Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
M. D... E... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler l'arrêté du 21 février 2023 par lequel la préfète du Rhône a prononcé son expulsion du territoire français et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2302719 du 11 juin 2024, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour
Par une requête, enregistrée le 12 août 2024, M. D... E..., représenté par Me Bescou, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône de lui délivrer un certificat de résidence de dix ans, ou à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande de renouvellement de titre de séjour, le tout dans le délai de deux mois à compter de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et dans l'attente du certificat de résidence de dix ans ou du réexamen de sa demande, de lui délivrer un récépissé de renouvellement de titre de séjour, assorti d'une autorisation de travail ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision d'expulsion est entachée d'un vice de procédure pour défaut de saisine pour avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ;
- elle est entachée d'erreurs de fait et de droit dans l'application de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision désignant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision d'expulsion ;
- elle méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La préfète du Rhône, qui a reçu communication de la requête, n'a pas présenté d'observations.
Par décision du 9 octobre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle a donné acte du désistement de M. E... de sa demande d'aide juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Porée, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Laval, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant algérien, né le 7 novembre 1969, s'est vu délivrer un certificat de résidence de dix ans, qui a été renouvelé pour la dernière fois le 1er avril 2013. Après un avis favorable à son expulsion émis par la commission départementale d'expulsion du 30 janvier 2023, la préfète du Rhône a, par un arrêté du 21 février 2023, prononcé son expulsion du territoire français et a fixé le pays de destination. M. E... relève appel du jugement du 11 juin 2024 par lequel le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande en annulation de cet arrêté.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion qu'en cas de comportements de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de l'Etat, ou liés à des activités à caractère terroriste, ou constituant des actes de provocation explicite et délibérée à la discrimination, à la haine ou à la violence contre une personne déterminée ou un groupe de personnes : (...) 5° L'étranger résidant habituellement en France si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. (...) ". Aux termes de l'article R. 631-1 de ce code : " L'autorité administrative constate l'état de santé de l'étranger défini au 5° de l'article L. 631-3 dans les conditions prévues aux articles R. 611-1 et R. 611-2. ". Aux termes de l'article R. 611-1 du même code : " Pour constater l'état de santé de l'étranger mentionné au 9° de l'article L. 611-3, l'autorité administrative tient compte d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (...) ". Aux termes de l'article R. 611-2 du même code : " L'avis mentionné à l'article R. 611-1 est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu : 1° D'un certificat médical établi par le médecin qui suit habituellement l'étranger ou un médecin praticien hospitalier ; 2° Des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. (...) ". Enfin, aux termes de l'article 9 de l'arrêté susvisé du 27 décembre 2016 : " L'étranger qui, dans le cadre de la procédure prévue aux titres I et II du livre V du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sollicite le bénéfice des protections prévues au 10° de l'article L. 511-4 ou au 5° de l'article L. 521-3 du même code [devenu l'article L. 631-3] est tenu de faire établir le certificat médical mentionné au deuxième alinéa de l'article 1er (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque l'étranger se trouvant dans la situation prévue au 5° de l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile demande à bénéficier de cette procédure, le préfet doit, préalablement à sa décision, recueillir l'avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration sur son état de santé.
3. S'il ressort du courrier du 27 janvier 2023 que le conseil de M. E... a adressé à la commission départementale d'expulsion et du procès-verbal de ladite commission, que M. E... a fait état de la schizophrénie dont il est atteint, en joignant le rapport d'expertise psychiatrique établi le 28 décembre 2022 dans le cadre de la procédure pénale dont il faisait alors l'objet, il ressort de ces pièces qu'il n'a demandé le bénéfice des protections contre l'expulsion prévues par l'article L. 631-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'au titre d'une résidence régulière sur le territoire français pendant certaines durées, notamment depuis plus de vingt ans, et non au titre du 5° de cet article qui ne vise qu'une résidence habituelle, sans fixer de durée précise, pour un étranger invoquant son état de santé, et qu'il ne s'est prévalu de son état psychiatrique qu'afin d'expliquer une altération du discernement et du contrôle de ses actes pouvant selon lui justifier les infractions commises. En tout état de cause, le courrier précité du 27 janvier 2023, le procès-verbal de la commission départementale d'expulsion et le rapport d'expertise psychiatrique du 28 décembre 2022 ne font pas état de défauts de suivis médicaux et de traitements en Algérie. Par suite, M. E... n'est pas fondé à soutenir que la décision d'expulsion serait entachée de vice de procédure en l'absence de consultation du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 631-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut décider d'expulser un étranger lorsque sa présence en France constitue une menace grave pour l'ordre public, sous réserve des conditions propres aux étrangers mentionnés aux articles L. 631-2 et L. 631-3. ". Aux termes de l'article L. 631-2 de ce code : " Ne peut faire l'objet d'une décision d'expulsion que si elle constitue une nécessité impérieuse pour la sûreté de l'Etat ou la sécurité publique et sous réserve que l'article L. 631-3 n'y fasse pas obstacle : (...) 3° L'étranger qui réside régulièrement en France depuis plus de dix ans (...) ".
5. Il ressort du bulletin n° 2 du casier judiciaire de M. E... du 4 octobre 2022 qu'il a été condamné entre les 3 novembre 1993 et 25 janvier 2021 à onze reprises pour vols, quatre fois pour recel de bien provenant d'un vol, à deux reprises pour dégradation ou détérioration d'un bien appartenant à autrui, vingt fois pour des infractions routières de conduite d'un véhicule sous l'empire d'un état alcoolique, sans permis de conduire ou malgré l'annulation judiciaire du permis de conduire ou l'interdiction d'obtenir la délivrance dudit permis, sans assurance, de refus de se soumettre aux vérifications tendant à établir l'état alcoolique ou l'usage de stupéfiants, de refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter et de délit de fuite après un accident, une fois pour usage illicite de stupéfiants, à huit reprises pour blessures involontaires ou violences, notamment avec usage ou menace d'une arme ou sur personne dépositaire de l'autorité publique, sept fois pour port prohibé ou sans motif légitime d'armes, à huit reprises pour menaces de mort notamment à l'encontre d'une personne dépositaire de l'autorité publique et d'une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié par un Pacs, et une fois pour outrage à un agent d'un exploitant de réseau de transport public de voyageurs, pour un total de 279 mois d'emprisonnement, soit plus de vingt-trois ans. Si M. E... soutient qu'il n'a pas exécuté l'intégralité de ces peines prononcées en raison de la remise automatique de réductions de peines avant le 1er janvier 2023, il ne le démontre pas, alors qu'il ressort du bulletin n° 2 de son casier judiciaire que le juge judiciaire a procédé à des retraits de crédits de réductions de peines. En outre, il ressort des pièces du dossier, notamment du procès-verbal de la commission d'expulsion, du courrier de la préfète du Rhône du 10 février 2023 notifiant l'avis rendu par la commission d'expulsion et du rapport d'expertise psychiatrique du 28 décembre 2022 que M. E... se trouve à la maison d'arrêt de Lyon-Corbas depuis le 12 décembre 2022. Dans ces conditions, si M. E... est entré une seconde fois régulièrement sur le territoire français le 3 novembre 1992 sous couvert d'un passeport revêtu d'un visa long séjour, puis a été titulaire d'un certificat de résidence de dix ans valable à partir du 1er avril 1993, il n'a pas résidé régulièrement en France pendant plus de dix ans à la date de la décision attaquée, après déduction des plus de vingt-trois années cumulées d'emprisonnement qui ne peuvent être regardées comme une période de résidence régulière au sens du 3° de l'article L. 631-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par suite, les moyens tirés d'erreurs de fait et de droit dans l'application de ces dispositions doivent être écartés.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
7. M. E... a vécu vingt-deux années en Algérie où il ne peut être dépourvu de toute attache personnelle, et si l'intéressé est entré pour la dernière fois sur le territoire français le 3 novembre 1992, il ne justifie pas d'une insertion dans la société française en se bornant à démontrer être titulaire de l'allocation adultes handicapés, alors qu'il résulte du point 5 du présent arrêt que le requérant a commis de très nombreuses infractions depuis son arrivée sur le territoire français, et qu'il a à nouveau été condamné le 30 septembre 2022 pour ports sans motif légitime d'armes, en l'espèce un couteau pliant et un katana, commis les 15 et 28 septembre 2022. En outre, si M. E... soutient avoir trois enfants de nationalité française, il ne conteste pas les mentions de l'arrêté en litige selon lesquelles le juge des enfants a constaté que l'enfant Jenaa n'avait pas de lien de filiation établi avec le requérant, et il ne démontre pas avoir des relations avec ses fils B... et A..., alors qu'il ressort du procès-verbal de la commission départementale d'expulsion que M. E... pourrait dans l'avenir avoir des liens avec ses enfants, du rapport d'expertise psychiatrique du 28 décembre 2022 qu'il ignore la profession de B..., et d'un procès-verbal de la police aux frontières du 21 mars 2023 qu'il ne sait pas exactement si A... est en foyer. M. E... ne prouve pas davantage entretenir des relations avec trois frères et deux sœurs vivant en France selon ses allégations, alors qu'il ressort du jugement du tribunal correctionnel de Lyon du 30 septembre 2022 qu'il est sans domicile fixe, et du procès-verbal de la commission d'expulsion du 30 janvier 2023 qu'il vit dans la rue. De plus, s'il ressort des pièces du dossier que M. E... est atteint de schizophrénie, provoquant un repli autistique, un syndrome de discordance et des hallucinations auditives et visuelles, et qu'il bénéficie d'un traitement contre l'addiction aux drogues, le requérant ne démontre pas qu'il ne pourrait pas bénéficier effectivement en Algérie de suivis et traitements appropriés à son état de santé. Enfin, il ressort du rapport d'expertise psychiatrique du 28 décembre 2022 que des membres de sa fratrie vivent dans son pays d'origine. Dans ces conditions, en édictant une mesure d'expulsion à son encontre, la préfète du Rhône n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de M. E..., une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Par suite, elle n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
8. En quatrième lieu, il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de la décision d'expulsion du territoire français à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.
9. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
10. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés au point 7 du présent arrêt, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que M. E... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE:
Article 1er : La requête de M. E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.
Délibéré après l'audience du 15 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Pruvost, président de chambre,
M. Haïli, président-assesseur,
M. Porée, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juin 2025.
Le rapporteur,
A. Porée
Le président,
D. Pruvost
La greffière,
M. C...
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
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N° 24LY02380