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06/05/2025 | FRANCE | N°24LY01920

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 7ème chambre, 06 mai 2025, 24LY01920


Vu la procédure suivante :





Procédure contentieuse antérieure



M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 6 décembre 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a autorisé son licenciement.



Par un jugement n° 2200352 du 14 juin 2024, le tribunal a rejeté sa demande.





Procédure devant la cour



Par une requête enregistrée le 8 juillet 2024, M. D..., représenté par Me Latargez, demande à la cour :
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1°) d'annuler ce jugement et cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

M. A... D... a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler la décision du 6 décembre 2021 par laquelle la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a autorisé son licenciement.

Par un jugement n° 2200352 du 14 juin 2024, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 8 juillet 2024, M. D..., représenté par Me Latargez, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement et cette décision ;

2°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- au regard des statuts de l'association des parents d'enfants inadaptés (APEI), seul son président avait pouvoir pour adresser une demande d'autorisation de licenciement à l'inspection du travail et non son directeur ; la délibération du conseil d'administration du 16 mai 2019 donnant délégation de pouvoir au directeur n'est conforme ni aux statuts ni au règlement intérieur ;

- il lui a été reproché des faits antérieurs au mois de juillet 2020, mais la procédure disciplinaire n'a été débutée que le 16 novembre 2020 ; les faits étaient par suite prescrits en application de l'article L. 1332-4 du code du travail, sans que l'établissement d'un rapport d'enquête ait eu pour effet de reporter ce délai de prescription dès lors que ces faits étaient déjà connus ;

- l'enquête interne menée par l'employeur a été déloyale ;

- la demande d'autorisation était fondée sur des faits de harcèlement moral ; la ministre a écarté ce motif mais a autorisé le licenciement du fait d'actes d'insubordination ; ce changement de motif est irrégulier et constitue une erreur d'appréciation ;

- il avait alerté son employeur à plusieurs reprises sur les difficultés professionnelles qu'il rencontrait, qu'elles soient d'ordre relationnel avec sa responsable de service, ou relèvent de problèmes d'organisation rencontrés sur son poste de reclassement alors qu'il présentait d'importantes restrictions médicales, sans qu'aucune mesure concrète n'en découle ; cette situation est à l'origine des prétendus manquements aux consignes reçues, dont il ne peut être tenu pour responsable ; l'employeur a méconnu son obligation d'assurer la sécurité des travailleurs au sens de l'article L. 4122-1 du code du travail et de mise en œuvre de mesures de prévention des risques professionnels au sens des articles L. 4121-1 à L. 4121-3 de ce code ;

- la ministre du travail n'a retenu que trois faits constitutifs d'une insubordination, soit des demandes de modification d'horaire non soumis à sa responsable, une absence de réponse à des mails des 21 et 24 juillet 2020, le non-respect de la consigne visant à se garer en marche arrière sur le parking ; pour certains de ces faits la matérialité n'est pas établie, pour d'autres ils ne peuvent être regardés comme fautifs, pour d'autres, ils avaient déjà été sanctionnés par un avertissement ;

- l'autorisation de licenciement est manifestement disproportionnée au regard des manquements évoqués par l'employeur ;

- il n'a fait l'objet de sanctions disciplinaires, soit un avertissement le 27 novembre 2019, un nouvel avertissement le 27 février 2020 et le licenciement en litige, qu'après avoir mentionné en réunion des délégués du personnel le 25 juillet 2019 les problèmes de gestion du personnel sur un foyer par sa responsable ; le lien avec le mandat est avéré.

Par un mémoire enregistré le 14 janvier 2025, l'association des parents d'enfants inadaptés (APEI) de Chambéry, représentée par Me Simon, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. D... en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- en vertu de l'article 17 des statuts, le directeur général de l'APEI avait tout pouvoir pour signer la demande d'autorisation de licenciement ;

- les faits retenus par la ministre du travail n'étaient pas prescrits ; le délai de deux mois instaurés par l'article L. 1332-4 du code du travail ne court qu'à compter de la réception des conclusions de l'enquête interne, qui était nécessaire ;

- l'enquête a été menée avec sincérité et loyauté ; aucun texte ne prévoit la consultation du comité social et économique au préalable ; deux membres de la commission de sécurité et conditions de travail, soit sa secrétaire et son responsable harcèlement, ont participé à l'enquête ; l'intéressé ne s'est pas déplacé pour être auditionné lors de l'enquête et n'a pas donné suite à la proposition d'entendre trois personnes de son choix ; la présence d'un membre de la direction lors des auditions n'est pas de nature à invalider la procédure d'enquête ; les personnes auditionnées avaient connaissance de la finalité de l'enquête et les auditions n'ont pas été diffusées ; les pièces et témoignages rassemblés à l'issue de l'enquête ont été communiqués en intégralité à l'inspectrice du travail ;

- la demande de licenciement doit énoncer les motifs du licenciement envisagé en application de l'article R. 2421-1 du code du travail ; en l'espèce la demande pour motif disciplinaire faisait état de différents faits fautifs, notamment d'insubordination, de remise en question de l'autorité de sa supérieure hiérarchique directe, d'une rétention d'informations, d'une posture en faveur d'une situation de harcèlement ; la ministre du travail, qui a retenu les autres points, n'était pas dans l'obligation de ne se déterminer qu'au regard d'une situation de harcèlement ; elle n'a ni changé ni dénaturé la motivation initiale de la demande et n'a entaché sa décision d'aucune erreur manifeste d'appréciation ;

- le manquement allégué à ses obligations d'assurer la sécurité des salariés est sans lien avec la procédure de licenciement ; il ne relève pas de la compétence du juge administratif d'examiner la bonne exécution du contrat sur ce point ; ces manquements ne sont en outre pas établis ; les restrictions médicales dont l'intéressé faisait l'objet ont toujours été respectées et la collaboration avec la médecine du travail pour la définition du poste de travail en reclassement a été étroite ; la médecine du travail a considéré que le poste était adapté ; M. D... n'a pas alerté l'employeur de difficultés rencontrées avec sa responsable, il a seulement mis en cause cette dernière alors qu'il faisait l'objet d'une procédure disciplinaire ayant abouti à l'avertissement du 27 février 2020 ; l'intéressé n'apporte aucune précision quant à une prétendue hostilité à son égard de sa responsable ; sa supérieure hiérarchique directe n'était pas la directrice, qui lui a rappelé à différentes reprises qu'il ne devait rendre compte qu'à sa cheffe de service ; il n'y avait pas de motif, notamment médical, à modifier l'organigramme ;

- la matérialité des faits fautifs, découverts à la suite du signalement par sa responsable, est établie ; les attestations que le requérant a produites ne sont pas probantes et apparaissent contradictoires ; lors de l'enquête contradictoire l'intéressé a reconnu les faits, qui n'avaient fait l'objet d'aucune sanction antérieure ; en revanche ils constituaient la répétition de comportements antérieurs ;

- l'administration a autorisé un licenciement pour faute, dont la qualification du degré de gravité incombait à l'employeur ;

- si M. D... indique qu'il aurait fait remonter des éléments quant à la gestion d'un foyer par sa responsable lors de la réunion du 25 juillet 2019 des délégués du personnel, toutefois aucune alerte n'a été formulée sur ce point par ces derniers, ni aucune demande d'enquête ; aucune suite n'y a été donnée et les délégués du personnel ne sont jamais revenus sur ce point ; aucun lien avec le mandat n'est établi.

Par une ordonnance du 14 janvier 2025, l'instruction a été close au 14 février 2025.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Boffy, première conseillère ;

- et les conclusions de M. Rivière, rapporteur public ;

Considérant ce qui suit :

1. M. A... D..., embauché le 27 juillet 1998 par l'association des parents d'enfants inadaptés (APEI) de Chambéry, exerçait dans le cadre de son statut de moniteur-éducateur, à la suite d'un réaménagement de poste en date du 24 octobre 2018, des missions d'accompagnement à la vie quotidienne des personnes en situation de handicap, ainsi que de référent animation et de soutien à l'organisation d'évènements à destination des usagers des foyers. Il bénéficiait du statut de salarié protégé en raison de son mandat de représentant de la section syndicale Sud Santé Sociaux de Savoie. Par un courrier du 23 décembre 2020, l'APEI de Chambéry a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de procéder à son licenciement pour motif disciplinaire. Par une décision du 22 février 2021, l'inspectrice du travail de la Savoie a accordé cette autorisation. M. D... a formé un recours hiérarchique contre cette décision. Par une décision du 6 décembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion a retiré sa décision implicite de rejet du recours hiérarchique, a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 22 février 2021 et a autorisé le licenciement. M. D... a demandé l'annulation de cette décision au tribunal administratif de Lyon qui, par un jugement du 14 juin 2024 dont il relève appel, a rejeté sa demande.

2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. En premier lieu, en vertu de ces mêmes dispositions, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de vérifier la qualité de l'auteur de la demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé qui doit être l'employeur ou une personne ayant qualité pour agir en son nom et habilitée à mettre en œuvre la procédure de licenciement. Toutefois, lorsque la demande d'autorisation de licenciement a été présentée par une personne n'ayant pas qualité pour agir au nom de l'employeur, elle peut être régularisée au cours de son instruction par la production de tout acte ou document, régulièrement établi postérieurement à la saisine de l'inspecteur du travail et avant que celui-ci ne statue, donnant pouvoir au signataire de la demande d'autorisation pour mettre en œuvre la procédure en cause.

4. En l'espèce, il ressort de l'article 17 des statuts de l'APEI qu'en vertu du pouvoir de délégation que détient le président de l'association, ce dernier peut déléguer tout ou partie de ses pouvoirs, avec l'accord du bureau. En l'espèce, il apparaît qu'il a délégué au directeur général de l'APEI, lors d'une réunion du conseil d'administration du 16 mai 2019, le pouvoir d'arrêter " les décisions concernant les ruptures de contrat de travail des professionnels autres que les cadres de direction ". Par une attestation en date du 15 juin 2021, antérieure à la décision de la ministre, les président, vice-président, secrétaire et trésorier de l'APEI ont indiqué que les délégations de compétence présentées par le directeur général avaient été validées lors du bureau du 6 mai 2019, avant leur présentation au conseil d'administration du 16 mai 2019. Enfin, par délégation individuelle en date du 1er novembre 2019, le président a personnellement délégué au directeur général les opérations relatives aux ruptures des contrats de travail. Par suite, et contrairement à ce que soutient M. D..., le directeur général de l'APEI avait été habilité pour demander l'autorisation de le licencier.

5. En deuxième lieu, en vertu de l'article R. 2421-1 du code du travail, la demande d'autorisation de licenciement d'un délégué syndical, d'un salarié mandaté, d'un membre de la délégation du personnel au comité social et économique interentreprises ou d'un conseiller du salarié énonce les motifs du licenciement envisagé. L'autorité administrative, si elle ne peut autoriser le licenciement d'un salarié protégé pour un motif distinct de celui qui a été invoqué par l'employeur à l'appui de sa demande, ne peut se borner à viser, dans sa décision, les motifs invoqués par l'employeur à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement et à affirmer, si tel est le cas, que ces motifs ne sont pas établis, sans indiquer si les faits reprochés au salarié étaient ou non constitutifs d'une faute suffisamment grave pour justifier son licenciement.

6. D'une part, le motif juridique du licenciement, qui est disciplinaire, est commun à la demande d'autorisation présentée en ce sens par l'APEI Chambéry et au fondement retenu dans la décision ministérielle. D'autre part, la ministre du travail, qui n'a retenu que des éléments fautifs dont faisait état l'employeur, qu'il s'agisse de la remise en question directe de l'autorité de la supérieure hiérarchique, d'une attitude d'insubordination au regard des consignes transmises par la cheffe de service, et de la rétention d'information vis-à-vis de sa supérieure ou encore de ses collègues, n'était pas tenue de retenir tous les griefs invoqués à son encontre ni de tous les qualifier de fautifs. Dans ces conditions, M. D... ne saurait soutenir que la ministre du travail aurait changé ou dénaturé la nature disciplinaire des motifs dont son employeur s'était initialement prévalu à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement.

7. En troisième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 1332-4 du code du travail : " Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales ". L'employeur ne peut pas fonder une demande d'autorisation de licenciement sur des faits prescrits en application de cette disposition, sauf si ces faits procèdent d'un comportement fautif de même nature que celui dont relèvent les faits non prescrits donnant lieu à l'engagement des poursuites disciplinaires. Par ailleurs, dans le cas où des investigations complémentaires ont été diligentées par l'employeur, elles ne sont de nature à justifier un report du déclenchement de ce délai que si elles sont nécessaires à la connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés au salarié. Il appartient au juge du fond d'apprécier cette nécessité et, dans le cas où il estime ces investigations inutiles, de déclarer la poursuite pour motif disciplinaire prescrite.

8. Il ressort des pièces du dossier que la procédure de licenciement a été diligentée à la suite du signalement effectué le 31 juillet 2020 par la responsable de M. D..., Mme C..., qui portait sur des faits survenus en juin et juillet 2020, à l'origine pour elle d'une souffrance au travail et de harcèlement moral, dont l'employeur n'avait jusque-là pas eu connaissance ni été informé, même s'ils s'inscrivaient dans le prolongement de faits commis antérieurement par l'intéressé, pour lesquels ce dernier avait déjà été dénoncé par des salariés non cadres et qui avaient donné lieu à des alertes suivies d'avertissements prononcés les 27 novembre 2019 et 27 février 2020. A cet égard, M. D..., qui n'avait sollicité une médiation que dans le cadre de son refus de signer son entretien d'évaluation professionnelle et qui n'avait indiqué qu'à la médecine du travail des difficultés touchant à l'organisation de son poste, en ce qu'il comportait deux missions, et des problèmes " avec sa hiérarchie ", ne saurait être regardé comme ayant spécialement alerté son employeur d'une dégradation de ses relations avec Mme C.... Il apparaît et n'est pas contesté qu'une enquête conjointe avec deux membres de la commission santé, sécurité et conditions de travail de l'APEI, au cours de laquelle de nombreux professionnels cadres et non cadres ont été auditionnés, a été diligentée par la direction générale de l'APEI à la suite d'alertes, notamment de Mme C..., mettant en cause le comportement de M. D.... L'APEI n'a pu avoir connaissance de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits reprochés à ce dernier qu'à l'issue de ces investigations et du rapport qui s'en est suivi, établi le 5 octobre 2020. Le délai de prescription des poursuites disciplinaires n'a donc pu commencer à courir qu'à compter de cette date. Par ailleurs, si ce rapport a constaté que les faits de non-respect du lien hiérarchique qui avaient déjà donné lieu à des avertissements étaient anciens, ils perduraient dans le temps, la demande d'autorisation de licenciement reposant sur des éléments que Mme C... a relevés à compter de février 2020 et déclarés le 30 juillet suivant. Ainsi, le requérant n'est pas fondé à soutenir qu'à la date de sa convocation à l'entretien préalable à son licenciement qui s'est tenu le 26 novembre 2020, les faits qui lui étaient imputés étaient prescrits. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.

9. En quatrième lieu, M. D... fait valoir que l'enquête interne diligentée par la société a été conduite de manière déloyale. Cependant, et alors que la consultation de représentants du personnel avant une telle enquête n'est prévue par aucun texte, il apparaît que celle-ci a été conduite conjointement par la direction générale et par la secrétaire de la commission de santé, sécurité et conditions de travail avec son responsable harcèlement, que douze personnes ont été auditionnées, comprenant des cadres et des non cadres qui avaient travaillé avec M. D... et/ou avec Mme C..., rien ne permettant de dire, au vu notamment de témoignages favorables à l'intéressé, que l'enquête se serait déroulée uniquement à charge. L'autorité administrative a donc pu, sans commettre d'irrégularité, se fonder sur cette enquête et les éléments recueillis à cette occasion.

10. En cinquième lieu, et après avoir relevé une remise en question directe de l'autorité de sa supérieure hiérarchique et une attitude d'insubordination vis-à-vis des consignes de sa chef de service, à l'origine d'un dysfonctionnement du foyer d'hébergement, ainsi que la réitération intentionnelle de comportements qui ont justifié de multiples rappels des consignes, et avaient déjà donné lieu à de précédentes sanctions disciplinaires, la ministre du travail a estimé que les agissements de M. D... revêtaient un degré de gravité suffisante pour justifier son licenciement.

11. Il ressort de la confirmation de proposition de reclassement en date du 24 octobre 2018 et de la fiche de poste " référent animation " validée par le médecin du travail et acceptée par M. D..., que ce dernier, placé sous la responsabilité hiérarchique du chef de service du site d'affectation, Mme C..., devait, compte tenu des prescriptions du médecin du travail, poursuivre sa mission de moniteur éducateur en charge d'accompagner les personnes dans les actes de la vie quotidienne sur les 1er et 2ème étages de la résidence Ryvieras, et exercer les fonctions de référent animation des foyers d'hébergement, qui comptent trois sites.

12. D'une part, M. D... soutient qu'en tant que référent animation des trois foyers il était fondé à adresser ses demandes de modification d'horaires à la directrice de l'APEI, et, en copie, à sa supérieure hiérarchique, cheffe de service. Cependant, et comme l'indique la ministre du travail dans sa décision, il apparaît que les 21, 27, 28 janvier, 16 juin et 24 juillet 2020, l'intéressé a reçu l'instruction d'envoyer ses demandes anticipées de modifications d'horaires de travail exclusivement à Mme C.... Malgré ces rappels, M. D... a persisté dans sa pratique de ne pas s'adresser uniquement à Mme C..., ayant transmis sa demande par courriels du 26 janvier 2020 à Mmes B... et Sertour, respectivement directrice des foyers d'hébergement et directrice des ressources humaines, et par courriels des 5 mai, 16 juin et 26 juillet 2020 également à Mme B.... De plus, et sans avoir demandé préalablement une modification de ses horaires, M. D... a été présent dès 8 heures 45 le 23 juillet 2020 et en a informé Mme C... par un courriel envoyé à 18 heures 35, alors que selon un courriel de cette dernière du 24 juillet 2020 il était attendu de 10 heures à 17 heures.

13. Il ressort encore des pièces du dossier que M. D..., qui n'en a pas informé Mme C... et n'a pas donné suite à ses demandes d'explications, n'a pas participé à une réunion de travail qu'elle avait organisée le 21 juillet 2020 et dont il ne remet pas sérieusement en cause la tenue. L'intéressé n'a pas davantage répondu à des courriels de Mme C..., qui justifiaient la communication d'écrits, à propos de l'annulation d'un séjour pour un intervenant extérieur ainsi que des modalités sanitaires et du nombre de spectateurs rassemblés pour un spectacle. Sur ce dernier point, le fait que ce spectacle se serait déroulé en plein air ou qu'il aurait relevé de la responsabilité de la directrice ne dispensait pas l'intéressé d'apporter une réponse. En outre, l'intéressé, qui a reconnu lors des enquêtes administratives ne pas avoir répondu à deux courriels des 21 et 24 juillet 2020, ne saurait sérieusement opposer, pour s'en justifier, qu'ayant déjà été licencié, il n'avait pu rechercher dans son ordinateur les réponses apportées à ces derniers. Par ailleurs, la proximité des bureaux de Mme C... et de M. D... et le fait que certains courriels n'appelaient pas de réponse ne suffisent pas à justifier l'absence de réponse aux messages précédemment cités. Enfin, si plus de la moitié des courriels versés au dossier sont antérieurs à janvier 2020, il apparaît que leur présence est destinée à montrer que le comportement pour lequel M. D... a fait l'objet du licenciement contesté, qui repose seulement sur des faits postérieurs à février 2020, date du dernier des avertissements, s'inscrit dans la continuité d'attitudes de non-respect des procédures et de la hiérarchie ainsi que de court-circuitage de cette dernière.

14. Et il apparaît et n'est pas contesté que M. D... a refusé de se garer en marche arrière sur le parking, malgré des demandes en ce sens adressées pour des raisons de sécurité compte tenu de la fréquentation du lieu par des piétons, l'impossibilité pour lui de subir des mouvements répétés de rotation du tronc ne constituant pas une justification crédible.

15. Dans ces conditions, M. D... n'est pas fondé à soutenir que le motif tenant à l'absence de respect des consignes de sa supérieure hiérarchique ne serait pas établi.

16. D'autre part, M. D... fait valoir qu'en vertu de son obligation générale de sécurité, dont plus spécifiquement la prévention des risques professionnels et la protection de la santé physique et mentale de ses salariés, son employeur aurait dû mettre en œuvre toutes les mesures nécessaires pour régler le conflit persistant entre sa responsable de service et lui-même et notamment le changer de service. Il ajoute qu'il aurait fait de nombreuses alertes sur ses difficultés relationnelles avec sa responsable de service qui adoptait un comportement hostile à son encontre et qui est à l'origine de cette situation, ainsi que sur l'organisation inadaptée de son poste, de sorte qu'eu égard aux manquements de son employeur, son comportement ne peut être qualifié de fautif.

17. Toutefois, si lors d'une réunion des délégués du personnel le 25 février 2019, il a fait part de difficultés avec sa chef de service, il n'apparaît pas, contrairement à ce qu'il soutient, que la directrice des foyers d'hébergement, qui l'a démenti formellement notamment par un courriel du 20 janvier 2020, en ces termes : " je vous le répète pour la nième fois : votre responsable hiérarchique est Mme C... ", se serait engagée à ce qu'il ne soit plus rattaché à cette dernière. Il ne saurait par ailleurs valablement se prévaloir d'une demande de médiation avec sa chef de service non suivie d'effet, qui a été présentée dans un contexte de refus de signer un compte-rendu d'entretien professionnel et alors qu'il ne s'est pas même rendu à la convocation dont il avait fait l'objet dans le cadre de l'enquête le concernant pour s'exprimer sur les griefs émis à son encontre. En outre, si M. D... fait valoir qu'au regard de ses restrictions d'aptitude, l'organisation de son travail, compte tenu de sa double fonction, engendre une fatigue dont ne tiendrait pas compte son employeur, il apparaît qu'il a été régulièrement suivi par la médecine du travail, que l'ensemble des restrictions préconisées par cette dernière ont été respectées dans le réaménagement interne de ses fonctions crées exclusivement pour lui en 2018 et que si le médecin du travail a surveillé l'évolution de son état de santé, il n'a ni formulé de restrictions sur la nouvelle fiche de poste, ni préconisé un changement de service. Enfin, si l'ensemble de ses collègues attesteraient selon lui de son professionnalisme, il résulte de l'instruction que les témoins qu'il a sollicités, soit avaient quitté l'APEI avant 2018 ou avant qu'il ne travaille sous la direction de Mme C..., soit n'apportaient pas d'éclairage particulier sur ses relations avec cette dernière. Par suite, M. D... est infondé à soutenir que son employeur a ignoré le comportement inadapté à son égard de sa responsable hiérarchique et n'a pris aucune mesure pour y remédier.

18. Il résulte de ce qui précède que la ministre a estimé à bon droit que les faits reprochés à M. D... étaient fautifs. Eu égard aux circonstances dans lesquelles ils se sont produits, à leur caractère répété et récidivant malgré plusieurs avertissements dont a fait l'objet M. D..., ils étaient suffisamment graves pour justifier un licenciement. Par suite, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que la décision ministérielle du 6 décembre 2021 serait entachée d'une erreur d'appréciation.

19. En dernier lieu, pour justifier de ce qu'elle serait en lien avec ses fonctions représentatives, M. D... soutient que la procédure de licenciement aurait pour origine l'information sur les problèmes de gestion du personnel liés à la gestion par Mme C... du foyer de Ryviéraz qu'il a fournie lors de la réunion des délégués du personnel du 25 juillet 2019. Toutefois, ainsi qu'il a été dit précédemment, le fait d'avoir indiqué " une gestion du personnel compliquée avec une direction trop présente et une mauvaise utilisation des coordinateurs " et l'existence de deux avertissements antérieurs pour des motifs identiques ne sauraient suffire à justifier d'un tel lien.

20. Il résulte de ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Sa requête doit être rejetée en toutes ses conclusions. Il y a lieu en revanche, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros à verser à l'APEI de Chambéry.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : M. D... versera à l'APEI Chambéry une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à l'association des parents d'enfants inadaptés de Chambéry et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.

Délibéré après l'audience du 17 avril 2025 à laquelle siégeaient :

M. Picard, président de chambre ;

Mme Duguit-Larcher, présidente assesseure ;

Mme Boffy, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2025.

La rapporteure,

I. Boffy

Le président,

V-M. PicardLa greffière,

A. Le ColleterLa République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

La greffière,

2

N° 24LY01920

kc


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 24LY01920
Date de la décision : 06/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Procédure préalable à l'autorisation administrative.

Travail et emploi - Licenciements - Autorisation administrative - Salariés protégés - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation - Licenciement pour faute - Existence d'une faute d'une gravité suffisante.


Composition du Tribunal
Président : M. PICARD
Rapporteur ?: Mme Irène BOFFY
Rapporteur public ?: M. RIVIERE
Avocat(s) : ALTER AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/05/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-06;24ly01920 ?
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