Vu la procédure suivante :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 25 février et 7 décembre 2020, la SAS Véo Bassin de Thau, représentée par Me Jauffret, demande à la cour :
1°) d'annuler la décision du 13 décembre 2019 de la Commission nationale d'aménagement cinématographique autorisant la société Cinémas Frontignan à créer un établissement de spectacles cinématographiques à Frontignan ;
2°) de mettre à la charge de la société Cinémas Frontignan la somme de 6 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- la décision attaquée n'indique ni que la commission aurait été régulièrement composée, ni que ses membres auraient été convoqués ;
- le pétitionnaire n'avait pas qualité pour présenter la demande ;
- le rapport d'instruction devant la commission départementale d'aménagement cinématographique est incomplet ;
- le dossier de demande est incomplet ;
- le projet porte atteinte à la diversité cinématographique ;
- il porte également atteinte à l'aménagement culturel du territoire, à la protection de l'environnement et à la qualité de l'urbanisme ;
- il méconnaît le schéma de cohérence territoriale du syndicat mixte du bassin de Thau ;
- le projet est situé dans une zone visée par un plan de prévention des risques d'inondation.
Par des observations en défense, enregistrés le 26 novembre 2020 et le 13 janvier 2021, la Commission nationale d'aménagement cinématographique, représentée par la SELARL Aléo, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la SAS Véo Bassin de Thau ;
2°) de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens soulevés par la SAS Véo Bassin de Thau ne sont pas fondés.
La requête a été communiquée à la société Cinémas Frontignan et à la ministre de la culture, qui n'ont pas produit d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du cinéma et de l'image animée ;
- le code de justice administrative.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Merenne,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me Leraisnable, représentant le Centre national du cinéma et de l'image animée, et de Mme A..., directrice de la société Cinémas Frontignan.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision implicite du 29 septembre 2019, la commission départementale d'aménagement cinématographique de l'Hérault a autorisé la société Cinémas Frontignan à créer un établissement de spectacles cinématographiques de quatre salles et 595 places sous l'enseigne " Première " à Frontignan. La SAS Véo Bassin de Thau, qui exploite deux établissements cinématographiques à Sète, a formé un recours contre cette décision. La Commission nationale d'aménagement cinématographique a rejeté ce recours par une décision du 13 septembre 2019, dont la SAS Véo Bassin de Thau demande l'annulation.
Sur la légalité externe :
2. En premier lieu, il ressort des pièces produites que les membres de la commission nationale ont été régulièrement convoqués, conformément à l'article R. 212-7-26 du code du cinéma et de l'image animée.
3. En deuxième lieu, le moyen tiré de l'irrégularité de la composition de la commission nationale n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé.
4. En troisième lieu, le caractère prétendument incomplet du rapport de la direction régionale des affaires culturelles devant la commission départementale est sans incidence sur la légalité de la décision de la commission nationale.
5. En quatrième lieu, aucune disposition n'impose à la décision de la commission nationale de comporter certaines mentions sur la régularité de sa composition ou la convocation de ses membres.
Sur la légalité interne :
En ce qui concerne la demande d'autorisation :
6. La commune de Frontignan est propriétaire du terrain d'assiette du projet. La demande était accompagnée d'une délibération du 9 juillet 2018 du conseil municipal autorisant la SARL GPCI ou toute autre société s'y substituant à demander une autorisation d'aménagement cinématographique pour un projet sur cette parcelle. Le pétitionnaire justifiait ainsi de sa qualité pour présenter la demande, conformément à l'article R. 212-7-1 du code du cinéma et de l'image animée.
7. Il ressort tant de la décision de la commission nationale elle-même que du rapport d'instruction devant elle que la commission a pris en compte l'ouverture par la société requérante d'un établissement cinématographique de trois salles à Sète le 1er décembre 2019. A supposer que cette information ait été connue du pétitionnaire lors du dépôt de la demande, son absence au dossier n'a pas eu d'influence sur l'appréciation portée par la commission.
En ce qui concerne l'effet potentiel du projet sur la diversité cinématographique :
8. La commission nationale a retenu que le projet, qui se substitue à un cinéma mono-écran de 152 places, contribuera à redynamiser la fréquentation de la zone d'influence cinématographique, que la programmation entraînera une augmentation sensible du nombre et de la durée d'exposition des films, ainsi qu'une multiplication du choix des séances, ce qui renforcera la diversité et l'exposition de l'offre cinématographique, et que l'établissement proposera 260 films inédits par an, dont une centaine de films diffusés dès leur première sortie nationale, ce qui permettra d'améliorer sensiblement l'accès des spectateurs aux films dès leur sortie nationale.
9. La société requérante fait valoir que les établissements existants à Mèze et à Sète, situés à plus de dix minutes en voiture, proposent également une proportion importante de films recommandés " art et essai ". Toutefois, cette seule circonstance ne suffit pas pour remettre en cause l'appréciation portée par la commission sur la contribution du projet à la diversité cinématographique au regard des motifs exposés ci-dessous. La société requérante fait en outre valoir que la zone d'influence cinématographique connaît une difficulté d'accès aux films, dont la proportion diffusée dès leur première sortie nationale est faible. Le projet a cependant une influence positive sur ce point.
10. Le moyen tiré de ce que le projet porte atteinte à la diversité cinématographique doit donc être écarté.
En ce qui concerne l'effet du projet sur l'aménagement culturel du territoire, la protection de l'environnement et la qualité de l'urbanisme :
11. En premier lieu, le projet prévoit la création d'un établissement de quatre salles dans le centre-ville de la commune de Frontignan (22 800 habitants), alors que la commune voisine de Sète (43 600 habitants) comporte deux établissements pour un total de six salles, et la commune de Mèze (11 500 habitants) comporte un établissement mono-écran. Il contribue ainsi à l'équilibre de l'offre cinématographique au sein de la zone d'influence cinématographique de l'agglomération sétoise, ainsi qu'à limiter l'évasion vers le pôle cinématographique de l'agglomération de Montpellier.
12. En deuxième lieu, le projet porte sur une friche industrielle à caractère patrimonial situé dans le centre-ville de Frontignan. La commission nationale a retenu, par des motifs non contestés, que le projet contribuera à la revitalisation du centre-ville de Frontignan, qu'il réhabilitera le site urbain sans consommer d'espace supplémentaire, qu'il valorisera le patrimoine bâti, et que son insertion dans l'environnement assurera la qualité de l'urbanisme.
13. En troisième lieu, l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée ne mentionne pas le recours aux énergies renouvelables et la végétalisation du site parmi les éléments que les commissions doivent prendre en compte au titre de la qualité environnementale du projet.
14. En quatrième lieu, du fait de la localisation du projet en centre-ville, le projet est situé à proximité de vingt parcs de stationnement, offrant 963 places à moins de 500 mètres. Il n'est pas établi que le projet contribuera à saturer les emplacements de stationnement existants, dès lors que l'essentiel de sa clientèle se concentre le soir, après l'horaire de fermeture des commerces de centre-ville.
15. Enfin, le projet est aisément accessible pour les piétons et par plusieurs pistes cyclables. Il est desservi par quatre lignes de bus. Si les horaires de dernier passage ne couvrent généralement pas les soirées, cette insuffisance ne saurait justifier à elle seule le refus d'accorder l'autorisation sollicitée.
16. Le moyen tiré de ce que le projet porte atteinte à l'aménagement culturel du territoire, à la protection de l'environnement et à la qualité de l'urbanisme doit donc également être écarté.
En ce qui concerne la méconnaissance du schéma de cohérence territoriale :
17. Un établissement cinématographique, dont l'ouverture n'est pas soumise à l'autorisation prévue à l'article L. 752-1 du code de commerce, n'est pas un équipement commercial couvert par le document d'aménagement artisanal et commercial prévu à l'article L. 141-17 du code de l'urbanisme, aujourd'hui repris à l'article L. 141-6. Il suit de là que le moyen tiré de l'incompatibilité de l'autorisation avec ce document du schéma de cohérence territoriale est inopérant.
18. Enfin, il n'appartient pas à la Commission nationale d'aménagement cinématographique, lorsqu'elle se prononce sur les critères définis à l'article L. 212-9 du code du cinéma et de l'image animée, d'apprécier la conformité du projet à un plan de prévention des risques d'inondation. Le moyen portant sur cette question est donc également inopérant.
19. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la requête de la SAS Véo Bassin de Thau doit être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
20. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la SAS Véo Bassin de Thau le versement de la somme de 3 000 euros à l'Etat au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens. Les dispositions de cet article font en revanche obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions présentées par la SAS Véo Bassin de Thau sur le même fondement.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Véo Bassin de Thau est rejetée.
Article 2 : La SAS Véo Bassin de Thau versera à l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Véo Bassin de Thau, à la Commission nationale d'aménagement cinématographique, à la société Cinémas Frontignan et à la ministre de la culture.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2021, où siégeaient :
- M. Bocquet, président,
- M. Marcovici, président assesseur,
- M. Merenne, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 novembre 2021.
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No 20MA00916