Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Les sociétés GAN assurances et Les Parfumeries Fragonard ont demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Grasse in solidum avec la société mutuelle d'assurance des collectivités locales (SMACL) à verser à la société Les Parfumeries Fragonard la somme totale de 5 980,78 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, et à la compagnie GAN assurances la somme totale de 154 529,08 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du jugement à intervenir, en réparation du préjudice causé selon elles par le débordement d'un canal souterrain.
Par un jugement n° 1801500 du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Nice a condamné la commune de Grasse à verser, d'une part, la somme de 5 980,78 euros à la société Les Parfumeries Fragonard et la somme de 154 529,08 euros à la compagnie GAN assurances en réparation de leurs préjudices, et d'autre part, la somme totale de 11 075 euros à la société Les Parfumeries Fragonard et à la compagnie GAN assurances au titre des frais d'expertise, a mis à la charge de la commune la somme totale de 1 500 euros à verser à la société Les Parfumeries Fragonard et à la compagnie GAN assurances sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 9 juillet 2021 et le 14 décembre 2022, la commune de Grasse, représentée par Me Gouard-Robert, de la SCP Lesage Berguet Gouard-Robert, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 11 mai 2021 du tribunal administratif de Nice ;
2°) de rejeter la demande des sociétés GAN assurances et Les Parfumeries Fragonard ;
3°) subsidiairement, de condamner la société SMACL à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;
4°) d'appeler en garantie la communauté d'agglomération Pays de Grasse ;
5°) de mettre à la charge de tout succombant la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune soutient que :
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le canal d'égout, dont il n'est pas établi qu'il a recueilli et recueille les eaux communales, et qui est indépendant des réseaux communaux d'eaux pluviales et d'eaux usées, n'est pas un ouvrage public, mais un ouvrage privé qui traverse des parcelles, n'est pas accessible depuis l'extérieur pour son entretien et est alimenté seulement par les eaux de source de la Foux ;
- en tout état de cause, la compétence " assainissement des eaux usées " et " gestion des eaux pluviales urbaines " a été transférée, à compter du 1er janvier 2020, à la communauté d'agglomération Pays de Grasse qui doit seule répondre des conséquences dommageables de ce réseau ;
- la situation de force majeure, caractérisée par l'importance des volumes d'eau générés par les précipitations du 12 septembre 2015, exonère la commune de toute responsabilité ;
- subsidiairement, son assureur doit prendre en charge la condamnation prononcée par le tribunal, l'exclusion de garantie contenue dans le contrat d'assurance ne concernant pas le canal en cause ;
- le préjudice allégué n'est établi ni dans son principe, ni dans son montant, les sociétés ne produisant aucun justificatif.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2021, la société Les parfumeries Fragonard et la compagnie GAN Assurances, représentées par Me Valli de l'association Valli-Pinelli, concluent :
1°) au rejet de la requête ;
2°) subsidiairement, à la condamnation solidaire de la commune de Grasse, de la communauté d'agglomération du pays de Grasse et de la compagnie d'assurances SMACL à verser à la société Les parfumeries Fragonard la somme de 5 980,78 euros au titre de ses préjudices matériel et immatériel dans le cadre des franchises restées à sa charge et à la compagnie GAN Assurances, subrogée dans les droits de celle-ci, la somme de 154 529,08 euros au titre des sommes versées à son assurée, outre les intérêts légaux à compter du prononcé de l'arrêt à intervenir ;
3°) à la condamnation solidaire de la commune de Grasse, de la communauté d'agglomération du pays de Grasse et de la compagnie d'assurances SMACL à leur verser la somme de 11 075 euros au titre des frais d'expertise taxés par ordonnance du 7 novembre 2017 ;
4°) en tout état de cause, à ce que soient mis à la charge de la commune de Grasse les entiers dépens et la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles font valoir que :
- les moyens d'appel ne sont pas fondés ;
- si la compétence en matière d'eaux usées et d'eaux pluviales a été transférée à la communauté d'agglomération, il reviendra à la Cour, qui aura confirmé le principe de l'engagement de la responsabilité sans faute du maître de l'ouvrage public que constitue le canal souterrain, à l'égard duquel la société a la qualité de tiers, de prononcer la condamnation solidaire de la commune et de la communauté d'agglomération.
Par un mémoire enregistré le 24 septembre 2021, la société Suez Eau industrielle et la société Suez Eau France, représentées par Me Penso, concluent :
1°) à la mise hors de cause de la société Suez Eau industrielle ;
2°) à l'admission de l'intervention volontaire de la société Suez Eau France et à la mise hors de cause de celle-ci ;
3°) subsidiairement, au rejet des demandes dirigées contre elles ;
4°) à ce que soient mis à la charge de tout succombant les entiers dépens et la somme de 3 000 euros au bénéfice de la société Suez Eau France en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la société Suez Eau industrielle ne peut qu'être mise hors de cause puisque, à la date des faits dommageables, elle n'était pas liée par contrat d'affermage à la commune de Grasse ;
- l'intervention de la société Suez Eau France ne peut qu'être admise, étant à la date de ces mêmes faits, délégataire du service public de l'assainissement de la commune mais le canal n'étant pas au nombre des ouvrages dont elle avait contractuellement la charge de l'entretien.
Par un mémoire, enregistré le 8 octobre 2021, la SMACL, représentée par Me Jacquemin de l'association Demes, conclut :
1°) à l'annulation du jugement attaqué ;
2°) au rejet des demandes de la société Les parfumeries Fragonard et de la société GAN Assurances ;
3°) en tout état de cause, au rejet de l'appel en garantie de la commune de Grasse à son encontre ;
4°) à ce que soit mise à la charge des sociétés Gan Assurances et Les parfumeries Fragonard la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- le canal auquel sont imputés les dommages subis n'est pas un ouvrage public ;
- les demandeurs n'ont pas la qualité de tiers à l'égard de ce canal ;
- le lien de causalité entre les dommages et ce canal n'est pas démontré ;
- la force majeure exonère la commune de toute responsabilité, tout comme le fait de tiers, caractérisé par la présence d'objets hétéroclites, de raccordements non autorisés et d'un défaut d'entretien du canal par le délégataire de l'exploitation du réseau ;
- les préjudices allégués ne sont pas prouvés ;
- en tout état de cause, l'appel en garantie, qui relève de conclusions nouvelles en appel et, par suite, irrecevables, ne peut qu'être rejeté, le contrat d'assurance excluant ce type de sinistre.
La procédure a été communiquée à la communauté d'agglomération du Pays de Grasse, qui n'a pas produit d'écritures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code des assurances ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de M. Angéniol, rapporteur public,
- et les observations de Me Gouard-Robert, représentant la commune de Grasse et de Me Torres, substituant Me Penso, représentant les sociétés Suez Eau Industrielle et Suez Eau France.
Considérant ce qui suit :
1. La société " Les parfumeries Fragonard " exploite un fonds de commerce de vêtements et d'accessoires de luxe à l'enseigne " Confidentiel", au rez-de-chaussée des 3 et 5 rue Jean Ossola à Grasse, et a souscrit, à ce titre, un contrat d'assurances avec la compagnie GAN assurances. Dans la nuit du 12 au 13 septembre 2015, le canal situé en sous-sol du centre ancien de la commune de Grasse, et présent sous les locaux exploités par la société
" Les parfumeries Fragonard ", a débordé à la suite de fortes pluies et causé des dégâts dans ces locaux commerciaux. Souhaitant obtenir réparation des dommages subis par ce sinistre, la société " Les parfumeries Fragonard " et la société GAN assurances ont adressé une demande préalable indemnitaire le 20 octobre 2017 à la compagnie SMACL assurances, assureur de la commune de Grasse, et à la commune elle-même le 19 février 2018. Ces demandes ont été rejetées le 13 décembre 2017 par la compagnie SMACL assurance et le 29 mars 2018 par la commune de Grasse. Par un jugement du 11 mai 2021, le tribunal administratif de Nice a condamné la commune de Grasse à verser, d'une part, la somme de 5 980,78 euros à la société " Les parfumeries Fragonard " et la somme de 154 529,08 euros à la compagnie GAN assurances en réparation de leurs préjudices, et d'autre part, la somme totale de 11 075 euros à la société " Les parfumeries Fragonard " et à la compagnie GAN assurances au titre du préjudice lié aux frais d'expertise judiciaire, a mis à la charge de la commune la somme totale de 1 500 euros à verser à la société " Les parfumeries Fragonard " et à la compagnie GAN assurances sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et a rejeté le surplus des conclusions des parties. La commune de Grasse relève appel de ce jugement, en demandant, à titre subsidiaire, de condamner la société SMACL et la communauté d'agglomération du Pays de Grasse à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre.
Sur l'intervention volontaire de la société Suez Eau France :
2. Faute d'indiquer la partie au soutien des écritures de laquelle elle a entendu intervenir volontairement, la société Suez Eau France, qui vient aux droits de la société Lyonnaise des eaux, délégataire du service public d'assainissement sur la commune de Grasse au jour du sinistre, ne présente pas une intervention recevable. Celle-ci ne peut donc être admise.
Sur la nature du canal souterrain :
3. La qualification d'ouvrage public peut être déterminée par la loi. Présentent aussi le caractère d'ouvrage public notamment les biens immeubles résultant d'un aménagement, qui sont directement affectés à un service public, y compris s'ils appartiennent à une personne privée chargée de l'exécution de ce service public.
4. Il résulte de l'instruction, et plus spécialement du rapport d'expertise judiciaire du 12 septembre 2017, établi sur ordonnance du tribunal judiciaire de Grasse à la demande de la société " Les parfumeries Fragonard " et de son assureur, et il n'est pas contesté, que le canal souterrain implanté dans le sous-sol du centre ancien de Grasse, notamment dans le sous-sol des propriétés de la rue Ossola, au sein d'une galerie, et qui traverse cette partie de la ville du Nord au Sud, a été construit il y a des siècles pour alimenter en eau les ateliers de tannerie qui s'y trouvaient, depuis la source dite de la Foux. Un tel ouvrage, de par son aménagement et son affectation directe à une mission d'intérêt général, constituait ainsi un ouvrage public, alors même qu'il n'aurait pas été édifié par la commune et qu'il est implanté sur des propriétés privées. Ce même rapport d'expertise judiciaire, dont la méthodologie d'exploration et d'analyse, reposant sur le repérage des flux au moyen d'un produit coloré injecté depuis une grille du réseau public d'eaux pluviales présente sur la place dite " des aires ", n'est pas dans cette mesure efficacement discutée par la commune, indique qu'au jour du sinistre causé aux commerces de la société " Les parfumeries Fragonard ", le canal souterrain recevait les eaux pluviales communales, en étant raccordé en au moins un point au réseau public de recueil et d'évacuation de ces eaux. S'il est constant que le canal, qui, contrairement à ce que soutient la commune, est accessible en deux endroits comme le montre le rapport, n'est plus affecté à l'alimentation en eau des propriétés qu'il dessert, et s'il n'est pas contesté que la commune a fait réaliser en 2013 des travaux de déviation de la surverse de la source de la Foux, qui transitait jusqu'alors par le centre ancien de la ville, vers le canal dit des Cordeliers, un tel ouvrage, qui recueille les eaux de pluie depuis sa création, ainsi que le soutient la commune elle-même, continue à servir cette finalité d'intérêt général, constitutive d'un service public en vertu des dispositions de l'article L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales. Ce canal, bien que physiquement non inclus dans le réseau public actuel des eaux pluviales urbaines de la commune de Grasse, présente donc à cet égard le caractère d'un ouvrage public, dont les conséquences dommageables de l'existence et du fonctionnement engagent même en l'absence de faute la responsabilité de la personne publique qui en a la garde, à l'égard des tiers.
Sur la personne publique responsable :
5. L'article L. 2226-1 du code général des collectivités territoriales dispose, à compter du 1er janvier 2015, que : " La gestion des eaux pluviales urbaines correspondant à la collecte, au transport, au stockage et au traitement des eaux pluviales des aires urbaines constitue un service public administratif relevant des communes, dénommé service public de gestion des eaux pluviales urbaines ". Aux termes de l'article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales, dans sa rédaction en vigueur à compter du 1er janvier 2020 : " I.- La communauté d'agglomération exerce de plein droit au lieu et place des communes membres les compétences suivantes : (...) 10° Gestion des eaux pluviales urbaines, au sens de l'article L. 2226-1.
La communauté d'agglomération peut déléguer, par convention, tout ou partie des compétences mentionnées aux 8° à 10° du présent I à l'une de ses communes membres. (...) Les compétences déléguées en application des treizième et quatorzième alinéas du présent I sont exercées au nom et pour le compte de la communauté d'agglomération délégante ".
6. En outre, aux termes des dispositions du III de l'article L. 5211-5 du même code, applicables à l'ensemble des établissements publics de coopération intercommunale : " Le transfert des compétences entraîne de plein droit l'application à l'ensemble des biens, équipements et services publics nécessaires à leur exercice, ainsi qu'à l'ensemble des droits et obligations qui leur sont attachés à la date du transfert, des dispositions des trois premiers alinéas de l'article L. 1321-1, des deux premiers alinéas de l'article L. 1321-2 et des articles L. 1321-3, L. 1321-4 et L. 1321-5. (...) / L'établissement public de coopération intercommunale est substitué de plein droit, à la date du transfert des compétences, aux communes qui le créent dans toutes leurs délibérations et tous leurs actes. ".
7. Enfin, l'article 133 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dispose que : " XII. - Sauf dispositions contraires, pour tout transfert de compétence ou délégation de compétence prévu par le code général des collectivités territoriales, la collectivité territoriale ou l'établissement public est substitué de plein droit à l'Etat, à la collectivité ou à l'établissement public dans l'ensemble de ses droits et obligations, dans toutes ses délibérations et tous ses actes. ".
8. Il résulte des dispositions citées au point 7, à l'application desquelles ne font pas obstacle les dispositions citées au point 6, que le transfert par une commune de compétences à un établissement public de coopération intercommunale implique la substitution de plein droit de cet établissement à la commune dans l'ensemble de ses droits et obligations attachées à cette compétence, y compris lorsque ces obligations trouvent leur origine dans un événement antérieur au transfert. Ainsi, ces dispositions, combinées à celles du 10° de l'article L. 5216-5 du code général des collectivités territoriales qui rendent les communautés d'agglomération compétentes en matière de gestion des eaux pluviales urbaines, en lieu et place de leurs communes membres, à compter du 1er janvier 2020, ont pour effet de substituer, pour ce qui est du réseau d'eaux pluviales urbaines existant sur le territoire d'une commune et de tout ouvrage participant de la gestion des eaux, à compter de cette même date, la communauté d'agglomération dont celle-ci est membre dans l'ensemble de ses droits et obligations, notamment en ce qui concerne les actions en responsabilité engagées par les propriétaires riverains de ce réseau pour demander la réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de cet ouvrage avant comme après le transfert de compétence.
9. Depuis le 1er janvier 2020, la communauté d'agglomération du Pays de Grasse, créée le 1er janvier 2014, est compétente de plein droit, en lieu et place de ses communes membres, dont la commune de Grasse, pour assurer le service public administratif de la gestion des eaux pluviales urbaines. Elle est en charge, à ce titre, de l'entretien du réseau public d'eaux pluviales urbaines existant sur le territoire de la commune de Grasse, ainsi que des ouvrages participant de la gestion des eaux.
10. Il suit de là que la communauté d'agglomération du Pays de Grasse doit seule répondre des conséquences dommageables attachées à l'existence et au fonctionnement du réseau public d'eaux pluviales urbaines de la commune de Grasse, survenues avant comme après la date de ce transfert de compétence, le 1er janvier 2020, et de tout ouvrage participant de la gestion de ces eaux, dont le canal souterrain en litige.
11. Par conséquent, et d'une part, la commune de Grasse est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal l'a condamnée à réparer les conséquences dommageables du mauvais fonctionnement du canal souterrain existant sur son territoire, et à indemniser, à ce titre, la société " Les parfumeries Fragonard " et son assureur GAN Assurances, et a mis à sa charge une somme au titre des frais d'instance. En revanche, et en tout état de cause, la commune, ainsi déchargée de toute indemnité, n'est pas fondée à demander pour la première fois en appel la condamnation de la SMACL, son assureur, à la garantir de toute condamnation à son encontre.
12. D'autre part, les conclusions de la société " Les parfumeries Fragonard " et de la société GAN Assurances tendant à la réparation de leurs préjudices, et leurs prétentions relatives aux frais d'instance, ne peuvent être dirigées que contre la communauté d'agglomération du Pays de Grasse, qui a la maîtrise du canal litigieux, alors même que les intéressés ont présenté en cause d'appel des conclusions tendant à la condamnation solidaire de la commune et de la communauté d'agglomération, et que celle-ci, mise en cause par la Cour et invitée à présenter sur ce point ses observations, n'a pas produit de mémoire en défense.
Sur la responsabilité de la puissance publique :
13. Il résulte de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que les désordres subis par les commerces de la société " Les parfumeries Fragonard " résultent des inondations survenues dans la nuit du 12 au 13 septembre 2015 lors de pluies torrentielles et que l'obstruction de la galerie ancestrale, où s'écoulent les eaux du canal en aval sous la rue Ossola, par des matériaux de constructions stockés a joué un rôle aggravant, entraînant une montée excessive du niveau de l'eau de la galerie et l'inondation de la cave et du local commercial à partir de la trappe d'accès. Le mauvais entretien du canal, ouvrage public dont la communauté d'agglomération du Pays de Grasse a la garde et à l'égard duquel la société n'a pas la qualité d'usager mais celle de tiers, est donc à l'origine directe des dommages subis par cette dernière, lesquels revêtent en l'espèce un caractère grave et spécial.
14. Par ailleurs, malgré leur importance, les pluies torrentielles de la nuit du 12 au 13 septembre 2015, qui avaient débuté trois jours plus tôt, et qui n'excèdent pas celles que la commune de Grasse avait déjà connues le 3 octobre 2014, n'ont pas présenté le caractère d'un événement de force majeure.
15. Enfin, en se bornant à relever, pour mettre en cause le principe et l'étendue des préjudices indemnisés par les premiers juges, que la société " Les parfumeries Fragonard " et la société GAN Assurances, subrogée dans les droits de son assurée à hauteur de 154 529,08 euros, ne produisaient aucun justificatif des dégâts subis, alors que pour allouer aux intéressés les sommes de 5 980,78 euros et de 154 529,08 euros, le tribunal s'est appuyé, à juste titre, non seulement sur le procès-verbal de constat d'huissier dressé le 15 septembre 2015 et livrant notamment un inventaire précis des biens et marchandises sinistrés, un rapport d'expertise du
28 juillet 2016 portant sur les dommages matériels, mais également sur un rapport d'expertise du 24 novembre 2016 relatif à la perte d'exploitation ainsi que sur le rapport d'expertise judiciaire du 12 novembre 2017 et les quittances subrogatives des 9 septembre et 16 décembre 2016, la commune de Grasse ne conteste pas sérieusement les motifs du jugement, en ses points 10 à 12, qu'il y a donc lieu d'adopter.
16. Il résulte de tout ce qui précède que si la commune de Grasse est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice l'a condamnée, en lieu et place de la communauté d'agglomération du Pays de Grasse, à verser, d'une part, la somme de 5 980,78 euros à la société " Les parfumeries Fragonard " et la somme de 154 529,08 euros à la compagnie GAN assurances en réparation de leurs préjudices, augmentées des intérêts de retard à compter de la notification du jugement, et d'autre part, la somme totale de 11 075 euros à la société " Les parfumeries Fragonard " et à la compagnie GAN assurances au titre du préjudice lié aux frais d'expertise judiciaire, et a mis à sa charge la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de condamner la communauté d'agglomération à verser, d'une part, la somme de 5 980,78 euros à la société " Les parfumeries Fragonard " et la somme de 154 529,08 euros à la compagnie GAN assurances en réparation de leurs préjudices, et d'autre part, la somme totale de 11 075 euros à la société " Les parfumeries Fragonard " et à la compagnie GAN assurances au titre du préjudice lié aux frais d'expertise judiciaire, dont ni la nature ni l'étendue ne sont contestées et ni la production d'intérêts de retard à compter du jugement contesté, remise en cause, ainsi que la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par les intéressées au cours de la première instance et non compris dans les dépens, et de réformer le jugement attaqué en ce qu'il a de contraire à ces condamnations.
17. La somme de 5 980,78 euros à verser à la société " Les parfumeries Fragonard " et la somme de 154 529,08 euros à verser à la compagnie GAN assurances en réparation de leurs préjudices produiront intérêts de retard non pas à compter de la notification du jugement ainsi réformé, ainsi que celui-ci le prévoit déjà, mais à compter de la notification du présent arrêt, comme le réclament les intéressées.
Sur l'appel incident de la société " Les parfumeries Fragonard " et de la société GAN assurances :
18. Dans la mesure où le présent arrêt réforme le jugement qui condamne la commune de Grasse à les indemniser de leurs préjudices, la société " Les parfumeries Fragonard " et la société GAN assurances, qui, en tout état de cause, n'assortissent pas leurs conclusions de moyens critiquant les motifs de ce jugement, ne sont pas fondées à demander la condamnation solidaire de la société SMACL en tant qu'assureur de la commune.
Sur l'appel incident de la SMACL :
19. Dès lors que le présent arrêt ne prononce aucune condamnation contre la commune de Grasse dont la SMACL est l'assureur et où celle-ci ne justifie d'aucune somme engagée au titre du contrat d'assurance la liant à la collectivité, l'appel incident de cette société, à laquelle le jugement attaqué ne fait d'ailleurs pas grief, ne peut qu'être rejeté.
Sur les frais liés au litige :
20. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de laisser à chaque partie la charge de ses frais au titre de la présente instance. En outre, et en tout état de cause, les conclusions de la société Suez Eau France présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en qualité d'intervenante, ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : L'intervention de la société Suez Eau France n'est pas admise.
Article 2 : La commune de Grasse est mise hors de cause.
Article 3 : La communauté d'agglomération du Pays de Grasse est condamnée à verser la somme de 5 980,78 euros à la société " Les parfumeries Fragonard ", et la somme de 154 529,08 euros à la compagnie GAN assurances au titre des préjudices subis, augmentées des intérêts de retard à compter de la notification du présent arrêt, ainsi que la somme de 11 075 euros à la société " Les parfumeries Fragonard " et à la compagnie GAN assurances en réparation du préjudice lié aux frais d'expertise judiciaire, augmentée des intérêts de retard à compter de la notification du jugement n° 1801500 du 11 mai 2021 du tribunal administratif de Nice.
Article 4 : La communauté d'agglomération du Pays de Grasse versera la somme de 1 500 euros à la société " Les parfumeries Fragonard " et à la compagnie GAN assurances, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais de première instance.
Article 5 : Le jugement n° 1801500 rendu le 11 mai 2021 par le tribunal administratif de Nice est réformé en ce qu'il a de contraire aux articles précédents.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la commune de Grasse, les conclusions incidentes et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administratives de la société GAN Assurances, de la société " Les parfumeries Fragonard ", et de la SMACL, ainsi que les conclusions de la société Suez Eau France au titre de ces mêmes dispositions, sont rejetés.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Grasse, à la communauté d'agglomération du pays de Grasse, à la société GAN Assurances, à la société " Les parfumeries Fragonard ", à la SMACL et aux sociétés Suez Eau Industrielle et Suez Eau France.
Délibéré après l'audience du 28 mars 2023, où siégeaient :
- M. Marcovici, président,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 avril 2023.
N° 21MA026932