Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté en date du 12 avril 2018 par lequel la ministre des armées a suspendu, à titre conservatoire, l'exécution de son contrat de surveillant au lycée militaire d'Aix-en-Provence, jusqu'au 12 août 2018, et d'enjoindre à la ministre de le rétablir dans ses fonctions dans le délai de quinze jours, et d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral causé par cette mesure de suspension.
Par un jugement n° 1806108 du 4 février 2021, le tribunal administratif de Marseille a donné à M. C... acte de son désistement de ses conclusions indemnitaires et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 août 2021, M. C..., représenté par
Me Cuzin-Tourham, demande à la Cour :
1°) d'écarter des débats la note blanche produite par la ministre des armées devant le tribunal ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 4 février 2021 en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté en date du 12 avril 2018 par lequel la ministre des armées l'a suspendu de ses fonctions de surveillant au lycée militaire d'Aix-en-Provence ;
3°) d'annuler cet arrêté du 12 avril 2018 ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de
l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, Me Cuzin-Tourham s'engageant à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier pour s'être fondé sur une note blanche, sans l'avoir écartée des débats, alors que cette pièce méconnaît le principe du contradictoire et l'égalité des armes, consacrés par les stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, faute pour le demandeur et pour le tribunal d'avoir pu accéder aux éléments de preuve sur lesquels se fonde cette pièce ;
- en conséquence, cette note blanche doit être écartée des débats ;
- la décision en litige, qui ne repose pas sur une faute déjà commise, mais sur un manquement éventuel et l'application d'un principe de prévention, est ainsi entachée d'erreur de droit ;
- la mesure litigieuse est entachée d'erreur manifeste d'appréciation, en l'absence de toute prise de distance avec la gente féminine, faute pour le requérant de défendre des thèses salafistes, son intérêt manifesté un temps pour une association donnée n'étant pas un signe de radicalisation, n'ayant aucun lien avec un imam et n'ayant pas supprimé ses comptes d'accès aux réseaux sociaux en 2018, et alors qu'il ne saurait être tenu pour responsable des choix de sa cousine et que sa manière de servir est irréprochable.
Par ordonnance du 20 avril 2022 la clôture d'instruction a été fixée au 5 mai 2022,
à 12 heures.
Le ministre des armées a produit un mémoire en défense le 17 juin 2022, soit après la clôture de l'instruction.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 28 mai 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 86-83 du 17 janvier 1986 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me Cuzin-Tourham, représentant M. C....
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., surveillant au sein du lycée militaire d'Aix-en-Provence, engagé par contrat du 26 juin 2015, a fait l'objet, par arrêté de la ministre des armées du 12 avril 2018, d'une mesure de suspension de fonctions jusqu'au 12 août 2018. Par jugement du 4 février 2021, le tribunal administratif de Marseille a donné à M. C... acte de son désistement de ses conclusions indemnitaires et rejeté le surplus de sa demande, dont ses conclusions tendant à l'annulation de l'arrêté du 12 avril 2018. M. C... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté ces dernières conclusions.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Pour rejeter la demande de M. C... tendant à l'annulation de l'arrêté du
12 avril 2018 prononçant la suspension de ses fonctions de surveillant, le tribunal s'est notamment fondé sur la note blanche produite par la ministre des armées au soutien de son mémoire en défense. Un tel document, débattu devant le tribunal dans le cadre de l'instruction écrite contradictoire, constitue un élément d'appréciation dont l'examen par le juge de l'excès de pouvoir ne méconnaît pas, en tout état de cause et contrairement à ce que soutient le requérant, les principes du respect du caractère contradictoire de la procédure et de l'égalité des armes, tels que garantis notamment par l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, c'est sans entacher son jugement d'irrégularité que le tribunal n'a pas écarté des débats cette note blanche, alors même que ni le requérant ni les premiers juges n'ont eu accès aux éléments qui la fondent. Pour les mêmes motifs, il n'y a pas lieu pour la Cour d'écarter des débats ce document, d'ailleurs produit par l'appelant lui-même.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article 43 du décret du 17 janvier 1986 : " En cas de faute grave commise par un agent non titulaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité définie à l'article 44. La durée de la suspension ne peut toutefois excéder celle du contrat ".
4. En application des dispositions citées au point précédent, l'autorité compétente ne peut prononcer la suspension d'un agent non titulaire que lorsque les faits imputés à l'agent présentent un caractère suffisant de vraisemblance et de gravité et le caractère d'une faute grave, de nature professionnelle ou pénale. La circonstance que les faits retenus par l'autorité compétente pour prendre sa décision de suspension, laquelle constitue une mesure conservatoire prise dans l'intérêt du service et n'est pas au nombre des décisions qui doivent obligatoirement être motivées, ne précise pas l'obligation professionnelle ou disciplinaire méconnue par l'agent ou la faute pénale commise par lui, ne rend pas la mesure illégale, dès lors que ces faits imputés à l'agent suspendu sont susceptibles de recevoir une telle qualification.
5. La ministre des armées a fondé la décision litigieuse sur le motif tiré de ce qu'une enquête de sécurité avait fait apparaître des éléments pouvant compromettre la sécurité du lycée militaire où M. C... exerçait ses fonctions de surveillant. Il est constant que ces éléments ont été retranscrits dans une note blanche, versée au dossier de première instance par la ministre, et correspondent, notamment et d'une part, à la circonstance, rapportée par un signalement interne au lycée en octobre 2017, que M. C... a lui-même déclaré s'être radicalisé et exprimé sa volonté de prendre ses distances avec la gente féminine et qu'il n'adressait la parole aux femmes qu'en cas de nécessité et, d'autre part, à la circonstance qu'il avait défendu les thèses salafistes sur les réseaux sociaux et qu'il s'était investi dans une association régie par une structure contrôlée par les frères musulmans et installée au Qatar.
6. En premier lieu, en imputant à M. C... de tels faits, qui s'analysent en des manquements aux obligations de réserve et de neutralité s'imposant à tous les agents publics dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions, la ministre des armées a fondé sa décision non pas sur des manquements à prévenir, mais sur des fautes dont les conséquences étaient susceptibles de rejaillir sur le bon fonctionnement et la sécurité du service. Ainsi, le moyen tiré par M. C... de l'erreur de droit commise par la ministre en faisant application des principes de prévention ou de précaution pour le suspendre de ses fonctions ne peut être accueilli.
7. En deuxième lieu, pour contester le grief tiré de sa volonté déclarée de se radicaliser et de prendre ses distances avec les femmes, et de ce qu'il ne leur adresse la parole qu'en cas de nécessité, M. C... se prévaut de trois attestations d'anciennes surveillantes du lycée militaire d'Aix-en-Provence, établies en juillet 2015. Toutefois, le premier témoignage émane d'une surveillante qui n'a pris son poste qu'en septembre 2017, alors que les faits en cause ont été mis au jour en octobre 2017 à la suite d'une signalement interne à l'établissement, ainsi que l'indique précisément la note blanche, et qui n'a donc pu apprécier une évolution du comportement de l'agent suspendu, compte tenu également de la rareté des occasions qui lui étaient données de le croiser dans l'établissement, comme ce témoin l'indique lui-même. Le fait qu'au cours du mois d'août 2017, M. C... ait animé une réunion d'information à l'intention des nouveaux surveillants, dont l'auteure de cette attestation, n'est pas de nature à remettre sérieusement en cause l'indication de la note blanche selon laquelle l'intéressé limitait ses conversations avec la gente féminine au strict nécessaire. Si les deux autres attestations ont été établies par des agents ayant exercé leurs fonctions dans le même lycée entre 2016 et 2018, et soulignent un comportement normal de M. C... à leur égard, leurs mentions ne contredisent sérieusement ni l'existence d'un signalement du lycée en octobre 2017, ni les indications précises de la note blanche suivant lesquelles l'intéressé a lui-même déclaré se radicaliser et vouloir prendre ses distances avec les femmes. Dans ces conditions qui ne démontrent pas qu'au jour de la signature de la mesure litigieuse, la ministre avait connaissance d'éléments remettant en cause ceux dégagés par l'enquête de sécurité à laquelle se réfère la note blanche, M. C... n'est pas fondé à soutenir que les faits en cause ne présentaient pas, au jour de la décision, un caractère suffisant de vraisemblance.
8. En troisième lieu, si pour imputer au requérant sa défense de thèses salafistes sur les réseaux sociaux et son investissement dans une association affiliée aux frères musulmans, la ministre ne produit aucune pièce, notamment aucune capture d'écran des réseaux sociaux ainsi concernés, et si la note blanche ne précise pas la nature de ces réseaux, M. C... ne livre pour sa part aucune explication sérieuse quant au fait que, en mars 2018, après les attentats de Trèbes, il a cru nécessaire de suspendre ses comptes personnels des réseaux sociaux jusqu'alors fréquentés, et ne conteste pas sérieusement avoir adopté sur des réseaux sociaux qu'il fréquente de telles positions à caractère islamiste. En se bornant, par ailleurs, à dénoncer la confusion commise par les auteurs de la note blanche, et par voie de conséquence, par la ministre des armées, entre salafisme et djihadisme, d'une part, et d'autre part entre la mouvance salafiste et celle des frères musulmans, auxquelles, selon lui, il ne peut lui être logiquement reproché d'appartenir en même temps, M. C... ne remet nullement en cause la réalité de ses déclarations et expressions sur les réseaux sociaux susceptibles d'être qualifiées d'islamistes. En indiquant, enfin, avoir cessé de prêter intérêt aux activités du mouvement " Résistance et alternatives " dès qu'il a su que cette structure, dont il ne conteste pas la maîtrise par une organisation contrôlée par les frères musulmans et basée au Qatar, consacrait l'essentiel de ses actions à la défense d'un polémiste musulman, alors que l'objet de ce mouvement était de notoriété publique, dès sa création, M. C... ne nie pas s'y être investi, ainsi que le relève la note blanche. Ainsi les faits en cause doivent être regardés comme suffisamment vraisemblables pour justifier légalement la mesure de suspension en litige.
9. Certes, M. C... conteste sérieusement la circonstance, trop peu précisément rapportée dans la note blanche et non assortie d'éléments au dossier d'instance, qu'il aurait été en contact avec un imam salafiste qui préside une association cultuelle et culturelle défavorablement connue des services de renseignement intérieur, et souligne qu'il ne peut lui être personnellement imputé le départ de sa cousine germaine pour la Syrie afin de rejoindre l'organisation terroriste Daech. Mais cette seconde circonstance, dont la réalité n'est nullement démentie par l'intéressé, révèle un contexte de nature à étayer le caractère de vraisemblance et de gravité des faits qui ont été évoqués aux points précédents et qui, eux, lui sont personnellement reprochés.
10. Il suit de là que, compte tenu de l'ensemble des manquements de M. C... à ses obligations professionnelles, susceptibles d'être considérés comme suffisamment vraisemblables et graves, et malgré son casier judiciaire vierge, le renouvellement de ses contrats d'engagement depuis 2015 et les évaluations très satisfaisantes de sa hiérarchie, c'est sans commettre d'erreur d'appréciation que la ministre des armées a décidé, par l'arrêté en litige, de le suspendre de ses fonctions pour une durée de quatre mois.
11. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement querellé, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 12 avril 2018. Sa requête d'appel doit donc être rejetée, y compris les conclusions de son conseil tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., à Me Cuzin-Tourham et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, où siégeaient :
- M. Badie, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Ury, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.
N° 21MA034582