Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'Etat à lui verser la somme de 50 000 euros au titre des préjudices subis en raison du comportement fautif consécutif au refus du ministre de l'éducation nationale de la promouvoir au grand choix au 11ème échelon de la classe normale des professeurs des écoles à compter du 1er septembre 2013.
Par jugement n° 1903447 du 3 mars 2022, le tribunal administratif a, avant dire droit sur la demande de Mme A..., ordonné un complément d'instruction tendant à la détermination du montant du préjudice financier subi par l'intéressée.
Par jugement n° 1903447 du 9 juin 2022, le tribunal administratif a condamné l'Etat à verser à Mme A... une somme de 2 000 euros tous intérêts compris en réparation de son préjudice moral.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 28 juillet 2022 et 2 avril 2023, Mme A..., représentée par Me Pelgrin, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 juin 2022 en tant qu'il a limité le montant de ses préjudices ;
2°) de condamner l'Etat à indemniser l'ensemble des préjudices qu'elle a subis à hauteur de 40 000 euros ;
3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- tenant compte de ce qu'elle a perçu et de ce qu'elle aurait dû percevoir en accédant à la classe exceptionnelle de son grade dès 2019, le différentiel s'élève à la somme, à parfaire de 8 000 euros environ ;
- il résulte de l'ensemble des décisions illégales susvisées prises à l'encontre de la requérante que cela constitue un manque à gagner certain quant aux revenus dont elle aurait bénéficié si elle avait fait l'objet d'une évolution de carrière normale ;
- elle a subi un préjudice professionnel et moral en raison du blocage du déroulement de sa carrière, de l'absence de promotion et des contentieux qu'elle a dû introduire qui devra être indemnisé à hauteur de 10 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 23 octobre 2023, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- le décret n° 2004-1439 du 23 décembre 2004 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Pelgrin, pour Mme A....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., professeur des écoles de classe normale au 10ème échelon, figurait sur la liste des fonctionnaires promouvables au grand choix pour accéder au 11ème échelon de son grade au titre de l'année 2012-2013. Par un arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 16MA01221 du 5 juin 2018, la décision du 9 juillet 2013, par laquelle le ministre de l'éducation nationale a refusé de la promouvoir au titre du grand choix au titre de l'année 2013 a été annulée. Par une décision du 17 octobre 2018, intervenant dans le cadre du réexamen de sa situation, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille lui a de nouveau refusé le bénéfice de la promotion au 11ème échelon de la classe normale des professeurs des écoles. Mme A... a formé, le 18 décembre 2018, une demande indemnitaire préalable auprès de l'administration en réparation des préjudices financier et moral subis en raison de l'illégalité de la décision lui refusant la promotion au grand choix au 11ème échelon de la classe normale des professeurs des écoles à compter du 1er septembre 2013. Il n'a pas été donné une suite favorable à sa demande indemnitaire. Mme A... a alors saisi le tribunal administratif de Marseille d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 50 000 euros en réparation de ses préjudices. Par le jugement du 3 mars 2022, le tribunal administratif a fait partiellement droit à sa demande. Mme A... fait appel de ce jugement en tant qu'il a limité le montant de ses préjudices.
Sur le montant du préjudice :
En ce qui concerne la prescription :
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi, et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) ". L'article 2 de la même loi dispose que : " la prescription est interrompue par toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...), tout recours formé devant une juridiction relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance (...) " et " qu'un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée. ".
3. Lorsqu'un litige oppose un agent public à son administration sur le montant des rémunérations auxquelles il a droit, le fait générateur de la créance se trouve en principe dans les services accomplis par l'intéressé, le délai de prescription de la créance relative à ces services court à compter du 1er janvier de l'année suivant celle au titre de laquelle ils auraient dû être rémunérés et la prescription est acquise au début de la quatrième année suivant chacune de celles au titre desquelles ses services auraient dû être rémunérés.
4. Il résulte de l'instruction, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que le fait générateur de la créance dont se prévaut Mme A... est constitué par l'absence d'avancement au grand choix au 11ème échelon de son grade au 8 août 2013 et aux conséquences induites par ce défaut de promotion, à compter de cette date, sur son déroulement de carrière. Le délai de prescription a donc commencé à courir à compter du 1er janvier 2014. Mme A... n'ayant présenté sa demande indemnitaire préalable que le 21 décembre 2018, le recteur de l'académie d'Aix-Marseille n'est fondé à se prévaloir de la prescription de la créance dont l'intéressée se prévaut que pour la période allant du 1er septembre 2013 au 31 décembre 2013 et non pour la période postérieure au 1er janvier 2014.
En ce qui concerne le préjudice financier :
5. Dès lors qu'une illégalité est fautive, elle est comme telle et quelle qu'en soit la nature, susceptible d'engager la responsabilité de son auteur, si elle est à l'origine directe et certaine des préjudices subis.
6. Il résulte de l'instruction que par arrêt n° 16MA01221 du 5 juin 2018 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Marseille a annulé la décision du 9 juillet 2013, par laquelle le ministre de l'éducation nationale a refusé de promouvoir Mme A... au titre du grand choix au titre de l'année 2013 et a enjoint au réexamen de sa demande. Avant de statuer sur la demande indemnitaire présentée par Mme A... en vue d'obtenir la réparation des conséquences de cette illégalité fautive, le tribunal administratif de Marseille a, par jugement avant dire droit, sollicité des parties tous éléments et pièces de nature à déterminer le montant de la différence entre la rémunération effectivement perçue par l'agente et la rémunération à laquelle elle pouvait prétendre au regard de sa reconstitution de carrière pour la période courant entre le 1er janvier 2014 et la date de la reconstitution effective de sa carrière tant sur le plan administratif que financier. Ainsi, saisie d'une demande de reconstitution de carrière fondée sur le constat d'une illégalité, l'administration a pris les mesures nécessaires pour rétablir Mme A... dans ses droits statutaires et a procédé à la reconstitution de sa carrière en tenant compte de la promotion de l'intéressée au 11ème échelon de son grade au titre de l'année 2012-2013.
7. Toutefois, l'appelante fait valoir que cette reconstitution est incomplète faute de tenir compte de la promotion à la classe exceptionnelle dont elle aurait pu bénéficier dès le 1er septembre 2019, et non à compter du 1er septembre 2022, et dont elle a été privée par l'administration, en raison de l'inertie dont celle-ci a fait preuve pour reconstituer sa carrière et pour se conformer aux décisions du tribunal administratif de Marseille et de la cour administrative d'appel de Marseille. Il résulte de l'instruction qu'en septembre 2019, l'intéressée remplissait les conditions pour prétendre à une promotion à l'exception, en l'absence de reconstitution, de la durée d'ancienneté dans l'échelon et qu'après un nouveau calcul par l'administration de son ancienneté pour chaque échelon, elle a été promue dès la reconstitution de sa carrière, soit en septembre 2022. Il s'en déduit que l'appelante justifie d'une perte de chance sérieuse de promotion dès septembre 2019, sans être utilement contestée par l'administration. Dans ces conditions, Mme A... peut prétendre à être indemnisée du préjudice financier qu'il en est résulté.
8. Pour la détermination du préjudice financier de Mme A..., il résulte de l'instruction que, contrairement à ce qu'elle soutient, elle a été rémunérée après reconstitution de sa carrière à compter du 1er septembre 2019 à l'échelon 6 et non à l'échelon 5 du grade hors classe et a bénéficié d'un indice nouveau majoré de 806 et non de 730. Le différentiel avec l'indice nouveau majoré de la classe exceptionnelle dont elle aurait pu bénéficier dès le 1er septembre 2019 qui s'élève à 830, est alors de vingt-quatre points, soit un différentiel, tenant compte de la valeur du point d'indice fixée à 4,68602, de 112,46 euros par mois. Il s'en déduit que l'indemnisation du préjudice financier subi par l'appelante doit être fixée pour trente-six mois à 4 050 euros.
En ce qui concerne le préjudice moral :
9. Le tribunal administratif a évalué le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis par Mme A... à hauteur de 2 000 euros. Toutefois, tenant compte de la multiplication des procédures contentieuses qu'elle a dû engager tant devant le tribunal administratif de Marseille que devant la cour administrative d'appel de Marseille sur une période de dix années et de l'inertie dont a fait preuve l'administration pour assurer l'exécution des décisions juridictionnelles prononcées en la faveur de l'appelante, il sera fait une juste appréciation de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence en fixant son indemnisation à hauteur de 3 000 euros.
10. Il résulte de l'ensemble de ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'indemnisation complémentaire de ses préjudices financier et moral ainsi que de ses troubles dans les conditions d'existence.
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros qui sera versée à Mme A... au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : L'Etat est condamné à verser à Mme A... une somme de 4 050 euros au titre de son préjudice financier et une somme de 3 000 euros au titre de son préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence.
Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Marseille du 3 mars 2022 est réformé en ce qu'il est contraire au présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A... une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au recteur de l'académie d'Aix-Marseille.
Délibéré après l'audience du 30 octobre 2023, où siégeaient :
- M. Alexandre Badie, président de chambre,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 novembre 2023.
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No 22MA02141