Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société civile et immobilière (SCI) Villa Milas a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et en 2013.
Par un jugement n° 1902851 du 10 octobre 2022, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 8 décembre 2022 et 21 avril 2023, sous le n° 22MA03001, la SCI Villa Milas, représentée par Me Daly, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 octobre 2022 ;
2°) de prononcer la décharge en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et en 2013 ;
3°) à défaut de fixer le taux de rendement à 2,5 % et d'ordonner le dégrèvement partiel des rappels d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2012 et en 2013, en droits, pénalités et intérêts de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la proposition de rectification n'est pas motivée ;
- elle n'a pas opté pour son assujettissement à l'impôt sur les sociétés ;
- l'option pour l'assujettissement à l'impôt sur les sociétés doit être accomplie conformément aux dispositions de l'article 239 du code général des impôts ;
- l'administration fiscale ne rapporte pas la preuve de ce qu'elle exerçait effectivement, au titre des exercices 2012 et 2013, une activité de location meublée entrainant son assujettissement à l'impôt sur les sociétés ;
- le taux de rendement de 5 % a été fixé sans justification particulière et ramené arbitrairement à 3,5 % ;
- les rappels notifiés au titre des exercices clos le 31 décembre 2012 et le 31 décembre 2013 sont manifestement exagérés.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 9 mars et 22 juin 2023, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête de la SCI Villa Milas.
Il fait valoir que les moyens soulevés par la SCI Villa Milas ne sont pas fondés.
Le mémoire présenté pour le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, enregistré le 25 juin 2024, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- et les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SCI Villa Milas a acquis un bien immobilier dénommé " la Villa Milas ", situé à Saint-Tropez, pour un prix de 16 000 000 euros. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2012 au 31 décembre 2013, qui a donné lieu à une proposition de rectification du 27 juillet 2015. Les rehaussements proposés retenaient une valeur vénale de la villa à hauteur de 18 000 000 euros et un taux de rendement locatif de 5 %, correspondant à un loyer annuel de 900 000 euros. A la suite de la contestation de la SCI Villa Milas, le taux de rendement a été ramené de 5 à 3,5 %. Des rappels ont donc été mis en recouvrement pour un montant total de 404 080 euros, dont 352 711 euros au titre de l'impôt sur les sociétés. La SCI Villa Milas relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la décharge en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos en 2012 et en 2013.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'assujettissement de la société à l'impôt sur les sociétés :
2. Aux termes du 2 de l'article 206 du code général des impôts relatif au champ d'application de l'impôt sur les sociétés : " (...) / Sous réserve des dispositions de l'article 239 ter, les sociétés civiles sont également passibles dudit impôt, (...) si elles se livrent à une exploitation ou à des opérations visées aux articles 34 et 35 ".
3. Une société civile donnant habituellement en location des locaux garnis de meubles doit être regardée comme exerçant une activité commerciale au sens de l'article 34 du code général des impôts et, par suite, est passible de l'impôt sur les sociétés. La durée de la location des locaux est sans incidence sur le caractère habituel et non occasionnel de l'activité de location, lequel résulte de ce que les locaux meublés ont été loués à plusieurs reprises.
4. Il résulte de l'instruction que l'objet des statuts initiaux de la SCI Villa Milas ne comportait pas la location meublée. Toutefois, ces statuts ont été modifiés pour inclure ce type d'activité dès le 18 décembre 2006, par la mention " la location nue ou en meublé de biens immobiliers ". A la suite de cette modification, par un courrier du 9 février 2007, le cabinet comptable, Fiduciaire Française de Conseil, de la société requérante a confirmé à l'administration fiscale la nature de l'activité de location meublée et a opté pour le régime réel normal d'imposition. Puis la société a déposé une déclaration fiscale modèle n° 2065, correspondant à l'impôt sur les sociétés, pour l'exercice du 2 juin 2006 au 31 décembre 2007. Par ailleurs, au cours des opérations de vérification, la SCI Villa Milas a produit un contrat de location conclu le 15 décembre 2006 avec M. B... C... A..., mentionnant en objet " location consentie exclusivement pour l'habitation du locataire de la villa meublée " qui était accompagné d'un inventaire du mobilier. En outre, le service vérificateur a pris également connaissance d'une facture du 30 mai 2012 établie au titre de la location de la villa du 1er juillet 2012 au 30 septembre 2012, pour le prix de 300 000 euros, laquelle facture renvoyait au contrat de location du " 2 juillet " 2006, bien qu'une discordance de date ait été relevée. La visite sur place qui a eu lieu le jeudi 19 février 2015 a permis d'établir que la villa était entièrement meublée et équipée, contenant les effets personnels visibles dans les chambres et dressing, des photographies de la famille disposées à plusieurs endroits. Le co-gérant de la SCI a confirmé un usage exclusif de la villa par M. A... et sa famille. Cette utilisation familiale est aussi confirmée par la présence dans le garage d'un véhicule personnel de M. A... aux côtés de deux véhicules appartenant à la SCI. Par conséquent, contrairement à ce que soutient la société requérante, la villa n'était pas mise à la disposition gratuite de M. A... mais lui était louée meublée. Dans ces conditions, il résulte de ces éléments que M. A... occupe la villa depuis 2012 jusqu'en 2015 et donc pour l'année 2013 y compris. Par suite, l'administration fiscale a pu légalement estimer que la société requérante louait habituellement les locaux meublés dont elle était propriétaire. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a considéré que ladite société s'était livrée à une exploitation commerciale au sens de l'article 34 du code général des impôts, la rendant passible, pour ce seul motif, de l'impôt sur les sociétés en application du 2 de l'article 206 du même code.
En ce qui concerne la procédure d'imposition :
5. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ". Aux termes de l'article R. 57-1 du même livre : " La proposition de rectification prévue par l'article L. 57 fait connaître au contribuable la nature et les motifs de la rectification envisagée. L'administration invite, en même temps, le contribuable à faire parvenir son acceptation ou ses observations dans un délai de trente jours à compter de la réception de la proposition (...) ".
6. Il résulte de ces dispositions que, pour être régulière, une proposition de rectification doit comporter, outre la désignation de l'impôt concerné, de l'année d'imposition et de la base des redressements, ceux des motifs pour lesquels l'administration entend se fonder pour justifier les redressements envisagés qui sont nécessaires pour permettre au contribuable de formuler utilement ses observations.
7. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 27 juillet 2015 comporte la désignation de l'impôt concerné et l'année d'imposition, à savoir les bénéfices imposables à l'impôt sur les sociétés au titre des exercices clos les 31 décembre 2012 et 31 décembre 2013, le déroulement des opérations de contrôle, le fondement légal tiré de l'article 206-2 du code général des impôts, le montant des bases imposables rectifiées ainsi que les motifs sur lesquels l'administration s'est fondée pour justifier les rectifications, constitués par le fait que la SCI Villa Milas exerce une activité apparente de location meublée à titre habituel qui n'a pas été imposée sur les bénéfices qu'elle a retirés de cette activité au cours des exercices clos en 2012 et en 2013 dans la mesure où elle s'est abstenue de souscrire la déclaration 2065 et ses annexes pour cette période. Elle se fonde sur un contrat de location de la villa Milas conclu en 2006 avec M. A... pour un montant du loyer de 400 000 euros et fait état d'un rapport d'expertise du 2 juillet 2015, des constatations sur place confirmant l'occupation par celui-ci à titre de résidence secondaire ainsi que d'une facture de 2012 faisant référence à ce contrat. La proposition de rectification est aussi fondée sur le fait que la SCI Villa Milas s'est volontairement privée des loyers qu'elle aurait dû percevoir dans le cadre d'une gestion commerciale normale et détermine, notamment, le taux de rendement et le produit brut pouvant être retiré de la location du bien pour chacune des deux années 2012 et 2013 en se basant sur le marché locatif des villas meublées situées dans le Parc de Saint-Tropez. Elle précise également le montant des rehaussements envisagés et motive l'application d'intérêts de retard ainsi qu'une majoration de 40 %. Par suite, la proposition de rectification est suffisamment motivée.
En ce qui concerne le bien-fondé de l'imposition :
S'agissant de la charge de la preuve :
8. Aux termes de l'article L. 66 du livre des procédures fiscales : " Sont taxés d'office : (...) 2° à l'impôt sur les sociétés, les personnes morales passibles de cet impôt qui n'ont pas déposé dans le délai légal leur déclaration, sous réserve de la procédure de régularisation prévue à l'article L. 68 (...) ". Aux termes de l'article L. 68 du même livre : " La procédure de taxation d'office prévue aux 2° et 5° de l'article L. 66 n'est applicable que si le contribuable n'a pas régularisé sa situation dans les trente jours de la notification d'une mise en demeure (...) ". Aux termes de l'article L. 193 de ce livre : " Dans tous les cas où une imposition a été établie d'office la charge de la preuve incombe au contribuable qui demande la décharge ou la réduction de l'imposition ". Aux termes de l'article R. 193-1 dudit livre : " Dans le cas prévu à l'article L. 193 le contribuable peut obtenir la décharge ou la réduction de l'imposition mise à sa charge en démontrant son caractère exagéré ".
9. Il résulte de l'instruction que les rectifications dont a fait l'objet la SCI Villa Milas, lui ont été notifiées selon la procédure de taxation d'office prévue à l'article L. 66 du livre des procédures fiscales dès lors que la société requérante n'a déposé aucune déclaration au titre des années 2012 et 2013 dans le délai de trente jours suivant la mise en demeure qui lui a été notifiée le 15 décembre 2014. Par suite, la SCI Villa Milas ayant fait l'objet d'une procédure d'imposition d'office dont elle ne conteste d'ailleurs pas la régularité, elle supporte en application de l'article L. 193 du livre des procédures fiscales la charge de la preuve du caractère exagéré des impositions mises à sa charge.
S'agissant de l'acte anormal de gestion :
10. En vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt. Il appartient, en règle générale, à l'administration, qui n'a pas à se prononcer sur l'opportunité des choix de gestion opérés par une entreprise, d'établir les faits sur lesquels elle se fonde pour invoquer ce caractère anormal.
11. En l'espèce, la SCI Villa Milas n'a déclaré la perception d'aucun loyer tiré de la villa dont elle est propriétaire à Saint-Tropez au titre des exercices clos en 2012 et en 2013. Elle a ainsi renoncé aux gains de cette location, qui présente normalement un caractère lucratif, sans bénéficier d'aucune contrepartie, ce qui constitue un acte anormal de gestion.
12. Pour déterminer les recettes que la société requérante pouvait tirer de la location de ce bien dans des conditions commerciales normales, l'administration a appliqué un taux de rendement de 5 %, ensuite ramené à 3,5 %, à la valeur vénale de la villa estimée à 18 000 000 euros. En ce qui concerne les charges, l'administration a retenu celles résultant des déclarations de la société requérante, y compris celles déposées tardivement. Dans la présente requête, la société requérante conteste le taux de rendement annuel retenu par l'administration.
13. Pour établir ce taux de rendement, l'administration fiscale a procédé à la comparaison de locations de villas accessibles sur le site internet www.lecollectionist.com lequel proposait en 2015, des locations par nuit fixées à partir de 5 600 euros par une villa de 8 chambres et 16 personnes et de 10 700 euros par une villa de 7 chambres et 14 personnes (455 m²), soit un loyer quotidien moyen de 2 465 euros, soit 900 000 euros. Pour contester ce taux, la société requérante se prévaut de deux rapports d'expertise réalisés les 2 juillet 2015 et 13 février 2019. Toutefois, la première étude qui fixe un taux de rendement de 2,7 % se limite uniquement à une étude économique produite par l'administration du Sénat en se replaçant dans le segment de l'immobilier traditionnel alors que le marché de Saint-Tropez est en dehors des normes nationales et se situe dans une catégorie spéculative de " niche ". Le second rapport, outre qu'il ne propose aucun taux pour l'année 2012, applique une décote de 50 % aux motifs que les prestations ne correspondent plus à la demande de la clientèle en raison de prestations intérieures connotées années 90, d'un équipement de cuisine désuet et non fonctionnel et de ce que les sanitaires ne correspondent pas aux critères actuels. Il aboutit ainsi à une valeur vénale minorée du bien à 8 millions d'euros, qui apparaît peu crédible dès lors que le bien a été acquis en 2006 pour 16 millions d'euros, à une valeur locative annuelle à 218 400 euros et à un taux de rendement de 2,5 %. Cependant, il résulte de l'instruction que le bien de la SCI Villa Milas comprend une superficie totale de plus de 500 m² édifiée en 2005 et dispose d'une vue dégagée sur la mer, de laquelle elle est située à environ 200 mètres. En outre, il est composé d'une maison principale de 386,34 m², d'une piscine à débordement, d'un pool-house de 60,40 m² avec sauna, d'une maison de gardien de 67,17 m² et des annexes de 36,54 m². Il est situé sur un terrain de 7 318 m² au sein du domaine des Parcs lequel est fermé et gardé 24 heures sur 24, sur le territoire de la commune de Saint-Tropez, qui constitue l'une des adresses les plus prestigieuses et prisées de la commune. Par suite, en tenant compte de la situation géographique du bien, de ses caractéristiques propres, de son état, de ses prestations et du prestige de sa localisation, dans un domaine fermé et gardé 24 heures sur 24, le taux de rendement de 3,5 % retenu par l'administration fiscale apparaît pertinent et n'a pas été fixé arbitrairement contrairement à ce que soutient la SCI Villa Milas.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la SCI Villa Milas n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à la décharge en droits, pénalités et intérêts de retard, des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2012 et en 2013.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la SCI Villa Milas au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SCI Villa Milas est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SCI Villa Milas et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2024, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2024.
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N° 22MA03001
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