Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... épouse A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 21 février 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de sa destination.
Par un jugement n° 2304784 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 24 novembre 2023, Mme B..., représentée par Me Maniquet, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 13 juillet 2023 du tribunal administratif de Marseille ;
2°) à titre subsidiaire, d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté sa demande d'annulation de la décision ne lui ayant pas octroyé un délai de départ volontaire supérieur à trente jours ;
3°) d'annuler l'arrêté du préfet des Bouches-du-Rhône du 21 février 2023 ;
4°) à titre subsidiaire, d'annuler cet arrêté pris en ce qu'il ne lui a pas octroyé un délai de départ volontaire supérieur à trente jours ;
5°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, ou, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte, et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- le tribunal a commis des erreurs manifestes d'appréciation et a porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale ;
- la décision de refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît la circulaire Valls du 28 novembre 2012 ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- le préfet aurait dû exercer son pouvoir général de régularisation en application de l'article L. 435-1 du code de l'entré et du séjour des étrangers et du droit d'asile au regard des violences conjugales dont elle a été victime et de l'ouverture d'une procédure d'assistance éducative pour ses deux enfants ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français entraîne des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur sa situation personnelle et familiale ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne lui ayant pas octroyé un délai de départ volontaire supérieur à trente jours.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 octobre 2023.
La requête a été communiquée au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New-York le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Rigaud a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante albanaise née en 1986, relève appel du jugement du 13 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 21 février 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur le bien-fondé du jugement :
En ce qui concerne la décision de refus de séjour :
2. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
3. Mme B... soutient qu'elle réside habituellement en France depuis 2016 et que ses deux enfants y sont scolarisés depuis cette date. Il ressort des pièces du dossier qu'elle est entrée sur le territoire au cours de l'année 2016 avec son époux M. A... et leurs deux enfants nés en 2008 et 2013. Leurs demandes d'asile ont été rejetées par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) le 26 octobre 2016, puis par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 5 mai 2017. Une première demande de réexamen a également été rejetée comme irrecevable par l'OFPRA le 31 août 2018. Mme B... et son époux ont alors fait l'objet le 29 mai 2019 de décisions portant obligation de quitter le territoire français, qui n'ont pas été exécutées. Il ressort également des pièces du dossier que Mme B... est séparée de son époux depuis le 1er avril 2020 en raison de violences conjugales dont elle déclare avoir été victime, commises par son époux et sa belle-mère venue vivre chez eux au début de l'année 2020, et qu'elle a intenté une procédure de divorce le 28 octobre 2020 qui était toujours en cours à la date de l'arrêté en litige. Mme B... justifie de la précarité sociale dans laquelle elle se trouve avec ses deux enfants, bénéficiant du dispositif d'hébergement d'urgence, et de ce que ses enfants, scolarisés en classe de quatrième et de cours moyen 1ère année à la date de l'arrêté, bénéficient d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert par jugement du 29 octobre 2020 de la juge des enfants du tribunal judiciaire de Marseille eu égard à la séparation conflictuelle de leurs parents, et qui a pour objet de les mettre à distance de ce conflit, de soutenir la requérante au regard de son isolement et de sa particulière vulnérabilité, et de leur offrir un espace de parole. Cependant, si elle a déposé plainte pour violences conjugales le 2 avril 2020, à l'encontre de son époux et de sa belle-mère, et a fait enregistrer un complément de plainte le 20 mai 2020 ainsi qu'une main-courante le 13 juillet 2020, ces éléments, purement déclaratifs, sont insuffisants pour tenir pour établies les violences conjugales, l'intéressée ne mentionnant pas les suites qui ont été données à cette plainte, et n'indiquant pas en avoir informé le juge aux affaires familiales. Il ressort par ailleurs de la décision n° 21024336 du 22 mars 2023 de la CNDA ayant rejeté sa deuxième demande de réexamen qu'elle soutenait alors son époux avait exigé son départ. En outre, la situation personnelle et familiale de l'intéressée ne lui permet pas d'établir une insertion sociale particulière. Si elle se prévaut de la présence en France de l'une de ses deux sœurs, elle n'établit pas la nature et l'intensité des liens qu'elle entretiendrait avec cette dernière. La requérante n'établit pas non plus qu'elle serait dépourvue d'attaches dans son pays d'origine où résident ses parents et son autre sœur. Elle n'établit pas non plus que ses enfants ne pourraient pas poursuivre leur scolarité dans leur pays d'origine. Dans ces conditions, en lui refusant le droit au séjour, le préfet des Bouches-du-Rhône n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour et du droit d'asile et des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
4. Aux termes de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / (...) ".
5. La situation personnelle et familiale de Mme B..., telle que décrite précédemment au point 3, ne permet pas de regarder le préfet comme ayant commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Dès lors qu'un étranger ne détient aucun droit à l'exercice par le préfet de son pouvoir de régularisation, il ne peut utilement se prévaloir des orientations générales contenues dans la circulaire du ministre de l'intérieur du 28 novembre 2012 pour l'exercice de ce pouvoir. Par suite, le moyen tiré de ce que cette circulaire aurait été méconnue doit être écarté.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
7. Pour les mêmes motifs que ceux énoncés précédemment au point 3, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision contestée sur la situation personnelle de l'intéressée doivent être écartés.
8. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un refus de séjour, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.
9. Mme B... soutient que la décision en litige porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants dès lors qu'ils sont scolarisés sur le territoire depuis plus de six ans, et qu'ils bénéficient d'une mesure d'assistance éducative en milieu ouvert jusqu'au mois de novembre 2023. Elle ne fait toutefois état d'aucun obstacle à la poursuite de la scolarité de ses enfants dans leur pays d'origine, ni de l'impossibilité d'y bénéficier, le cas échéant, d'un suivi éducatif. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées doit être écarté.
En ce qui concerne la décision d'octroi d'un délai de départ volontaire de trente jours :
10. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation ".
11. Mme B... soutient qu'elle aurait dû bénéficier d'un délai de départ volontaire d'une durée supérieure à trente jours eu égard à la scolarité de ses enfants, à la procédure de divorce et à la mesure d'assistance éducative en cours. D'une part, si elle soutient avoir informé le préfet de ces circonstances, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle aurait demandé à ce qu'un délai supérieur à trente jours lui soit accordé. D'autre part, les éléments invoqués par l'intéressée ne peuvent être regardés comme caractérisant des circonstances particulières de nature à justifier l'octroi d'un délai de départ volontaire supérieur au délai normal de trente jours, alors notamment qu'elle ne justifie pas d'une insertion sociale notable en France, que rien ne s'oppose à ce que ses enfants continuent leur scolarité dans leur pays d'origine et qu'elle pourra assurer sa défense dans les procédures judiciaires en cours en s'y faisant représenter. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision d'octroi d'un délai de départ volontaire serait entaché d'une erreur manifeste d'appréciation doit être écarté.
12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête. Par voie de conséquence, doivent aussi être rejetées ses conclusions aux fins d'injonction sous astreinte et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1 : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... épouse A..., à Me Maniquet et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Cécile Fedi, présidente de chambre,
- Mme Lison Rigaud, présidente-assesseure,
- M. Nicolas Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 mai 2024.
N° 23MA027962