Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... épouse B... a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler l'arrêté du 29 avril 2022 par lequel le préfet des Alpes-Maritimes a rejeté sa demande de titre de séjour et l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours.
Par un jugement n° 2202402 du 27 septembre 2022, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 octobre 2022, Mme C... épouse B..., représentée par Me Le Gars, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 27 septembre 2022 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 avril 2022 du préfet des Alpes-Maritimes ;
3°) d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de lui délivrer une carte de séjour temporaire dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou, à défaut, de réexaminer sa demande dans un délai de deux mois à compter de cet arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que son conseil renonce à la part contributive de l'Etat versée au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de séjour :
- le tribunal a dénaturé les pièces du dossier et méconnu les droits de la défense ;
- la décision est entachée d'une erreur de droit, dès lors qu'elle méconnaît la portée des ordonnances du juge des référés du 13 mai 2020 et du 19 août 2020 ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- l'illégalité de la décision portant refus de séjour emporte par voie de conséquence l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- les premiers juges ont omis de répondre au moyen tiré de ce que la décision préfectorale méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision méconnaît la portée et l'autorité de l'ordonnance du juge des référés du 13 mai 2020 ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
La requête a été transmise au préfet des Alpes-Maritimes qui n'a pas produit d'observations.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 novembre 2022.
Par une ordonnance du 1er mars 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 3 avril 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention du 1er août 1995 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal relative à la circulation et au séjour des personnes ;
- l'accord franco-sénégalais du 23 septembre 2006 modifié par l'avenant du 25 février 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Danveau.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., épouse B..., ressortissante sénégalaise née le 28 août 1983, est entrée sur le territoire français le 12 septembre 2014 avec un titre " étudiant ". Employée en qualité de femme de chambre sous contrat à durée indéterminée le 14 octobre 2019, son employeur a présenté une demande d'autorisation de travail, rejetée par une décision du préfet des Alpes-Maritimes du 26 février 2020 qui a été suspendue par le juge des référés du tribunal administratif de Nice, par ordonnance du 13 mai 2020. Par un jugement du 30 juin 2022, le tribunal administratif a cependant rejeté la demande d'annulation de cette décision. Par ailleurs, la demande de titre de séjour et de changement de statut d'étudiant à salarié, présentée le 31 octobre 2019 par Mme C..., a été rejetée par arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 3 décembre 2020, lequel a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Nice du 8 juin 2021, au motif que le préfet s'était fondé sur la décision de refus d'autorisation de travail qui avait été suspendue par l'ordonnance précitée du juge des référés. Le préfet des Alpes-Maritimes a ensuite pris un nouvel arrêté daté du 29 avril 2022 par lequel il a refusé de délivrer à Mme C... un titre de séjour portant la mention " salarié " et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Celle-ci relève appel du jugement du 27 septembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa requête dirigée contre cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. Les stipulations de la convention du 1er août 1995 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République du Sénégal relative à la circulation et au séjour des personnes ainsi que celles de l'accord du 23 septembre 2006 relatif à la gestion concertée des flux migratoires, telles que modifiées par un avenant signé le 25 février 2008, s'appliquent aux ressortissants sénégalais. Aux termes de l'article 13 de la convention franco-sénégalaise du 1er août 1995 : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation respective des deux États sur l'entrée et le séjour des étrangers sur tous les points non traités par la convention. ". L'article 5 de la même convention stipule que : " Les ressortissants de chacun des Etats contractants désireux d'exercer sur le territoire de l'autre Etat une activité professionnelle salariée doivent en outre, pour être admis sur le territoire de cet Etat, justifier de la possession : (...) 2. D'un contrat de travail visé par le Ministère du Travail dans les conditions prévues par la législation de l'Etat d'accueil. ". Enfin, le sous-paragraphe 321 de l'article 3 de l'accord du 23 septembre 2006 entre la France et le Sénégal relatif à la gestion concertée des flux migratoires stipule que : " La carte de séjour temporaire portant la mention "salarié", d'une durée de douze mois renouvelable, ou celle portant la mention "travailleur temporaire" sont délivrées, sans que soit prise en compte la situation de l'emploi, au ressortissant sénégalais titulaire d'un contrat de travail visé par l'Autorité française compétente, pour exercer une activité salariée dans l'un des métiers énumérés à l'annexe IV. ".
3. Il ressort des pièces du dossier, et, notamment des termes mêmes de la décision attaquée, que, pour refuser de délivrer un titre de séjour en qualité de salariée à Mme C..., le préfet des Alpes-Maritimes, qui ne s'est au demeurant pas fondé sur la convention franco-sénégalaise précitée, a relevé que l'intéressée avait déposé une demande de titre de séjour le 26 août 2020 sans produire à l'appui de cette demande de contrat de travail, qu'elle ne justifiait pas ainsi sa demande de changement de statut d'étudiant à salarié et qu'elle n'entrait dans aucun des cas de délivrance d'un titre de séjour en application des dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, l'intéressée soutient qu'elle n'a pas déposé une telle demande le 26 août 2020, ce qui n'est pas contredit devant le juge administratif par le préfet qui n'a produit aucun élément en l'absence de défense tant en appel qu'en première instance. Par ailleurs, il est constant que la requérante avait déposé une demande de titre de séjour portant la mention " salarié " le 31 octobre 2019, cette demande étant toujours valable à la date de l'arrêté contesté dès lors que la décision de refus d'autorisation de travail prise par le préfet le 26 février 2020 avait été suspendue par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Nice du 13 mai 2020 et que le rejet de la requête de Mme C... tendant à l'annulation de cette décision n'est intervenu que par un jugement postérieur daté du 30 juin 2022. Mme C... avait en outre, à l'appui de sa demande, produit un contrat de travail à durée indéterminée conclu le 14 octobre 2019 avec la société Diamond Resorts Europe Ltd, qui l'avait embauchée sur un emploi de femme de chambre. La circonstance que la requérante ait été licenciée le 20 mars 2020 par son employeur, qui s'est conformé à la décision de suspension du refus d'autorisation de travail, n'a aucune incidence sur l'appréciation erronée de sa situation faite par le préfet, qui a estimé qu'elle n'avait pas fourni de contrat de travail " à sa dernière demande de titre " dont l'existence est, ainsi qu'il a été dit, utilement contestée. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'arrêté litigieux, qui n'est nullement fondé sur le jugement du 8 juin 2021 par lequel le tribunal administratif de Nice a annulé l'arrêté préfectoral du 3 décembre 2020 refusant d'admettre au séjour Mme C... et lui faisant obligation de quitter le territoire français, aurait procédé au réexamen de la situation de Mme C... en exécution de l'injonction prononcée par le tribunal. Dans ces conditions, Mme C... est, fondée à soutenir que le préfet des Alpes-Maritimes a entaché sa décision portant refus de séjour d'une erreur de fait et d'une erreur de droit. L'illégalité de cette décision entraîne, par voie de conséquence, celle des décisions subséquentes portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué ni de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande. Elle est dès lors fondée à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle de l'arrêté du préfet des Alpes-Maritimes du 29 avril 2022.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
5. Eu égard aux motifs du présent arrêt, son exécution implique seulement que le préfet des Alpes-Maritimes réexamine sa situation, dans un délai de deux mois à compter de sa notification. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet des Alpes-Maritimes de réexaminer la situation de Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
6. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Le Gars, avocat de Mme C..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Le Gars de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2202402 du 27 septembre 2022 du tribunal administratif de Nice et l'arrêté du 29 avril 2022 du préfet des Alpes-Maritimes sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Alpes-Maritimes de procéder à un nouvel examen de la situation de Mme C... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour avec autorisation de travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Le Gars une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Le Gars renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... épouse B..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Le Gars.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes-Maritimes.
Délibéré après l'audience du 21 septembre 2023, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 6 octobre 2023.
N° 22MA02583 2
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