Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 15 février 2021 du préfet des Bouches-du-Rhône portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et fixant le pays de destination.
Par un jugement n° 2110561 du 7 mars 2022, le tribunal administratif de Marseille a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 11 novembre 2022, sous le n° 22MA02779, M. A..., représenté par Me Quinson, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du 7 mars 2022 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) d'annuler l'arrêté du 15 février 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour lui permettant de travailler, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir et de lui délivrer, durant cet examen, une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros à verser à Me Quinson au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 laquelle s'engage dans ce cas à renoncer à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors qu'il n'a pas répondu au moyen tiré du défaut de saisine de la commission de titre de séjour en raison de sa résidence en France depuis plus de dix ans ;
- ce jugement est insuffisamment motivé quant à l'appréciation de sa durée de séjour ;
s'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen ;
- le préfet aurait dû saisir la commission de titre de séjour dès lors qu'il justifie d'une résidence en France depuis plus de dix ans ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est contraire aux stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- elle viole les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
s'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle viole les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
s'agissant de la décision octroyant un délai de départ volontaire de trente jours :
- elle est insuffisamment motivée ;
- l'article L. 511-1 II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile méconnaît la directive du 16 décembre 2008 en ce qu'il ne prévoit pas les circonstances exceptionnelles justifiant qu'un délai de départ volontaire soit prolongé en raison de " la durée du séjour et d'autres liens familiaux et sociaux " ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet s'est estimé à tort en situation de compétence liée.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 septembre 2022.
La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Marchessaux a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., né le 26 août 1988 et de nationalité comorienne est entré en France le 18 décembre 2010. Il a sollicité, le 30 octobre 2020 la délivrance d'un titre de séjour mention " vie privée et familiale ". Par l'arrêté du 15 février 2021, le préfet des Bouches-du-Rhône lui a refusé la délivrance d'un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté du 15 février 2021.
En ce qui concerne la fin de non-recevoir opposée par le préfet des Bouches-du-Rhône relative à l'irrecevabilité de la requête de première instance :
2. Selon les dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) / 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger (...) ". Aux termes de l'article L. 512-1 du code précité, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " I. -L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 ou sur le fondement de l'article L. 511-3-1 et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 ou au sixième alinéa de l'article L. 511-3-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision mentionnant le pays de destination (...) / L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle au plus tard lors de l'introduction de sa requête en annulation. Le tribunal administratif statue dans un délai de trois mois à compter de sa saisine. (...) ".
3. Aux termes de l'article R. 776-2 du code de justice administrative : " I. - Conformément aux dispositions du I de l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, prise en application des 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 ou de l'article L. 511-3-1 du même code, fait courir un délai de trente jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au séjour, au délai de départ volontaire, au pays de renvoi (...)". L'article R. 776-5 du même code énonce pour sa part que : " I.- Le délai de recours contentieux de trente jours mentionné à l'article R. 776-2 n'est pas prorogé par l'exercice d'un recours administratif. (...) ".
4. Aux termes du troisième alinéa de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 : " (...) / Dans tous les cas, ces recours peuvent être exercés par les autorités suivantes :/ le garde des sceaux, ministre de la justice, pour ceux qui sont intentés contre les décisions du bureau institué près le Conseil d'Etat ; / le ministère public pour ceux qui sont intentés contre les décisions des autres bureaux ; / le président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation pour ceux qui sont intentés contre les décisions des bureaux institués près ces juridictions et le bâtonnier pour ceux qui sont intentés contre les décisions des autres bureaux. ".
5. Aux termes de l'article 43 du décret du 28 décembre 2020 : " Sans préjudice de l'application de l'article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée et du II de l'article 44 du présent décret, lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée ou déposée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : (...) / 3° De la date à laquelle le demandeur de l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 69 et de l'article 70 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ; 4° Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné. (...) ". Selon l'article 56 du même décret : " La décision du bureau, de la section du bureau ou de leur président est notifiée à l'intéressé par le secrétaire du bureau ou de la section du bureau par lettre simple en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale, et au moyen de tout dispositif permettant d'attester la date de réception dans les autres cas. (...) ". Aux termes de l'article 69 de ce décret : " Le délai du recours prévu au deuxième alinéa de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée est de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision à l'intéressé. / Le délai du recours ouvert par le troisième alinéa de cet article au ministère public, au garde des sceaux, ministre de la justice, au bâtonnier de l'ordre des avocats dont relève l'avocat choisi ou désigné au titre de l'aide, ou, en l'absence de choix ou de désignation, au bâtonnier de l'ordre des avocats établi près le tribunal saisi ou susceptible d'être saisi, ou au président de l'ordre des avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation est d'un mois à compter du jour de la décision. ".
6. Lorsque le demandeur de première instance a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, seuls le ministère public ou le bâtonnier ont vocation à contester, le cas échéant, cette décision, qui devient ainsi définitive, en l'absence de recours de leur part, à l'issue d'un délai de deux mois. Toutefois, en raison de l'objet même de l'aide juridictionnelle, qui est de faciliter l'exercice du droit à un recours juridictionnel effectif, les dispositions précitées selon lesquelles le délai de recours contentieux recommence à courir soit à compter du jour où la décision du bureau d'aide juridictionnelle devient définitive, soit, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice, ne sauraient avoir pour effet de rendre ce délai opposable au demandeur tant que cette décision ne lui a pas été notifiée.
7. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a présenté, le 17 mars 2021, une demande d'aide juridictionnelle dans le cadre de la procédure tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 février 2021, notifié le 19 février 2021, par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a rejeté sa demande de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours sur le fondement du 3° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette demande formée dans le délai de recours de trente jours a été de nature à interrompre ce délai contre cet arrêté. Par une décision du 3 mai 2021, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. La date de notification de cette décision du bureau d'aide juridictionnelle ne ressort pas des pièces du dossier. Alors même que la décision l'admettant au bénéfice de l'aide juridictionnelle serait devenue définitive, le délai de recours contentieux n'avait pas recommencé à courir à l'encontre de M. A... en l'absence d'une telle notification. Par suite, la demande enregistrée le 3 décembre 2021 au greffe du tribunal administratif de Marseille n'était pas tardive. Il s'ensuit que la fin de non-recevoir opposée par le préfet des Bouches-du-Rhône ne peut qu'être écartée.
8. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
9. En application de ces stipulations, il appartient à l'autorité administrative qui envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour et de procéder à l'éloignement d'un ressortissant étranger en situation irrégulière d'apprécier si, eu égard notamment à la durée et aux conditions de son séjour en France, ainsi qu'à la nature et à l'ancienneté de ses liens familiaux sur le territoire français, l'atteinte que ce refus et cette mesure porterait à sa vie familiale serait disproportionnée au regard des buts en vue desquels ces décisions seraient prises. La circonstance que l'étranger relèverait, à la date de cet examen, des catégories ouvrant droit au regroupement familial ne saurait, par elle-même, intervenir dans l'appréciation portée par l'administration sur la gravité de l'atteinte à la situation de l'intéressé. Cette dernière peut en revanche tenir compte le cas échéant, au titre des buts poursuivis par la mesure d'éloignement, de ce que le ressortissant étranger en cause ne pouvait légalement entrer en France pour y séjourner qu'au seul bénéfice du regroupement familial et qu'il n'a pas respecté cette procédure.
10. Il ressort des pièces du dossier que M. A... est entré en France le 18 décembre 2010 sous couvert d'un visa de court séjour. Il a épousé le 13 juillet 2020 une compatriote, titulaire d'une carte de résident d'une durée de dix ans valable du 12 juin 2019 au 11 juin 2029. De cette union sont nés trois enfants les 22 novembre 2010, 26 décembre 2011 et 11 juin 2016, scolarisés sur le territoire national. Par ailleurs, son épouse est mère d'un enfant né le 30 avril 2014 d'une union précédente et de nationalité française. Si le mariage de moins d'un an à la date de la décision en litige est récent, le requérant établit la communauté de vie avec son épouse à compter de 2015 en produisant de nombreux documents probants établis aux deux noms ou indiquant qu'il est domicilié chez son épouse, à savoir des avis d'imposition, des relevés d'un livret A de la Banque postale, des quittances de loyers à compter de 2019 et divers courriers (EDF, ENGIE, caisse d'allocation des Bouches-du-Rhône). M. A... établit ainsi une communauté de vie d'un peu plus de cinq ans avec sa compagne et ses enfants. Dans ces conditions et à supposer même que M. A... serait susceptible, en retournant dans son pays d'origine, de bénéficier, à la demande de sa conjointe, du regroupement familial, l'arrêté contesté a porté une atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris, et a, par suite, méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Il résulte de tout ce qui précède sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête que M. A... est fondé à demander l'annulation du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 février 2021.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
12. En raison du motif qui la fonde, l'annulation de l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 15 février 2021 implique nécessairement, compte tenu de l'absence de changements de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, qu'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " soit délivrée à M. A.... Il y a lieu d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer ce document dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
13. M. A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Quinson, avocate de M. A..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à cette dernière de la somme de 1 500 euros.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 7 mars 2022 et l'arrêté préfectoral du 15 février 2021 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet des Bouches-du-Rhône de délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à M. A... dans le délai de deux mois à compter de la date de notification du présent arrêt et, dans l'attente, de le munir d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.
Article 3 : L'Etat versera à Me Quinson une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Quinson renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à Me Quinson et au ministre de l'intérieur et des Outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône et au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Marseille.
Délibéré après l'audience du 20 octobre 2023, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 novembre 2023.
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N° 22MA02779
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