Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Par deux requêtes distinctes, la commune de La Crau a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, d'annuler l'arrêté rectificatif du 26 décembre 2017 par lequel le préfet du Var a prononcé la carence de la commune au titre de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation au titre de la période triennale 2014-2016 ainsi que la majoration du montant de son prélèvement de 150 % à la suite de la réformation du taux initial de 200 % par le jugement du tribunal administratif de Toulon du 16 février 2021, et d'annuler l'arrêté du 28 février 2020, fixant le montant des prélèvements opérés sur les ressources fiscales de la commune de La Crau sur le fondement des dispositions de l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation, au titre de l'année 2020 ainsi que le montant de la majoration sur le fondement des dispositions de l'article L. 302-9-1 du même code, au titre de l'année 2020 et, d'autre part, d'annuler l'arrêté rectificatif du 26 décembre 2017 par lequel le préfet du Var a prononcé la carence de la commune au titre de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation au titre de la période triennale 2014-2016 ainsi que la majoration du montant de son prélèvement de 150 % suite à la réformation du taux initial de 200 % par le jugement du tribunal administratif de Toulon du 16 février 2021, et d'annuler l'arrêté du 20 juin 2022, par lequel le préfet du Var a abrogé l'arrêté du 28 février 2020, et a fixé un nouveau montant de prélèvement sur le fondement des dispositions de l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation ainsi qu'un nouveau montant de majoration, sur le fondement des dispositions de l'article L. 302-9-1 du même code, au titre de l'année 2020.
Par un jugement nos 2001473, 2202267 du 13 février 2024, le tribunal a rejeté ces demandes.
Procédure devant la Cour :
I°) Par une requête, enregistrée sous le n° 24MA00949 le 18 avril 2024, et un mémoire enregistré le 31 décembre 2024, la commune de La Crau, représentée par Me Reghin, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Var du 28 février 2020 ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de revoir le montant des prélèvements et de la majoration au titre de l'année 2019 ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur ses conclusions dirigées contre l'arrêté du 28 février 2020 en raison de l'intervention de l'arrêté du 20 juin 2022 dès lors que l'arrêté initial a reçu un commencement d'exécution et que l'arrêté l'abrogeant n'est pas définitif ;
- elle entend soulever l'exception d'illégalité de l'arrêté du 26 décembre 2017 prononçant sa carence au titre de ses obligations en matière de logement social pour la période 2014-2016 et fixant le taux de majoration, dès lors que le préfet s'est senti en compétence liée et n'a porté aucune appréciation sur la majoration appliquée ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation aux termes desquelles il y a lieu de prendre en compte des logements qui seront ceux ayant été financés et conventionnés du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, des difficultés rencontrées par la commune dans la réalisation de ses objectifs triennaux tenant au manque de foncier disponible, tenant au fait que de nombreux projets ont déjà été portés par des opérateurs mais quasiment tous attaqués sur la période 2014-2016 et tenant au fait qu'elle s'est heurtée aux services de l'Etat ;
- le préfet s'est mépris sur les données chiffrées à prendre en compte et aurait dû tenir compte des objectifs intégrés dans le document local d'urbanisme, du projet de rénovation du centre-ville et des opérations concernant les projets nouveaux, du contexte global et la dynamique de production à l'œuvre depuis l'entrée de la commune dans le dispositif Solidarité et Renouvellement Urbain (SRU) ;
- les objectifs fixés par l'Etat sont irréalistes ;
- la sanction est disproportionnée ;
- et en outre, les écritures en défense de la ministre sont irrecevables.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2024, la ministre du logement et de la rénovation urbaine conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
II°) Par une requête, enregistrée sous le n° 24MA00969 le 18 avril 2024, et un mémoire enregistré le 7 janvier 2025, la commune de La Crau, représentée par Me Reghin, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Var du 20 juin 2022 ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de revoir le montant des prélèvements et de la majoration au titre de l'année 2019 ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle entend soulever l'exception d'illégalité de l'arrêté du 26 décembre 2017 prononçant sa carence au titre de ses obligations en matière de logement social pour la période 2014-2016, dès lors que le préfet n'a pas mis en œuvre de procédure contradictoire, le préfet s'est senti en compétence liée et n'a porté aucune appréciation sur la majoration appliquée ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation aux termes desquelles il y a lieu de prendre en compte des logements qui seront ceux ayant été financés et conventionnés du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, des difficultés rencontrées par la commune dans la réalisation de ses objectifs triennaux tenant au manque de foncier disponible, tenant au fait que de nombreux projets ont déjà été portés par des opérateurs mais quasiment tous attaqués sur la période 2014-2016 et notamment par l'association ALMCV très active sur la commune et tenant au fait qu'elle se heurtait aux services de l'Etat eux-mêmes lors du contrôle de légalité ;
- le préfet s'est mépris sur les données chiffrées à prendre en compte et aurait dû tenir compte des objectifs intégrés dans le document local d'urbanisme, du projet de rénovation du centre-ville et des opérations concernant les projets nouveaux, du contexte global et la dynamique de production à l'œuvre depuis l'entrée de la commune dans le dispositif SRU ;
- les objectifs fixés par l'Etat sont irréalistes ;
- la sanction est disproportionnée ;
- et en outre, les écritures en défense de la ministre sont irrecevables.
Par un mémoire en défense, enregistré le 18 décembre 2024, la ministre du logement et de la rénovation urbaine, conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- le code de la construction et de l'habitation ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Isabelle Ruiz, rapporteure,
- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,
- et les observations de Me Gonzalez-Lopez pour la commune de la Crau.
Considérant ce qui suit :
1. Constatant que, alors que l'objectif global de réalisation de logements sociaux assigné à la commune de La Crau pour la période 2014-2016, par lettre du 5 mai 2014, était de trois cent cinquante-cinq logements, le bilan triennal pour cette période faisait état de soixante logements, soit 16,90 % de cet objectif et considérant que n'étaient pas suffisants les éléments avancés par la commune pour justifier le caractère incomplet de cette réalisation, le préfet du Var a, par un arrêté du 26 décembre 2017, d'une part, prononcé sa carence en application de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, et d'autre part, fixé à 200 % le taux de majoration du prélèvement prévu à l'article L. 302-7 du même code. Par arrêté du 28 février 2020, le préfet du Var a fixé le montant des prélèvements opérés sur les ressources fiscales de la commune de La Crau sur le fondement des dispositions de l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation, au titre de l'année 2020 ainsi que le montant de la majoration sur le fondement des dispositions de l'article L. 302-9-1 du même code, au titre de l'année 2020. L'arrêté préfectoral du 26 décembre 2017 a été réformé par le jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1801661 du 16 février 2021 par lequel le tribunal de Toulon a confirmé la carence de la commune de La Crau pour la période 2014-2016 et ramené le taux de la majoration initialement fixé à 200 % au taux de 150 %. La cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt n° 21MA01438 du 3 octobre 2023, a rejeté le recours en appel contre ce jugement. Tenant compte de cette réformation, par arrêté du 20 juin 2022, le préfet du Var a " abrogé " l'arrêté du 28 février 2020 et a fixé un nouveau montant de prélèvement sur le fondement des dispositions de l'article L. 302-7 du code de la construction et de l'habitation ainsi qu'un nouveau montant de majoration, sur le fondement des dispositions de l'article L. 302-9-1 du même code, au titre de l'année 2020. Par une demande enregistrée sous le n° 2001473, la commune de La Crau a alors saisi le tribunal administratif de Toulon d'une demande d'annulation de l'arrêté rectificatif du 26 décembre 2017 ainsi que de l'arrêté du 28 février 2020. Par une demande enregistrée sous le n° 2202267, la commune de La Crau a également saisi ce même tribunal d'une demande tendant à l'annulation de l'arrêté rectificatif du 26 décembre 2017 ainsi que de l'arrêté du 20 juin 2022 fixant à 423 690,56 euros le montant du prélèvement net de la commune pour l'année 2020. Par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté ses demandes. Par deux requêtes d'appel distinctes, enregistrées sous les nos 24MA00949 et 24MA00969, la commune de La Crau relève appel de ce jugement.
Sur la jonction :
2. Les requêtes susvisées nos 24MA00949 et 24MA00969 présentent à juger des questions identiques et ont fait l'objet d'une instruction commune. Il y a donc lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur la recevabilité des écritures en défense :
3. La commune appelante ne saurait sérieusement se saisir de ce que la ministre, renvoyant à ses précédentes écritures pour porter sur la même contestation de l'arrêté du 26 décembre 2017, produit en pièce jointe le mémoire en défense qu'elle avait déjà produit dans l'instance n° 21MA01438 pour soutenir que ces écritures ne concerneraient pas du tout la même procédure et pour solliciter que ces écritures soient écartées des débats. Par suite, une telle demande ne saurait être accueillie.
Sur le bien-fondé du jugement pour le surplus :
En ce qui concerne le cadre juridique applicable :
4. Aux termes de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, dans sa version en vigueur du 20 janvier 2013 au 9 août 2015 : " Les dispositions de la présente section s'appliquent aux communes dont la population est au moins égale à (...) 3 500 habitants dans les autres régions qui sont comprises, au sens du recensement de la population, dans une agglomération ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants, et dans lesquelles le nombre total de logements locatifs sociaux représente, au 1er janvier de l'année précédente, moins de 25 % des résidences principales. ".
5. Dans sa rédaction applicable à la période triennale 2014-2016 en litige et en vigueur du 27 mars 2014 au 29 janvier 2017, le I de l'article L. 302-8 du même code prévoit que, pour atteindre, dans les communes de plus de 3 500 habitants, un nombre de logements locatifs sociaux au moins égal à 25 % du nombre de résidences principales, au plus tard à la fin de l'année 2025, " le conseil municipal définit un objectif de réalisation de logements locatifs sociaux par période triennale. Il ne peut être inférieur au nombre de logements locatifs sociaux nécessaires pour atteindre, au plus tard à la fin de l'année 2025, le taux mentionné... au premier... alinéa de l'article L. 302-5. ", et le II du même article indique que " l'objectif de réalisation de logements locatifs sociaux défini au I précise la typologie des logements à financer (...) ".
6. Enfin, aux termes de l'article L. 302-9-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige en vigueur du 29 janvier 2017 au 23 février 2022 conformément au II de l'article 98 de la loi n° 2017-86 du 27 janvier 2017 qui les a rendus applicables aux communes soumises à l'article L. 302-5 du même code à compter du 1er janvier 2017 : " Lorsque, dans les communes soumises aux obligations définies aux I et II de l'article L. 302-5, au terme de la période triennale échue, le nombre de logements locatifs sociaux à réaliser en application du I de l'article L. 302-8 n'a pas été atteint ou lorsque la typologie de financement définie au III du même article L. 302-8 n'a pas été respectée, le représentant de l'Etat dans le département informe le maire de la commune de son intention d'engager la procédure de constat de carence. Il lui précise les faits qui motivent l'engagement de la procédure et l'invite à présenter ses observations dans un délai au plus de deux mois. / En tenant compte de l'importance de l'écart entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale échue, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, le représentant de l'Etat dans le département peut, par un arrêté motivé pris après avis du comité régional de l'habitat et de l'hébergement et, le cas échéant, après avis de la commission mentionnée aux II et III de l'article L. 302-9-1-1, prononcer la carence de la commune. (...) Par le même arrêté et en fonction des mêmes critères, il fixe, pour une durée maximale de trois ans à compter du 1er janvier de l'année suivant sa signature, la majoration du prélèvement défini à l'article L. 302-7. Le prélèvement majoré ne peut être supérieur à cinq fois le prélèvement mentionné à l'article L. 302-7. Le prélèvement majoré ne peut excéder 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune figurant dans le compte administratif établi au titre du pénultième exercice. (...) / L'arrêté du représentant de l'Etat dans le département peut faire l'objet d'un recours de pleine juridiction. (...) " .
7. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'une commune n'a pas respecté son objectif triennal de réalisation de logements sociaux, il appartient au préfet, après avoir recueilli ses observations et les avis prévus au I de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, d'apprécier si, compte tenu de l'écart existant entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale, des difficultés rencontrées le cas échéant par la commune et des projets de logements sociaux en cours de réalisation, il y a lieu de prononcer la carence de la commune, et, dans l'affirmative, s'il y a lieu de lui infliger une majoration du prélèvement annuel prévu à l'article L. 302-7 du même code, en en fixant alors le montant dans la limite des plafonds fixés par l'article L. 302-9-1.
8. Lorsqu'une commune demande l'annulation d'un arrêté préfectoral prononçant sa carence et lui infligeant un prélèvement majoré en application de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, il appartient au juge de plein contentieux, saisi de moyens en ce sens, de déterminer si le prononcé de la carence procède d'une erreur d'appréciation des circonstances de l'espèce et, dans la négative, d'apprécier si, compte tenu des circonstances de l'espèce, la sanction retenue est proportionnée à la gravité de la carence et d'en réformer, le cas échéant, le montant.
En ce qui concerne l'exception d'illégalité de l'arrêté du 26 décembre 2017 :
S'agissant de la recevabilité de cette exception d'illégalité :
9. L'illégalité d'un acte administratif, qu'il soit ou non réglementaire, ne peut être utilement invoquée par voie d'exception à l'appui de conclusions dirigées contre une décision administrative ultérieure que si cette dernière décision a été prise pour l'application du premier acte ou s'il en constitue la base légale. En outre, l'exception d'illégalité d'un arrêté préfectoral constatant la carence d'une commune à l'encontre d'un autre arrêté dont il constitue le fondement, ne peut être soulevée que tant que cet arrêté constatant la carence n'est pas devenu définitif.
10. En l'espèce, l'arrêté préfectoral du 26 décembre 2017 a été réformé par le jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1801661 du 16 février 2021 par lequel le tribunal de céans a confirmé la carence de la commune de La Crau pour la période 2014-2016 et ramené le taux de la majoration initialement fixé à 200 % au taux de 150 %. La cour administrative d'appel de Marseille, par un arrêt n° 21MA01438 du 3 octobre 2023, a rejeté le recours en appel du jugement n° 1801661 précité effectué par la commune de La Crau. Ainsi, à la date de l'introduction de la requête n° 2202267, le 18 août 2022, le jugement du tribunal administratif de Toulon n° 1801661 n'était pas définitif et la commune de La Crau pouvait ainsi exciper de l'illégalité de l'arrêté préfectoral du 26 décembre 2017, tel que réformé par le jugement n° 1801661 du 16 février 2021, à l'encontre de l'arrêté préfectoral du 20 juin 2022 fixant le montant du prélèvement et de la majoration, en application des articles L. 302-7 et L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, au titre de l'année 2020.
S'agissant du bien-fondé de cette exception d'illégalité :
- Quant à la régularité :
11. L'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. ". L'article L. 122-1 du même code mentionne que : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orale (...) ". Enfin, l'article L. 122-22 de ce code prévoit que " Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant. ".
12. La commune de La Crau cherche à faire valoir que si les dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation ne prévoient pas expressément que le détail du calcul de la majoration du prélèvement doit figurer lors de la procédure contradictoire, les dispositions du code des relations entre le public et l'administration applicables pour l'ensemble des sanctions administratives, imposent que la personne concernée soit informée, avec une précision suffisante et dans un délai raisonnable avant le prononcé de la sanction. Toutefois, la commune appelante ne saurait se prévaloir de la méconnaissance du code des relations entre le public et l'administration, dès lors que les dispositions du code de la construction et de l'habitation prévoient une procédure contradictoire spécifique. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 121-1 et suivants précités ne peut qu'être écarté en raison de son caractère inopérant. En tout état de cause, il résulte de l'instruction que le préfet du Var a mis en œuvre la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article L. 300-9-1 du code de la construction et de l'habitation et lui a communiqué tous éléments utiles qui étaient de nature à lui permettre de connaître le taux et la majoration maximale encourue en application des modalités de calcul prévues par ces mêmes dispositions.
- Quant au bien-fondé :
13. Pour prononcer la carence de la commune de La Crau, le préfet du Var a constaté que, alors que l'objectif global de réalisation de logements sociaux assigné à la commune pour la période 2014-2016, par lettre du 5 mai 2014, était de trois cent cinquante-cinq logements, le bilan triennal pour cette période faisait état de soixante logements, soit 16,90 % de cet objectif, et a considéré que n'étaient pas suffisants les éléments avancés par la commune pour justifier le caractère incomplet de cette réalisation.
14. En premier lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation, dans sa version applicable, en vigueur du 20 janvier 2013 au 9 août 2015 : " Les dispositions de la présente section ne sont pas applicables aux communes dont plus de la moitié du territoire urbanisé est soumis à une inconstructibilité résultant d'une zone A, B ou C d'un plan d'exposition au bruit approuvé en application de l'article L. 147-1 du code de l'urbanisme ou d'une servitude de protection instituée en application des articles L. 515-8 à L. 515-11 du code de l'environnement, ou à une inconstructibilité de bâtiment à usage d'habitation résultant de l'application du règlement d'un plan de prévention des risques technologiques ou d'un plan de prévention des risques naturels définis, respectivement, aux articles L. 515-15 et L. 562-1 du code de l'environnement, ou d'un plan de prévention des risques miniers défini à l'article L. 174-5 du code minier. ".
15. La commune invoque la dérogation prévue au III bis de l'article L. 302-5 du code de la construction et de l'habitation. Toutefois, les dispositions qu'elle invoque, issues de la loi n° 2022-217 du 21 février 2022, entrée en vigueur qu'au 1er janvier 2023, ne sont pas applicables au litige. En tout état de cause, elle ne justifie pas davantage entrer dans les prévisions de la dérogation prévue par ce même article dans sa version applicable, dès lors que, d'une part, ainsi qu'elle admet elle-même, elle n'est pas soumise à un plan de prévention des risques d'incendie de forêt en vigueur et que, d'autre part, elle ne justifie pas du caractère non-constructible de la moitié au moins de son territoire.
16. En deuxième lieu, la commune reproche au préfet du Var des erreurs sur la prise en compte de ses difficultés à se conformer aux objectifs qui lui étaient assignés. Tout d'abord, si elle invoque une tension sur le foncier disponible notamment due au fait que 83 % du territoire communal est classé en zone agricole ou naturelle, non constructible et que près de 40 % du territoire est impacté par une servitude de hauteur, notamment le centre-ville en intégralité ou par une servitude de faisceau hertzien, force est de constater que cette tension n'a pas empêché l'autorisation de construire cinq cent vingt-neuf logements sur la période considérée 2014- 2016, pour seulement soixante logements sociaux. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que devant la commission départementale chargée de l'examen du respect par les communes de leurs obligations en matière de production de logements locatifs sociaux, le maire de la commune n'a pas fait part de ces contraintes pour justifier de la non réalisation de ses objectifs. Enfin, si la commune se prévaut de ce que de nombreux permis de construire des logements sociaux auraient été contestés en justice par le voisinage, elle n'en précise nullement le nombre ni l'ampleur. Elle ne précise pas davantage l'impact du supposé non exercice par le représentant de l'Etat de son droit de préemption sur la vente de terrains sur la période.
17. En troisième lieu, l'appelante fait valoir que le préfet du Var s'est trompé sur les données chiffrées de réalisation à prendre en compte et n'a pas tenu compte du contexte global et de la dynamique de production à l'œuvre depuis l'entrée de la commune dans le dispositif SRU. Toutefois, il ne résulte ni des dispositions de l'article L. 302-9-1 du code de la construction et de l'habitation, ni d'aucune autre disposition, que le bilan triennal des réalisations de logements sociaux devrait prendre en compte d'autres éléments que les objectifs assignés à une commune et ses réalisations effectives. A ce titre, seuls peuvent être pris en compte les logements sociaux effectivement construits à cette même date et entrant dans l'inventaire réalisé au 1er janvier de ladite année, soit, en l'espèce, au 1er janvier 2017. La commune ne saurait se prévaloir des dispositions de l'instruction du Gouvernement du 23 juin 2020 relative aux conditions de réalisation du bilan triennal et de la procédure de constat de carence au titre de la période 2017-2019 pour la procédure en cause qui concerne la période 2014-2016. Elle ne saurait reprocher au préfet de ne pas avoir tenu compte des orientations de son plan local d'urbanisme adopté le 21 décembre 2012. En outre, elle ne produit pas d'éléments sur les projets qui auraient été en cours de réalisation et qui auraient peut-être été pris en compte par le préfet dans l'appréciation des réalisations. Enfin, elle ne saurait faire valoir son dynamisme, alors que sur les trois cent cinquante-cinq logements sociaux qu'elle devait réalisés, elle ne justifie que de la réalisation de soixante logements.
18. En quatrième et dernier lieu, si la commune remet en cause les objectifs qui lui ont été assignés en les jugeant irréalistes, il ne résulte pas de l'instruction que ces objectifs aient été fixés par l'arrêté du 20 juin 2022 et pas même par l'arrêté du 26 décembre 2017 mais de la lettre du préfet du Var du 5 mai 2014, dont l'exception d'illégalité n'est, en tout état de cause, pas invoquée, ainsi que l'ont relevé à juste titre les premiers juges.
- Quant à la légalité de la majoration du taux de prélèvement :
19. En premier lieu, la commune de La Crau ne saurait utilement se prévaloir de ce que le préfet du Var se serait senti à tort en situation de compétence liée et se serait contenté de suivre le taux de majoration fixé par le tribunal, dès lors qu'il appartenait à cette autorité administrative de se conformer à une décision de justice confirmée par arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille, et devenu définitif en l'absence de pourvoi.
20. En second lieu, compte tenu notamment de l'importance de l'écart entre les objectifs et les réalisations constatées au cours de la période triennale 2014-2016 et de la nature et de la faible importance des difficultés invoquées par la commune de La Crau, le taux de majoration de 150 %, qui n'excède pas les 5 % des dépenses réelles de fonctionnement de la commune, et n'a donc en tout état de cause pas pour effet de réduire ses ressources globales ni de diminuer ses ressources fiscales au point d'entraver sa libre administration, n'est pas en l'espèce disproportionné à la gravité de la carence de la commune de La Crau dans la réalisation des objectifs qui lui étaient assignés.
21. Il résulte de ce qui précède que commune de La Crau n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.
Sur la régularité du jugement en tant que celui-ci constate le non-lieu à statuer sur la demande dirigée contre l'arrêté du 28 février 2020 :
22. Par l'adoption de l'arrêté du 20 juin 2022, pris à la suite de la réformation de l'arrêté du 26 décembre 2017 par le tribunal administratif de Toulon, le préfet du Var a abrogé l'arrêté du 28 février 2020 qui retenait un taux de majoration de prélèvement de 200 %, pour lui substituer un taux de majoration de prélèvement de 150 %. En outre, il ressort des affirmations, non contestées, du préfet, que l'Etat a restitué la différence entre ces deux taux de prélèvement à la commune. Dans ces conditions, l'arrêté du 28 février 2020 ne peut être regardé comme ayant reçu un début d'exécution. Son abrogation, par l'arrêté du 20 juin 2022 devenu définitive à la suite du présent arrêt, prive dès lors d'objet la demande présentée à son encontre par la commune de La Crau.
Sur l'injonction :
23. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la commune de la Crau, n'appelle aucune mesure d'exécution au sens des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
24. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de commune de La Crau dirigées contre l'Etat qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.
D É C I D E :
Article 1er : Les requêtes de la commune de La Crau sont rejetées.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de La Crau et à la ministre du logement et de la rénovation urbaine.
Délibéré après l'audience du 20 janvier 2025, où siégeaient :
- M. Renaud Thielé, président assesseur, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère,
- Mme Caroline Poullain, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2025.
Nos 24MA00949, 24MA00969 2