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25/06/2025 | FRANCE | N°23LY01135

France | France, Cour administrative d'appel de LYON, 3ème chambre, 25 juin 2025, 23LY01135


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



L'association " Biodiversité sous nos pieds " a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 11 septembre 2020 par lequel le préfet de la Savoie a accordé une dérogation aux dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement en vue du remplacement du télésiège du Marais au bénéfice de la société des téléphériques de la Grande Motte sur le territoire de la commune de Tignes.



Par un jugement n° 2006571 du 31 janvier 2023,

le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de l'association comme irrecevable.



Procéd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

L'association " Biodiversité sous nos pieds " a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 11 septembre 2020 par lequel le préfet de la Savoie a accordé une dérogation aux dispositions de l'article L. 411-1 du code de l'environnement en vue du remplacement du télésiège du Marais au bénéfice de la société des téléphériques de la Grande Motte sur le territoire de la commune de Tignes.

Par un jugement n° 2006571 du 31 janvier 2023, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande de l'association comme irrecevable.

Procédure devant la cour

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 30 mars 2023, 17 avril 2024 et 13 juin 2024, l'association " Biodiversité sous nos pieds ", représentée par Me Basset, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 janvier 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 11 septembre 2020 du préfet de la Savoie ;

3°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et la commune de Tignes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les premiers juges ont entaché leur jugement d'une irrégularité en rejetant la requête comme irrecevable ;

- ils ont méconnu le principe du contradictoire ;

- les visas de ses moyens portés dans le jugement sont incomplets ;

- le jugement est insuffisamment motivé ;

- elle dispose d'un intérêt lui donnant qualité à agir, ainsi que le Conseil d'Etat l'a admis par sa décision n° 469526 du 8 avril 2024 ;

- l'arrêté est insuffisamment motivé au regard de la loi du 11 juillet 1979 et de l'arrêté du 19 février 2007 fixant les conditions de demande et d'instruction des dérogations définies au 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement portant sur des espèces de faune et de flore sauvages protégées dès lors qu'il omet un ensemble d'espèces protégées qui apparaissent pourtant dans l'étude fournie par la société pétitionnaire ;

- le projet ne répond pas aux conditions cumulatives pour accorder une dérogation ;

- l'arrêté omet de nombreuses espèces dans la liste des espèces protégées concernées, en méconnaissance de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ;

- le projet n'est pas motivé par un intérêt public majeur ;

- les mesures d'évitement, réduction ou compensation sont insuffisantes ;

- la dérogation nuit au maintien des espèces dans un état de conservation favorable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 12 mars 2024, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- le jugement n'est pas irrégulier ;

- l'association requérante n'a pas intérêt à agir ;

- les moyens soulevés par l'association ne sont pas fondés.

Par deux mémoires en intervention enregistrés les 12 mars et 22 mai 2024, la commune de Tignes, représentée par Me Laplanche, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'association " Biodiversité sous nos pieds " une somme de 6 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'association requérante n'a pas intérêt à agir ;

- le jugement est régulier ;

- les moyens soulevés ne sont pas fondés.

Par une ordonnance du 14 juin 2024, la clôture de l'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 5 juillet 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Felmy, présidente-assesseure,

- les conclusions de Mme Lordonné, rapporteure publique,

- les observations de Me Basset, représentant l'association " Biodiversité sous nos pieds ", et celles de Me Laplanche, représentant la commune de Tignes.

Considérant ce qui suit :

1. La société des téléphériques de la Grande Motte, titulaire d'une délégation de service public du télésiège du Marais du domaine skiable de la commune de Tignes, a sollicité auprès des services préfectoraux la délivrance d'une autorisation de travaux en réserve naturelle nationale et d'une dérogation à la destruction d'espèces protégées en application de l'article L. 411-2 du code de l'environnement dans le cadre du remplacement de ce télésiège, dans la réserve naturelle nationale de Tignes-Campagny, sur le territoire de la commune de Tignes. Le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel Auvergne Rhône-Alpes (CSRPN) a émis deux avis favorables à ce projet, les 7 et 14 mai 2020. Par un arrêté du 11 septembre 2020, le préfet de la Savoie a délivré la dérogation sollicitée. L'association " Biodiversité sous nos pieds " relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Grenoble a rejeté comme irrecevable sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur l'intervention en défense :

2. La commune de Tignes, propriétaire du domaine skiable, a intérêt au maintien de l'arrêté attaqué. Par suite, son intervention en défense doit être admise.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'environnement : " Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 (...) justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément ".

4. D'une part, il appartient aux associations qui, en l'absence de délivrance de l'agrément prévu par les dispositions de l'article L. 141-1 du code de l'environnement, ne bénéficient pas de la présomption d'intérêt à agir, instaurée par l'article L. 142-1 du même code, de justifier, comme tout requérant, d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour agir. D'autre part, pour apprécier si une association justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre un acte, il appartient au juge, en l'absence de précisions sur le champ d'intervention de l'association dans les stipulations de ses statuts définissant son objet, d'apprécier son intérêt à agir contre cet acte au regard de son champ d'intervention en prenant en compte les indications fournies sur ce point par les autres stipulations des statuts, notamment par le nom de l'association et les conditions d'adhésion, éclairées, le cas échéant, par d'autres pièces du dossier. Le juge ne saurait ainsi se fonder sur la seule circonstance que l'objet d'une association, tel que défini par ses statuts, ne précise pas de ressort géographique, pour en déduire que l'association a un champ d'action national et qu'elle n'est donc pas recevable à demander l'annulation d'actes administratifs ayant des effets exclusivement locaux. Si, en principe, une décision administrative présentant un champ d'application territorial fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, une telle qualité peut néanmoins lui être reconnue lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales.

5. L'association " Biodiversité sous nos pieds ", qui n'est pas agréée au titre de l'article L. 141-1 du code de l'environnement, a pour objet, en vertu de l'article 2 de ses statuts " de souligner un manque relatif de protection juridique, de considération politique et scientifique pour l'état des sols et en particulier la vie qui les occupe ; agir pour augmenter la visibilité de cet enjeu ; intégrer les problématiques des sols et la vie qui les occupe dans une démarche de protection de l'environnement ; protéger la qualité des sols voir l'améliorer (...) ; protéger et préserver (...) l'avenir des écosystèmes (...). En d'autres termes ; elle a pour but d'agir pour la biodiversité des sols, la nature et l'Homme et lutter contre le déclin de la biodiversité des sols par la mobilisation, la sensibilisation et l'éducation ". L'article 4 de ses statuts précise également que : " (...) l'association œuvre à : (...) la défense, la sauvegarde et la gestion de la biodiversité des sols en (...) estant en justice (...) ". Son article 3 précise que son siège social est fixé à Grenoble.

6. Ainsi que le tribunal l'a retenu, l'arrêté attaqué porte dérogation au titre de l'article L. 411-2 du code de l'environnement concernant deux espèces de papillons, l'Apollon (Parnassius Apollo) et le Solitaire, ainsi que quatre espèces végétales, dans le cadre d'un projet limité à la rénovation d'un télésiège existant dont le tracé n'est pas modifié. Toutefois, si les statuts de l'association requérante ne définissent aucune limite territoriale à la portée de son action, en particulier en ce qui concerne son intervention dans le département de l'Isère, où se situe son siège social, ou des départements limitrophes tels que la Savoie, celle-ci justifie d'un intérêt pour agir suffisamment direct et certain pour contester l'arrêté en litige au regard de la sauvegarde des intérêts liés à la protection de l'environnement et de la biodiversité qu'elle entend protéger, en raison de la présence de falaises d'intérêt communautaire, d'espaces perméables relais surfaciques de la trame verte et bleue, d'une zone naturelle d'intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF) de types I et II, de deux zones humides, de deux zones Natura 2000 proches du projet, et d'une réserve naturelle nationale de Tignes-Champagny couvrant les deux tiers du site du projet. En particulier, les travaux autorisés sont susceptibles d'entraîner la destruction de l'espèce de papillon Parnassius Apollo dite " espèce parapluie ", aperçue, ainsi qu'il résulte de l'étude réalisée par le bureau d'études Karum, à proximité de la zone d'étude qui héberge un habitat favorable à sa reproduction, et par voie de conséquence d'autres espèces faisant partie d'un écosystème global non strictement circonscrit à la zone géographique des travaux. C'est donc à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont accueilli la fin de non-recevoir opposée en défense. Ils ont, pour ce motif, entaché leur jugement d'irrégularité.

7. Il résulte de ce tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de régularité du jugement attaqué, que l'association " Biodiversité sous nos pieds " est fondée à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté sa demande. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de renvoyer l'association " Biodiversité sous nos pieds " devant le tribunal administratif de Grenoble pour qu'il soit à nouveau statué sur sa demande.

Sur les frais liés au litige :

8. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des parties les sommes que chacune d'entre elles demande sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en particulier la commune de Tignes qui n'est pas fondée à s'en prévaloir en sa qualité d'intervenante.

D E C I D E :

Article 1er : L'intervention de la commune de Tignes est admise.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Grenoble du 31 janvier 2023 est annulé.

Article 3 : La demande de l'association " Biodiversité sous nos pieds " est renvoyée devant le tribunal administratif de Grenoble.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Biodiversité sous nos pieds ", à la société des téléphériques de la Grande Motte, à la commune de Tignes et au ministre de la transition écologique, de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche.

Copie en sera adressée au préfet de la Savoie.

Délibéré après l'audience du 10 juin 2025 à laquelle siégeaient :

M. Jean-Yves Tallec, président de chambre,

Mme Emilie Felmy, présidente-assesseure,

Mme Vanessa Rémy-Néris, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 25 juin 2025.

La rapporteure,

Emilie FelmyLe président,

Jean-Yves Tallec

La greffière,

Noémie Lecouey

La République mande et ordonne au préfet de la Savoie en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

2

N° 23LY01135


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01135
Date de la décision : 25/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

54-01-04-02-02 Procédure. - Introduction de l'instance. - Intérêt pour agir. - Existence d'un intérêt. - Syndicats, groupements et associations.


Composition du Tribunal
Président : M. TALLEC
Rapporteur ?: Mme Emilie FELMY
Rapporteur public ?: Mme LORDONNE
Avocat(s) : BASSET

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-25;23ly01135 ?
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