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05/03/2020 | FRANCE | N°19MA00552

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 1ère chambre, 05 mars 2020, 19MA00552


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les arrêtés du 27 novembre 2018 par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1809820 du 3 décembre 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregis

trée le 1er février 2019, M. A..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le ju...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler les arrêtés du 27 novembre 2018 par lesquels le préfet des Bouches-du-Rhône lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1809820 du 3 décembre 2018, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête enregistrée le 1er février 2019, M. A..., représenté par Me D..., demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 décembre 2018 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 27 novembre 2018 portant obligation de quitter le territoire français sans délai et fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement, ;

3°) d'annuler l'arrêté du 27 novembre 2018 portant assignation à résidence ;

4°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard aux risques auxquels il est exposé dans son pays d'origine ;

- la décision lui refusant un délai pour quitter le territoire français est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- il ne pouvait faire l'objet d'une assignation à résidence, car il n'a pas troublé l'ordre public et justifie de garanties de représentation.

La procédure a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à 25% par une décision du 30 avril 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E...,

- et les observations de Me B... remplaçant Me D..., représentant le requérant.

Considérant ce qui suit :

1. Par arrêté du 27 novembre 2018, le préfet des Bouches-du-Rhône a fait obligation de quitter le territoire français sans délai à M. A..., ressortissant turc, et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Par arrêté du même jour, le préfet a prononcé l'assignation à résidence de l'intéressé. Par un jugement du 3 décembre 2018, dont le requérant relève appel, le magistrat désigné du tribunal administratif de Marseille a rejeté ses demandes tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, les moyens tirés de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait insuffisamment motivée, méconnaîtrait l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et serait entachée d'erreur manifeste d'appréciation doivent être écartés par adoption des motifs retenus, à bon droit, par le tribunal.

3. En deuxième lieu, la circonstance que M. A... serait exposé à des risques pour sa sécurité personnelle en Turquie est sans influence sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui n'emporte pas en elle-même retour de l'intéressé dans son pays d'origine.

Sur la décision de ne pas accorder un délai au requérant pour quitter le territoire français :

4. Aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Pour satisfaire à l'obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l'étranger dispose d'un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter, à cet effet, un dispositif d'aide au retour dans son pays d'origine. Eu égard à la situation personnelle de l'étranger, l'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours. Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / b) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation du visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / c) Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français plus d'un mois après l'expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ; / d) Si l'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ; / e) Si l'étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d'identité ou de voyage ; / f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut justifier de la possession de documents d'identité ou de voyage en cours de validité, ou qu'il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu'il n'a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2.1 (...) ".

5. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui s'est maintenu sur le territoire français sans déférer à une précédente mesure d'éloignement du territoire national du 2 avril 2015, qui lui a été notifiée le même jour, entrait dans le cas visé au d) 3° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut refuser d'accorder, pour ce seul motif, un délai de départ volontaire. Par suite, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de cette décision doit être écarté.

Sur la décision fixant le pays de destination.

6. L'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales stipule que : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Ces stipulations font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de renvoi d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de renvoi ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée.

7. M. A... produit le jugement rendu par la cour d'assise de Mus, en Turquie, le 14 mai 2018, le condamnant à une peine de cinq ans de prison en raison de sa participation à une manifestation en 2009, alors qu'il était mineur. Si M. A... s'est vu refuser par l'OFPRA en 2010 la reconnaissance de la qualité de réfugié, le préfet ne conteste pas l'authenticité de ce jugement. Le requérant établit ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, être exposé dans son pays d'origine à un risque réel pour sa personne. En fixant la Turquie comme pays de destination, le préfet des Bouches-du-Rhône a méconnu l'article 3 précité de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et de l'arrêté attaqué dans cette mesure.

Sur la décision portant assignation à résidence :

8. L'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose : Lorsque l'étranger justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, l'autorité administrative peut, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, l'autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l'assignant à résidence, dans les cas suivants :1° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai ou si le délai de départ volontaire qui lui a été accordé est expiré ;".

9. Eu égard à l'illégalité de la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement pour les motifs indiqués au point 7, il n'existait pas à la date de l'arrêté attaqué de perspective raisonnable d'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. M. A... est fondé dans ces conditions à soutenir que la décision par laquelle le préfet de l'Hérault a prononcé à son encontre une assignation à résidence est illégale et à demander l'annulation du jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté portant assignation à résidence ainsi que de cet arrêté.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

10. L'article L. 911-1 du code de justice administrative dispose : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ". Aux termes de l'article L. 911-2 du même code : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. La juridiction peut également prescrire d'office l'intervention de cette nouvelle décision. ". Enfin l'article L. 512-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dispose: " Si l'obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 513-4, L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas. Si la décision de ne pas accorder de délai de départ volontaire ou la décision d'assignation à résidence est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 551-1, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2 et le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin rappelle à l'étranger son obligation de quitter le territoire français dans le délai qui lui sera fixé par l'autorité administrative en application du II de l'article L. 511-1 ou du sixième alinéa de l'article L. 511-3-1. Ce délai court à compter de sa notification. ".

11. L'annulation des décisions fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et assignant à résidence le requérant n'implique pas que le préfet procède au réexamen de la situation de M. A.... Ses conclusions aux fins d'injonction doivent dès lors être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. A... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 décembre 2018 est annulé en tant qu'il a rejeté les demandes de M. A... tendant à l'annulation des décisions fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement et portant assignation à résidence.

Article 2 : L'arrêté du 27 novembre 2018 portant obligation de quitter le territoire français est annulé en tant qu'il fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement.

Article 3 : L'arrêté du 27 novembre 2018 portant assignation à résidence est annulé.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me D..., à Me B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire d'Aix-en-Provence.

2

N° 19MA00552

hw


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 19MA00552
Date de la décision : 05/03/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. POUJADE
Rapporteur ?: M. Philippe PORTAIL
Rapporteur public ?: Mme GIOCANTI
Avocat(s) : GHERIB

Origine de la décision
Date de l'import : 18/04/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-03-05;19ma00552 ?
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