Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Le préfet de la Corse-du-Sud a déféré au tribunal administratif de Bastia, comme prévenues d'une contravention de grande voirie, la SARL Paradisula et Mme B... A..., et lui a demandé de les condamner au paiement de l'amende prévue par le décret n° 2003-172 du 25 février 2003, d'ordonner la remise à l'état d'origine des lieux, sous astreinte de 1 000 euros par jour de retard et de l'autoriser à procéder d'office, aux frais des contrevenantes, à la remise en état des lieux.
Par un jugement n° 2101284 du 19 juillet 2022, le tribunal administratif de Bastia a, d'une part, condamné la SARL Paradisula et Mme A... à payer chacune une amende, respectivement d'un montant de 7 500 euros et d'un montant de 1 500 euros, d'autre part, leur a enjoint, sous le contrôle de l'administration, de remettre sans délai, si elles ne l'ont pas déjà fait, les lieux en l'état, sous peine d'une astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de la notification du présent jugement et enfin, en cas d'inexécution par les contrevenantes, a autorisé l'administration à procéder d'office, aux frais de celles-ci, à la remise en état des lieux.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 25 septembre 2022, et un mémoire, enregistré le 23 juin 2023, la SARL Paradisula et Mme B... A..., représentées par Me Lelièvre, demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bastia du 19 juillet 2022 ;
2°) de les relaxer de toutes poursuites ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement est insuffisamment motivé ;
- il n'est pas établi que les espaces qui supportent les installations qui ont fait l'objet du procès-verbal s'implantent sur le domaine public maritime, alors qu'ils appartiennent à une parcelle matérialisée dans le cadastre et que les terrains en cause, qui ne constituent pas des lais et relais de la mer constitués à compter du 1er décembre 1963, ne faisaient pas partie du domaine privé de l'Etat à cette date.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 juin 2023, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce qu'alors que le montant maximum des amendes encourues est prévu par le 5° de l'article 131-13 du code pénal, soit 1 500 euros pour une première condamnation, auquel l'article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques renvoie, le premier juge a méconnu le principe de légalité des peines en fixant à 7 500 euros le montant de l'amende infligé à la société Paradisula.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites le 11 juillet 2023 pour la SARL Paradisula et Mme B... A..., par Me Lelièvre et communiquées le 12 juillet suivant.
Des observations en réponse au moyen d'ordre public ont été produites les 11 juillet et 7 septembre 2023 par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et communiquées respectivement le même jour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, et notamment son Préambule ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le code pénal ;
- le décret n° 2003-172 du 25 février 2003 ;
- le décret n° 2012-1064 du 18 septembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Chenal-Peter,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Lelievre, représentant les requérantes.
Une note en délibéré présentée pour les requérantes par Me Lelievre a été enregistrée le 11 septembre 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Le préfet de la Corse-du-Sud a déféré au tribunal, comme prévenues d'une contravention de grande voirie, la SARL Paradisula et Mme A... de l'occupation sans titre du domaine public maritime sur une superficie de 57 m², correspondant à l'implantation d'une terrasse de restauration sur le sable d'une superficie de 31 m² et à l'implantation de huit matelas et quatre parasols sur une emprise totale d'une superficie de 26 m². La SARL Paradisula et Mme A... relèvent appel du jugement du 19 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Bastia les a condamnées à payer une amende, respectivement, de 7 500 euros et de 1 500 euros, et à remettre sans délai les lieux en état, sous astreinte, en autorisant l'administration à procéder d'office, aux frais de celles-ci, à la remise en état des lieux.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ". Il ressort du jugement contesté que les premiers juges ont cité les textes dont ils ont fait application, précisé les motifs de fait et de droit retenus et ont suffisamment répondu à l'ensemble des moyens invoqués par les appelantes. En outre, le moyen tiré de ce que les premiers juges n'auraient pas, à tort, censuré la décision attaquée eu égard à l'imprécision alléguée du procès-verbal de constat de l'infraction, ne relève pas de la motivation du jugement mais de son bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait insuffisamment motivé doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la matérialité de l'infraction :
3. Selon le 1er alinéa de l'article L. 2132-3 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut bâtir sur le domaine public maritime ou y réaliser quelque aménagement ou quelque ouvrage que ce soit sous peine de leur démolition, de confiscation des matériaux et d'amende ". L'article L. 2111-4 du même code dispose que : " Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : 1° (...) le rivage de la mer. Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles (...) 3° Les lais et relais de la mer : a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. (...) ".
4. Aux termes du 1er alinéa de l'article L. 2122-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " Nul ne peut, sans disposer d'un titre l'y habilitant, occuper une dépendance du domaine public d'une personne publique mentionnée à l'article L. 1 ou l'utiliser dans des limites dépassant le droit d'usage qui appartient à tous. (...) ". L'article L. 2132-2 du même code dispose que : " Les contraventions de grande voirie sont instituées par la loi ou par décret, selon le montant de l'amende encourue, en vue de la répression des manquements aux textes qui ont pour objet, pour les dépendances du domaine public n'appartenant pas à la voirie routière, la protection soit de l'intégrité ou de l'utilisation de ce domaine public, soit d'une servitude administrative mentionnée à l'article L. 2131-1. / Elles sont constatées, poursuivies et réprimées par voie administrative. ".
5. Pour constater que l'infraction, à caractère matériel, d'occupation irrégulière du domaine public, est constituée, le juge de la contravention de grande voirie doit déterminer, au vu des éléments de fait et de droit pertinents, si la dépendance concernée relève du domaine public. S'agissant du domaine public maritime, le juge doit appliquer les critères fixés par l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques et n'est pas lié par des droits de propriété détenus par des personnes privées.
6. Il résulte de l'instruction, qu'un procès-verbal a été dressé le 20 octobre 2021 à l'encontre de la SARL Paradisula et de Mme A..., sa gérante, qui fait état d'un constat, effectué le 7 septembre 2021 de l'implantation, sur la plage de Santa Giulia, située sur le territoire de la commune de Porto-Vecchio, d'une terrasse de restauration sur sable d'une superficie de 31 m² et de huit matelas et quatre parasols occupant une surface de 26 m². Il résulte des énonciations suffisamment précises de ce procès-verbal, dressé par des agents assermentés de la direction départementale des territoires et de la mer (DTTM) de la Corse-du-Sud qui font foi jusqu'à preuve contraire, du plan de situation et des clichés photographiques annexés à ce procès-verbal, que l'ensemble de ces installations est implanté sur la partie sableuse de la plage de Santa Giulia, et que l'espace qui fait l'objet de l'occupation constatée doit dès lors être regardé comme étant situé sur le rivage de la mer. En tout état de cause, cet espace ne pourrait qu'être regardé comme faisant partie des lais et relais de la mer. Si les appelantes soutiennent que ces lais et relais n'ont pas été constitués à compter du 1er décembre 1963, elles n'apportent cependant aucun élément suffisant au soutien de leur allégation selon laquelle des droits réels avaient été constitués sur cet espace avant cette date. Les seules mentions des actes notariés établis au cours de l'année 1985 ne permettent notamment pas d'établir qu'ils concernent la parcelle dont font état les contrevenantes et matérialisée sur les documents graphiques du service du cadastre ni, en toute hypothèse, de déterminer les limites de cette parcelle.
7. Il résulte de ce qui précède que les faits mentionnés par le procès-verbal du 20 octobre 2021 sont établis et constituent la contravention prévue et réprimée par les dispositions précitées du code général de la propriété des personnes publiques.
Sur le montant de l'amende :
8. Aux termes de l'article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques : " Sous réserve des textes spéciaux édictant des amendes d'un montant plus élevé, l'amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l'article 131-13 du code pénal. ", soit 1 500 euros.
9. Aux termes de l'article 131-13 du code pénal : " Constituent des contraventions les infractions que la loi punit d'une amende n'excédant pas 3 000 euros. / Le montant de l'amende est le suivant : (...) / 5° 1 500 euros au plus pour les contraventions de la 5e classe, montant qui peut être porté à 3 000 euros en cas de récidive lorsque le règlement le prévoit, hors les cas où la loi prévoit que la récidive de la contravention constitue un délit. ". L'article 132-11 du code précité dispose que : " Dans les cas où le règlement le prévoit, lorsqu'une personne physique, déjà condamnée définitivement pour une contravention de la 5e classe, commet, dans le délai d'un an à compter de l'expiration ou de la prescription de la précédente peine, la même contravention, le maximum de la peine d'amende encourue est porté à 3 000 euros. (...) ". Aux termes de l'article 132-15 du même code : " Dans les cas où le règlement le prévoit, lorsqu'une personne morale, déjà condamnée définitivement pour une contravention de la 5e classe, engage sa responsabilité pénale, dans le délai d'un an à compter de l'expiration ou de la prescription de la précédente peine, par la même contravention, le taux maximum de l'amende applicable est égal à dix fois celui qui est prévu par le règlement qui réprime cette contravention en ce qui concerne les personnes physiques. ".
10. L'article 131-40 du code pénal prévoit que : " Les peines contraventionnelles encourues par les personnes morales sont : / 1° L'amende ; (...) ". Selon l'article 131-41 du code précité : " Le taux maximum de l'amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par le règlement qui réprime l'infraction. ".
11. Il résulte des dispositions de l'article L. 2132-26 du code général de la propriété des personnes publiques que l'amende prononcée pour les contraventions de grande voirie ne peut excéder le montant prévu par le 5° de l'article 131-13 du code pénal, soit 1 500 euros, sans distinguer entre personnes physiques et personnes morales. Ces dispositions ne prévoient pas la possibilité de quintupler les amendes pour les personnes morales et ne renvoient pas explicitement à l'article 131-41 du code pénal, ni, de manière générale, aux peines d'amende définies dans le code pénal pour les contraventions de la cinquième classe, à la différence de ce qui est prévu en cas de récidive aux articles 132-11 et 132-15 du code pénal. Par suite, en fixant à 7 500 euros, sur le fondement de l'article 131-41 du code pénal, le montant de l'amende infligé à la SARL Paradisula, laquelle n'était pas en situation de récidive, le premier juge a méconnu le principe de légalité des peines consacré par l'article 8 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et garanti par les stipulations de l'article 7 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il y a lieu, dès lors, de ramener cette amende à la somme de 1 500 euros prévue par le 5° de l'article 131-13 du code pénal.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la SARL Paradisula et Mme A... sont seulement fondées à demander que l'amende de 7 500 euros que le tribunal administratif de Bastia a condamné la SARL Paradisula à payer, à l'article 1er du jugement contesté, soit ramenée à la somme de 1 500 euros.
Sur les frais liés au litige :
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit à la demande de la SARL Paradisula et autre tendant à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : La somme de 7 500 euros que la SARL Paradisula a été condamnée à verser au titre de l'action publique est ramenée à 1 500 euros.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Bastia du 19 juillet 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL Paradisula et de Mme A... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL Paradisula, à Mme B... A... et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 8 septembre 2023, où siégeaient :
-Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
-Mme Marchessaux, première conseillère,
-Mme Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 septembre 2023.
N° 22MA02514 2
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