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10/01/2025 | FRANCE | N°24MA00414

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 10 janvier 2025, 24MA00414


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a fixé le pays de destination et d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans les quinze jours à compter de la notification du jugement et de lui délivrer une autorisation pr

ovisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.



Par un jugement ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2023 par lequel le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de 30 jours et a fixé le pays de destination et d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour, ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans les quinze jours à compter de la notification du jugement et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 2400196 du 13 février 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 21 février 2024, M. A..., représenté par Me Ramzan, demande à la cour :

1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler le jugement du 13 février 2024 ;

3°) d'annuler l'arrêté du 21 décembre 2023 ;

4°) d'enjoindre au préfet des Bouches-du-Rhône de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans les 15 jours à compter de la notification de l'arrêt et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne le refus de séjour :

- la décision a été prise par une autorité incompétente ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision a été prise par une autorité incompétente ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est illégale par voie d'exception, du fait de l'illégalité de la décision portant refus de séjour ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- la décision a été prise par une autorité incompétente ;

- elle méconnait les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

La requête a été transmise au préfet des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire en défense.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 avril 2024 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille.

Par un courrier du 4 novembre 2024, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que les conclusions et moyens présentés par M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté en litige en tant qu'il rejette sa demande d'asile sont irrecevables dès lors qu'ils sont dirigés contre une mesure qui est superfétatoire et qui ne revêt aucun caractère décisoire.

M. A... a répondu à ce moyen d'ordre public par un mémoire enregistré le 7 novembre 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Danveau.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., né le 23 février 1983 et de nationalité russe, déclare être entré en France le 27 décembre 2022. Il a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par décisions de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 juin 2023 puis de la cour nationale du droit d'asile du 8 novembre 2023. Par un arrêté du 21 décembre 2023, le préfet des Bouches-du-Rhône l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de sa destination. Le requérant relève appel du jugement du 13 février 2024 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle :

2. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 26 avril 2024. Il n'y a dès lors pas lieu de statuer sur ses conclusions tendant à l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la " décision " portant refus de séjour :

3. Même s'il mentionne, en son article 1er, que " la demande d'asile présentée par Monsieur C... A... est rejetée ", l'arrêté contesté ne peut être regardé ni comme statuant sur la demande d'asile de l'intéressé, le rejet de cette demande procédant en dernier lieu de la décision prise par la cour nationale du droit d'asile le 8 novembre 2023, ni même comme lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, l'intéressé ne justifiant pas avoir déposé auprès des services de la préfecture une demande distincte tendant à son admission au séjour. Aussi, cette mention étant superfétatoire, en application des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les conclusions et moyens soulevés par le requérant à l'encontre de cette " décision " de refus de titre de séjour doivent être écartés comme irrecevables.

En ce qui concerne le moyen commun à la décision portant obligation de quitter le territoire français et à la décision fixant le pays de destination :

4. L'arrêté en litige a été signé par M. B..., adjoint à la cheffe du bureau de l'éloignement, du contentieux et de l'asile à la préfecture des Bouches-du-Rhône. Par un arrêté du 6 octobre 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du même jour, le préfet lui avait confié délégation à l'effet de signer toutes décisions portant obligation de quitter le territoire français et fixation du pays de destination. Par suite le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté attaqué doit être écarté comme manquant en fait.

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

5. La décision portant obligation de quitter le territoire français vise notamment les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et le 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Après avoir rappelé que M. A... déclare être entré en France le 27 décembre 2022 dans des circonstances indéterminées, le préfet mentionne la décision du 30 juin 2023 par laquelle l'office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté sa demande d'asile, et la décision du 8 novembre 2023 par laquelle la cour nationale du droit d'asile a rejeté son recours. Le préfet mentionne en outre que M. A... n'établit pas être exposé à des peines ou traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine, qu'il est célibataire et qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches personnelles et familiales hors de France. Cette décision comporte ainsi les considérations de fait et de droit sur lesquels elle se fonde. Le moyen tiré de ce qu'elle serait insuffisamment motivée doit par suite être écarté.

6. Il résulte de ce qui a été dit au point 3 que le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait illégale par voie d'exception de l'illégalité de la décision de refus de séjour ne peut qu'être écarté.

7. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., né le 23 février 1983, soutient être entré en France le 27 décembre 2022, sans toutefois l'établir, et y résider depuis lors. S'il fait valoir qu'il y vit avec sa famille, il ne conteste pas les écritures du préfet produites devant le tribunal qui indiquent que les demandes d'asile des membres de sa famille ont été rejetées par l'office français de protection des réfugiés et apatrides puis par la cour nationale du droit d'asile. Par ailleurs, M. A... est célibataire et sans enfant et a vécu la majeure partie de sa vie dans son pays d'origine où il n'établit pas qu'il serait dépourvu de toute attache personnelle ou familiale. Dans ces conditions, la décision en litige ne porte pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation doit également être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Aux termes du dernier alinéa de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ".

10. Ainsi que l'a estimé la cour nationale du droit d'asile dans sa décision n° 21068674 du 20 juillet 2023, lorsqu'il peut être tenu pour établi qu'un ressortissant russe est appelé dans le cadre de la mobilisation partielle des réservistes du décret présidentiel russe n° 647 du 21 septembre 2022 ou d'un recrutement forcé, il est probable qu'il soit amené à participer, directement ou indirectement, à la commission de crimes de guerre dans le cadre de son service, étant donné l'objet même de la mobilisation partielle, l'impossibilité de refuser un ordre de mobilisation et compte tenu des conditions de déroulement du conflit armé entre la Russie et l'Ukraine, marqué par la commission à grande échelle de crimes de guerre par les diverses unités des forces armées russes, que ce soit dans les territoires contrôlés par l'Ukraine ou dans les territoires actuellement placés sous contrôle des autorités russes. Dans ces conditions, les insoumis à cette mobilisation et les mobilisés ayant déserté sont exposés, à raison de leur refus de participer aux opérations militaires menées par l'armée russe en Ukraine, à des sanctions constitutives de traitements inhumains ou dégradants au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Il appartient au requérant de fournir l'ensemble des éléments pertinents permettant d'établir qu'il est effectivement soumis à une obligation militaire qui l'amènerait à participer, directement ou indirectement, à la commission de crimes de guerre. La seule appartenance à la réserve mobilisable ne permet pas d'établir qu'un ressortissant russe serait effectivement amené à commettre de tels crimes. Il lui incombe de fournir les éléments permettant d'établir qu'il est effectivement appelé à servir dans les forces armées dans le cadre de la mobilisation partielle du décret du 21 septembre 2022 ou d'un recrutement forcé.

12. M. A... soutient encourir des risques en cas de retour dans son pays d'origine en raison du conflit armé entre la Russie et l'Ukraine et de son refus de rejoindre l'armée qui serait sanctionné par les autorités russes. Il verse à cet effet un document, traduit par un organisme assermenté, qu'il présente comme une convocation militaire établie par le commissaire militaire du district de la ville de Lipetsk dans le cadre de la mobilisation militaire générale décrétée par le président de la Fédération de Russie, prescrivant à l'intéressé de se présenter le 28 octobre 2022 à 9 heures au 10 rue Internatsionalnaya. Certes, ce document n'avait pas été produit devant la cour nationale du droit d'asile au cours de la procédure qui a donné lieu à l'arrêt du 8 novembre 2023 qui n'avait donc pu en tenir compte. Néanmoins, alors que ce document porte une date antérieure de plus d'un an à cette décision de justice, le requérant n'explique pas les raisons qui l'auraient empêché d'en faire état devant la cour nationale du droit d'asile. De plus, si le requérant soutient avoir présenté une demande de réexamen de sa demande d'asile en se fondant sur cet ordre de mobilisation, celle-ci a en tout état de cause été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides et la cour nationale du droit d'asile, lesquelles ont remis en cause la vraisemblance de son récit sur cette convocation militaire et l'authenticité du document produit. Enfin, devant la cour administrative d'appel de Marseille, le requérant ne produit aucun élément de nature à démontrer que cette convocation serait authentique. Ainsi, M. A... ne démontre ni qu'il relèverait de la réserve mobilisable dans le cadre du décret du 21 septembre 2022 précité ni, en tout état de cause, qu'il serait soumis à une obligation militaire qui l'amènerait à participer, directement ou indirectement, à la commission de crimes de guerre, ainsi qu'il a été exposé au point 10. Par suite, et alors que le requérant n'apporte aucun autre élément de nature à établir la réalité et le bien-fondé des craintes alléguées en cas de retour dans son pays d'origine, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande. Ses conclusions à fin d'annulation doivent donc être rejetées. Par suite, doivent également être rejetées ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet des Bouches-du-Rhône.

Délibéré après l'audience du 19 décembre 2024, où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente assesseure,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 janvier 2025.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 24MA00414
Date de la décision : 10/01/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : RAMZAN

Origine de la décision
Date de l'import : 19/01/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-01-10;24ma00414 ?
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