Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La commune d'Albitreccia a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler la délibération n° 20/149 du 5 novembre 2020 de l'assemblée de Corse approuvant la modification n° 1 du plan d'aménagement et de développement durable de la Corse (PADDUC), à titre principal dans son intégralité, à titre subsidiaire en tant qu'elle classe certaines parcelles de la commune en tant qu'espaces stratégiques agricoles, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux.
Par un jugement n° 2100590 du 29 avril 2022, le tribunal administratif de Bastia a annulé la décision contestée dans son intégralité.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 29 juin 2022 et le 16 février 2023, la collectivité de Corse, représentée par Me Muscatelli, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 29 avril 2022 du tribunal administratif de Bastia ;
2°) de rejeter les conclusions présentées par la commune d'Albitreccia en première instance ;
3°) de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen d'annulation retenu par le tribunal administratif est infondé ;
- les autres moyens soulevés par l'intimée sont infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2023, la commune d'Albitreccia, représentée par Me Constanza, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête présentée par la collectivité de Corse ;
2°) de mettre à sa charge la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le moyen soulevé par la collectivité de Corse n'est pas fondé ;
- la délibération a été adoptée en méconnaissance de l'article 39 du règlement intérieur de l'assemblée de Corse ;
- la notion de " tâche urbaine " sur laquelle s'appuie le rapport de présentation de la délibération révèle une erreur de droit ;
- le PADDUC renvoie à tort à une étude dite " Sodeteg " ;
- l'évaluation environnementale réalisée en 2015 aurait dû être actualisée, conformément à la directive 2011/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001, avec laquelle l'article R. 104-5 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction antérieure, est incompatible ;
- la modification méconnaît l'article R. 104-18 du code de l'urbanisme ;
- le classement des secteurs de Tarmacheto, Bonza Raza, Montagne Rosso, Bisinao, Sorba et du village d'Albitreccia est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'environnement ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la cour a désigné Mme Vincent, présidente assesseure de la 5ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
Après avoir entendu en audience publique :
- le rapport de M. Mérenne,
- les conclusions de M. Pecchioli, rapporteur public,
- et les observations de Me Goubet, représentant la collectivité de Corse, et de Me Constanza, représentant la commune d'Albitreccia.
Considérant ce qui suit :
1. Par une délibération n° 15/234 AC du 2 octobre 2015, l'Assemblée de Corse a approuvé le plan d'aménagement de développement durable de la Corse (PADDUC), édicté sur le fondement des articles L. 4424-9 et suivants du code général des collectivités territoriales. Par plusieurs jugements des 1er mars et 9 mai 2018, le tribunal administratif de Bastia a annulé cette délibération en tant qu'elle a arrêté la carte des espaces stratégiques agricoles. Par une délibération n° 20/149 du 5 novembre 2020, l'Assemblée de Corse a approuvé la modification n° 1 du PADDUC, modifiant les pages 48 et 143 des orientations règlementaires et adoptant une nouvelle carte des espaces stratégiques agricoles. La collectivité de Corse fait appel du jugement du 29 avril 2022 par lequel le tribunal administratif de Bastia, saisi par la commune d'Albitreccia, a annulé la délibération n° 20/149 du 5 novembre 2020.
Sur le moyen retenu par le tribunal administratif :
2. D'une part, le II de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales prévoit que : " Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse peut, compte tenu du caractère stratégique au regard des enjeux de préservation ou de développement présentés par certains espaces géographiques limités, définir leur périmètre, fixer leur vocation et comporter des dispositions relatives à l'occupation du sol propres auxdits espaces, assorties, le cas échéant, de documents cartographiques dont l'objet et l'échelle sont déterminés par délibération de l'Assemblée de Corse. " D'autre part, le I de l'article L. 4424-14 du même code prévoit que : " Le plan d'aménagement et de développement durable de Corse peut être modifié, sur proposition du conseil exécutif, lorsque les changements envisagés n'ont pas pour effet de porter atteinte à son économie générale. / (...) / Après enquête publique, les modifications sont approuvées par l'Assemblée de Corse. "
3. Parmi de multiples dispositions et orientations, le PADDUC, adopté le 2 octobre 2015 par l'Assemblée de Corse, fixe pour orientation la préservation des espaces nécessaires au maintien et au développement des activités agricoles, pastorales et sylvicoles. A cette fin, les auteurs du PADDUC ont considéré que la préservation des espaces agricoles présentait un caractère stratégique pour définir leur périmètre, fixer leur vocation et prévoir les dispositions relatives à l'occupation du sol propres à ces espaces sur le fondement de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales. Ils ont arrêté des critères d'identification et une méthodologie figurant au livret IV du plan, ainsi qu'une carte à l'échelle 1/50 000e représentant ces espaces selon les critères d'identification et la méthodologie déjà évoqués. La délibération du 2 octobre 2015 de l'Assemblée de Corse a été annulée par plusieurs jugements du tribunal administratif de Bastia en tant qu'elle arrêtait la carte des espaces stratégiques agricoles du fait d'un vice affectant les documents soumis à l'enquête publique.
4. La collectivité de Corse a, à la suite de cette annulation, soumis à une nouvelle enquête publique une carte des espaces stratégiques agricoles réduisant de 105 119 à 103 862 hectares la surface des espaces protégés en vue de tenir compte de la progression de l'urbanisation, surface qui a, in fine, été portée à 101 844 hectares, ce qui représente une réduction limitée à 3 %. Cette nouvelle carte, qui se bornait à tenir compte de l'évolution des sols depuis 2015, ne traduisait pas un parti d'aménagement différent de celui résultant de la mise en œuvre des critères d'identification et de la méthodologie figurant au livret IV du PADDUC. Ainsi, compte tenu de leur nature et de leur importance au regard notamment de l'objet et du périmètre du plan ainsi que de leur effet sur les partis d'aménagement retenus, les modifications apportées n'ont pas porté atteinte à l'économie générale du plan et ne devaient, dès lors, pas être soumises à une procédure de révision. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif a retenu que la collectivité de Corse ne pouvait recourir à la procédure de modification prévue au I de l'article L. 4424-14 du code général des collectivités territoriales.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par la voie de l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par la commune d'Albitreccia.
Sur les autres moyens :
En ce qui concerne la légalité externe :
S'agissant de la convocation des conseillers territoriaux :
6. Aux termes de l'article 39 du règlement intérieur de l'Assemblée de Corse : " Tout conseiller a le droit, dans le cadre de sa fonction, d'être informé des affaires de la Collectivité de Corse qui font l'objet d'une délibération ". Par ailleurs, aux termes de l'article 40 dudit règlement : " Douze jours au moins avant la séance, le président de l'Assemblée de Corse adresse aux conseillers une convocation comportant un ordre du jour et un rapport sur chacune des affaires qui doivent leur être soumises (...) ".
7. Il ressort des pièces du dossier qu'un rapport de présentation a été transmis aux conseillers territoriaux via la plateforme Nomad de la collectivité le 22 octobre 2020. Par suite, le moyen tiré de ce qu'ils n'auraient pas été destinataires d'un rapport de présentation sur le projet de modification du PADDUC, dans le délai de 12 jours prévu par les dispositions précitées, doit être écarté.
S'agissant de l'évaluation environnementale :
8. L'adoption du PADDUC par la délibération n° 15/235 AC du 2 octobre 2015, y compris en ce qui concerne les critères et la cartographie des espaces stratégiques agricoles, a été précédée d'une étude environnementale ainsi que d'un avis de l'autorité environnementale en date du 27 février 2015. A la suite de l'annulation partielle de cette délibération par le tribunal administratif, la collectivité pouvait se fonder le cas échéant, dans le respect de l'autorité de la chose jugée, sur certains actes de procédure accomplis pour l'adoption des dispositions censurées par le juge. Le moyen tiré de l'absence de l'étude environnementale résultant des obligations imposées par la directive 2011/42/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 juin 2001 manque donc en fait. Il ne ressort pas des pièces du dossier que cette étude environnementale aurait dû être actualisée, y compris au regard de l'évolution du risque d'érosion des sols entre 2015 et 2019. Enfin, ainsi que l'a retenu la mission régionale d'autorité environnementale, les modifications apportées par rapport à la cartographie initiale ainsi que la réduction de 3% de l'objectif quantitatif de préservation des espaces stratégiques agricoles, de 105 000 à 101 844 hectares, en vue de tenir compte de certaines erreurs et des progrès de l'urbanisation depuis l'adoption du PADDUC, ne peuvent être regardées comme étant susceptibles d'avoir des incidences notables sur l'environnement au sens de la directive 2011/42/CE du 27 juin 2001, et requérir ainsi une nouvelle étude environnementale.
9. Si le plan d'aménagement et de développement durable de Corse, prévu à l'article L. 4424-9 du code général des collectivités territoriales, figure au 6° de l'article L. 104-1 du code de l'urbanisme, la modification de ce dernier, prévue au I de l'article L. 4424-14 du code général des collectivités territoriales, n'y figure pas. Elle n'entre donc pas dans le champ de l'article R. 104-18 du code de l'urbanisme, dont la méconnaissance ne peut être utilement invoquée à son encontre.
En ce qui concerne la légalité interne :
10. En premier lieu, si la commune d'Albitreccia conteste les contours de la " tâche urbaine " en faisant valoir que celle-ci permet de délimiter, de manière négative, comme espaces stratégiques agricoles des terrains qui sont totalement artificialisés, ce moyen est, en tout état de cause, inopérant dès lors que cette notion n'a aucune portée juridique.
11. En deuxième lieu, si la commune d'Albitreccia formule des critiques de portée générale à l'encontre de la méthodologie suivie par la collectivité de Corse en faisant plus spécifiquement valoir que celle-ci se fonde sur des données anciennes, notamment l'étude Sodeteg, alors que la réalité actuelle du territoire est différente, la collectivité de Corse est soumise au seul respect des conditions prévues par le II de l'article L. 4424-11 du code général des collectivités territoriales et peut s'appuyer, pour délimiter le périmètre des espaces stratégiques agricoles, sur l'ensemble des données dont elle dispose dont la carte Sodeteg, dès lors qu'elle tient compte de l'artificialisation des sols entre temps survenue. Par suite, le moyen tiré du caractère inapproprié de la méthode retenue pour déterminer la carte des espaces stratégiques agricoles doit être écarté.
12. En troisième lieu, les espaces stratégiques délimités à l'issue de la modification n° 1 du PADDUC, qui sont limités aux espaces agricoles et représentent 11,67 % de la superficie de la Corse, constituent des espaces géographiques limités.
13. En quatrième lieu, s'agissant du secteur de Tamarcheto, la commune conteste l'inclusion d'une parcelle enclavée considérée à tort comme urbanisée dans l'étude de la Sodeteg réalisée en 1980. Cette parcelle est en réalité à l'état naturel et présente les mêmes caractéristiques que les parcelles voisines, classées en espaces stratégiques agricoles. Son classement n'est, dès lors, pas entaché d'erreur manifeste d'appréciation.
14. S'agissant des autres secteurs, la commune conteste de petites zones rocheuses et des parcelles boisées ou anciennement boisées dont le potentiel agronomique n'avait pas été évalué par la Sodeteg en 1980. L'inclusion de ces petits secteurs dans des ensembles plus vastes classés en tant qu'espaces stratégiques agricoles n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation.
15. Il résulte de ce qui précède que la collectivité de Corse est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bastia a annulé la délibération n° 20/149 du 5 novembre 2020 de l'Assemblée de Corse.
Sur les frais liés au litige :
16. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par les parties sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative au titre des frais qu'elles ont exposés et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 29 avril 2022 du tribunal administratif de Bastia est annulé.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune d'Albitreccia devant le tribunal administratif de Bastia et le surplus des conclusions des parties sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la collectivité de Corse et à la commune d'Albitreccia.
Délibéré après l'audience du 31 mai 2023, où siégeaient :
- Mme Vincent, présidente,
- M. Mérenne et Mme A..., premiers conseillers.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juillet 2023.
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22MA01847