Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
L'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen a demandé au tribunal administratif de Dijon d'annuler la délibération du 8 avril 2021 par laquelle le conseil municipal de la commune de Chalon-sur-Saône a approuvé les termes du contrat d'engagement républicain des associations bénéficiant de subventions publiques et décidé de conditionner l'attribution d'aides aux associations à la signature de ce contrat.
Par jugement n° 2101533 du 28 novembre 2023, le tribunal a annulé cette délibération en tant qu'elle approuve les deux derniers alinéas de l'engagement numéro 1 de ce contrat et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la cour
Par une requête enregistrée le 26 janvier 2024, la commune de Chalon-sur-Saône, représentée par Me Petit (SELARL Philippe Petit et associés), demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il annule partiellement la délibération de son conseil municipal du 8 avril 2021 et de rejeter la demande d'annulation présentée au tribunal ;
2°) de mettre à la charge de l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'association ne justifie pas d'un intérêt à agir, eu égard à son objet statutaire et à son ressort national ;
- les dispositions annulées par le jugement attaqué ne portent pas atteinte à la liberté de conscience des associations, en se bornant à encadrer le versement de subventions publiques, sans remettre en cause la liberté de ces associations, ni opérer d'ingérence dans leur fonctionnement ;
- les collectivités en tant que personnes publiques sont tenues de respecter le principe de laïcité et de s'abstenir de financer des activités cultuelles, notamment lors de l'attribution de subventions ;
- les associations sont elles-mêmes soumises au principe de laïcité, dès lors qu'elles reçoivent une subvention et sont ainsi usagères d'un service public ;
- aucune atteinte au principe d'égalité ne résulte de ces dispositions, les associations concernées ne respectant pas ces principes ne se trouvant pas dans la même situation que les autres ;
- la liberté de conscience telle que garantie par l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales est reconnue aux personnes physiques, non aux personnes morales telles que les associations ;
- cet article n'exclut pas qu'il puisse être fait interdiction aux usagers d'un service public de pratiquer tout prosélytisme, au-delà du seul prosélytisme de mauvais aloi.
La clôture de l'instruction a été fixée au 4 juillet 2024, par ordonnance du même jour.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution, et notamment son préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- la loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d'association ;
- la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Sophie Corvellec ;
- les conclusions de Mme Christine Psilakis ;
- et les observations de Me Masson pour la commune de Chalon-sur-Saône ;
Une note en délibéré a été produite pour la commune de Chalon-sur-Saône le 31 janvier 2025 et n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération du 8 avril 2021, le conseil municipal de Chalon-sur-Saône a décidé de subordonner l'attribution de subventions à des associations à la signature par celles-ci d'un contrat d'engagement républicain, dont il a par ailleurs approuvé les termes. Saisi par l'association Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen (ci-après " Ligue des droits de l'Homme "), le tribunal administratif de Dijon a annulé les deuxième et troisième stipulations du premier engagement prévu par ce contrat, aux termes desquelles les associations doivent " adopter en tous points un fonctionnement laïc " et " s'abstenir de tout prosélytisme ", et a rejeté le surplus de la demande d'annulation dont il était saisi, par un jugement du 28 novembre 2023. La commune de Chalon-sur-Saône relève appel de ce jugement dans la mesure de l'annulation ainsi prononcée.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorial limité fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.
3. La délibération litigieuse subordonne l'octroi de subventions communales à une association à la signature par celle-ci d'un contrat d'engagement républicain stipulant qu'elle s'engage à adopter un fonctionnement laïc, à s'abstenir de tout prosélytisme ou encore à respecter les symboles de la République. Cette délibération, qui est ainsi susceptible d'affecter la liberté d'association, ainsi que la liberté religieuse de ces associations, présente, dans la mesure notamment où elle est susceptible d'être rencontrée dans d'autres communes, une portée excédant son seul objet local. Par suite, et eu égard à son objet statutaire qui inclut notamment la défense des principes énoncés dans la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales et la lutte contre toute discrimination fondée sur les opinions religieuses, la ligue des droits de l'Homme se prévaut, contrairement à ce que soutient la commune de Chalon-sur-Saône, d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre cette délibération, nonobstant son champ d'intervention national.
Sur le fond du litige :
4. Aux termes, d'une part, de l'article 10 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789 : " Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ". Aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique (...) la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. 2. La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Si la liberté religieuse relève d'abord du for intérieur, elle implique de surcroît, notamment, celle de manifester sa religion, y compris le droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen d'un enseignement. Elle ne protège toutefois pas n'importe quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une croyance. Ainsi, la liberté religieuse ne protège pas le prosélytisme de mauvais aloi.
5. Aux termes, d'autre part, de l'article premier de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l'État : " La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l'intérêt de l'ordre public. ". Aux termes de son article 2 : " La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets (...) des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes ". Il résulte de ces dispositions que les collectivités territoriales ne peuvent apporter une aide quelconque à une manifestation qui participe de l'exercice d'un culte. Elles peuvent accorder une subvention à une association qui, sans constituer une association cultuelle au sens du titre IV de la même loi, a des activités cultuelles, uniquement en vue de la réalisation d'un projet, d'une manifestation ou d'une activité qui ne présente pas un caractère cultuel et n'est pas destiné au culte et à la condition, en premier lieu, que ce projet, cette manifestation ou cette activité présente un intérêt public local et, en second lieu, que soit garanti, notamment par voie contractuelle, que la subvention est exclusivement affectée au financement de ce projet, de cette manifestation ou de cette activité et n'est pas utilisée pour financer les activités cultuelles de l'association.
6. En premier lieu, en admettant même qu'ainsi que le soutient la commune de Chalon-sur-Saône, une personne morale ne puisse utilement se prévaloir d'une liberté de conscience, il résulte des points 2 à 4 du jugement attaqué que, bien qu'évoquant cette liberté de conscience, le motif d'annulation retenu par les premiers juges est fondé sur l'atteinte excessive portée à la liberté des associations de manifester leurs convictions religieuses et repose ainsi sur une méconnaissance, par les engagements en cause, de la liberté religieuse, telle que protégée par l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales notamment et définie au point 3 de ce jugement. Contrairement à ce qu'elle prétend, une personne morale peut se prévaloir d'une telle liberté. Par suite, le moyen tiré de ce que l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales ne serait pas applicable aux personnes morales doit être écarté.
7. En deuxième lieu, la commune de Chalon-sur-Saône soutient que la délibération litigieuse, en se bornant à encadrer l'octroi de subventions, n'affecte nullement la liberté d'organisation et de fonctionnement des associations, ni, dès lors, leur liberté religieuse. Toutefois, en subordonnant l'octroi de subventions, parfois nécessaires au fonctionnement de ces associations, à un fonctionnement laïc " en tous points " et à l'abstention de tout prosélytisme, et donc à l'abstention de toute manifestation religieuse dans leurs fonctionnement et activités, le contrat d'engagement républicain qu'elle approuve constitue une ingérence dans la liberté religieuse de ces associations, en particulier celle de manifester leur religion ou leurs convictions, au sens de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales, laquelle doit être justifiée dans les conditions prévues au 2. de cet article. Par suite, à supposer que la commune de Chalon-sur-Saône ait entendu se prévaloir d'un tel moyen, elle n'est pas fondée à soutenir que ces stipulations du contrat d'engagement républicain ne constituent pas une ingérence dans la liberté religieuse des associations, protégée par l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
8. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient la commune de Chalon-sur-Saône, une association ne saurait être considérée comme usagère d'un service public, du seul fait qu'elle perçoit une subvention. Dès lors, la commune ne peut, en tout état de cause, invoquer une telle qualité pour justifier l'interdiction, par le contrat d'engagement républicain, de tout acte de prosélytisme. Par suite, et en l'absence de toute autre justification apportée par la commune, cette interdiction, en s'étendant au-delà des seuls actes de prosélytisme de mauvais aloi, méconnaît l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales.
9. En quatrième lieu, une association ne pouvant, comme indiqué ci-dessus, être considérée comme usagère d'un service public du seul fait qu'elle perçoit une subvention, la commune de Chalon-sur-Saône ne peut, en tout état de cause, soutenir que les associations seraient, en cette qualité, soumises au principe de laïcité. Dès lors, ni le principe de laïcité, ni l'article 2 de la loi du 9 décembre 1905 ne font obstacle à ce qu'une collectivité territoriale verse une subvention à une association, constituée en application de la loi de 1901, qui exerce des activités cultuelles, dans les conditions rappelées au point 5. Par suite, et alors même qu'elle est, pour sa part, soumise au respect du principe de laïcité dans l'exercice de ses missions de service public, la commune de Chalon-sur-Saône n'est pas fondée à soutenir que ces principes et dispositions lui interdisent le versement de toute subvention à des associations dont le fonctionnement ne serait pas conforme aux exigences du principe de laïcité, pour justifier les deuxième et troisième stipulations du premier engagement du contrat d'engagement républicain adopté par la délibération litigieuse.
10. En dernier lieu, si la commune de Chalon-sur-Saône soutient que les dispositions litigieuses sont conformes au principe d'égalité, ainsi que, par certaines jurisprudences dont elle se prévaut, à la liberté d'association, elle ne conteste pas ainsi le motif d'annulation retenu par les premiers juges. Ces moyens sont inopérants et ne peuvent qu'être écartés.
11. Il résulte de ce qui précède que la commune de Chalon-sur-Saône n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Dijon a annulé la délibération de son conseil municipal du 8 avril 2021 en tant qu'elle approuve les deux derniers alinéas de l'engagement numéro 1 du contrat d'engagement républicain dont la signature conditionne le versement de subventions communales aux associations.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la Ligue des droits de l'Homme, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Chalon-sur-Saône.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la commune de Chalon-sur-Saône est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Chalon-sur-Saône et à la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025, où siégeaient :
M. Philippe Arbarétaz, président de chambre,
Mme Aline Evrard, présidente-assesseure,
Mme Sophie Corvellec, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 février 2025.
La rapporteure,
S. CorvellecLe président,
Ph. Arbarétaz
La greffière,
F. Faure
La République mande et ordonne au préfet de Saône-et-Loire en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY00221