Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée Vinci Construction Terrassement, dénommée Terelian depuis le 1er juillet 2023, et la société par actions simplifiée Entreprise de travaux publics Jean Spada ont demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner le département des Bouches-du-Rhône à leur payer la somme de 5 620 662,54 euros toutes taxes comprises, somme majorée de la révision des prix et assortie des intérêts contractuels.
Par un jugement n° 1901420 du 16 mars 2021, le tribunal administratif de Marseille a condamné le département à payer à ces sociétés une somme de 4 173,28 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux contractuel, et rejeté le surplus des demandes présentées par les sociétés.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 18 mai 2021, et trois mémoires récapitulatifs enregistrés le 27 octobre 2022, le 16 décembre 2022 et le 15 février 2023, la société Vinci Construction Terrassement, devenue depuis Terelian, et la société Entreprise de travaux publics Jean Spada, représentées par Me Pietra, demandent à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il rejette leurs demandes de première instance ;
2°) de condamner le département des Bouches-du-Rhône à leur payer la somme de 5 441 461,86 euros toutes taxes comprises au titre du solde du marché public portant sur le passage à quatre voies de la route départementale n° 9, section du Réaltor ;
3°) d'assortir cette condamnation des intérêts moratoires contractuels à compter du 6 juillet 2018, date de notification du mémoire de réclamation, ou à défaut à compter du 5 août 2018, ainsi que de leur capitalisation ;
4°) de mettre à la charge du département des Bouches-du-Rhône la somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- leurs demandes indemnitaires sont fondées ;
- elles ont droit à être rémunérées des travaux supplémentaires effectués.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 28 octobre 2022 et le 3 janvier 2023, le département des Bouches-du-Rhône, représenté par Me Grzelczyk, conclut au rejet de la requête, à ce que la société Ingerop, en qualité de mandataire du groupement de maîtrise d'œuvre, soit condamnée à le garantir de toute condamnation prononcée à son encontre en cas de réformation du jugement attaqué, et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge solidaire des appelantes en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens de l'appel sont infondés.
Par une lettre en date du 31 octobre 2022, la Cour a informé les parties qu'il était envisagé d'inscrire l'affaire à une audience qui pourrait avoir lieu au premier trimestre de l'année 2023, et que l'instruction était susceptible d'être close par l'émission d'une ordonnance à compter du 1er décembre 2022.
Par ordonnance du 18 janvier 2023, la clôture de l'instruction a été prononcée avec effet immédiat.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le décret n° 2012-639 du 4 mai 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Dioum pour les sociétés Terelian et Entreprise de travaux publics Jean Spada, et celles de Me Grzelczyk pour le département des Bouches-du-Rhône.
Connaissance prise de la note en délibéré enregistrée le 28 septembre 2023 pour le département des Bouches-du-Rhône.
Considérant ce qui suit :
1. Par un contrat conclu le 4 août 2014, le département des Bouches-du-Rhône a confié à un groupement momentané d'entreprises constitué de la société Vinci Construction Terrassement et de la société Entreprise de travaux publics Jean Spada le lot n° 1, intitulé " Terrassement et hydraulique ", d'un marché de travaux publics ayant pour objet l'aménagement de la route départementale n° 9 sur la section dite du " Réaltor ". Après la réception des travaux intervenue avec effet au 30 janvier 2018, ces sociétés ont demandé une somme de 5 620 662,54 euros en indemnisation de préjudices subis et en rémunération de travaux supplémentaires. Par le jugement attaqué, dont les sociétés relèvent appel, le tribunal administratif a condamné le département à payer à ces dernières une somme de 4 173,28 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux contractuel, et rejeté le surplus de leurs demandes.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance :
2. Saisi par l'effet dévolutif, le juge d'appel doit répondre notamment aux moyens non inopérants invoqués en première instance par le défendeur, alors même que ce dernier ne les aurait pas expressément repris dans un mémoire en défense devant lui.
3. En première instance, le département a opposé aux sociétés appelantes une fin de non-recevoir contractuelle tirée du défaut de qualité de M. C... A..., signataire du mémoire de réclamation, en l'absence de notification, par le groupement, d'un changement dans l'identité de la personne physique habilitée à le représenter.
4. Aux termes de l'article 3.4.1 du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux dans son édition de 2009, qui est au nombre des pièces contractuelles en application de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " Dès la notification du marché, le titulaire désigne une personne physique, habilitée à le représenter pour les besoins de l'exécution du marché. D'autres personnes physiques peuvent être habilitées par le titulaire en cours d'exécution du marché. / Ce ou ces représentants sont réputés disposer des pouvoirs suffisants pour prendre, dès notification de leur nom au représentant du pouvoir adjudicateur dans les délais requis ou impartis par le marché, les décisions nécessaires engageant le titulaire ". Aux termes de l'article 3.4.2 du même cahier : " 3.4.2. Notification des modifications portant sur la situation juridique ou économique du titulaire. / Le titulaire est tenu de notifier sans délai au représentant du pouvoir adjudicateur les modifications survenant au cours de l'exécution du marché et qui se rapportent : / - aux personnes ayant le pouvoir de l'engager (...) ".
5. En l'espèce, il ressort de l'acte d'engagement que la personne physique désignée pour représenter la société Vinci Construction Terrassement, elle-même mandataire du groupement momentané d'entreprises titulaire du marché, était M. B... Marquis. Rien n'indique, et il n'est pas soutenu, que le groupement aurait régulièrement notifié au département des Bouches-du-Rhône un changement dans l'identité de la personne physique habilitée à l'engager.
6. Cependant, les parties à un contrat peuvent, d'un commun accord, renoncer à l'application d'une clause contractuelle, et notamment d'une clause prévoyant une irrecevabilité contractuelle. Or, il résulte de l'instruction que la personne responsable du marché a prononcé la réception des travaux au vu d'un procès-verbal des opérations de réception signé par M. C... A.... En outre, elle a signé un décompte général établi sur la base d'un projet de décompte final signé par ce même M. A.... Ce faisant, elle a considéré que M. A..., qui avait pris la succession de M. Marquis comme directeur d'agence, était dûment habilité à engager la société, et manifesté, de cette manière non équivoque, sa volonté de renoncer à opposer à la société les articles 3.4.1 et 3.4.2. du cahier des clauses administratives générales applicables aux marchés publics de travaux. Les parties doivent donc être regardées comme ayant renoncé à appliquer cette stipulation. Cette fin de non-recevoir ne peut donc être accueillie.
En ce qui concerne le cadre juridique :
7. Dans le cas où le titulaire d'un marché public de travaux conclu à prix unitaires réalise des études, démolitions, terrassements ou constructions qui ne correspondent à aucune des prestations pour lesquelles des prix unitaires ont été stipulés, ces travaux modificatifs ou supplémentaires doivent donner lieu à une rémunération supplémentaire, à la condition que la réalisation de ces prestations supplémentaires ait été prescrite par un ordre de service régulier, ou, à défaut, qu'il soit établi que ces prestations supplémentaires étaient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art.
8. Dès lors, en revanche, qu'ils ne correspondent pas à des prestations non prévues contractuellement, mais résultent de difficultés rencontrées dans l'exécution d'un marché à forfait, les surcoûts supportés ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l'entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie, soit qu'elles sont imputables à une faute de la personne publique commise notamment dans l'exercice de ses pouvoirs de contrôle et de direction du marché, dans l'estimation de ses besoins, dans la conception même du marché ou dans sa mise en œuvre, en particulier dans le cas où plusieurs cocontractants participent à la réalisation de travaux publics, soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions extérieures aux parties, imprévisibles, exceptionnelles, sans qu'il y ait lieu dans ce dernier cas, s'agissant d'un marché à prix unitaires, de rechercher si ces sujétions ont bouleversé l'économie générale du contrat.
En ce qui concerne les prestations de broyage des végétaux (chef de réclamation A) :
9. Les sociétés appelantes sollicitent la rémunération des prestations de broyage des végétaux, pour un montant hors taxes de 29 350 euros. Elles soutiennent qu'au moment de la prise de possession des emprises, une végétation importante, composée essentiellement de chênes kermès, était toujours existante sur le terrain, en dépit d'une opération de défrichement que le département affirme avoir réalisée à l'automne 2013.
10. Aux termes de l'article 2.3.1 du livre 0 du cahier des clauses techniques particulières : " (...) ne font pas partie du présent marché : - les travaux de défrichement des emprises principales (...) ". Aux termes de son article 2.3.2.1 : " Font partie des travaux du lot 1 : (...) / Les travaux préparatoires, notamment : (...) / Le dégagement des emprises, / L'abattage et le dessouchage d'arbres (...) ". Aux termes de l'article 1.5.2 du livre 1.1 du même cahier : " Travaux préparatoires / Cette prestation comprend : (...) Le dégagement des emprises, / - l'abattage et le dessouchage d'arbres (...) ". Aux termes de l'article 3.3.1 du livre 1.2 du même cahier : " Arrachage et dessouchage d'arbre / Dans le cadre des travaux préparatoires, l'Entreprise procèdera, avec l'accord préalable du Maître d'œuvre, à l'arrachage et dessouchage des arbres de circonférence mesurée à 1 m du sol supérieure à 0,60 m situés dans les emprises des terrassements. L'abattage des arbres plus petits est réputé inclus dans le prix de dégagement des emprises. / (...) ". Aux termes du bordereau des prix unitaires, qui est au nombre des pièces constitutives du marché en application de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières, le dégagement des emprises non boisées sur la totalité de l'assiette des travaux est rémunéré par un prix unitaire de 0,10 euros par mètre carré, ce prix comprenant " notamment : - l'abattage, l'élagage, l'arrachage et le dessouchement des arbres isolés de circonférence inférieure à 60 cm (mesurée à 1 m du sol), haies, taillis, broussailles, vignes, vergers ainsi que l'extraction des souches anciennes, / - l'arrachage des souches d'arbres déjà coupés au ras du sol / - l'évacuation en dépôt choisi par l'Entrepreneur (...) ".
11. Le " dégagement des emprises ", à la charge contractuelle de l'entrepreneur, incluait nécessairement, outre l'abattage et le dessouchage des arbres, l'évacuation des déchets végétaux, qui est expressément mentionnée par le bordereau des prix unitaires. Ces prestations étaient donc réputées incluses dans le prix de dégagement des emprises. Si les prestations de broyage n'étaient pas expressément prévues, il n'est pas soutenu que ces prestations auraient été réalisées en vertu d'un ordre de service, ni établi qu'elles seraient indispensables à la réalisation de l'ouvrage dans les règles de l'art, la seule évacuation des déchets végétaux, sans broyage, permettant d'assurer le dégagement de l'emprise. Les prestations de broyage ne peuvent donc être regardées comme des prestations supplémentaires susceptibles de recevoir rémunération. A ce titre, il n'existe aucune contradiction entre le livre 0 du cahier des clauses techniques particulières, qui évoque le " défrichement ", c'est-à-dire le fait qu'il est mis fin à l'état boisé de certains terrains, et les autres stipulations contractuelles, qui ont trait aux parties de l'emprise non boisées mais comportant des éléments de végétation isolés.
12. Par ailleurs, en application de l'article 3.5 du livre 0 du cahier des clauses techniques particulières, les sociétés membres du groupement étaient d'ailleurs " réputée[s] s'être rendue[s] sur place pour apprécier à leur juste valeur l'importance des travaux à exécuter ". Elles pouvaient, au terme d'une simple reconnaissance des lieux, constater la présence de chênes kermès dans les emprises. Elles n'ont donc pas non plus droit à être indemnisées des surcoûts qui résulteraient des difficultés ainsi rencontrées, qui n'étaient pas imprévisibles.
En ce qui concerne les prestations de fourniture, transport et mise en œuvre de graves non traités (GNT) de granulométrie 0/100 sous les culées de l'ouvrage d'art n° 3 (chef de réclamation B) :
13. Les sociétés appelantes sollicitent une rémunération supplémentaire d'un montant de 50 698,09 euros hors taxes au titre de la mise en œuvre de remblais au droit des pieux des ouvrages d'art notés OA2 et OA3, relevant du lot n° 3 " Ouvrages d'art et canal de Marseille ".
14. Lors de la réunion de chantier du 11 décembre 2014, le département a demandé au groupement, titulaire du lot n° 1, de réaliser les remblais au droit des pieux des ouvrages d'art OA2 et OA3, relevant du lot n° 3 intitulé " ouvrages d'art et canal de Marseille ", en application de l'article 1.2 du livre 1.2 du cahier des clauses techniques particulières et de la fiche d'interface n° 9 de l'annexe a) du livre 0 du cahier des clauses techniques particulières. Par ordre de service n° 5240 du 7 juillet 2015, le maître d'œuvre a demandé au groupement titulaire du lot n° 1 d'utiliser un matériau de granulométrie 0/300 pour la réalisation des remblais de l'ouvrage d'art noté OA3. Le tribunal administratif a toutefois limité la rémunération supplémentaire des sociétés à 3 477,73 euros hors taxes, en estimant qu'il ressortait des mentions des comptes rendus de chantier des 22 juillet 2015 et 5 août 2015 que les matériaux utilisés pour les travaux de remblais de la culée sud de l'ouvrage provenaient des matériaux stockés sur site issus des travaux de terrassement de la route départementale 9b et que ceux utilisés pour les travaux de remblai de la culée nord de l'ouvrage, d'une granulométrie 0/300, provenaient du tri des déblais de la route départementale 8 et étaient également issus du site. Il en a déduit que les sociétés n'établissaient pas que le prix n° 03.004 a) mentionné sur le bordereau des prix unitaires, soit 0,80 euros hors taxes le mètre cube, prévu pour la rémunération des remblais routiers avec matériaux issus du site, serait insuffisant pour régler les travaux en litige. Appliquant ce prix unitaire au volume de 4 347,16 mètres cubes de remblais, revendiqué par le groupement, les premiers juges ont donc limité leur rémunération supplémentaire à ce titre à 3 477,73 euros hors taxes.
15. Les membres du groupement soutiennent que ce prix est insuffisant, dès lors qu'il vise à rémunérer des remblais supposant seulement, en application de l'article 2.3 du fascicule 1 du Guide Technique " Réalisation des remblais et des couches de forme " auquel renvoie le cahier des clauses techniques particulières, l'élimination des éléments d'une granulométrie supérieure à 800 mm, tandis que les prestations supplémentaires en cause supposaient l'élimination des blocs de taille supérieure à 300 mm, nécessitant des moyens de criblage et de mise en œuvre supérieurs. Toutefois, elles n'établissent pas le bien-fondé de ces allégations ni, par conséquent, le caractère insuffisant du prix.
En ce qui concerne les prestations d'évacuation des matériaux argilo-limoneux (chef de réclamation C) :
16. Les sociétés membres du groupement de travaux demandent à être rémunérées, à hauteur de 103 103,78 euros, des prestations d'évacuation des matériaux argilo-limoneux, impropres à une quelconque réutilisation, présents sur le flanc du thalweg dans le déblai n° 11 et dont le traitement s'est avéré complexe compte tenu de leur nature. Elles soutiennent que ces matériaux n'étaient pas répertoriés dans les pièces du marché, ni dans l'étude géotechnique de conception jointe au dossier de consultation des entreprises.
17. Toutefois, l'article 03.002 du bordereau des prix unitaires stipulait que le prix des déblais comprenait notamment les opérations d'extraction et de chargement, y compris le tri des matériaux en fonction de leur provenance et de leur destination, l'évacuation des matériaux impropres à une réutilisation comprenant le chargement sur le lieu d'extraction et le transport. Il en résulte que les prestations d'évacuation des matériaux argilo-limoneux, impropres à une quelconque réutilisation dans le cadre du chantier, étaient couvertes par ce prix, et ne peuvent être regardées comme des prestations supplémentaires ou modificatives susceptibles d'être rémunérées sur la base d'un prix nouveau établi par référence au prix 03.009 qui concerne les purges accompagnées de la mise en œuvre d'un matériau de substitution de granulométrie 0/80. A ce titre, si le groupement soutient que les travaux de purge n'étaient pas couverts par ce prix, cet argument n'est pas assorti des précisions qui permettraient d'en apprécier le bien-fondé.
18. Les surcoûts invoqués par le groupement sont donc seulement susceptibles d'être indemnisés en cas de faute du maître de l'ouvrage ou de sujétions imprévues. Cependant, aux termes de l'article 2.3 du livre 1.1 du cahier des clauses techniques particulières, l'étude de sol de type G2 jointe au dossier de la consultation est une " étude fournie (...) à titre indicatif en pièce non contractuelle ". Le fait que l'article 3.3 du livre 0 indique que les éléments de cette étude " constituent les documents d'entrée géotechnique pour les études d'exécution " est sans incidence sur ce caractère indicatif. Le maître de l'ouvrage, qui n'a donc pas induit en erreur le groupement, n'a donc commis aucune faute. En outre, l'article 3.5.2 du livre 1.2 du cahier des clauses techniques particulières stipulait que " sur le chantier l'entrepreneur rencontrera des terrains de différentes natures qu'il lui appartiendra d'apprécier ". Le groupement avait d'ailleurs conscience de l'hétérogénéité du sous-sol, notamment de la présence de limons argileux, dont l'extraction est évoquée dans son mémoire technique. Si, comme il le soutient, la connaissance qu'il était réputé avoir du terrain ne s'étendait pas à la consistance du sous-sol, il n'établit pas que l'ampleur des matériaux argilo-limoneux découverts était imprévisible ou exceptionnelle.
En ce qui concerne l'indemnisation des coûts résultant de l'allongement de la distance de transport dans le déblai D11 (chef de réclamation D) :
19. Les sociétés membres du groupement demandent à être rémunérées, à hauteur de 206 996,65 euros hors taxes, à raison de l'allongement de la distance de transport dans le déblai D11. Elles soutiennent en effet que la mission géotechnique G3 a mis en évidence une hétérogénéité du déblai D11 et son incapacité à produire un matériau apte à la constitution d'un remblai hydraulique, lequel devait être constitué de matériaux insensibles à l'eau comme le prévoyait le point 1.8.4.2.3 du livre 1.2 du cahier des clauses techniques particulières. Cette même étude a, selon elles, mis corrélativement en évidence une fracturation des calcaires moins importante dans la partie Est du déblai que dans sa partie Ouest, ce qui a conduit le groupement à inverser le sens de mouvement des terres par rapport à son offre qui mentionnait un mouvement de terres de l'Ouest vers l'Est, pour que les remblais hydrauliques puissent être constitués.
20. Le groupement produit un planning annexé à son mémoire technique, qui a valeur contractuelle en application de l'article 2 du CCAP. Toutefois, l'article 2.3 du livre 1.1 du cahier des clauses techniques particulières, qui, en vertu de cette même stipulation, a une valeur contractuelle supérieure au mémoire technique, précisait en tout état de cause que le plan de mouvement des terres devait être établi seulement après la réalisation, à la charge des sociétés requérantes, de l'étude géotechnique G3. Les sociétés n'établissent donc pas que les prestations auraient le caractère de prestations modificatives ou supplémentaires.
21. Par ailleurs, compte tenu du caractère indicatif de l'étude géotechnique G2, les éventuelles erreurs ou insuffisances de cette étude ne suffisent pas à établir que le maître de l'ouvrage aurait commis une faute.
22. Enfin, le groupement n'établit pas, ni d'ailleurs ne soutient, que la découverte des caractéristiques du déblai D11 présenterait un caractère exceptionnel justifiant l'indemnisation des sujétions en résultant.
En ce qui concerne l'indemnisation des conséquences du refus du département des Bouches-du-Rhône de permettre au groupement de demander à la commune de Cabriès l'autorisation d'aménager une piste de chantier sur les parcelles communales (chef de réclamation E) :
23. Les sociétés membres du groupement demandent à être rémunérées et indemnisées, à hauteur de 494 462,40 euros hors taxes, des travaux d'aménagement et des répercussions sur les conditions d'exécution du chantier résultant du refus du département des Bouches-du-Rhône de leur permettre de demander à la commune de Cabriès l'autorisation d'aménager une piste de chantier sur les parcelles communales contiguës à l'ouvrage d'art n° 4 afin de franchir l'avenue Charles Gounod, ce qui les a contraintes à aménager un ouvrage vétuste existant surplombant cette avenue pour accéder aux installations du chantier.
24. La construction des pistes de chantier circulables est couverte par la rémunération forfaitaire de 890 000 euros hors taxes prévue par le prix n° 01.010 du bordereau des prix unitaires. Aux termes de l'article 3.1.2 du livre 1.2 du cahier des clauses techniques particulières : " Les pistes seront créées exclusivement dans les emprises du projet (...) / L'Entrepreneur réalisera et entretiendra, à ses frais, toutes les pistes nécessaires : / - pour accéder à toutes les zones de travaux du marché (...) / - aux transports entre les lieux d'extraction des matériaux issus des terrassements, leurs lieux de stockage et ensuite de mise en œuvre (remblai, déblai), / - aux accès aux zones d'installation de chantier (...) ". Aux termes de l'article 3.7.3.2. du livre 0 du cahier des clauses techniques particulières : " (...) La largeur des pistes de chantier pourra être limitée à 4,00 m voire 3,50 m (piste d'accès à la rive droite du Canal de Marseille par la RD65d par exemple) (...) ". Aux termes de l'article 3.7.4 du livre 0 du cahier des clauses techniques particulières : " (...) Aucune intervention de quelque nature que ce soit n'est autorisée sur la parcelle communale 'Avenue Charles Gounod', en dehors de la signalisation de chantier définie par le gestionnaire de la voie (commune de Cabriès) ".
25. Il résulte de ces stipulations que les pistes de chantier devaient être réalisées sur les seules emprises du projet, à l'exclusion de la parcelle communale située avenue Charles Gounod. Le refus du département d'accepter la proposition du groupement de faire traverser cette avenue par ses engins de chantier, quand bien même celle-ci était plus économique pour les deux parties, ne peut donc ouvrir droit ni à rémunération au titre de prestations supplémentaires, ni à indemnisation au titre de la faute du maître de l'ouvrage ou des sujétions imprévues. Le groupement n'établit pas que le respect des prescriptions techniques faisait obstacle au maintien de la circulation sur l'avenue Charles Gounod, imposé par l'article 9-4.6 du CCAP.
En ce qui concerne la rémunération des travaux de purge de remblai PR13 (chef de réclamation F) :
26. Ce poste de réclamation n'est plus discuté en appel.
En ce qui concerne l'indemnisation des surcoûts résultant de la modification du calendrier d'exécution des travaux (chef de réclamation G) :
27. Les sociétés membres du groupement demandent une indemnité de 1 300 388 euros hors taxes au titre des surcoûts résultant de la modification du calendrier d'exécution des travaux intervenue après la réalisation d'essais révélant que, compte tenu de la nature des matériaux utilisés par elles, la couche de forme risquait d'être détériorée sous l'action de la circulation des engins de chantier des autres lots jusqu'à la mise en œuvre de la couche de réglage, ce qui a conduit le département à différer la réalisation de cette couche de forme après la réalisation des travaux des autres lots. Le groupement soutient que ces contraintes lui ont imposé, durant les onze mois correspondant à la suspension de ces travaux de mise en œuvre de la couche de forme, de maintenir sur le chantier des moyens humains et matériels pour poursuivre l'arrosage des pistes alors qu'il n'était plus sur le chantier. Il soutient qu'à supposer cet arrosage, destiné à éviter la formation de poussières, nécessaire, il aurait dû relever de l'entretien des pistes internes couvert par le prix 02.010 des lots alors présents sur le chantier. Il relève par ailleurs que la circulation des engins de chantier des autres lots pouvait se faire hors de la couche de forme. Le groupement soutient par ailleurs que cet arrêt imposé des travaux avait le caractère d'un ajournement des travaux qui, en application de l'article 49.1.1 du CCAG, devait être indemnisé.
28. Toutefois, aux termes de l'article 3.8.2 du CCAG travaux de 2009, qui est au nombre des pièces constitutives du marché en vertu de l'article 2 du cahier des clauses administratives particulières : " Lorsque le titulaire estime que les prescriptions d'un ordre de service appellent des réserves de sa part, il doit, sous peine de forclusion, les notifier au maître d'œuvre, dans un délai de quinze jours, décompté ainsi qu'il est précisé à l'article 3.2. ". En concluant l'avenant n° 2 qui réserve les droits du groupement s'agissant de la " réalisation différée de la couche de forme ", le département ne peut être regardé comme ayant renoncé à la faculté d'opposer l'absence de contestation de l'ordre de service dans le délai stipulé à l'article 3.8.2. Il est constant que l'ordre de service n° 5304 en date du 15 octobre 2015 prescrivant la suspension de la mise en œuvre de la couche de forme a été réceptionné le 19 octobre 2015. Le délai de contestation expirait donc le 3 novembre 2015 à minuit. Si le groupement produit un bordereau daté du 28 octobre 2015, mentionnant l'envoi de l'ordre de service signé avec réserves, il n'établit pas avoir effectivement renvoyé l'ordre de service avec réserves à cette date. En outre, il n'établit pas avoir explicité à ce moment les réserves, alors qu'il a ultérieurement, le 5 novembre 2015, adressé un courrier explicitant les réserves. Faute pour le groupement d'avoir notifié au département ses réserves dans le délai prescrit, sa réclamation est donc frappée de forclusion.
En ce qui concerne l'indemnisation du surcoût lié à l'utilisation d'équipements supplémentaires nécessaires pour cribler un volume de matériaux issus des déblais du site plus important (chef de réclamation H) :
29. Les sociétés membres du groupement sollicitent l'indemnisation d'un surcoût de 633 038,67 euros hors taxes, lié à l'utilisation d'équipements supplémentaires nécessaires pour cribler un volume de matériaux issus des déblais du site plus important que prévu pour obtenir des matériaux d'une granulométrie de 100/500 mm, conforme aux prévisions du marché, utilisés pour la réalisation des remblais hydrauliques. Elles soutiennent à ce titre que l'étude géotechnique d'exécution G3 a mis en évidence le caractère hétérogène des matériaux déblayés et surtout la fracturation du massif du déblai D11, qui générerait peu de blocs de dimensions suffisantes pour réaliser les remblais hydrauliques, ce qui l'a amené à faire évoluer sa méthodologie de criblage. Elles soutiennent que la faible proportion des matériaux ayant la granulométrie requise de 100 à 500 mm dans les déblais n'était pas prévisible au regard des indications de l'étude géotechnique de type G2. Elles relèvent que le ratio de criblage prévu par le marché était d'environ 73 % conformément aux " données produites à l'occasion de l'étude G2 ", alors que l'efficience du criblage s'est avérée insuffisante, avec un taux de 33 % de matériaux adéquats, un total de criblage de 166 000 m3 s'étant avéré nécessaire au lieu des 74 000 m3 prévus, rendant nécessaire la mobilisation d'une pelle supplémentaire de 30 tonnes et d'un chargeur.
30. Les prestations de réalisation de remblais avec des matériaux issus du site sont rémunérées par le prix unitaire n° 03.004 du bordereau des prix unitaires, qui rémunère " au mètre cube, la mise en œuvre en remblais méthodiquement de matériaux issus du site, préalablement triés, concassés et criblés, et compactés conformément au cahier des clauses techniques particulières et aux profils en travers, en fonction de leur nature et de leur lieu de mise en œuvre. / Ces prix s'appliquent respectivement (...) aux remblais dits hydrauliques de remblaiement des anses (...) Ce prix comprend (...) le tri préalable, le concassage des matériaux et le criblage selon la granulométrie des matériaux (...) b) Remblais hydrauliques / Ce prix comprend en outre le tri soigné des matériaux issus du site pour leur réutilisation permettant d'obtenir la granulométrie garantissant des matériaux insensibles à l'eau (...) LE METRE CUBE : TROIS EUROS ".
31. Les sociétés n'établissent pas que cette sujétion aurait revêtu un caractère exceptionnel.
En ce qui concerne l'indemnisation de frais de chantier (chef de réclamation I) :
32. Les sociétés membres du groupement sollicitent l'indemnisation, à hauteur de 157 993 euros hors taxes, de frais de chantier occasionnés par plusieurs événements, notamment la modification substantielle des conditions de réalisation de la couche de forme et le décalage du basculement de la circulation sur la nouvelle route départementale n° 9. Elles soutiennent que ces difficultés ont eu pour conséquence une augmentation importante de 12,3 mois de la durée d'exécution des travaux, qui a nécessité le maintien d'installations de chantier et leur entretien, la gestion des déchets de chantier étendue dans le temps, le maintien des dispositifs d'astreinte et de sécurité du chantier et le maintien de la direction du chantier.
33. A la demande du groupement, le maître d'ouvrage a accepté un prix nouveau de 12 370 euros hors taxes par mois, au lieu des 22 440 euros hors taxes par mois sollicités par le groupement. Toutefois, il n'est en tout état de cause pas établi que cette prolongation du délai du chantier résulterait d'une faute du maître de l'ouvrage, ou d'une sujétion imprévue extérieure aux parties. Le groupement ne justifie donc pas d'un droit à indemnisation au-delà du nouveau prix convenu par les parties.
En ce qui concerne la rémunération au titre des travaux de reprise du talus rocheux RD65d (plus-value au PN14) (chef de réclamation J) :
34. Les sociétés membres du groupement sollicitent une rémunération supplémentaire de 12 384,71 euros hors taxes au titre des travaux supplémentaires de reprise du talus rocheux bordant la route départementale 65 pour les besoins de la création d'une piste cyclable.
35. Ces travaux ont été rémunérés par un prix nouveau n° 14, au prix de 24,50 euros par mètre cube. Le groupement soutient que le prix unitaire s'élèverait à 31 euros le mètre cube. Toutefois, les sociétés appelantes se prévalent seulement d'un devis, sans établir que le prix retenu par le département serait inadapté. En se contentant de critiquer l'absence de sous-détail du prix nouveau ainsi retenu par le département, le groupement n'établit pas le bien-fondé de ses prétentions.
En ce qui concerne la rémunération d'une plus-value sur le prix n° 02.030 rémunérant les travaux d'enlèvement de chaussée amiantée (chef de réclamation K) :
36. Les sociétés membres du groupement sollicitent la rémunération d'une plus-value au titre du prix n° 02.030 rémunérant les travaux d'enlèvement de chaussée amiantée. Elles soutiennent en effet que la valeur limite d'exposition professionnelle aux fibres d'amiante applicable au moment de la remise des offres en 2014, soit 100 fibres par litre, évaluée sur une moyenne de huit heures de travail conformément au décret susvisé du 4 mai 2012 relatif aux risques d'exposition à l'amiante, a été divisée par 10 au 1er juillet 2015, soit seize mois après la remise de l'offre.
37. Toutefois, l'article 1er de ce décret, créant l'article R. 4412-100 du code du travail, a prévu une concentration en fibre d'amiante maximale de dix fibres par litre, calculée en moyenne sur huit heures de travail. S'il a autorisé à titre transitoire une valeur limite maximale de 100 fibres par litre jusqu'au 1er juillet 2015, la société avait connaissance, dès la présentation de son offre, de cette contrainte réglementaire.
En ce qui concerne la rémunération d'une plus-value sur les prix n° 02.030D et 35 pour l'enlèvement de la chaussée amiantée au droit de l'OA2bis (chef de réclamation L) :
38. Les sociétés membres du groupement sollicitent la rémunération d'une plus-value d'un montant de 14 475 euros hors taxes au titre des prix n° 02.030D et 35 pour l'enlèvement de la chaussée amiantée au droit de l'OA2bis. A supposer même que ces travaux, qui ont été prescrits par un ordre de service n° 5760 du 12 septembre 2017, relevaient du périmètre des lots nos 2 et 3 et non du périmètre du lot n° 1 dont le groupement était titulaire, ce dernier n'établit pas que la rémunération de ces prestations sur la base des prix n° 02.030d et 35 qui lui a été accordée serait insuffisante.
39. Il résulte de ce qui précède que les sociétés Terelian et Entreprise de travaux publics Jean Spada ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses chefs de réclamation notés A à L.
En ce qui concerne la rémunération des prestations d'extraction des déblais de 2ème catégorie au moyen de tirs à l'explosif (chef de réclamation M) :
40. Les sociétés membres du groupement sollicitent la rémunération, à hauteur de 1 161 100,75 euros hors taxes, des prestations d'extraction des déblais de 2ème catégorie au moyen de tirs à l'explosif. Elles soutiennent, en effet, que pour rémunérer les travaux d'extraction des déblais rocheux, le département a retenu que 75,60 % des 254 293,50 mètres cubes de déblais de 2ème catégorie de type rocher calcaire qui avaient été extraits au moyen d'engins de forte puissance justifiant une rémunération sur la base du prix n° 03.002 b) du bordereau des prix unitaires, soit 3,75 euros hors taxes par mètre cube, tandis que seul, le reste des déblais, soit 24,40 % du volume extrait, devait être rémunéré sur la base du prix n° 03.002 c), soit 10 euros hors taxes par mètre cube, prix rémunérant les travaux d'extraction à l'aide de tirs d'explosif. Elles soutiennent que l'ensemble des déblais de 2ème catégorie a dû être extrait au moyen de tirs à l'explosif. Elles se prévalent de la conclusion de l'étude G3 qui indique l'impossibilité de préciser les différents horizons rocheux déterminés en G2. Ces affirmations sont contestées par le département.
41. Le dossier ne permet pas de trancher cette contestation technique. Il y a donc lieu de prescrire une expertise sur ce point.
D É C I D E :
Article 1er : Les conclusions d'appel de la société Vinci Construction Terrassement, devenue Terelian, et de la société Entreprise de travaux publics Jean Spada, relatives aux chefs de réclamation notés A à L, sont rejetées.
Article 2 : S'agissant du chef de réclamation noté M, il sera procédé à une expertise, au contradictoire de l'ensemble des parties présentes à l'instance, avec mission pour l'expert :
1°) de se faire communiquer tous documents utiles ;
2°) de déterminer s'il résulte de ces documents que, compte tenu de la consistance du sol, le recours à la technique des tirs à l'explosif, rémunérée par le prix n° 03.002 c, au lieu de la technique d'extraction par engin lourd, était nécessaire pour la réalisation des prestations d'extraction ;
3°) en cas de réponse positive à cette question, d'indiquer à la Cour, en fonction de la quantité de matériaux qui ne pouvaient être extraits qu'en recourant à cette technique, et de la qualité de matériaux qui pouvaient l'être au moyen des engins rémunérés par le prix n° 03.002 b, la rémunération supplémentaire à laquelle la société Vinci Construction Terrassement et la société Entreprise de travaux publics Jean Spada peuvent respectivement prétendre.
Article 3 : L'expert accomplira sa mission dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative. Il prêtera serment par écrit devant le greffier en chef de la Cour. Il déposera son rapport au greffe de la Cour en deux exemplaires et en notifiera copie aux parties dans le délai fixé par la présidente de la Cour dans sa décision le désignant.
Article 4 : Tous les droits et moyens sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié aux sociétés Terelian et Entreprise de travaux publics Jean Spada et au département des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 25 septembre 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Gougot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2023.
N° 21MA01874 2