Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par un déféré, enregistré le 19 juin 2019, la préfète de la Corse-du-Sud a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler l'arrêté du 6 février 2019 par lequel le maire d'Eccica-Suarella a accordé un permis de construire à Mme B... A... pour la construction d'une maison individuelle sur une parcelle cadastrée section D n° 1484 au lieu-dit " Porette ".
Par un jugement n° 1900840 du 16 janvier 2020, le tribunal administratif de Bastia a annulé l'arrêté du 6 février 2019.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 mars 2020, Mme B... A..., représentée par Me Ribière, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 16 janvier 2020 ;
2°) de rejeter le déféré de la préfète de la Corse-du-Sud ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le tribunal administratif n'a pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance du principe de sécurité juridique, lequel s'oppose à ce que soit remise en cause l'appréciation relative à l'urbanisation de cette zone portée depuis des années par les services de l'Etat;
- il n'a pas non plus répondu au moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité ;
- il a commis une erreur de droit en écartant la carte communale selon laquelle le terrain est constructible, sans constater au préalable l'incompatibilité de cette carte avec les dispositions du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) ;
- il a commis une erreur d'appréciation de la situation du terrain d'assiette du projet et une erreur dans la qualification juridique des faits au regard des dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme et du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC) ; le projet correspond bien à une urbanisation en continuité d'un groupe d'habitations existantes, au sein du lieu-dit " San Ghjuvanni " ; il s'implante dans un secteur en forte urbanisation, où les constructions, implantées le long des routes et chemins communaux sont desservies par les réseaux d'eaux et sont relativement espacées les unes des autres, entre 30 et 55 mètres, eu égard à la forte pente des terrains ;
- le tribunal administratif a également commis une erreur de droit et entaché son jugement d'une dénaturation des pièces du dossier ; le terrain du projet, situé entre une école et un village de vacances et entouré de constructions existantes ou pour lesquelles des permis de construire devenus définitifs ont été délivrés, ne peut être regardé comme situé dans un secteur d'urbanisation diffuse.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2020, le préfet de la Corse-du-Sud conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est non fondée dans les moyens qu'elle soulève ;
- le permis de construire litigieux méconnaît les dispositions des articles L. 122-5 et L. 122-10 du code de l'urbanisme ainsi que les dispositions du PADDUC relatives aux espaces stratégiques agricoles.
La requête a été communiquée à la commune d'Eccica-Suarella qui n'a pas produit d'observations.
Les parties ont été informées, par lettre du 10 novembre 2021, qu'en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative il était envisagé d'appeler l'affaire avant la fin du premier trimestre 2022 et que l'instruction pourrait être close à partir du 15 décembre 2021 sans information préalable.
L'instruction a été close le 12 janvier 2022, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la Cour a désigné M. Laurent Marcovici, président assesseur de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience au cours de laquelle ont été entendus :
- le rapport de Mme Balaresque ;
- et les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 6 février 2019, le maire d'Eccica-Suarella a accordé à Mme B... A... un permis de construire une maison individuelle pour une surface de plancher de 147 mètres carrés sur la parcelle cadastrée section D n° 1484 au lieu-dit " Porette ". Mme A... relève appel du jugement du 16 janvier 2020 par lequel le tribunal administratif de Bastia, sur déféré de la préfète de la Corse-du-Sud, a annulé cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia, après avoir constaté que le projet objet du permis de construire litigieux n'était pas conforme aux dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme, a annulé ce permis de construire. Le tribunal n'était pas tenu de répondre au préalable à l'argumentation en défense tirée de ce que l'annulation de ce permis méconnaîtrait le principe de sécurité juridique ainsi que le principe d'égalité devant les charges publiques, laquelle était inopérante. Le moyen tiré du défaut de réponse à ces moyens doit, dès lors, être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme : " L'urbanisation est réalisée en continuité avec les bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants, sous réserve de l'adaptation, du changement de destination, de la réfection ou de l'extension limitée des constructions existantes, ainsi que de la construction d'annexes, de taille limitée, à ces constructions, et de la réalisation d'installations ou d'équipements publics incompatibles avec le voisinage des zones habitées ".
4. Il résulte, comme l'a jugé le tribunal, des dispositions précitées que l'urbanisation en zone de montagne, sans être autorisée en zone d'urbanisation diffuse, peut être réalisée non seulement en continuité avec les bourgs, villages et hameaux existants, mais également en continuité avec les " groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants " et qu'est ainsi possible l'édification de constructions nouvelles en continuité d'un groupe de constructions traditionnelles ou d'un groupe d'habitations qui, ne s'inscrivant pas dans les traditions locales, ne pourrait être regardé comme un hameau. L'existence d'un tel groupe suppose plusieurs constructions qui, eu égard notamment à leurs caractéristiques, à leur implantation les unes par rapport aux autres et à l'existence de voies et de réseaux, peuvent être perçues comme appartenant à un même ensemble. Pour déterminer si un projet de construction réalise une urbanisation en continuité par rapport à un tel groupe, il convient de rechercher si, par les modalités de son implantation, notamment en termes de distance par rapport aux constructions existantes, ce projet sera perçu comme s'insérant dans l'ensemble existant.
5. Le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), qui peut préciser les modalités d'application de ces dispositions en application du I de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales, adopté par la délibération n° 15/235 AC du 2 octobre 2015 de l'assemblée de Corse, prévoit qu'un bourg est un gros village présentant certains caractères urbains, qu'un village est plus important qu'un hameau et comprend ou a compris des équipements ou lieux collectifs administratifs, culturels ou commerciaux, et qu'un hameau est caractérisé par sa taille, le regroupement des constructions, la structuration de sa trame urbaine, la présence d'espaces publics, la destination des constructions et l'existence de voies et équipements structurants. Ces prescriptions apportent des précisions et sont compatibles avec les dispositions du code de l'urbanisme particulières à la montagne. En revanche, le PADDUC se borne à rappeler les critères mentionnés ci-dessus et permettant d'identifier un groupe de constructions traditionnelles ou d'habitations existants et d'apprécier si une construction est située en continuité des bourgs, villages, hameaux, groupes de constructions traditionnelles ou d'habitations existants.
6. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet, actuellement en l'état naturel et partiellement boisé, est majoritairement entouré de parcelles non bâties à la date de délivrance du permis litigieux. Les deux constructions existantes les plus proches sont situées respectivement à environ trente et soixante mètres de la construction projetée et à plus de soixante mètres l'une de l'autre et des autres constructions environnantes. Dans ces conditions, eu égard à la faible densité de l'habitat dans le secteur duquel s'implante le projet litigieux, ce dernier ne peut être regardé comme situé en continuité d'un groupe d'habitation existant au sens des dispositions précitées, quand bien même son terrain d'assiette serait desservi par la voirie et les réseaux publics autres que d'assainissement. Les circonstances que des permis de construire ont été délivrés jusqu'à une date récente pour l'édification d'habitations à proximité de ce terrain et que celui-ci, classé en zone constructible de la carte communale d'Eccica-Suarella depuis 2008, a fait l'objet en 2011 d'un certificat d'urbanisme positif sont par elles-mêmes sans incidence sur l'appréciation de la continuité de l'urbanisation. Dès lors, en délivrant le permis de construire litigieux, le maire d'Eccica-Suarella a méconnu les dispositions de l'article L. 122-5 du code de l'urbanisme.
7. Ainsi que l'a jugé le tribunal, pour l'application de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme, aucun autre moyen n'est susceptible de fonder l'annulation de la décision contestée.
8. Il résulte de ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé le permis de construire litigieux. Par voie de conséquence, doivent être rejetées les conclusions de Mme A... tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et à la commune d'Eccica-Suarella.
Copie en sera adressée pour information au préfet de Corse, préfet de la Corse du Sud.
Délibéré après l'audience du 7 février 2022, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Mérenne, premier conseiller,
- Mme Balaresque, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 février 2022.
N°20MA01278 2