Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. et Mme A... C... ont demandé au tribunal administratif de Lyon de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre des années 2016 et 2017 et des majorations au taux de 80 % pour manœuvres frauduleuses dont elles étaient assorties.
Par un jugement n° 2110061 du 27 juin 2023, le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés les 27 juillet 2023 et 17 octobre 2024, M. et Mme C..., représentés par Me Maniez, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ou de le réformer et de faire droit à leur demande ou à tout le moins de prononcer la décharge des majorations pour manœuvres frauduleuses ;
2°) de surseoir à statuer dans l'attente du jugement à venir du juge pénal ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le service vérificateur n'a pas mentionné dans la proposition de rectification la teneur des informations obtenues auprès de l'autorité judiciaire et ne leur a pas communiqué l'ensemble des renseignements et documents obtenus de tiers, en méconnaissance de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales ;
- M. C... ne peut être qualifié de seul maître de l'affaire de la société HLR ;
- il n'a pas appréhendé les sommes qualifiées de revenus distribués ;
- l'administration n'était pas fondée à leur appliquer la pénalité pour manœuvres frauduleuses prévue au c de l'article 1729 du code général des impôts, dès lors que les manœuvres frauduleuses ont été commises par la société HLR et non par M. C....
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- les moyens soulevés par M. et Mme C... ne sont pas fondés ;
- à titre subsidiaire, la pénalité de 40 % pour manquement délibéré peut être substituée à celle de 80 % pour manœuvres frauduleuses.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Moya, premier conseiller,
- les conclusions de Mme Le Frapper, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dubos pour M. et Mme C....
Et après avoir pris connaissance de la note en délibéré présentée pour M. et Mme C..., enregistrée le 11 mars 2025.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... était président et actionnaire unique de la société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) HLR, qui a pour activité déclarée le commerce de gros inter-entreprises non spécialisé. Cette société a fait l'objet de deux procédures de vérification de comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2017 à l'issue desquelles l'administration a, d'une part, remis en cause la déductibilité de charges correspondant à des factures fictives au titre de l'exercice clos en 2016 et, d'autre part, reconstitué le résultat de l'exercice clos en 2017. Les sommes ainsi rapportées aux bénéfices imposables de la SASU HLR, qui ont été regardées comme des revenus distribués imposables dans la catégorie des revenus de capitaux mobiliers sur le fondement du c. de l'article 111 du code général des impôts, ont été réintégrées dans les revenus imposables de M. et Mme C.... Ces derniers ont, en conséquence, été assujettis à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales au titre des années 2016 et 2017, auxquelles l'administration a appliqué la pénalité de 80 % prévue au c. de l'article 1729 du code général des impôts. M. et Mme C... relèvent appel du jugement du 27 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté leur demande tendant à la décharge de ces impositions supplémentaires et des pénalités correspondantes.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 76 B du livre des procédures fiscales : " L'administration est tenue d'informer le contribuable de la teneur et de l'origine des renseignements et documents obtenus de tiers sur lesquels elle s'est fondée pour établir l'imposition faisant l'objet de la proposition prévue au premier alinéa de l'article L. 57 ou de la notification prévue à l'article L. 76. Elle communique, avant la mise en recouvrement, une copie des documents susmentionnés au contribuable qui en fait la demande ". Il résulte de ces dispositions qu'il incombe à l'administration, quelle que soit la procédure d'imposition mise en œuvre, et au plus tard avant la mise en recouvrement, d'informer le contribuable dont elle envisage soit de rehausser, soit d'arrêter d'office les bases d'imposition, de l'origine et de la teneur des documents et renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle a utilisés pour fonder les impositions, avec une précision suffisante pour mettre à même l'intéressé d'y avoir accès avant la mise en recouvrement des impositions qui en procèdent. Lorsque le contribuable lui en fait la demande, l'administration est, en principe, tenue de lui communiquer, alors même qu'il en aurait eu connaissance, les renseignements, documents ou copies de documents obtenus auprès de tiers qui lui sont opposés, afin de lui permettre d'en vérifier l'authenticité ou d'en discuter la teneur ou la portée. Il en va autrement s'agissant des documents et renseignements qui, à la date de la demande de communication, sont directement et effectivement accessibles au contribuable dans les mêmes conditions qu'à l'administration. Dans cette dernière hypothèse, si le contribuable établit qu'il ne peut avoir effectivement accès aux mêmes documents et renseignements que ceux détenus par l'administration, celle-ci est alors tenue de les lui communiquer.
En ce qui concerne l'information sur la teneur et l'origine des renseignements et documents utilisés :
3. En premier lieu, il résulte de l'instruction que l'administration a mentionné dans les propositions de rectification des 21 décembre 2018 et 18 mars 2019 adressées à la SASU HLR les éléments de la procédure judiciaire sur lesquels elle s'est fondée ainsi que des copies d'ordre de virement à l'étranger, des copies de relevés bancaires, des copies de contrats conclus par cette société ainsi que des copies de chèques. M. et Mme C... ne sont pas fondés à soutenir que l'administration n'aurait pas porté à leur connaissance ces éléments, dès lors que ces propositions de rectification étaient annexées à la proposition de rectification du 7 octobre 2019 qui leur a été adressée.
4. En second lieu, dès lors que le service a indiqué dans les propositions de rectification des 18 mars 2019 et 7 octobre 2019 que les cartons de signature auprès des banques de la SASU HLR et les factures clients avaient été saisis dans le cadre de la perquisition judiciaire effectuée au cabinet comptable Bendavid Expertise, documents obtenus dans les scellés intitulés " DBD 006 factures et autres documents comptables relatifs à l'année 2017 et concernant la société HLR ", M. et Mme C... ont été suffisamment informés de la teneur et de l'origine des renseignements et documents qu'il a utilisés.
En ce qui concerne la demande de communication des renseignements et documents obtenus de tiers :
5. En premier lieu, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le secret de l'enquête et de l'instruction protégé par l'article 11 du code de procédure pénale ne leur permettait pas d'avoir directement et effectivement accès aux documents de la procédure pénale, dès lors que ce secret ne leur était pas opposable, M. C... étant mis en examen dans le cadre de cette procédure.
6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que l'administration a fait état dans les propositions de rectification adressées à la SASU HLR, qui étaient annexées à la proposition de rectification notifiée à M. et Mme C... comme indiqué précédemment, des relevés bancaires de la société dont elle avait obtenu la communication. Contrairement à ce que soutiennent M. et Mme C..., il ne résulte pas de l'instruction que l'administration aurait disposé des relevés bancaires de la BNP, et non du seul tableau qui leur a été communiqué.
7. En dernier lieu, il résulte de l'instruction que dans les observations qu'ils ont formulées, le 12 décembre 2019, sur la proposition de rectification qui leur a été notifiée, M. et Mme C... ont demandé la communication de l'ensemble des documents obtenus dans le cadre du droit de communication concernant les rectifications proposées. En dépit de cette demande, l'administration n'a pas communiqué les renseignements et documents qu'elle a obtenus des tiers dans le cadre du droit de communication et en application de l'article 54 du code général des impôts, alors que les requérants devaient être mis en demeure de vérifier, et éventuellement d'en discuter, l'authenticité et la teneur. La SASU HLR a été placée en liquidation judiciaire par un jugement du 10 avril 2018. Dans ces conditions, M. C... ne pouvait avoir directement et effectivement accès à ces documents et renseignements dans les mêmes conditions que l'administration, dès lors qu'il n'exerçait plus ses fonctions de président de la SASU HLR à la date de sa demande de communication.
8. Il résulte de l'instruction que les revenus distribués au titre de l'année 2016 procèdent en totalité de la réintégration dans le résultat de l'exercice 2016 de la SASU HLR des charges correspondant à la comptabilisation de factures fictives du fournisseur Focus. Il résulte toutefois de la proposition de rectification du 21 décembre 2018 que, pour établir cette rectification, l'administration s'est fondée sur les écritures comptables de la SASU HLR, sur les documents comptables transmis par l'autorité judiciaire et sur les flux bancaires de la société. Dans la mesure où l'administration ne s'est pas fondée sur les documents et renseignements que l'administration aurait dû transmettre à M. et Mme C..., ces derniers ne sont pas fondés à demander la décharge des impositions supplémentaires mises à leur charge au titre de l'année 2016.
9. Il résulte de l'instruction que les revenus distribués au titre de l'année 2017 procèdent de la reconstitution des recettes de l'exercice 2017 de la SASU HLR à laquelle l'administration s'est livrée en conséquence de l'émission de factures fictives de vente que l'administration a mis en évidence. Toutefois, pour démontrer que la SASU HLR procédait à l'émission de factures fictives, l'administration s'est fondée sur des renseignements obtenus auprès de tiers, qu'elle aurait dû communiquer à M. et Mme C..., à la suite de leur demande. Dans ces conditions, M. et Mme C... sont fondés à demander la décharge des impositions supplémentaires qui procèdent des revenus distribués au titre de l'année 2017 ainsi que de la majoration pour manœuvres frauduleuses dont elles ont été assorties.
Sur le bien-fondé des impositions supplémentaires restant en litige :
10. Aux termes de l'article 111 du code général des impôts : " Sont notamment considérés comme revenus distribués : / (...) / c. Les rémunérations et avantages occultes / (...). ". En cas de refus des propositions de rectifications par le contribuable qu'elle entend imposer comme bénéficiaire de sommes regardées comme distribuées, il incombe à l'administration d'apporter la preuve que celui-ci en a effectivement disposé. Toutefois, le contribuable qui, disposant seul des pouvoirs les plus étendus au sein de la société, est en mesure d'user sans contrôle de ses biens comme de biens qui lui sont propres et doit ainsi être regardé comme le seul maître de l'affaire, est présumé avoir appréhendé les distributions effectuées par la société qu'il contrôle.
11. En premier lieu, pour considérer que M. C... était le seul maître de l'affaire, l'administration s'est fondée sur le fait qu'il était actionnaire unique et dirigeant de droit de la SASU HLR, qu'il était le seul représentant légal de cette société, qui n'avait pas de salarié, qu'il disposait seul des pouvoirs de décision, qu'il était le signataire des actes juridiques engageant la société, qu'il disposait des cartons de signature auprès des banques et des pouvoirs pour engager la société au niveau financier, qu'il était le signataire des chèques émis par cette société et qu'il était à l'origine des virements effectués à destination de Hong-Kong.
12. Pour contester que M. C... était le seul maître de l'affaire, les requérants font valoir que M. B... avait accès aux courriers électroniques et aux comptes bancaires en ligne de la société, qu'il disposait des informations lui permettant d'utiliser la carte bancaire et du tampon de la société. Toutefois, les copies d'écran des messages lapidaires échangés entre M. C... et M. B... via une application de messagerie téléphonique ne sont pas suffisants pour justifier que M. C... n'était pas le seul maître de l'affaire.
13. En second lieu, en sa qualité de seul maître de l'affaire, M. C... devait être regardé comme le bénéficiaire des revenus distribués par la SASU HLR, la circonstance alléguée par les requérants qu'ils n'ont pas appréhendé les sommes correspondantes étant sans incidence à cet égard.
Sur la pénalité pour manœuvres frauduleuses restant en litige :
14. Aux termes de l'article 1729 du code général des impôts : " Les inexactitudes ou les omissions relevées dans une déclaration ou un acte comportant l'indication d'éléments à retenir pour l'assiette ou la liquidation de l'impôt ainsi que la restitution d'une créance de nature fiscale dont le versement a été indûment obtenu de l'Etat entraînent l'application d'une majoration de : / (...) / c. 80 % en cas de manœuvres frauduleuses (...). ".
15. Dès lors que la SASU HLR émettait des factures fictives, que M. C... était le seul maître de l'affaire de cette société et que cette dernière ne disposait d'aucun salarié, l'administration apporte la preuve, qui lui incombe, que les agissements destinés à l'égarer dans l'exercice de son pouvoir de contrôle étaient imputables à M. C.... Par suite, elle justifie du bien-fondé de la majoration de 80 % pour manœuvres frauduleuses appliquée aux impositions supplémentaires restant en litige.
16. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer dans l'attente du jugement pénal à venir, M. et Mme C... sont seulement fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les conclusions de leur demande tendant à la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2017.
Sur les frais du litige :
17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à M. et Mme C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : M. et Mme C... sont déchargés des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu, de contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2017 et des pénalités correspondantes.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lyon est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. et Mme C... la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme C... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... et à la ministre chargée des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 10 mars 2025, à laquelle siégeaient :
Mme Michel, présidente de chambre,
Mme Vinet, présidente-assesseure,
M. Moya, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 avril 2025.
Le rapporteur,
P. MoyaLa présidente,
C. Michel
La greffière,
F. Bossoutrot
La République mande et ordonne à la ministre chargée des comptes publics en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 23LY02502
ar