Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
SNCF Réseau a déféré au tribunal administratif de Marseille la société Recylex et la société Retia comme prévenues d'une contravention de grande voirie et conclu à ce que le tribunal constate que l'infraction de grande voirie qui leur est reprochée est constituée et à leur condamnation solidaire à lui payer la somme de 64,9 millions d'euros au titre des travaux de remise en état.
Par un jugement n° 1802562 du 26 mai 2021, le tribunal administratif de Marseille a condamné solidairement les sociétés Recylex et Retia à payer à l'établissement SNCF Réseau la somme de 5 674 014.21 euros au titre de la remise en état du domaine public ferroviaire, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation des intérêts, décidé que les deux sociétés verseront le surplus, jusqu'à concurrence de 63,3 millions d'euros, au fur et à mesure des appels de fonds de SNCF Réseau et enfin, condamné les deux sociétés à payer à SNCF Réseau une amende de 1 500 euros chacune pour moitié.
Procédure devant la Cour :
I. Par une requête et un mémoire enregistré le 22 juillet 2021 et le 11 mars 2022 sous le n° 21MA02901, la société Recylex représentée par Me Herschtel, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 mai 2021 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de rejeter la demande de SNCF Réseau ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;
4°) de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier dans la mesure où :
. les moyens nouveaux présentés dans son dernier mémoire n'ont pas été examinés en méconnaissance des dispositions de l'article R. 741-2 du code de justice administrative ;
. le tribunal a omis de statuer sur plusieurs de ces moyens ;
. le principe du contradictoire a été méconnu ;
. le tribunal a statué " ultra petita " ;
- la procédure de contravention de grande voirie est irrégulière dans la mesure où :
. l'auteur du procès-verbal était incompétent car il n'était pas assermenté, il n'était pas compétent territorialement et il n'était pas compétent au sens des dispositions de l'article L. 2241-1 du code des transports ;
. les poursuites étaient irrégulières ;
. aucun fait matériel d'atteinte au domaine ferroviaire n'est établi et aucun document ne corrobore les énonciations du procès-verbal ;
- l'action publique était prescrite car aucun élément produit ne permettant de démontrer que, depuis le rapport de l'expert en 2006, l'infiltration d'effluents sur le domaine public ferroviaire se soit poursuivie ;
- les dispositions de l'article L. 2231-2 du code des transports doivent être entendues limitativement ; ne peuvent ainsi être sanctionnés que les dépôts de terre et autres objets quelconques dans l'emprise du domaine public et en aucun cas des infiltrations d'effluents en amont des installations ferroviaires ;
- il ne résulte ni des textes ni de la jurisprudence que la sauvegarde de l'environnement serait une composante de l'intégrité du domaine public ferroviaire ; la seule intervention de l'inspection des installations classées ne peut suffire à établir l'existence de dommages audit domaine ;
- le seul constat réalisé contradictoirement avant le début des travaux contredit les affirmations de SNCF Réseau sur l'origine industrielle des désordres allégués des ouvrages ferroviaires dans la mesure où les substances identifiées comme traceurs de l'activité industrielle sont, à l'exception d'un point, à des concentrations mesurées in situ inférieures aux limites de quantification ; ces résultats confirmés par des analyses en laboratoire démentent un quelconque lien direct entre la présence de concrétions et une pollution en métaux de l'ouvrage qui serait d'origine industrielle ; enfin, l'état de dégradation très avancée du tunnel de Rio Tinto générant un risque d'effondrement allégué par SNCF Réseau n'est pas établi et contredit par le constat d'huissier réalisé en septembre 2020 ;
- l'origine et l'imputabilité des dommages ne sont pas établies :
. la présence de métaux n'est pas de nature à générer des atteintes au domaine public susceptibles de faire l'objet d'une contravention de grande voirie, elle est tout au plus à l'origine de contraintes d'exploitation (équipement de protection, surcoûts d'élimination) ;
. le remplacement des constituants RVB est justifié par leur ancienneté : les travaux de modernisation ne relèvent pas des dommages pouvant être indemnisés au titre de la présente instance, dès lors que lesdits travaux ne sont pas liés à la pollution des ouvrages ; le tribunal a sur ce point statué au-delà des demandes de la société requérante ; un surcout d'élimination de ballasts ne constitue pas une atteinte au domaine public ferroviaire et en tout état de cause, le renouvellement des rails et ballast est justifié par l'ancienneté de la structure ;
. s'agissant du tunnel de Rio Tinto, il n'est pas établi que les concrétions observées ne seraient pas uniquement superficielles ni qu'elles aient été causées par des infiltrations d'origine industrielle ;
. l'existence d'un dommage au tunnel des Riaux et au viaduc de Vauclair, dont l'origine ne serait ni la vétusté ni un phénomène naturel lié au creusement du tunnel dans une roche calcaire, n'est pas établie ;
. le caractère certain de l'origine des dommages n'est établi, ni par le rapport de l'expert A..., ni par les rapports AECOM ; le rapport établi par HUB Environnement n'énonce que des hypothèses et les autres rapports cités n'étudient ni l'existence d'une éventuelle pollution du domaine public ferroviaire ni la permanence d'une telle pollution ;
- le montant de l'indemnisation ne peut intégrer des coûts sans lien avec la remise en état du domaine public :
. il doit être fait une distinction entre les travaux de modernisation et les travaux de régénération ;
. compte tenu de la différence entre l'estimation de 2004 et celle présentée dans l'instance, le montant sollicité par SNCF Réseau est disproportionné ;
- les sociétés Recylex et Retia ne peuvent pas être considérées comme co-auteurs de l'infraction : la société Recylex n'a la garde des terrains sus-jacents aux ouvrages ferroviaires qu'à raison d'un tiers de la longueur du tunnel des Riaux.
Par des mémoires en défense enregistrés le 17 janvier 2022, le 29 avril 2022 et le 23 décembre 2022, SNCF Réseau, représenté par Me de la Brosse, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête et de confirmer le jugement attaqué ;
2°) de porter le montant de la condamnation solidaire des sociétés Recylex et Retia, au titre de la remise en état du domaine public ferroviaire, à la somme de 95 251 560 euros décomposé comme suit :
- 63 300 000 euros correspondant au montant des dépenses de remise en état du domaine public ferroviaire à engager par SNCF Réseau tel qu'évalué aux conditions économiques de décembre 2017 ;
- 9 929 210 euros correspondant à l'actualisation du montant des dépenses de remise en état du domaine public ferroviaire à engager par SNCF Réseau pour tenir compte de l'évolution des conditions économiques jusqu'en mars 2022 ;
- 22 022 350 euros correspondant à l'actualisation du montant des dépenses de remise en état du domaine public ferroviaire à engager par SNCF Réseau pour tenir compte de l'évolution des conditions économiques de mars 2022 jusqu'à la date de réalisation des travaux, lesquels devraient être achevés en 2029 ;
3°) de condamner solidairement les sociétés Retia et Recylex au paiement de la somme de 40 535,45 euros au titre du solde des dépenses liées aux travaux de sécurisation, immédiatement exigible ;
4°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Retia et Recylex la somme de 15 000 euros à verser à SNCF Réseau sur le fondement de l'article L 761-1 du Code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
SNCF Réseau fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et demande qu'il soit tenu compte des éléments d'actualisation figurant dans la déclaration de créances réalisée préalablement au jugement de liquidation judiciaire prononcé le 9 novembre 2022.
Par un mémoire en intervention enregistré le 1er décembre 2022, Me Patrick Canet et Me Charles-Axel Chuine, liquidateurs judiciaires de la société Recylex SA, représentés par Me Herschtel, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille n° 1802562 du 26 mai 2021;
2°) de rejeter la requête de SNCF Réseau ;
3°) de diligenter une expertise ;
4°) de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 5 000 euros à verser la société Recylex sur le fondement de l'article L. 761-1 du Code de justice administrative.
Me Canet et Me Chuine s'en rapportent à l'ensemble des conclusions, moyens et prétentions développés par la société Recylex.
Par courrier du 15 mars 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à demander l'octroi d'une provision devant le juge de la contravention de grande voirie.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites par Me de La Brosse pour SNCF Réseau et communiquées le 21 mars 2023.
II. Par une requête enregistrée le 29 octobre 2021, sous le n° 21MA04260, et un mémoire enregistré le 11 mars 2022, la société Recylex représentée par Me Herschtel, demande à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 26 mai 2021 du tribunal administratif de Marseille.
La société Recylex soutient que :
- l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;
- elle fait valoir des moyens sérieux d'annulation de ce jugement.
Par des mémoires enregistrés le 17 janvier 2022, le 29 avril 2022 et le 23 décembre 2022, SNCF Réseau, représentée par Me de la Brosse, conclut au rejet de la requête.
SNCF Réseau fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par un mémoire en intervention enregistré le 1er décembre 2022, Me Patrick Canet et Me Charles-Axel Chuine, liquidateurs judiciaires de la société Recylex SA, représentés par Me Herschtel, demandent à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 26 mai 2021 du tribunal administratif de Marseille.
Les deux liquidateurs s'associent aux conclusions et moyens de la société Recylex.
Par courrier du 15 mars 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à demander l'octroi d'une provision devant le juge de la contravention de grande voirie.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites par Me de la Brosse pour SNCF Réseau et communiquées le 21 mars 2023.
III. Par une requête enregistrée le 26 juillet 2021 sous le n° 21MA02965, et des mémoires enregistrés le 27 avril 2022, le 25 mai 2022 et le 27 janvier 2023, la société Retia, représentée par Me Clément, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 26 mai 2021 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) de rejeter la demande de SNCF Réseau ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise ;
4°) de mettre à la charge de SNCF Réseau la somme de 15 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement a été rendu en violation des règles et principes du contradictoire ;
- le jugement est entaché d'un défaut de réponse à des conclusions et de contradictions dans ses motifs ;
- le jugement ne se prononce pas sur la demande d'expertise formée par les sociétés ;
- le jugement est entaché de plusieurs contradictions de motifs ;
- le jugement entrepris est entaché de nombreuses erreurs de faits ;
- le jugement entrepris est entaché d'erreurs de droit ;
- la demande de SNCF Réseau est irrecevable en raison de sa tardiveté ;
- la juridiction administrative n'est pas compétente ;
- le procès-verbal de contravention de grande voirie à l'origine de la procédure est irrégulier ;
- l'auteur du procès-verbal de grande voirie établi le 16 février 2018 était incompétent ;
- le procès-verbal de contravention de grande voirie était nul ;
- les demandes formées par SNCF Réseau et la condamnation y faisant droit sont dépourvues de base légale ;
- SNCF Réseau ne justifie pas de l'existence d'un lien de causalité entre les activités exercées par les sociétés poursuivies et l'atteinte au domaine public ferroviaire ;
- SNCF Réseau ne justifie pas de l'existence d'un lien de causalité entre, d'une part, les anciennes activités industrielles exercées à l'Estaque, d'autre part, une dégradation des ouvrages ferroviaires ;
- SNCF Réseau ne justifie pas plus de la distinction qu'elle entend faire entre, d'une part, les dommages résultant de la vétusté des ouvrages ferroviaires et, d'autre part, ceux supposés liés aux activités exercées par les sociétés Retia et Recyclex ;
- SNCF Réseau n'a pas justifié le montant des sommes qu'elle entend voir mettre à la charge des sociétés Retia et Recyclex ;
- SNCF Réseau n'a pas justifié les montants sollicités au titre de l'ensemble des surcoûts subis du fait de la pollution du site de Vauclair, ni les montants sollicités au titre de la réalisation des travaux de sécurisation du tunnel, ni le montant sollicité au titre des études préliminaires, ni la demande d'indemnisation des pertes d'exploitation.
Par des mémoires en défense enregistrés le 17 janvier 2022, le 11 mai 2022, le 17 janvier 2023, et le 16 février 2023, SNCF Réseau, représenté par Me de la Brosse, demande à la Cour :
1°) de rejeter la requête et de confirmer le jugement attaqué ;
2°) de porter le montant de la condamnation solidaire des sociétés Recylex et Retia au titre de la remise en état du domaine public ferroviaire à la somme de 95 251 560 euros décomposés comme suit :
- 63 300 000 euros correspondant au montant des dépenses de remise en état du domaine public ferroviaire à engager par SNCF Réseau tel qu'évalué aux conditions économiques de décembre 2017 ;
- 9 929 210 euros correspondant à l'actualisation du montant des dépenses de remise en état du domaine public ferroviaire à engager par SNCF Réseau pour tenir compte de l'évolution des conditions économiques jusqu'en mars 2022 ;
- 22 022 350 euros correspondant à l'actualisation du montant des dépenses de remise en état du domaine public ferroviaire à engager par SNCF Réseau pour tenir compte de l'évolution des conditions économiques de mars 2022 jusqu'à la date de réalisation des travaux, lesquels devraient être achevés en 2029 ;
3°) de condamner solidairement les sociétés Retia et Recylex au paiement de la somme de 40 535, 45 euros au titre du solde des dépenses liées aux travaux de sécurisation, immédiatement exigible ;
4°) de mettre à la charge solidaire de Retia et Recylex la somme de 15 000 euros à verser à SNCF Réseau sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
SNCF Réseau fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé et demande qu'il soit tenu compte des éléments d'actualisation figurant dans la déclaration de créances réalisée préalablement au jugement de liquidation judiciaire prononcé le 9 novembre 2022.
Par courrier du 15 mars 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à demander l'octroi d'une provision devant le juge de la contravention de grande voirie.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites par Me Clément pour la société Retia et par Me de la Brosse pour SNCF Réseau et communiquées les 20 et 21 mars 2023.
IV. Par une requête enregistrée sous le n° 21MA04164 le 19 octobre 2021 et des mémoires enregistrés le 11 mars 2022, le 27 avril 2022, le 13 mai 2022 et le 27 janvier 2023, la société Retia représentée par Me Clément, demande à la Cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du 26 mai 2021 du tribunal administratif de Marseille.
La société Retia soutient que :
- l'exécution du jugement risque d'entraîner des conséquences difficilement réparables ;
- elle fait valoir des moyens sérieux d'annulation de ce jugement.
Par des mémoires enregistrés le 17 janvier 2022, le 11 mai 2022, le 17 janvier 2023 et le 16 février 2023, SNCF Réseau, représenté par Me de la Brosse, conclut au rejet de la requête.
SNCF Réseau fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par courrier du 15 mars 2023, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la Cour était susceptible de relever d'office le moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions tendant à demander l'octroi d'une provision devant le juge de la contravention de grande voirie.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites par Me de la Brosse pour SNCF Réseau et communiquées le 21 mars 2023.
Vu :
- le procès-verbal de contravention de grande voirie dressé le 16 février 2018 ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code pénal ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des transports ;
- la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer ;
- l'ordonnance n° 2021-444 du 14 avril 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Clément représentant la société Retia et de Me de la Brosse représentant SNCF Réseau.
Une note en délibéré, présentée pour SNCF Réseau, par Me de la Brosse a été enregistrée le 29 mars 2023 dans les quatre instances.
Une note en délibéré, présentée pour la société Retia par Me Clément a été enregistrée le 31 mars 2023 dans l'instance n° 21MA02965.
Considérant ce qui suit :
1. SNCF Réseau exploite la ligne ferroviaire n° 935000 Estaque - Miramas, appelée ligne de la Côte Bleue, concédée par l'Etat en vertu d'une loi du 20 novembre 1883. Cette ligne est située en contrebas d'anciennes installations industrielles, établies depuis 1883 sur plus de 140 hectares, telle l'ancienne usine Metaleurop, héritière des usines Rio Tinto puis Penarroya, qui exploitaient depuis 1883 des activités liées à la transformation de divers minerais et sulfures. En 1959, la société Kuhlmann a acquis 39 hectares d'installations industrielles de Penarroya puis les a cédés en 1983 à la société Atochem devenue Arkema, qui jouxte le site et a exploité l'ensemble jusqu'en 1992. Metaleurop a arrêté toute activité en 2002 et est devenue la société Recylex, tandis que la société Arkema devenue la société Atofina, a arrêté son exploitation en 1992 et est devenue la société Retia. A la suite de l'arrêt de l'exploitation des installations, plusieurs arrêtés du préfet des Bouches-du-Rhône ont ordonné la remise en état de ces sites, ainsi que leur réhabilitation, avec des prescriptions complémentaires.
2. SNCF Réseau a mené, au cours de l'année 2000 des analyses sur cette ligne ferroviaire, entre les KM 867.152 et 868.965, sous les tunnels des Riaux et du Rio Tinto et sur le viaduc de Vauclair qui relie les deux tunnels, près de l'Estaque. Ces analyses ont mis en évidence une attaque chimique et microbiologique des installations, ainsi que la présence d'une pollution à l'arsenic, aux sulfates et au plomb. A la demande de cette société, le tribunal administratif de Marseille a désigné un expert, M. A..., sur le fondement de l'article R. 531-1 du code de justice administrative, ayant pour mission, notamment, de " constater la nature des exploitations successives et leurs conséquences visibles sur l'environnement, les lieux de stockage et la nature des produits stockés, les mesures de précaution prévues et prises au niveau de l'intégrité du domaine public ferroviaire ...l'étendue et la nature de la pollution visible du domaine public ferroviaire ...l'impact visible sur le milieu naturel... et constater l'existence de terres polluées sur le site exploité par Sté Retia et Arkema. ".
3. M. A... a ainsi remis deux rapports, en date des 24 juillet 2006 et 22 février 2010, concluant à une pollution des ouvrages ferroviaires de SNCF Réseau en lien direct avec les anciennes activités industrielles des sociétés Retia et Recylex. Le 16 février 2018, SNCF Réseau a dressé un procès-verbal de contravention de grande voirie, notifié aux sociétés Retia et Recylex, en leur qualité de derniers exploitants des installations dont l'activité est à l'origine de l'atteinte portée à l'intégrité du domaine public ferroviaire, en particulier aux rails et attaches sur traverses, aux traverses, ballasts et éléments de la plateforme ferroviaire, et aux portions de chaque tunnel et du viaduc, de la tranchée rocheuse et du mur de recouvrement entre les tunnels, entre les kilomètres 867.152 et 868.965 de la ligne ferroviaire Estaque - Miramas.
4. SNCF Réseau a demandé au tribunal de condamner solidairement ces deux sociétés au paiement d'une somme de 64,9 millions d'euros au titre des travaux de remise en état. Par un jugement du 26 mai 2021, le tribunal administratif de Marseille a condamné solidairement les sociétés Recylex et Retia à payer à SNCF Réseau la somme de 5 674 014.21 euros au titre de la remise en état du domaine public ferroviaire, décidé que les deux sociétés verseront le surplus, jusqu'à concurrence de 63,3 millions d'euros, au fur et à mesure des appels de fonds de SNCF Réseau et enfin, condamné les deux sociétés à payer à SNCF Réseau la somme de 1 500 euros chacune pour moitié, au titre de l'amende visée par le code pénal. Par les requêtes n° 21MA02901 et 21MA02965, la société Recylex et la société Retia relèvent respectivement appel du jugement du tribunal administratif de Marseille et demandent à la Cour, à titre subsidiaire, de diligenter une expertise. Par les requêtes n° 21MA04260 et 21MA04164 ces deux sociétés demandent le sursis à exécution de ce jugement.
5. Les requêtes n° 21MA02901, 21MA02965, 21MA04260 et 21MA04164 de la société Recylex et de la société Retia sont relatives à une même contravention de grande voirie. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un même arrêt.
Sur l'intervention de Me Canet et Me Chuine, liquidateurs judiciaires de la société Recylex :
6. En l'espèce, Me Canet et Me Chuine, liquidateurs judiciaires de la société Recylex SA, justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien de cette société dans les instances n° 21MA02901 et n° 21MA04260. Leur intervention est, dès lors, recevable et doit être admise.
Sur la régularité du jugement :
7. Selon l'article L. 5 du code de justice administrative, " L'instruction des affaires est contradictoire. Les exigences de la contradiction sont adaptées à celles de l'urgence, du secret de la défense nationale et de la protection de la sécurité des personnes. ". Et aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " (...) La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes (...). / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. ".
8. En l'espèce, la société Retia reproche aux premiers juges de ne pas lui avoir transmis le deuxième mémoire en défense déposé par le conseil de la société Recylex le 23 septembre 2019 tandis que la société Recylex reproche au tribunal de ne pas lui avoir transmis le deuxième mémoire en défense déposé par la société Retia le 13 novembre 2019.
9. Il résulte de l'instruction que SNCF Réseau a demandé au tribunal la condamnation solidaire des sociétés Retia et Recylex à lui payer une somme de près de 65 millions d'euros au titre des travaux de remise en état du domaine public ferroviaire, lequel aurait subi des dommages liés aux pollutions engendrées par leurs activités ou celles des précédents exploitants de leurs installations. Dans ces conditions, eu égard à cette demande de condamnation solidaire, à la complexité technique des dossiers et au montant de la somme réclamée, les deux sociétés, de par leurs intérêts pour partie divergents, avaient intérêt à se voir communiquer ces mémoires.
10. Par ailleurs, c'est également à tort, comme le font valoir les sociétés appelantes, que les premiers juges n'ont pas communiqué à SNCF Réseau les mémoires déposés par les deux sociétés, respectivement le 29 et le 30 avril 2021 dès lors que lesdits mémoires contenaient de nouveaux éléments en réplique.
11. Ainsi, le tribunal a méconnu le caractère contradictoire de la procédure. Par suite, le jugement étant intervenu au terme d'une procédure irrégulière, il y a lieu de l'annuler, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par SNCF Réseau devant le tribunal administratif de Marseille.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
12. La société Retia soutient que le juge administratif serait incompétent en l'absence de fondement légal de la contravention de grande voirie, les faits en cause ne figurant pas au nombre des interdictions des articles L. 2231-1 à L. 2231-9 du code des transports qui visent principalement des " dépôts de terres et autres objets quelconques ". Toutefois, une telle circonstance, à la supposer établie, relève du bien-fondé de l'utilisation de la procédure de contravention de grande voirie et est par suite sans incidence sur la compétence du juge administratif pour connaître des instances introduites par les personnes publiques, sur le fondement des articles L. 774-1 et suivants du code de justice administrative, visant à réprimer les atteintes portées à leur domaine public, à l'exclusion du domaine public routier. En outre, est également sans incidence sur la compétence du juge administratif la circonstance qu'il existe une possibilité, dans certains cas, que la personne publique recherche la responsabilité des personnes privées devant la juridiction judiciaire, à raison des dommages causés au domaine. Dans ces conditions, la juridiction administrative est compétente pour connaître de l'action engagée par SNCF Réseau contre les sociétés Retia et Recylex.
Sur la fin de non-recevoir tirée de la tardiveté de la requête :
13. La société Retia soutient que la requête de SNCF Réseau présentée près de douze ans après le premier constat des faits était tardive. Toutefois, les arguments invoqués à l'appui de cette fin de non-recevoir concernent la prescription de l'action publique ou de l'action domaniale et sont sans incidence sur la recevabilité de la présente procédure. Par suite, la fin de non-recevoir invoquée doit être écartée.
En ce qui concerne la régularité des poursuites :
14. Aux termes de l'article L. 2132-21 du code général de la propriété des personnes publiques alors applicable : " Sous réserve de dispositions législatives spécifiques, les agents de l'État assermentés à cet effet devant le tribunal de grande instance, les agents de police judiciaire et les officiers de police judiciaire sont compétents pour constater les contraventions de grande voirie ". Aux termes de l'article L. 2232-1 du code des transports : " Les infractions aux dispositions du chapitre Ier sont constatées, poursuivies et réprimées comme en matière de grande voirie. / SNCF Réseau exerce concurremment avec l'État les pouvoirs dévolus à ce dernier pour la répression des atteintes à l'intégrité et à la conservation de son domaine public. / Les infractions aux dispositions du chapitre Ier peuvent en outre être constatées par les agents assermentés énumérés au I de l'article L. 2241-1 et par les agents assermentés des personnes ayant conclu une convention avec SNCF Réseau en application de l'article L. 2111-9 ". Enfin, en vertu des dispositions de l'article L. 2241-1 du même code : " I. - Sont chargés de constater par procès-verbaux les infractions aux dispositions du présent titre ainsi que les contraventions prévues par les règlements relatifs à la police ou à la sûreté du transport et à la sécurité de l'exploitation des systèmes de transport ferroviaire ou guidé, outre les officiers et les agents de police judiciaire : / (...) 3° Les agents assermentés missionnés du gestionnaire d'infrastructures de transport ferroviaire et guidé ; / 4° Les agents assermentés de l'exploitant du service de transport (...) ". Enfin, aux termes du troisième alinéa de l'article 23 de la loi du 15 juillet 1845 alors en vigueur : " Au moyen du serment prêté devant le tribunal de grande instance de leur domicile, les agents de surveillance de l'administration et des concessionnaires ou fermiers pourront verbaliser sur toute la ligne du chemin de fer auquel ils seront attachés. ".
15. Les sociétés appelantes soutiennent que M. C..., l'auteur du procès-verbal, était incompétent dans la mesure où il n'était pas assermenté, n'était pas compétent territorialement et n'était pas compétent au sens des dispositions de l'article L. 2241-1 du code des transports.
16. En premier lieu, le moyen tiré du défaut d'assermentation de M. C... manque en fait dès lors qu'une copie de cette assermentation a été jointe au procès-verbal adressé aux deux sociétés contrevenantes le 16 février 2018.
17. En deuxième lieu, les seules conditions posées par les articles L. 2232-1 et L. 2241-1 du code des transports pour qu'un agent soit habilité à constater, poursuivre et réprimer les atteintes au domaine public ferroviaire tiennent d'une part à son assermentation et d'autre part au fait d'être missionné par le gestionnaire d'infrastructures de transport ferroviaire et guidé, quelle que soit sa dénomination sociale. L'article 28 du code de procédure pénale prévoit que les fonctionnaires et agents des administrations et services publics auxquels des lois spéciales attribuent certains pouvoirs de police judiciaire exercent ces pouvoirs dans les conditions et limites fixées par ces lois.
18. En l'espèce, il résulte de l'instruction que M. C... a été habilité à dresser des procès-verbaux pour constater des infractions relatives à la police, la sûreté et l'exploitation des voies ferrées par l'assermentation qui lui a été délivrée sur le fondement de l'article L. 2232-1 du code des transports et qui renvoie à une liste d'agents investis de pouvoirs de police ferroviaire figurant à l'article L. 2241-1 du même code. Sur cette liste, figurent notamment les " agents assermentés missionnés du gestionnaire d'infrastructures de transport ferroviaire et guidé. ". A la date de sa prestation de serment, la SNCF qui était alors l'employeur de M. C..., assurait la gestion du trafic et des circulations sur le réseau ferré national ainsi que le fonctionnement et l'entretien des installations techniques et de sécurité de ce réseau, en sa qualité de gestionnaire d'infrastructure délégué. M. C... a conservé sa qualité d'agent missionné du gestionnaire de l'infrastructure lors de la création de SNCF Réseau. Dans ces conditions, cet agent était donc habilité à dresser un procès-verbal de contravention de grande voirie dès lors qu'à la date d'établissement de ce dernier, il était à la fois assermenté et missionné par SNCF Réseau. Par suite, le moyen invoqué par les sociétés appelantes doit être écarté.
19. En troisième lieu, M. C... est rattaché à l'unité de maintenance d'Avignon de l'Infrapôle Provence-Alpes-Côte d'Azur dont les limites territoriales d'intervention comprennent la ligne Miramas - l'Estaque par Port de Bouc. Par suite, le moyen tiré de ce que M. C... ne serait pas compétent pour dresser des procès-verbaux de contravention sur la ligne en cause doit également être écarté.
20. En quatrième lieu, la société Recylex soutient que la notification du procès-verbal de grande voirie serait irrégulière et entrainerait l'irrégularité de la procédure dans son ensemble dès lors que M. D... E..., directeur territorial Provence-Alpes-Côte d'Azur de SNCF Réseau n'avait pas compétence pour notifier le procès-verbal de contravention de grande voirie aux sociétés contrevenantes. Or, d'une part, aucune disposition n'énumère les autorités au sein de SNCF Réseau habilitées à procéder à la notification du procès-verbal de contravention de grande voirie. D'autre part, en tant que directeur territorial, M. E... est notamment en charge du pilotage des projets de régénération sur les lignes de desserte fine du territoire, comprenant le tronçon de la ligne Miramas - l'Estaque. A ce titre, il est compétent pour signer tout courrier s'inscrivant dans un contexte de régénération de cette ligne et donc pour procéder à la notification des contraventions de grande voirie destinées à mettre un terme aux désordres causés au domaine public ferroviaire situé sur le site de l'Estaque. Par suite, le moyen invoqué manque en fait.
21. En cinquième lieu, les sociétés Retia et Recylex soutiennent que le procès-verbal de contravention de grande voirie serait irrégulier, à défaut de constatation matérielle des faits par l'agent ayant dressé le constat. Or, si l'agent verbalisateur n'a pas été personnellement témoin des faits, mais relate d'autres témoignages, le procès-verbal peut néanmoins servir de base aux poursuites et motiver une condamnation si ses énonciations sont confirmées par l'instruction.
22. En l'espèce, il ressort des termes du procès-verbal de contravention de grande voirie en date du 16 février 2018 qu'il fait référence aux constats réalisés en 2006 et 2010 et mentionne en outre que M. C... a bien procédé à des constatations factuelles et visuelles lors de sa visite. Par suite, le moyen invoqué doit être écarté.
23. En sixième lieu, s'il est soutenu que SNCF Réseau aurait dû engager une procédure de contravention de grande voirie dès 2006 ou 2010, à la suite des constats effectués par M. A..., expert, aucune disposition législative ou réglementaire n'impartit aux agents verbalisateurs de délai, à partir du jour où ils ont constaté l'infraction, pour rédiger le procès-verbal de contravention.
24. En dernier lieu, la société Retia soutient qu'une contravention de grande voirie ne peut être fondée sur un procès-verbal qui ne désigne pas précisément l'auteur de l'infraction, en violation du principe d'individualisation des peines qui s'impose à toute action répressive. Toutefois, ce principe n'interdit pas d'engager les poursuites, au moyen d'un tel procès-verbal, envers plusieurs personnes morales ou physiques.
En ce qui concerne l'action publique :
S'agissant de la prescription :
25. Aux termes du premier alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale : " En matière de crime, l'action publique se prescrit par dix années révolues à compter du jour où le crime a été commis si, dans cet intervalle, il n'a été fait aucun acte d'instruction ou de poursuite. ". Et aux termes de l'article 9 du même code : " En matière de contravention, la prescription de l'action publique est d'une année révolue ; elle s'accomplit selon les distinctions spécifiées à l'article 7 ci-dessus. ". En outre, les dispositions de l'article L. 2132-27 du code général de la propriété des personnes publiques font obstacle, tant que se poursuivent les dommages au domaine public, à la prescription de l'action publique.
26. Il résulte de ces dispositions que seules peuvent être regardées comme des actes d'instruction ou de poursuite, en matière de contraventions de grande voirie, outre les jugements rendus par les juridictions et les mesures d'instruction prises par ces dernières, les mesures qui ont pour objet soit de constater régulièrement l'infraction, d'en connaître ou d'en découvrir les auteurs, soit de contribuer à la saisine du tribunal administratif ou à l'exercice par le ministre de sa faculté de faire appel. Ces actes d'instruction ou de poursuites interrompent la prescription à l'égard de tous les auteurs, y compris ceux qu'ils ne visent pas. Par ailleurs, la prescription d'infractions continues ne court qu'à partir du jour où elles ont pris fin.
27. En l'espèce, au jour du présent arrêt, il résulte de l'instruction que les dommages au domaine public ferroviaire n'ont pas cessé. En outre, la requête contestant le procès-verbal du 16 février 2018 a été déposée le 30 mars 2018, puis différents mémoires et actes d'instruction se sont succédé sans interruption supérieure à un an. Par suite, à la date de la présente décision, l'action publique n'était pas prescrite.
S'agissant de la matérialité de l'infraction et du bien-fondé des poursuites :
28. Selon l'article L. 2132-2 du code général de la propriété des personnes publiques : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1. ". Ce dernier article précise que ces servitudes sont instituées par la loi. En vertu des dispositions de l'article L. 2132-12 de ce code, dans sa rédaction alors en vigueur à la date de rédaction du procès-verbal, les atteintes à l'intégrité ou à l'utilisation du domaine public ferroviaire sont fixées par les articles 2 et 11 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police des chemins de fer. Elles sont désormais fixées par les articles L. 2231-2, L. 2232-1 et L. 2232-2 du code des transports.
29. Aux termes de l'article L. 2231-2 du code des transports, dans sa version applicable à la date de rédaction du procès-verbal : " Tout dépôt de terre et autres objets quelconques, ainsi que le pacage des bestiaux, est interdit sur l'étendue du domaine public ferroviaire. ". Depuis le 1er janvier 2022, ce même article, dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 14 avril 2021 relative à la protection du domaine public ferroviaire dispose que : " I. - Sont applicables aux propriétés riveraines du domaine public ferroviaire les servitudes d'écoulement des eaux prévues par les articles 640 et 641 du code civil. II. - Tout déversement, écoulement ou rejet direct ou indirect, qu'il soit diffus ou non, d'eaux usées, d'eaux industrielles ou de toute autre substance, notamment polluante ou portant atteinte au domaine public ferroviaire, est interdit sur le domaine public ferroviaire. ". Et l'article L. 2231-3 de ce code précise : " Sont applicables aux propriétés riveraines du domaine public ferroviaire les servitudes imposées par les lois et règlements sur la grande voirie, et qui concernent : ... 2° L'écoulement des eaux... (...). "
30. L'article L. 2232-1 du code des transports dispose : " Les infractions aux dispositions du chapitre Ier sont constatées, poursuivies et réprimées comme en matière de grande voirie... ". L'article L. 2232-2 du même code poursuit ainsi : " Les personnes qui contreviennent aux dispositions du présent chapitre sont condamnées à supprimer, dans le délai déterminé par le juge administratif, les ouvrages ou dépôts faits contrairement à ces dispositions. La suppression a lieu d'office, et le montant de la dépense est recouvré contre eux par voie de contrainte, comme en matière de contributions publiques, s'ils ne se conforment pas à ce jugement. ".
31. Il appartient au juge de la répression des contraventions de grande voirie de rechercher, au besoin d'office, si, à la date des faits relevés à l'encontre de l'auteur d'atteintes portées au domaine public, ces atteintes étaient réprimées par une contravention de grande voirie. Il doit dans ce cas, avant de statuer au titre de l'action publique, également vérifier qu'à la date à laquelle il statue, l'atteinte portée au domaine public constitue toujours une telle contravention.
32. Par ailleurs, la personne qui peut être poursuivie pour contravention de grande voirie est, soit celle qui a commis ou pour le compte de laquelle a été commise l'action qui est à l'origine de l'infraction, soit celle sous la garde de laquelle se trouvait l'objet qui a été la cause de la contravention. Aucune disposition applicable aux contraventions de grande voirie ne permet au juge administratif, dès lors qu'il a constaté la matérialité de ces infractions, de dispenser leur auteur de la condamnation aux amendes prévues par les textes et non frappées de prescription. Eu égard au principe d'individualisation des peines, il lui appartient cependant de fixer, dans les limites prévues par les textes applicables, le montant des amendes dues compte tenu de la gravité de la faute commise, qu'il apprécie au regard de la nature du manquement et de ses conséquences. Il ne saurait légalement condamner plusieurs prévenus solidairement au paiement de la même amende.
33. Il résulte de l'instruction, et notamment de la synthèse des rapports de M. A..., expert, en date des 24 juillet 2006 et 22 février 2010 que " ...les activités de chimie industrielle exercées sur le site de l'Estaque depuis 1883 jusqu'en 1992 pour Atofina et 2002 pour Metaleurop ont été à l'origine de l'infiltration de divers éléments et composés dans les sols calcaires que traversent les tunnels Rio Tinto et des Riaux, ou sur le viaduc de Vauclair. Les différentes analyses menées par la SNCF Réseau sur des échantillons d'eaux et de sol ...ont révélé la présence d'arsenic et de plomb. Des ions sulfates provenant de processus de fabrication ou de l'action de la pluie sur des déchets stockés à proximité (scories notamment) ont aussi pénétré le massif calcaire et sont à l'origine de cristaux néoformés, dont notamment du gypse dont les fortes forces de cristallisation peuvent avoir pour conséquences l'éclatement des matériaux atteints par les fissures dans lesquelles il se développe (dont les moellons calcaires ou le mortier qui les relie... Deux zones du tunnel Rio Tinto ont été sujettes à une altération rapide des maçonneries consécutive à la présence d'eaux très sulfatées provenant des activités industrielles menées au-dessus de ce tunnel et probablement surtout du lessivage de déchets contenant du soufre, stockés en différents endroits. Ces deux parties ont dû être reconstruites et réparées à plusieurs reprises. ".
34. En outre, l'agent ayant établi le procès-verbal a indiqué avoir constaté sur place le 16 février 2018, entre les KM 867.152 et 868.965 et sur différents points métriques précis et cités : " sur le domaine de la voie, des effluents percolant à l'intérieur des tunnels, une corrosion des rails ... sur les ouvrages hydrauliques (drains et fossés) une collecte d'effluents lourds ... sur les ouvrages d'art une exfoliation des moellons, une altération chimique du mortier, une extension des dépôts carbonatés, des concrétions noirâtres épaisses... ".
35. Enfin, cette origine industrielle des pollutions observées sur les installations ferroviaires ressort également des conclusions de l'étude effectuée pour le compte de SNCF Réseau par le bureau d'études HUB Environnement, le 27 novembre 2018, aux termes desquelles les substances fabriquées sur les anciens sites industriels durant un siècle, de 1883 à 1980 (acides sulfuriques et chlorhydriques, produits soufrés) puis les énormes volumes de déchets accumulés se retrouvent localisés, sous une forme dégradée contenant de l'arsenic et des sulfates, dans les installations ferroviaires, suite aux transferts atmosphériques et au lessivage via les eaux de ruissellement et de percolation. Dans ces conditions, la réalité de la pollution, son origine et son imputabilité aux sociétés Retia et Recylex doit être regardée comme établie au vu de ces différents rapports.
36. Il résulte de la combinaison des dispositions, citées au points 28 à 30, des articles L. 2132-2 et L. 2132-12 du code général de la propriété des personnes publiques, ainsi que celles des articles L. 2231-2, L. 2231-3, L. 2232-1 et L. 2232-2 du code des transports que les pollutions engendrées par les anciennes activités industrielles exploitées sur les sites désormais sous la responsabilité des sociétés Recylex et Retia, et résultant des infiltrations liées à l'action naturelle et des eaux et au lessivage des déchets, qui ont causé des dommages au domaine public ferroviaire, constituent des contraventions de grande voirie, que ce soit à la date du procès-verbal du 16 février 2018, en raison de l'application des servitudes imposées par les lois et règlements sur la grande voirie et qui concernent l'écoulement des eaux, qu'à la date de la présente décision.
37. Par suite, SNCF Réseau est fondée à soutenir que les sociétés Recylex et Retia se sont rendues coupables d'une contravention de grande voirie.
38. Compte tenu de tout ce qui précède, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'infliger à la société Recylex une amende de 1 500 euros et à la société Retia une amende de 1 500 euros.
En ce qui concerne l'action domaniale :
S'agissant de la prescription :
39. En raison du caractère imprescriptible des biens du domaine public, rappelé à l'article L. 3111-1 du code général de la propriété des personnes publiques, les atteintes au domaine public peuvent être constatées et sanctionnées à tout moment, quelle que soit l'ancienneté supposée des désordres. Il en est de même s'agissant de la réparation des dommages causés audit domaine. Par suite, et alors que les sociétés appelantes ne sont pas fondées à se prévaloir des dispositions de l'article 2224 du code civil, inapplicables en l'espèce, l'exception de prescription soulevée doit être écartée.
S'agissant du coût des frais de remise en état du domaine public ferroviaire :
40. Le ou les auteurs d'une contravention de grande voirie doivent être condamnés à rembourser à la personne publique concernée le montant des frais exposés ou à exposer par celle-ci pour la remise en état du domaine public endommagé et ils ne sont fondés à demander la réduction des frais mis à leur charge que dans le cas où le montant des dépenses engagées en vue de réparer les conséquences de la contravention présente un caractère anormal.
41. SNCF Réseau, qui souhaite procéder à une mise hors d'atteinte de la structure des tunnels afin de remédier à sa dégradation, a évalué les coûts correspondants qu'elle réclame dans le cadre de la procédure de contravention de grande voirie aux deux sociétés appelantes. Elle sollicite désormais, devant la Cour, les sommes de 63 300 000 euros correspondant au montant des dépenses de remise en état du domaine public ferroviaire tel qu'évalué aux conditions économiques de décembre 2017, 9 929 210 euros correspondant à l'actualisation du montant des dépenses de remise en état du domaine public ferroviaire à engager pour tenir compte de l'évolution des conditions économiques jusqu'en mars 2022 et 22 022 350 euros correspondant à l'actualisation du montant des dépenses de remise en état du domaine public ferroviaire à engager pour tenir compte de l'évolution des conditions économiques de mars 2022 jusqu'à la date de réalisation des travaux, lesquels devraient être achevés en 2029.
42. Aux termes de l'article R. 621-1 du code de justice administrative : " La juridiction peut, soit d'office, soit sur la demande des parties ou de l'une d'elles, ordonner, avant dire droit, qu'il soit procédé à une expertise sur les points déterminés par sa décision. La mission confiée à l'expert peut viser à concilier les parties. ".
43. Les deux sociétés appelantes ne peuvent être condamnées à ne réparer que les dommages qu'elles ont elle-même causées. En l'espèce, les deux sociétés ont exercé dans des lieux différents des activités aux conséquences sur le domaine public qu'il convient d'individualiser. Aussi, l'état du dossier ne permet pas à la Cour de se prononcer de manière certaine sur le coût des travaux de remise en état de chacun des ouvrages, liées aux dommages constatés en lien avec les pollutions industrielles, ainsi que sur la part respective des deux sociétés dans la survenance de ces dommages.
44. Dès lors, il y a lieu, avant de statuer sur le montant des frais à exposer par SNCF Réseau pour les besoins de la remise en état du domaine public ferroviaire endommagé et la part respective des deux sociétés dans la survenue de ces dommages, et eu égard au montant des travaux en litige, d'ordonner une expertise sur ces différents points dans les conditions précisées dans le dispositif du présent arrêt.
Sur les requêtes n° 21MA04260 et n° 21MA04164 :
45. La Cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué, les conclusions aux fins de sursis à exécution du même jugement présentées par les sociétés Recylex et Retia deviennent sans objet. Il n'y a dès lors plus lieu d'y statuer.
D É C I D E :
Article 1er : L'intervention de Me Patrick Canet et Me Charles-Axel Chuine, liquidateurs judiciaires de la société Recylex est admise.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21MA04260 présentée par la société Recylex et de la requête n° 21MA04164 présentée par la société Retia, tendant au sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Marseille 26 mai 2021.
Article 3 : Le jugement n° 1802562 du 26 mai 2021 du tribunal administratif de Marseille est annulé.
Article 4 : La société Recylex est condamnée à payer une amende de 1 500 euros.
Article 5 : La société Retia est condamnée à payer une amende de 1 500 euros.
Article 6 : Il sera, avant de statuer sur les conclusions aux fins de remise en état du domaine public ferroviaire présentées par SNCF Réseau, procédé par un expert, désigné par la présidente de la cour administrative d'appel, à une expertise, au contradictoire de l'ensemble des parties présentes à l'instance, avec mission pour l'expert de :
1°) se rendre sur les lieux, entendre les parties et tout sachant et se faire communiquer tous documents utiles, et notamment l'ensemble des constats et rapports déjà réalisés relatifs à l'origine et la nature des pollutions observées sur le domaine public ferroviaire ainsi qu'aux dommages en résultant ;
2°) fournir à la Cour tous les éléments utiles permettant d'apprécier et d'évaluer l'incidence des activités industrielles des sociétés aux droits desquelles viennent aujourd'hui Retia et Recylex, sur le domaine public ferroviaire à la date de l'expertise, entre les kilomètres 867.152 et 868.965 de la ligne ferroviaire n° 935000 de Miramas à l'Estaque ;
3°) définir et chiffrer les travaux nécessaires à la remise en état des voies, du ballast et des ouvrages ferroviaires qui ont pour origine directe et exclusive la pollution d'origine industrielle causée par les sociétés aux droits desquelles viennent aujourd'hui les sociétés Retia et Recylex ; se prononcer, le cas échéant, sur les autres causes pouvant être à l'origine des dommages constatés sur le domaine public ferroviaire ;
4°) préciser la part respective des activités exercées par les sociétés aux droits desquelles vient aujourd'hui la société Retia et des activités exercées par les sociétés aux droits desquelles vient aujourd'hui la société Recylex, dans la survenue de ces dommages.
Article 7 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. Il déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour, dans sa décision le désignant. Il pourra, s'il l'estime utile, avec l'accord de la présidente de la Cour, s'adjoindre un sapiteur.
Article 8 : Les frais d'expertise sont réservés pour y être statué en fin d'instance.
Article 9 : Tous droits et moyens des parties, sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt, sont réservés jusqu'en fin d'instance.
Article 10 : Le présent arrêt sera notifié à la société Retia, à la société Recylex, à Me Patrick Canet et Me Charles-Axel Chuine, en leur qualité de liquidateurs judiciaires de la société Recylex et à SNCF Réseau.
Délibéré après l'audience du 24 mars 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal Peter, présidente de chambre,
- Mme Ciréfice, présidente assesseure,
- M. Prieto, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 avril 2023.
N° 21MA02901, 21MA04260, 21MA02965, 21MA04164 2
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