Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. F... E..., M. J... et M. A... G... ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision implicite du 23 décembre 2020 par laquelle le président de l'université Savoie Mont Blanc a rejeté leur demande de protection fonctionnelle, leur demande indemnitaire et la reconnaissance de la qualité de lanceur d'alerte de M. E..., d'enjoindre à l'université de leur accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de prendre en charge les frais et honoraires engagés au jour de la requête pour un montant de 6 000 euros HT, d'enjoindre à l'université de prendre les mesures nécessaires à garantir les principes généraux de prévention de santé et de sécurité au travail de M. E... et de condamner l'université Savoie Mont Blanc à verser 40 000 euros à M. E... et 50 000 euros respectivement à M. G... et à M. I....
Par un jugement n° 2101198 du 14 décembre 2023, le tribunal a rejeté leurs demandes.
Procédure devant la cour
Par une requête et des mémoires enregistrés les 15 février, 26 mars et 20 décembre 2024, ce dernier non communiqué, MM. E..., I... et G..., représentés par Me Mazza, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement et la décision implicite du 23 décembre 2020 du président de l'université Savoie Mont Blanc ;
2°) d'enjoindre à l'université de leur accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle et de prendre en charge les frais et honoraires engagés et de mettre en œuvre les dispositions des article L. 4121-2 et suivants du code du travail ;
3°) de condamner l'université Savoie Mont Blanc à leur verser 12 000 euros en réparation des préjudices subis du fait du refus de la protection fonctionnelle, ainsi que 40 000 euros à M. E... à raison des faits de harcèlement moral et de la violation du régime des lanceurs d'alerte, et 50 000 euros respectivement à MM. G... et I... en réparation du harcèlement moral et des discriminations dont ils ont été victimes ;
4°) de mettre à la charge de l'université Savoie Mont Blanc la somme de 3 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- le tribunal n'a pas statué sur le moyen tiré de ce qu'une décision implicite de rejet est née sur la demande de protection fonctionnelle, en violation de l'obligation de motivation ;
- le principe de loyauté des débats et du contradictoire a été méconnu ;
- malgré une demande en ce sens, les motifs du refus implicite d'attribution de la protection fonctionnelle n'ont pas été communiqués ;
- le harcèlement moral dont ils ont été victimes ainsi que les discriminations dont MM. G... et I... ont fait l'objet en méconnaissance des articles 6 et 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 justifiaient que leur soit attribué la protection fonctionnelle ; l'enquête administrative produite en défense a été menée dans des conditions irrégulières, le principe d'impartialité ayant été méconnu, l'un de ses membres se trouvant en situation de conflit d'intérêt et l'enquête ayant été menée à charge ; ils apportent des éléments suffisants pour présumer de l'existence d'une situation de harcèlement moral et de faits discriminatoires ; les éléments apportés par l'administration ne permettent pas d'écarter la présomption ;
- en s'abstenant de traiter le signalement de harcèlement moral, en refusant de leur accorder la protection fonctionnelle et en ne reconnaissant pas la qualité de lanceur d'alerte de M. E... en méconnaissance de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016, l'université a commis des fautes de nature à engager sa responsabilité ;
- ils ont subi un préjudice tenant à la non prise en charge par l'administration de leurs frais de justice qui s'élève à 12 000 euros ;
- du fait du harcèlement moral et des discriminations subis, MM. E..., I... et G... demandent réparation du seul préjudice moral pour des montants respectifs de 30 000 et 50 000 euros ;
- du fait de la violation du régime des lanceurs d'alerte, M. E... a subi des attaques lui causant un préjudice moral, sur sa santé et sa carrière dont il demande réparation pour un montant de 10 000 euros.
Par un mémoire enregistré le 1er novembre 2024, l'université Savoie Mont Blanc, représentée par Me Brunière, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge des requérants la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 4 novembre 2024, l'instruction a été close, en dernier lieu, le 20 décembre 2024.
Par un courrier du 11 février 2025, la cour a demandé aux requérants, en application de l'article R. 613-1-1 du code de justice administrative de produire la pièce numérotée 149 dans le bordereau de communication des pièces produite devant le tribunal (LRAR Me Mazza au ministère de l'Enseignement supérieur en date du 28 décembre 2020), qui ne figure pas dans le dossier de première instance.
Après production par les requérants de cette pièce et communication, l'université Savoie Mont Blanc, par un mémoire enregistré le 22 février 2025, fait valoir que la demande de communication des motifs de la décision implicite n'a pas été adressée à l'université mais au ministère et qu'il n'est pas justifié de son envoi.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
- les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;
- et les observations de Me Mazza pour MM. E..., I... et G..., ainsi que celles de Me Brunière pour l'université Savoie Mont Blanc ;
Considérant ce qui suit :
1. M. F... E..., enseignant-chercheur, maître de conférences hors classe, affecté au sein du laboratoire IMEP-LaHC (Institut de Microélectronique Electromagnétisme et Photonique et Laboratoire d'Hyperfréquences et de Caractérisation), lequel constitue une unité mixte de recherche associant le CNRS, l'institut national polytechnique de Grenoble, l'université Grenoble Alpes et l'université Savoie Mont Blanc, M. A... G..., alors doctorant contractuel auprès de l'université et M. J..., ancien post-doctorant auprès du CNRS, ont demandé à l'université Savoie Mont Blanc, par courrier reçu le 22 octobre 2020, de leur accorder la protection fonctionnelle pour des faits de harcèlement moral et de discrimination, de réparer les préjudices subis et de faire bénéficier M. E... du régime des lanceurs d'alerte. Ils ont demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision implicite de rejet de leurs demandes de protection fonctionnelle et du bénéfice pour M. E... du régime des lanceurs d'alerte et de condamnation de l'université Savoie Mont Blanc à verser 40 000 euros à M. E... et 50 000 euros respectivement à MM. G... et I.... Ils relèvent appel du jugement du 14 décembre 2023 par lequel le tribunal a rejeté leurs demandes.
Sur la régularité du jugement :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Contrairement à ce que soutiennent les requérants, les premiers juges ont suffisamment motivé leur jugement, notamment sur l'existence d'une situation de harcèlement moral.
3. En deuxième lieu, il ressort du dossier de première instance que le rapport d'enquête administrative était joint au mémoire en défense de l'université, enregistré le 9 février 2023 et communiqué à M. E... et autres le 6 mars 2023. Si à ce rapport, de quarante-cinq pages, était annexé un volume important de pièces, M. E... et autres, qui ont produit en réponse un mémoire le 30 juin 2023, et qui pouvaient, jusqu'à la clôture de l'instruction intervenue le 13 septembre 2023, présenter leurs observations, ont disposé d'un délai suffisant pour en prendre connaissance. La question de la force probante accordée par les premiers juges à ce rapport ne relève pas de la régularité du jugement, mais de son bien-fondé. Dans ces conditions, MM. E... et autres ne sont pas fondés à soutenir que le principe de loyauté des débats et du contradictoire aurait été méconnu.
4. Toutefois, et en dernier lieu, devant le tribunal, les requérants ont soutenu que les motifs du refus implicite de protection fonctionnelle ne leur avaient pas été communiqués malgré leur demande. Le tribunal, qui a visé ce moyen, n'y a pas répondu. Le jugement est, pour ce motif, irrégulier et doit être annulé en tant qu'il a statué sur les conclusions à fin d'annulation du refus d'octroi de la protection fonctionnelle et sur les conclusions indemnitaires s'y rapportant.
5. Il y a lieu de statuer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de MM. E... et autres dirigées contre le refus d'octroi de la protection fonctionnelle et les conclusions indemnitaires s'y rapportant et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur les autres conclusions des requérants.
Sur la légalité du refus d'octroi de la protection fonctionnelle :
6. En premier lieu, aux termes de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " I. - A raison de ses fonctions (...) le fonctionnaire (...) bénéficie, dans les conditions prévues au présent article, d'une protection organisée par la collectivité publique qui l'emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire. (...) IV.- La collectivité publique est tenue de protéger le fonctionnaire contre les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, les violences, les agissements constitutifs de harcèlement, les menaces, les injures, les diffamations ou les outrages dont il pourrait être victime sans qu'une faute personnelle puisse lui être imputée (...) ". L'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration prévoit : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) / 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; / (...). ". Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".
7. Si les requérants font valoir que les motifs de la décision implicite de rejet par le président de l'université Savoie Mont Blanc de leur demande de protection fonctionnelle ne leur auraient pas été communiqués, ils n'apportent pas la preuve, en produisant un courrier du 28 décembre 2020 adressé à la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche demandant communication des motifs du recours gracieux exercé, qu'ils auraient demandé, dans le délai de recours contentieux, communication des motifs de la décision implicite prise par le président de l'université. Par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de la décision doit être écarté.
8. En second lieu, d'une part, aux termes du premier alinéa de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. (...) ".
9. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'administration auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
10. D'autre part, aux termes de l'article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucune discrimination, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison (...) de leur nationalité ".
11. Il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d'appréciation de nature à établir sa conviction. Cette responsabilité doit, dès lors qu'il est soutenu qu'une mesure a pu être empreinte de discrimination, s'exercer en tenant compte des difficultés propres à l'administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s'attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l'égalité de traitement des personnes. S'il appartient au requérant qui s'estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux qui permettent d'établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. La conviction du juge se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d'instruction utile.
12. MM. E... et autres font valoir qu'il existait au sein du laboratoire IMEP-LaHC, du fait du comportement de M. D..., directeur adjoint du laboratoire, et de M. H..., directeur du laboratoire, un management toxique, que M. E... a été victime d'entrave dans ses recherches et que MM. I... et G... ont particulièrement fait l'objet de harcèlement et de pratiques discriminatoires. En réponse à ces différentes accusations, l'université a diligenté une enquête administrative. Pour regrettable que soit le délai dans lequel cette enquête a été menée, notamment compte tenu de l'épidémie de COVID et de changements de mandature au sein de l'université, cette seule circonstance n'est pas de nature à la discréditer. Rien ne permet de dire que cette enquête, qui n'a pas été instruite à charge contre les requérants, qui n'ont proposé l'audition d'aucun témoin malgré la proposition qui leur a été faite, et a conduit à l'audition de cinquante-six personnes, et en particulier l'ensemble des personnels permanents travaillant sur le site du Bourget-du-Lac où se trouve le laboratoire, serait empreinte de partialité. Les personnes ayant des liens amicaux avec M. D... se sont signalés, de sorte qu'il a pu en être tenu compte par la commission, et leurs témoignages n'ont pas été mis en avant. La conjointe de M. D..., qui occupe des fonctions dans le service des ressources humaines de l'université a été tenue à l'écart de l'enquête. Il n'apparaît pas que M. C..., responsable de l'enquête, aurait, compte tenu de ses fonctions ou de par son attitude au cours des entretiens, eu une attitude partiale. Dans ces conditions, les résultats de cette enquête peuvent valablement être pris en considération pour apprécier la réalité des faits allégués par les requérants.
13. Pour justifier d'un management toxique au sein du laboratoire, les requérants font état de divers témoignages recueillis dans le cadre de l'enquête administrative. Toutefois, si ces témoignages font état de " difficulté de communication ", d' " un caractère et une personnalité très critiquée ", " des tensions ", " un manque de reconnaissance " au sujet de M. H..., ainsi que de " lacunes au niveau managérial ", " des échanges pas toujours sympathiques ", un tempérament " contestataire ", l'envoi de " messages longs et polémiques ", une " animation plutôt au coup par coup " concernant M. D..., ils ne révèlent pas, comme le soutiennent les requérants, " une organisation pathogène, grevée de conflits d'intérêts et caractérisée par une autorité hiérarchique omniprésente clanique et toxique " mais seulement, au pire, des difficultés managériales. Ainsi que l'a indiqué le tribunal, il ressort de l'enquête et des auditions de l'ensemble des membres du laboratoire que M. D... et M. H... n'ont pas exercé la direction du laboratoire de manière particulièrement directive ou en faisant preuve d'une autorité excessive dans l'exercice de ce pouvoir.
14. A l'appui de leurs allégations sur l'entrave dont M. E... et son équipe auraient fait l'objet dans leurs recherches, ils font valoir que la petite taille de leur équipe ne justifiait pas la mise à l'écart de leur projet, qui a pu se poursuivre grâce aux différents financements obtenus à l'extérieur, mais qu'ils ont été victimes des agissements de la direction du laboratoire. Ils se prévalent en particulier du blocage, en 2011, d'un dossier de financement par M. D..., qui se serait livré à une campagne diffamatoire, du refus d'organiser un colloque en 2012, du frein mis au recrutement de stagiaires en 2013. Toutefois, les pièces qu'ils produisent ne permettent pas de tenir pour établis ces faits. Ils font également état de la fermeture brutale en 2014 de la plateforme MUST, la seule du laboratoire, qui comprenait une grande quantité de fichiers de simulation que M. E..., qui n'avait pas été informé de cette fermeture alors que son équipe était la seule à utiliser la plateforme, n'a pu récupérer que sur un fichier zippé, sans système d'exploitation. Toutefois, il apparaît que cette suppression, décidée en raison du coût important de la plateforme pour le laboratoire, a été discutée pendant une réunion au cours de laquelle il a été constaté aucune heure d'utilisation par le laboratoire. Cette réunion a fait l'objet d'un compte-rendu. Par ailleurs, M. E... a pu récupérer les données, dont rien ne permet de confirmer qu'elles étaient inexploitables. Les requérants se prévalent également de la fermeture du site www.lahc.univ-savoie.fr pour laquelle seules les données dont l'équipe de M. E... avait besoin n'auraient pas été transférées et de ce que la nouvelle version du site ne comprenait aucune donnée sur leurs recherches. Toutefois, là encore, l'université démontre que cette décision est intervenue sept ans après la fusion des laboratoires IMEP et LaHC et que M. E... a été mis à même de récupérer l'ensemble des données le concernant. Il n'a fait aucune demande pour que des informations concernant spécifiquement son activité apparaissent sur le nouveau site. Les requérants font ensuite valoir que les locaux alloués à l'équipe de M. E... auraient été insuffisants, en particulier le bureau alloué en 2018 à M. I... ou ceux donnés aux stagiaires de mars à juillet 2019, sans qu'aucune précision ne soit donnée par les requérants sur ce dernier point. Il ressort des pièces du dossier que M. E... dispose d'une surface de plus de 32 m2 pour réaliser ses expérimentations alors que les autres enseignants chercheurs disposent de surfaces plus petites et que le bureau de M. E... est bien plus grand que la surface moyenne des bureaux des autres enseignants-chercheurs et que, ainsi qu'il est exposé au point suivant, le nécessaire a été fait pas l'université pour attribuer un bureau convenable à M. I.... S'il ressort effectivement des pièces du dossier que M. H... a bloqué l'arrivée de deux stagiaires en 2019, l'enquête administrative a démontré que M. E... n'avait pas demandé l'accord pour les recevoir et que le directeur du laboratoire a été mis devant le fait accompli. Les requérants se prévalent également du délai pris pour la signature le 13 décembre 2019 par M. D..., des déclarations d'invention pour un dépôt de brevet faites le 28 mars 2019 qui aurait fait obstacle au développement du projet Supercool. Selon l'une des personnes interrogées dans le cadre de l'enquête administrative, ce délai serait inhabituel. Toutefois, l'université justifie qu'il s'agissait d'un projet complexe, qui nécessitait la signature d'un contrat cadre avec une société et la négociation d'un mandat de valorisation avec un autre organisme. Ils font encore valoir qu'ils n'ont pu obtenir, malgré leurs demandes, un emplacement adéquat pour positionner le cryogénérateur servant à leurs travaux dans un espace adapté, en dehors du couloir dans lequel était déjà entreposé beaucoup de matériel. Toutefois, les différentes auditions menées par la commission d'enquête ont démontré que M. E... n'avait pas anticipé l'installation du cryogénérateur qui, à sa demande, a été installé en mai 2018 dans le couloir avant que le directeur du laboratoire ne demande en juillet 2018 une visite de la conseillère de prévention et de la direction du patrimoine qui ont exigé, compte tenu des dangers que représentait cette installation, son retrait. Lorsqu'en novembre 2020 M. H... a demandé le retrait de l'appareil à M. E... celui-ci a répondu qu'il comprenait les problèmes de sécurité et qu'il allait rapatrier le compresseur dans sa " salle de labo ".
15. Ainsi, si la masse des éléments dont les requérants se prévalaient pouvait laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, les éléments produits par l'université, qui fait en outre valoir que l'intéressé a en moyenne obtenu un montant de bonus qualité recherche (BQR) quatre fois plus élevé que les autres activités du laboratoire et que le niveau de publication d'articles dans des revues scientifiques et le taux d'encadrement de thèse de M. E... est comparable aux autres, démontrent que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement.
16. S'agissant du harcèlement et des pratiques discriminatoires dont M. I..., d'origine iranienne, aurait fait l'objet, il est fait état de ce que son recrutement aurait été retardé par l'université, que ses déplacements internationaux dans le cadre de colloques auraient été bloqués par la direction, que différentes commandes auraient été bloquées faute de moyen de paiement, qu'il aurait été contraint de changer de bureau en 2018 et qu'on lui aurait proposé de s'installer dans la salle de café alors que, selon une des personnes interrogées dans le cadre de l'enquête administrative, " le laboratoire n'a jamais manqué de place " et du non renouvellement de son contrat, au bout de trois ans, après que la direction du laboratoire a sollicité, pour la première fois, l'avis du fonctionnaire sécurité défense qui a rendu, sans raison justifiée, un avis défavorable. Toutefois, il n'apparaît pas que des obstacles inhabituels, outrepassant les contraintes liées aux procédures existant au sein de l'université et du CNRS, auraient été mis au recrutement de M. I..., à ses déplacements ou à ses commandes. Le rapport d'enquête administrative démontre que, à l'arrivée de M. I..., M. E... lui a attribué un bureau vacant, sans en référer à sa hiérarchie, qui mise devant le fait accompli a validé cette installation. Son bureau a dû ensuite être récupéré pour un enseignant chercheur et il lui a alors été proposé de l'installer dans le bureau de M. G... qui était assez grand, ce que l'intéressé a refusé en raison de l'arrivée de stagiaires. Il a finalement été installé dans l'ancien local de la salle à café. Si ce local a depuis lors été rénové, rien ne permet de dire qu'il présentait alors un niveau de vétusté plus important que les autres bureaux et qu'il ne disposait pas déjà d'une fenêtre de toit. S'agissant du non renouvellement de son contrat, il ressort également des pièces du dossier que la responsable administrative et financière de l'IMPA-LaHC n'a fait que suivre la procédure imposée par le CNRS en cas de renouvellement de contrat. Si le fonctionnaire de sécurité défense adjoint a fait part, avant l'étude du dossier de l'intéressé, de ce que les risques d'avis défavorable n'étaient pas négligeables, ce seul fait ne démontre pas que l'intéressé aurait été victime de discrimination. Ainsi, il ne saurait être déduit des échanges entre les parties, ni l'existence d'une situation de harcèlement moral ni discrimination à l'égard de M. I....
17. S'agissant des pratiques discriminatoires et harcelantes dont M. G... aurait fait l'objet, il est soutenu que les agents de l'université ont bloqué son processus de recrutement et pratiqué un acharnement sur la question de sa nationalité en 2015, sa carte d'identité ayant été demandée pas moins de cinq fois alors qu'il est français, ainsi qu'en manifestant une inquiétude vexatoire dans l'ensemble de leur correspondance à ce sujet, que des délais anormalement longs ont été constatés pour traiter la question du financement de sa thèse et qu'il a dû faire usage, dans des conditions dangereuses d'un magnétomètre quantique. Toutefois, rien ne permet de dire que le processus de recrutement de M. G... ou la question du financement de sa thèse, qui était complexe, aurait été anormalement longs. L'administration a justifié avec précision les raisons pour lesquelles une pièce d'identité a pu lui être demandée à plusieurs reprises par différents services entre 2015 et 2019. Le mail adressé en mars 2016 par M. D... rappelle seulement que la procédure diffère pour les Français et les étrangers et que le ministère leur a demandé, compte tenu du contexte, d'être vigilants. Enfin, les pièces du dossier ne permettent pas de démontrer que l'université serait responsable des conditions dans lesquelles il dit avoir dû faire usage du magnétomètre. Ainsi, au vu des explications fournies et des éléments objectifs produits par l'administration, les éléments dont M. G... s'est prévalu, qui pouvaient laisser présumer l'existence de telles situations, ne sont pas constitutifs d'une situation de harcèlement moral ou de discrimination.
18. Dans ces conditions, si, une situation conflictuelle semble s'être installée au fil des années entre l'équipe de M. E... et la direction de l'IMEP-LaHC et que l'enquête a pu révéler des dysfonctionnements qui nuisent à l'efficacité du service public de la recherche, aucun harcèlement moral et aucune discrimination ne sauraient être retenus de sorte que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le refus de protection fonctionnelle était illégal.
Sur les conclusions indemnitaires :
19. Les requérants demandent à ce que la responsabilité de l'université soit engagée à raison des fautes qu'elle a commises en s'abstenant de traiter le signalement de harcèlement moral, en refusant de leur accorder la protection fonctionnelle et en ne reconnaissant pas la qualité de lanceur d'alerte de M. E... en méconnaissance de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 visée ci-dessus.
20. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 12, l'université, qui n'avait pas été formellement avertie avant la demande de protection fonctionnelle d'une situation potentielle de harcèlement moral, justifie des délais qu'elle a mis pour mettre en place l'enquête administrative, de sorte qu'aucune faute ne peut lui être reprochée à ce titre.
21. En deuxième lieu, compte tenu de ce qui précède sur la légalité du refus de leur accorder la protection fonctionnelle, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'université aurait commis une faute en refusant illégalement le bénéfice de cette protection.
22. En troisième lieu, aux termes de l'article 6 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique : " Un lanceur d'alerte est une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d'un acte unilatéral d'une organisation internationale pris sur le fondement d'un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance (...) ".
23. Compte tenu de ce qui vient d'être indiqué sur l'absence de harcèlement moral ou de discrimination à l'encontre de M. E... et de son équipe, et alors qu'il n'apparaît pas que les faits que l'intéressé a signalés pourraient être qualifiés, compte tenu de l'objet des études de son équipe, de menace ou de préjudice graves pour l'intérêt général en l'absence d'entrave avérée à la recherche dans un secteur de pointe, M. E... n'est pas fondé à soutenir que l'université aurait dû le faire bénéficier du régime des lanceurs d'alerte et que son refus serait de nature à engager sa responsabilité.
24. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur le moyen en défense tiré de ce que M. I... n'ayant pas été recruté par l'université il ne pouvait bénéficier de sa protection fonctionnelle, que les requérant ne sont pas fondés à demander l'annulation de la décision implicite de refus d'octroi de la protection fonctionnelle et la condamnation de l'université à leur verser une somme en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité de cette décision et qu'ils ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté le surplus de leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
25. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions aux fins d'annulation des requérants, n'implique aucune mesure d'exécution.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
26. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'université, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme que demandent les requérants au titre des frais exposés qui ne sont pas compris dans les dépens.
27. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de MM. E..., G... et I... une somme totale de 1 500 euros à verser à l'université Savoie Mont Blanc au titre de ces frais.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble en date du 14 décembre 2023 est annulé en ce qu'il a statué sur la décision implicite par laquelle le président de l'université Savoie Mont Blanc a rejeté la demande de protection fonctionnelle de MM. E..., G... et I... et sur les conclusions indemnitaires s'y rapportant.
Article 2 : Les conclusions présentées par MM. E..., G... et I... devant le tribunal tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le président de l'université Savoie Mont Blanc a rejeté leur demande de protection fonctionnelle, leur demande de condamnation de l'université à réparer le préjudice subi du fait de l'illégalité de cette décision et le surplus de leurs conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : MM. E..., G... et I... verseront à l'université Savoie Mont Blanc une somme totale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... E..., M. A... G..., M. J... et au président de l'université Savoie Mont Blanc.
Délibéré après l'audience du 17 avril 2025 à laquelle siégeaient :
M. Picard, président de chambre ;
Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;
M. Chassagne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.
La rapporteure,
A. Duguit-LarcherLe président,
V-M. Picard
La greffière,
A. Le Colleter
La République mande et ordonne à la ministre d'État, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
2
N° 24LY00406
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