Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C... a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler l'arrêté du 29 mai 2024 par lequel le préfet du Var l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de sa destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Par une ordonnance n° 2402528 du 31 juillet 2024, le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 27 août 2024, Mme C..., représentée par Me Iglesias, demande à la Cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 31 juillet 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 mai 2024 du préfet du Var ;
3°) à titre principal, d'enjoindre au préfet du Var de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de deux mois à compter de la notification de la décision à intervenir et sous astreinte de 200 euros par jour de retard, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir ; à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet du Var de procéder au réexamen de sa situation, sous les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement attaqué est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de la recevabilité de sa demande de première instance ;
- la décision portant refus de séjour méconnaît les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen réel et complet de sa situation personnelle.
Mme C... a été admise à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 septembre 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.
La requête a été communiquée au préfet du Var, qui n'a pas produit de mémoire.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Portail, président, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., de nationalité albanaise, demande l'annulation de l'ordonnance par laquelle le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande dirigée contre l'arrêté du 29 mai 2024 par lequel le préfet du Var l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de sa destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. D'une part, aux termes de l'article R. 776-2 du code de justice administrative, dans sa version en vigueur à la date de la décision contestée : " (...) Conformément aux dispositions de l'article L. 614-5 du [code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile], la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, prise en application des 1°, 2° ou 4° de l'article L. 611-1 du même code, fait courir un délai de quinze jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au séjour, au délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour notifiées simultanément. (...) ".
3. D'autre part, en application du décret susvisé du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle et à l'aide à l'intervention de l'avocat dans les procédures non juridictionnelles, à compter du 1er janvier 2021, lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée ou déposée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration de ce délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter de la date à laquelle le demandeur de l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée.
4. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté contesté a été notifié le 1er juin 2024 à Mme C..., laquelle disposait d'un délai de quinze jours pour le contester. Ainsi, la demande d'aide juridictionnelle présentée par l'intéressée devant le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Toulon le 11 juin 2024, soit dans ce délai de quinze jours, a été de nature à suspendre le délai de recours. Ledit bureau ayant rendu sa décision admettant Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale le 29 juillet 2024, la requête enregistrée au greffe du tribunal administratif de Toulon le 30 juillet 2024, soit le lendemain, n'était pas tardive. Par suite, c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi. Son ordonnance en date du 31 juillet 2024 doit, dès lors, être annulée.
5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Toulon.
Sur l'étendue du litige :
6. Aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : (...) 4° La reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou il ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application des articles L. 542-1 et L. 542-2, à moins qu'il ne soit titulaire de l'un des documents mentionnés au 3° (...) ". Il résulte de ces dispositions que le prononcé, par l'autorité administrative, à l'encontre d'un ressortissant étranger d'une obligation de quitter le territoire français notamment sur le fondement du 4° de cet article n'est pas subordonné à l'intervention préalable d'une décision statuant sur le droit au séjour de l'intéressé en France. Ainsi, lorsque l'étranger s'est borné à demander l'asile, sans présenter de demande de titre de séjour distincte sur un autre fondement, il appartient au préfet, après avoir vérifié que l'étranger ne pourrait pas prétendre de plein droit à la délivrance d'un titre de séjour, de tirer les conséquences du rejet de sa demande d'asile par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), confirmé le cas échéant par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA), sans avoir à statuer explicitement sur le droit au séjour de l'étranger en France. Lorsque le préfet fait néanmoins précéder, dans le dispositif de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français, cette décision d'un article constatant le rejet de la demande d'asile de l'étranger, cette mention ne revêt aucun caractère décisoire et est superfétatoire.
7. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme C... aurait sollicité son admission au séjour à un autre titre que l'asile. La circonstance que le préfet du Var ait examiné l'ensemble de sa situation n'a pas eu pour effet de conférer à sa décision le caractère d'un refus de séjour. Dans ces conditions, la mention de l'arrêté contesté selon laquelle " Le droit au séjour au titre de l'asile de Mme C... A... est refusé " ne présente pas, par elle-même, de caractère décisoire. Il en résulte que l'arrêté contesté du 29 mai 2024 ne comporte pas de décision de refus de titre de séjour. Dès lors, les moyens tirés de ce que la décision portant refus de séjour serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation, méconnaîtrait les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant et L. 425-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peuvent qu'être écartés.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
8. En premier lieu, si Mme C... soutient que l'arrêté contesté est entaché d'un défaut d'examen réel et complet de sa situation personnelle, ce moyen n'est pas assorti des précisions permettant à la Cour d'en apprécier le bien-fondé. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier et, en particulier, des termes mêmes de la décision contestée, que le préfet du Var a procédé à l'examen particulier de la situation personnelle de Mme C... avant de prendre à son encontre l'arrêté critiqué.
9. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Selon l'article 3 de cette même convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " 1- Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... soutient, sans toutefois l'établir, être entrée en France de manière irrégulière le 11 octobre 2023 et se maintenir de manière continue sur le territoire français depuis cette date. Elle se prévaut de la présence à ses côtés de ses trois enfants, B..., né le 13 mars 2012, Armei, né le 18 avril 2018, et Ema, née le 4 novembre 2022, dont il ressort des pièces du dossier que les deux aînés sont atteints d'autisme. A cet égard, l'intéressée n'établit ni que leur état de santé nécessiterait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour eux des conséquences d'une exceptionnelle gravité, ni qu'une telle prise en charge ne serait pas disponible en Albanie, alors même qu'elle indique à l'inverse que les deux enfants ont été diagnostiqués et ont commencé un suivi médical adapté dans leur pays d'origine. Si Mme C... soutient avoir quitté l'Albanie et être exposée à des risques en cas de retour dans ce pays en raison de son mari alcoolique et violent, elle ne l'établit en tout état de cause pas par la seule production de quelques photographies de son genou et de ses enfants, de la traduction d'une requête, non datée, auprès d'un tribunal albanais portant sur les violences subies, et d'un document non-traduit présenté comme une ordonnance de protection obtenue à l'encontre de son conjoint, alors même que l'OFPRA, devant lequel ont été produites ces pièces, a considéré que l'intéressée n'établissait pas la réalité des risques dont elle se prévalait. Dans ces conditions, le préfet du Var, en l'obligeant à quitter le territoire français, n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des buts en vue desquels cette obligation a été prise. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision contestée méconnaîtrait les stipulations précitées des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3 de la convention internationale des droits de l'enfant doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit également être écarté.
11. Il résulte de ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 29 mai 2024 par lequel le préfet du Var l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours, a fixé le pays de sa destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2402528 du 31 juillet 2024 du magistrat désigné du tribunal administratif de Toulon est annulée.
Article 2 : La demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Toulon et le surplus des conclusions de sa requête sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C..., à Me Iglesias et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet du Var.
Délibéré après l'audience du 12 décembre 2024, où siégeaient :
- M. Portail, président,
- Mme Courbon, présidente assesseure,
- M. Claudé-Mougel, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 janvier 2025
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N° 24MA02251
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