Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société anonyme (SA) Diffazur a demandé au tribunal administratif de Nice d'annuler la décision du 7 juillet 2020 par laquelle l'inspectrice du travail de la 5ème section de l'unité de contrôle 3 départementale des Alpes-Maritimes de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur a refusé d'autoriser le licenciement de M. A... F... pour motif disciplinaire.
Par un jugement n° 2003467 du 20 juillet 2023, le tribunal administratif de Nice a rejeté cette demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 août 2023, sous le n° 23MA02212, la SA Diffazur, représentée par la SCP Delplancke - Pozzo di Borgo - Rometti et Associés, désormais Talliance Avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nice du 20 juillet 2023 ;
2°) d'annuler la décision du 7 juillet 2020 de l'inspectrice du travail ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'inspectrice du travail n'était pas compétente pour prendre la décision contestée ;
- cette décision a été prise par une section territorialement incompétente ;
- elle a méconnu le principe du contradictoire ;
- elle n'a pas été informée de la possibilité de se faire assister par un avocat lors de l'enquête contradictoire ;
- aucun texte n'est venu imposer à l'employeur de placer ses salariés en télétravail durant la pandémie liée au Covid-19 ;
- l'inspection du travail a ajouté aux textes relatifs au télétravail une condition qu'ils ne posent pas ;
- M. F... n'a pas fait jouer son droit de retrait, estimant ainsi que les conditions de travail n'étaient pas dangereuses pour sa santé, il ne pouvait donc légalement s'opposer à réintégrer son poste sans commettre un acte manifeste d'insubordination ;
- ses tâches ne pouvaient être effectuées en télétravail ;
- M. F... a commis une faute en refusant d'exécuter sa prestation de travail, en se plaçant en absence injustifiée et en faisant preuve d'insubordination ;
- l'inspection du travail a commis une erreur d'appréciation et de qualification des faits en estimant que cette faute ne présentait pas un caractère de gravité suffisant justifiant son licenciement.
La requête a été communiquée à M. F... et à la ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion qui n'ont pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 ;
- le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marchessaux,
- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,
- et les observations de Me Nieloud substituant la SCP Delplancke - Pozzo di Borgo - Rometti et Associés, désormais Talliance Avocats, représentant la SA Diffazur.
Considérant ce qui suit :
1. La SA Diffazur exploite un fonds de commerce de conception et construction de piscines situé à Saint-Laurent-du-Var. Elle a employé M. F... depuis le 25 janvier 2017 lequel exerçait, en dernier lieu, des fonctions d'attaché commercial et était titulaire d'un mandat de membre suppléant du comité social et économique. Confrontée à la crise du coronavirus et au confinement à compter du 17 mars 2020, elle a placé ses salariés en activité partielle à compter de cette date et a décidé de reprendre son activité à partir de la mi-avril 2020. Par un courrier du 8 avril 2020, M. F... ainsi que trois autres salariés ont informé le directeur commercial de leur souhait de poursuivre leurs fonctions en mode télétravail. Toutefois, par une lettre du 22 avril 2020, la SA Diffazur a demandé à M. F... de reprendre son activité normale dès le lundi 27 avril 2020 au siège de la société, ce qu'il a refusé de faire. Par un courrier notifié le 15 mai 2020, la SA Diffazur a convoqué M. F... à un entretien préalable de licenciement et pris à son encontre une mise à pied conservatoire. Le 29 mai 2020, elle a sollicité l'autorisation de procéder au licenciement pour faute de M. F.... Par une décision du 7 juillet 2020, l'inspectrice du travail a rejeté cette demande. La SA Diffazur relève appel du jugement attaqué par lequel le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision du 7 juillet 2020.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne l'incompétence de l'auteur de l'acte :
2. Aux termes de l'article L. 2421-3 du code du travail : " Le licenciement envisagé par l'employeur d'un membre élu à la délégation du personnel au comité social et économique titulaire ou suppléant ou d'un représentant syndical au comité social et économique ou d'un représentant de proximité est soumis au comité social et économique, qui donne un avis sur le projet de licenciement dans les conditions prévues à la section 3 du chapitre II du titre Ier du livre III. (...) / La demande d'autorisation de licenciement est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement dans lequel le salarié est employé. Si la demande d'autorisation de licenciement repose sur un motif personnel, l'établissement s'entend comme le lieu de travail principal du salarié. (...) ". Aux termes de l'article R. 8122-11 du même code : " Lorsque les actions d'inspection de la législation du travail ont été confiées, dans une section, à un contrôleur du travail, le directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi : / 1° Désigne un ou plusieurs inspecteurs du travail pour prendre les décisions qui relèvent de la compétence exclusive de l'inspecteur du travail, en vertu de dispositions législatives ou réglementaires ; / 2° Peut confier le contrôle des établissements d'au moins cinquante salariés à un ou plusieurs inspecteurs du travail ".
3. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée a été signée par Mme C... D..., inspectrice du travail de l'unité de contrôle 3 des Alpes-Maritimes, 1ère section, par intérim laquelle a été affectée au sein de la 5ème section de l'unité de contrôle rive droite du Var (UC 03), en vertu de l'article 1er d'une décision du 9 décembre 2019, de M. E... G..., directeur régional adjoint de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE) de Provence-Alpes-Côte d'Azur, régulièrement publiée le 10 décembre 2019 au n° 246.2019 du recueil des actes administratifs de la préfecture des Alpes-Maritimes. L'article 3 de cette décision prévoyait que les pouvoirs de décision administrative relevant de la compétence exclusive d'un inspecteur du travail étaient confiés notamment, au sein de l'unité de contrôle Rive droite du Var (03), à Mme D... pour la 1ère section, n° 06-03-01. Selon l'article 5 de cette même décision, en cas d'absence ou d'empêchement d'un ou plusieurs des inspecteurs du travail désignés à l'article 1, l'intérim sur pouvoir de décision administrative, était organisée, au sein de cette unité, par les inspecteurs du travail, dont Mme D.... Par ailleurs, la 1ère section au sein de cette unité de contrôle était vacante depuis le 6 janvier 2020, comme le mentionne l'article 1 de la décision du 9 décembre 2019 précitée. Ainsi, Mme D... avait bien le pouvoir, par intérim, de prendre la décision contestée au titre de la 1ère section de l'unité de contrôle Rive droite du Var dont relevait la SA Diffazur alors même qu'elle avait été affectée à la 5ème section.
4. Par ailleurs, par une décision du 7 mai 2019, publiée au recueil des actes administratifs spécial n° R93-2019-048 du 17 mai 2019, accessible tant au juge qu'aux parties sur le site internet de la préfecture de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, M. H..., directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, avait donné à M. E... G..., responsable de l'unité départementale des Alpes-Maritimes, une délégation de signature à effet de signer, dans son ressort territorial, les décisions, actes administratifs, avis et correspondances relevant des compétences propres du directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, en particulier, en matière de pouvoir relevant de l'article R. 8122-11 du code du travail relatif à l'organisation de la suppléance de prérogatives au sein d'une section de l'inspection du travail.
En ce qui concerne le vice de forme :
5. La circonstance que l'en-tête de la décision en litige mentionne " Unité de contrôle 3, 5ème section " est sans incidence sur la légalité de cette décision dès lors qu'elle comporte aussi la mention " L'inspectrice du travail de l'unité de contrôle 3 des Alpes-Maritimes, 1ère section, par intérim ", laquelle avait bien une délégation à l'effet de prendre cette décision, au titre de la 1ère section, ainsi qu'il a été dit aux points 3 et 4.
En ce qui concerne la procédure contradictoire :
6. L'article R. 2421-4 du code du travail prévoit que : " L'inspecteur du travail procède à une enquête contradictoire au cours de laquelle le salarié peut, sur sa demande, se faire assister d'un représentant de son syndicat. (...) ".
7. Le caractère contradictoire de l'enquête menée conformément aux dispositions mentionnées ci-dessus impose à l'inspecteur du travail, saisi d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé fondée sur un motif disciplinaire, de mettre à même l'employeur et le salarié de prendre connaissance de l'ensemble des éléments déterminants qu'il a pu recueillir, y compris des témoignages, et qui sont de nature à établir ou non la matérialité des faits allégués à l'appui de la demande d'autorisation. Toutefois, lorsque la communication de ces éléments serait de nature à porter gravement préjudice aux personnes qui les ont communiqués, l'inspecteur du travail doit se limiter à informer le salarié protégé et l'employeur, de façon suffisamment circonstanciée, de leur teneur.
8. Il ressort des pièces du dossier que par une demande réalisée par voie électronique sur la plateforme SVE, le 29 mai 2020, la SA Diffazur a demandé à l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. F... pour les motifs suivants : " insubordination, non-respect de ses obligations contractuelles, modification unilatérale des fonctions, absences injustifiées concertées avec l'intégralité de la force commerciale de l'entreprise entraînant, pour cette dernière, un préjudice financier et d'image extrêmement grave. " Ces motifs qui figuraient dans la lettre de convocation à un entretien préalable de M. F... du 14 mai 2020 ont été soumis au comité économique et social (CSE) convoqué le 29 mai 2020. Puis par un courrier du 26 juin 2020, faisant suite à l'entretien du 24 juin 2020 avec l'inspectrice du travail, la SA Diffazur a fait état des griefs suivants : " insubordination, refus du respect des obligations contractuelles, abandon de poste concerté de toute la force commerciale, dont M. F... fait partie, mise en danger consciente de la société et défaut de considération pour les risques encourus par les autres collaborateurs de la société, dénigrement ". Or, la société Diffazur ne pouvait invoquer dans ce courrier des motifs différents tirés de l'abandon de poste, de la mise en danger de la société et du dénigrement de ceux qu'elle avait invoqués dans sa demande initiale d'autorisation de licenciement et dans le cadre de la procédure de licenciement. Par suite, l'inspectrice du travail a pu légalement refuser d'examiner ces griefs, alors même que l'enquête contradictoire n'était pas close et que sa décision n'avait pas été prise. La circonstance que M. F... ne se serait pas présenté devant le CSE est sans incidence.
9. La SA Diffazur soutient que l'inspection du travail s'est fondée sur des pièces remises par M. F... lors de son audition et visées dans la décision contestée, en particulier des échanges de courriels professionnels avec son directeur commercial. Ces pièces qui ont été produites en première instance par la DIRECCTE Provence-Alpes-Côte d'Azur sont constituées d'échanges de mails professionnels entre M. B..., directeur commercial de la SA Diffazur et M. F... des 19, 23 et 25 mars 2020 et des 1er, 2, 3 et 7 avril 2020, des courriels des 16 et 17 mars 2020 du service informatique de l'entreprise de M. F... et d'un courrier recommandé du 17 mars 2020 de la SA Diffazur à M. F.... S'il ne ressort pas des pièces du dossier que l'inspectrice du travail aurait communiqué à la société requérante ces pièces, cette dernière a eu nécessairement connaissance des courriels des 16 et 17 mars 2020 du service informatique de l'entreprise ainsi que du courrier de son directeur général du 17 mars 2020 adressé à M. F... lui annonçant une période de chômage partiel jusqu'au 31 mars 2020. Par ailleurs, les échanges de courriels entre M. F... et son directeur commercial ne constituent pas des éléments déterminants sur lesquels l'inspectrice du travail se serait fondée pour prendre la décision contestée. Par suite, l'inspectrice du travail n'a pas méconnu le principe du contradictoire en ne communiquant pas ces pièces.
En ce qui concerne la possibilité de se faire représenter par un avocat :
10. Aucun texte ni aucun principe n'imposait à l'inspectrice du travail d'informer l'employeur de la possibilité d'être assisté d'une personne de son choix lors de l'enquête contradictoire. Ainsi, ce moyen ne peut qu'être écarté.
En ce qui concerne la matérialité des faits reprochés :
11. Aux termes de l'article L. 1222-11 du code du travail : " En cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en œuvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés ". L'article L. 4121-1 du même code relatif aux obligations générales de l'employeur en matière de santé et de sécurité au travail prévoit que : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs (...). L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes. ". Selon l'article L. 4121-2 du code précité, ces mesures doivent être mises en œuvre " sur le fondement des principes généraux suivants : /1° Eviter les risques ; (...) ". L'article L. 4121-3 dudit code dispose que : " L'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs, y compris (...) dans l'aménagement ou le réaménagement des lieux de travail ou des installations (...). A la suite de cette évaluation, l'employeur met en œuvre les actions de prévention ainsi que les méthodes de travail et de production garantissant un meilleur niveau de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs (...) ".
12. Il résulte de l'ensemble de ces dispositions que l'employeur est tenu de prendre et doit pouvoir justifier avoir pris toutes les mesures de prévention nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. Cette obligation de sécurité impose à l'employeur de revoir, au vu des risques et des modes de contamination induits par le virus du Covid-19, l'organisation du travail, la gestion des flux, les conditions de travail et les mesures de protection des salariés. L'appréciation du respect de cette obligation par l'employeur s'effectue nécessairement, en vertu notamment du dernier alinéa de l'article L. 4121-1, en tenant compte de l'état des connaissances scientifiques en la matière, lesquelles sont publiquement diffusées, notamment par le Haut conseil de la santé publique.
13. Aux termes de l'article 2 du décret du 23 mars 2020 prescrivant les mesures générales nécessaires pour faire face à l'épidémie de Covid-19 dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire : " Afin de ralentir la propagation du virus, les mesures d'hygiène et de distanciation sociale, dites " barrières ", définies au niveau national, doivent être observées en tout lieu et en toute circonstance. Les rassemblements, réunions, activités, accueils et déplacements ainsi que l'usage des moyens de transports qui ne sont pas interdits en vertu du présent décret sont organisés en veillant au strict respect de ces mesures. (...) ". L'article 3 de ce décret prévoyait que : " I. - Jusqu'au 11 mai 2020, tout déplacement de personne hors de son domicile est interdit à l'exception des déplacements pour les motifs suivants en évitant tout regroupement de personnes : / 1° Trajets entre le domicile et le ou les lieux d'exercice de l'activité professionnelle et déplacements professionnels insusceptibles d'être différés ; /2° Déplacements pour effectuer des achats de fournitures nécessaires à l'activité professionnelle et des achats de première nécessité dans des établissements dont les activités demeurent autorisées par l'article 8 du présent décret ; / 3° Déplacements pour motifs de santé à l'exception des consultations et soins pouvant être assurés à distance et, sauf pour les patients atteints d'une affection de longue durée, de ceux qui peuvent être différés ; / 4° Déplacements pour motif familial impérieux, pour l'assistance des personnes vulnérables et pour la garde d'enfants ; / 5° Déplacements brefs, dans la limite d'une heure quotidienne et dans un rayon maximal d'un kilomètre autour du domicile, liés soit à l'activité physique individuelle des personnes, à l'exclusion de toute pratique sportive collective et de toute proximité avec d'autres personnes, soit à la promenade avec les seules personnes regroupées dans un même domicile, soit aux besoins des animaux de compagnie ; / 6° Déplacements résultant d'une obligation de présentation aux services de police ou de gendarmerie nationales ou à tout autre service ou professionnel, imposée par l'autorité de police administrative ou l'autorité judiciaire ; / 7° Déplacements résultant d'une convocation émanant d'une juridiction administrative ou de l'autorité judiciaire ; / 8° Déplacements aux seules fins de participer à des missions d'intérêt général sur demande de l'autorité administrative et dans les conditions qu'elle précise.(...) ".
14. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
15. En l'espèce, la demande d'autorisation de licenciement de M. F... du 29 mai 2020 est fondée sur un motif disciplinaire résultant de son insubordination, du non-respect de ses obligations contractuelles, de la modification unilatérale des fonctions, d'absences injustifiées concertées avec l'intégralité de la force commerciale de l'entreprise entraînant, pour cette dernière, un préjudice financier et d'image extrêmement grave.
16. Pour refuser d'accorder l'autorisation de licencier M. F..., l'inspectrice du travail a pris en compte le contexte particulier des faits qui se sont déroulés au cours de la pandémie de Covid-19 et estimé notamment que l'entreprise ne fournissait aucun élément factuel et objectivable permettant de démontrer que les postes de chef de projet et d'attachés commerciaux n'étaient pas largement " télétravaillables " en avril 2020, en pleine période de confinement et que depuis le 17 mars 2020, et jusqu'à nouvel ordre, le télétravail devait être systématiquement privilégié, sa mise en œuvre étant considérée comme un aménagement du poste du travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et de garantir la protection des salariés.
17. La SA Diffazur soutient que, durant la période de confinement faisant suite à la pandémie liée au Covid-19, aucun texte n'obligeait à l'employeur à placer ses salariés en télétravail et que l'inspectrice du travail a ajouté aux textes une condition qu'ils n'imposaient pas. Toutefois, par l'article 4 de la loi du 23 mars 2020 d'urgence pour faire face à cette pandémie de Covid-19, il a été déclaré l'état d'urgence sanitaire pour une durée de deux mois sur l'ensemble du territoire national, du 17 mars au 11 mai 2020, Par le décret précité du 23 mars 2020, pris sur le fondement de l'article L. 3131-15 du code de la santé publique issu de cette loi, le premier ministre a réitéré les mesures qu'il avait précédemment ordonnées le 16 mars 2020, interdisant le déplacement de toute personne hors de son domicile, sous réserve d'exceptions limitativement énumérées et devant être dûment justifiées. En outre compte tenu de ces circonstances exceptionnelles, en vertu de l'article L. 1222-11 du code du travail, la mise en œuvre du télétravail pouvait être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés. Et le protocole national établi pour assurer la santé et la sécurité des salariés en entreprise face à l'épidémie de Covid-19 indiquait que le télétravail devait être la règle pour l'ensemble des activités qui le permettent.
18. Si la société Diffazur soutient que les tâches de M. F... ne pouvaient être réalisées en télétravail, il ressort des pièces du dossier que, dès le 16 mars 2020, elle a déployé les installations informatiques nécessaires à la pratique du télétravail estimant ainsi que les fonctions commerciales de M. F... pouvait être effectuées en télétravail pour la période du 17 mars au 7 avril 2020, date à laquelle le directeur commercial de la SA Diffazur a informé le salarié et d'autres commerciaux de ce qu'il avait été décidé une reprise partielle de l'activité commerciale. Par un autre courrier du 22 avril 2020, il a confirmé la partie de télétravail réalisable selon les fonctions principales. Par ailleurs, dans un courrier du 1er mai 2020, le salarié a mentionné que le télétravail était tout à fait réalisable et que la partie " visite de terrain " n'était pas obligatoire, la SA Diffazur leur ayant permis, depuis une dizaine d'années, de traiter et signer des contrats sur des salons et des foires, sans voir le terrain, sans plan et sur les seuls dires du client. Ainsi, dans les circonstances très particulières de l'espèce, l'inspectrice du travail n'a commis ni erreur de droit ni d'erreur sur la qualification des faits en estimant que les fonctions de M. F... pouvaient être réalisées en télétravail et que ce dernier devait être systématiquement privilégié, d'autant que, jusqu'au 11 mai 2020, il ne ressort pas des dispositions de l'articles 2 et 3 du décret du 23 mars 2020 que les déplacements de M. F... en vue de vendre des piscines chez les clients étaient autorisés.
19. En l'espèce, par des courriels des 8, 10 et 13 avril 2020, donc pendant la période de confinement, M. F... et trois autres commerciaux ont refusé une reprise d'activité en présentiel et demandé à travailler uniquement en télétravail, en invoquant les circonstances exceptionnelles de la pandémie et les directives gouvernementales concernant les déplacements. En réponse à ce refus, la SA Diffazur a fait récupérer, dès le 15 avril 2020 au domicile de M. F..., le véhicule de service, la tablette, la carte essence, le téléphone portable, le mettant dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Dans sa lettre du 24 avril 2020, le salarié a invoqué son souhait de travailler sans risque et que lui soit indiqué les mesures prises pour les salariés alors qu'ils n'avaient reçu ni gants, ni gel hydroalcoolique. Si la société requérante a bien procédé, dès le 17 mars 2020 à l'achat de gants, de masques et de gel hydroalcoolique, qu'elle a adapté l'organisation du travail afin de minimiser les contacts entre salariés au sein de ses locaux, ce n'est que le 5 mai 2020 que M. F... a eu connaissance du " protocole d'intervention chez un particulier d'un chef de projet " daté du 7 avril 2020, soit un mois après la demande de reprise d'activité sur les chantiers extérieurs. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que le salarié aurait incité d'autres collaborateurs de l'entreprise à faire de même pour justifier sa propre action ni même qu'il aurait fait preuve de malice ou de mauvaise foi. Ses questions portant sur les mesures et matériel de protection pris pour les salariés et ses interrogations concernant la reprise des rendez-vous physiques alors qu'ils étaient toujours en période de confinement étaient parfaitement légitimes dans le contexte particulier de la pandémie de Covid-19. Dès lors, l'inspectrice du travail a pu légalement estimer que la preuve de l'insubordination de M. F... n'était pas établie et qu'il n'avait ainsi commis aucune faute alors même que le salarié n'avait pas fait valoir son droit de retrait.
20. La SA Diffazur soutient que M. F... devait être considéré en absence injustifiée depuis le 10 avril 2020, entre le 27 avril 2020 et la réception de la convocation à l'entretien préalable, ainsi qu'après le 11 mai 2020. Toutefois, elle n'a précisé ces dates que dans le courrier du 26 juin 2020, la demande d'autorisation de licenciement du 29 mai 2020 n'en mentionnant aucune. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que la société requérante a placé M. F..., par courrier recommandé du 17 mars 2020, en congés payés du 18 au 23 mars 2020 puis en activité partielle dans un premier temps jusqu'au 31 mars 2020. Par un courriel du 7 avril 2020, le directeur commercial de la SA Diffazur a informé le salarié et d'autres commerciaux de ce qu'il avait été décidé une reprise partielle de l'activité commerciale et leur demandait d'être présent, le 10 avril 2020, au siège de l'entreprise à tour de rôle selon un planning joint. A la suite du refus du salarié de reprendre ses fonctions en présentiel et de son souhait de rester en télétravail, la SA Diffazur l'a placé en " chômage partiel total " du 10 avril au 27 avril 2020 et a fait récupérer, dès le 15 avril 2020 au domicile du salarié, le véhicule de service, la tablette, la carte essence, le téléphone portable, le mettant dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions en télétravail. Ensuite, par courrier des 11 mai 2020 remplacé par un courrier du 14 mai 2020 dont M. F... a accusé réception le 15 mai 2020, la SA Diffazur a pris à son encontre une mise à pied à titre conservatoire avec effet immédiat et lui a demandé de ne plus se présenter à son poste de travail jusqu'à ce que la décision soit prise à l'issue de l'entretien préalable. Ainsi, à partir de cette date du 15 mai 2020, le salarié ne pouvait être regardé comme étant en absence injustifiée. Pour la période antérieure, à compter du 10 avril 2020 et jusqu'au 10 mai 2020, ainsi qu'il a été dit au point 19, les absences de M. F... sont motivées par des motifs légitimes portant sur les mesures et matériel de protection pris pour les salariés et ses interrogations concernant la reprise des rendez-vous physiques alors qu'ils étaient toujours en période de confinement. Si la société Diffazur soutient que la reprise à partir du 10 avril 2020 devait s'effectuer dans de parfaites conditions sanitaires, ce n'est que le 5 mai 2020 que M. F... a eu connaissance du " protocole d'intervention chez un particulier d'un chef de projet " daté du 7 avril 2020, soit un mois après la demande de reprise d'activité sur les chantiers extérieurs. Ainsi, l'inspectrice du travail a pu légalement estimer que les absences fautives n'étaient pas établies alors même que le salarié n'avait pas fait valoir son droit de retrait.
21. A supposer même que M. F... ait commis une faute en ne reprenant pas ses fonctions en présentiel entre le 11 et le 15 mai 2020, la SA Diffazur ne démontre pas que ce comportement aurait entraîné pour elle un préjudice financier résultant d'une perte financière ou la perte d'un client important. Par ailleurs et en tout état de cause, compte tenu des circonstances très particulières de l'espèce, cette faute ne présentait pas un caractère de gravité suffisant permettant de justifier son licenciement alors que, par ailleurs, M. F... bénéficiait de près de trois ans d'ancienneté, sans précédent disciplinaire, ainsi que d'une promotion en qualité d'attaché commercial.
22. La société requérante ne saurait se prévaloir, pour la première fois devant le juge administratif, de ce que le comportement de M. F... a mis en danger financièrement la société à une période cruciale pour elle dès lors que ce grief n'a pas été invoqué dans la demande d'autorisation de licenciement du 29 mai 2020.
23. Il résulte de tout ce qui précède que la SA Diffazur n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 7 juillet 2020.
Sur les frais liés au litige :
24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la SA Diffazur au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : La requête de la SA Diffazur est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SA Diffazur, à M. A... F... et à la ministre du travail et de l'emploi.
Délibéré après l'audience du 4 octobre 2024, où siégeaient :
- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,
- Mme Vincent, présidente assesseure,
- Mme Marchessaux, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 octobre 2024.
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N° 23MA02212
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