminer sa situation dans un délai de deux mois, après remise d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Par un jugement n° 2306816 du 12 décembre 2023, le tribunal administratif de Grenoble a d'une part annulé l'arrêté du préfet de l'Isère du 26 septembre 2023, d'autre part, enjoint au préfet de délivrer à Mme B... un titre de séjour d'une durée de dix ans ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 2 février 2024, le préfet de l'Isère demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 12 décembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande de Mme B... présentée devant le tribunal administratif de Grenoble.
Il soutient que :
- la communauté de vie entre les époux n'est pas établie, contrairement à ce que les premiers juges ont retenu ;
- les moyens invoqués en première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense enregistré le 21 février 2024, Mme A... C... épouse B..., représentée par Me Miran, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,
- et les observations de Me Miran, représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... épouse B..., ressortissante tunisienne née le 1er juillet 1993, s'est mariée en Tunisie en avril 2017 avec un ressortissant français, de trente-sept ans son aîné. Le mariage a été transcrit sur les registres d'état civil français le 9 novembre 2018. Le couple a continué à résider en Tunisie jusqu'à décembre 2021, date à laquelle Mme B... est entrée en France avec son époux, sous couvert d'un visa de long séjour valant titre de séjour. Elle en a demandé le renouvellement le 3 novembre 2022. Par un arrêté du 26 septembre 2023, le préfet de l'Isère a opposé un refus à cette demande, a fait obligation à Mme B... de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de cette mesure d'éloignement. Le préfet de l'Isère relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer à Mme B... un titre de séjour d'une durée de dix ans.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 10 de l'accord franco-tunisien susvisé : " 1. Un titre de séjour d'une durée de dix ans, ouvrant droit à l'exercice d'une activité professionnelle, est délivré de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour sur le territoire français:/ a) Au conjoint tunisien d'un ressortissant français, marié depuis au moins un an, à condition que la communauté de vie entre époux n'ait pas cessé, que le conjoint ait conservé sa nationalité française et, lorsque le mariage a été célébré à l'étranger, qu'il ait été transcrit préalablement sur les registres de l'état-civil français ; (...) ". Aux termes de l'article 215 du code civil : " Les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie. / La résidence de la famille est au lieu qu'ils choisissent d'un commun accord (...) ".
3. Pour annuler l'arrêté du 26 septembre 2023 du préfet de l'Isère fondé sur l'insuffisante caractérisation de la communauté de vie des époux, les premiers juges ont retenu que ceux-ci partagent un appartement de type T2, quand bien même Mme B... s'absenterait quelques semaines par an pour rendre visite à sa famille restée en Tunisie, qu'elle occupe en France un emploi salarié sous couvert d'un contrat à durée indéterminée depuis mai 2022, enfin que les propos tenus par M. B... dans le cadre d'une enquête de communauté de vie effectuée le 19 avril 2023, selon lesquels il indiquait vouloir " offrir " la nationalité française à son épouse avant de décéder, ne sauraient remettre en cause la réalité de la vie commune des époux. Ainsi, le tribunal a retenu que dans les circonstances de l'espèce, Mme B... était fondée à soutenir que la décision en litige portant refus de titre de séjour méconnaît le a) du 1. de l'article 10 de l'accord franco-tunisien.
4. Le préfet de l'Isère soutient que la communauté de vie suppose un élément matériel constitué par la cohabitation et un élément intentionnel caractérisé par la volonté réciproque des époux de vivre durablement en union matérielle et psychologique, et se réfère de nouveau en appel aux propos de M. B..., lequel a indiqué que ce mariage était " nourri d'un amour unilatéral ", qu'il souhaitait " offrir " la nationalité française à son épouse et qu'il serait heureux qu'elle retrouve un conjoint après son décès. Toutefois, alors qu'il n'appartient ni à l'administration ni au juge d'apprécier la réalité des sentiments partagés par les époux dans le cadre du mariage, il ne résulte pas des propos précités que le mariage en cause, antérieur de plus de six ans à la date de l'arrêté attaqué, dont plus de quatre ans vécus en Tunisie selon les écritures de l'intéressée qui ne sont pas contestées par le préfet, aurait été conclu à des fins étrangères à l'institution matrimoniale. En outre, les séjours de Mme B... auprès de sa famille en Tunisie, quand bien même ils totaliseraient une durée de près de huit semaines par an, ne sont pas de nature à remettre en cause la communauté de vie entre les époux. Dans ces conditions et au regard à la fois de l'enquête précitée, des éléments rappelés au point précédent ainsi que des documents mentionnés par le préfet lui-même portant sur le logement partagé par les époux, la communauté de vie entre Mme B... et son époux exigée par les dispositions rappelées au point 2 doit être regardée comme établie.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de l'Isère n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 26 septembre 2023 portant refus de délivrance d'un titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et désignation du pays de renvoi à l'encontre de Mme B..., et lui a enjoint de délivrer à cette dernière un titre de séjour d'une durée de dix ans.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme B... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : La requête du préfet de l'Isère est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme B... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au préfet de l'Isère, à Mme A... C... épouse B... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 21 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,
Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,
Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 février 2025.
La rapporteure,
Emilie FelmyLe président,
Jean-Yves Tallec
La greffière,
Péroline Lanoy
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00280