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07/02/2025 | FRANCE | N°23MA01569

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 07 février 2025, 23MA01569


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'assistance publique - hôpitaux de Marseille (AP-HM) à lui payer, d'une part, la somme de 88 030,46 euros en qualité d'ayant-droit de Mme D..., et, d'autre part, la somme de 70 005,72 euros au titre de ses préjudices propres.



Par un jugement n° 2109093 du 17 avril 2023, le tribunal administratif de Marseille a :



- condamné l'AP-HM à payer la somme totale de 2

066 euros aux ayants-droit de Mme D..., dont Mme C... A... ;

- condamné l'AP-HM à payer la somme ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille de condamner l'assistance publique - hôpitaux de Marseille (AP-HM) à lui payer, d'une part, la somme de 88 030,46 euros en qualité d'ayant-droit de Mme D..., et, d'autre part, la somme de 70 005,72 euros au titre de ses préjudices propres.

Par un jugement n° 2109093 du 17 avril 2023, le tribunal administratif de Marseille a :

- condamné l'AP-HM à payer la somme totale de 2 066 euros aux ayants-droit de Mme D..., dont Mme C... A... ;

- condamné l'AP-HM à payer la somme de 42 402 euros à Mme A... en réparation des préjudices économiques et des préjudices propres subis du fait du décès de Mme D..., après déduction faite de la provision de 15 000 euros d'ores et déjà versée ;

- déclaré son jugement commun à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 juin et 27 juillet 2023 et le 7 octobre 2024, l'AP-HM, représentée par la SARL Le Prado - Gilbert, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a procédé à l'évaluation des préjudices subis par Mme A... et de ramener celle-ci à de plus justes proportions ;

2°) de rejeter les conclusions présentées par la voie de l'appel incident par Mme A....

Elle soutient que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal a été saisi ;

- c'est à tort et à la suite d'une erreur de calcul que le tribunal a évalué le revenu de référence avant le décès de Mme D..., déduction faite de la part de consommation personnelle de celle-ci, à la somme de 39 669 euros et, par conséquent, c'est à tort que le tribunal a évalué le préjudice économique subi par Mme A... à la somme globale de 32 402 euros ;

- les conclusions formées par Mme A... tendant à la majoration des indemnités allouées en réparation des préjudices subis par Mme D... sont irrecevables en ce qu'elles soulèvent un litige distinct de celui pour lequel la cour a été saisie ;

- les demandes indemnitaires présentées par Mme A... par la voie de l'appel incident ne sont pas fondées.

Par un mémoire, enregistré le 17 juin 2024, Mme C... A..., représentée par Me Benhamou, demande à la cour, par la voie de l'appel incident :

1°) de condamner l'AP-HM à lui payer, en sa qualité d'ayant-droit de Mme D..., les sommes de 150 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire, 25 000 euros au titre des souffrances endurées, 25 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire et 7 880,46 euros au titre de l'atteinte permanente à l'intégrité physique et psychique (AIPP) ;

2°) de condamner l'AP-HM à lui payer les sommes de 30 000 euros au titre du préjudice de mort imminente, de 40 000 euros au titre du préjudice moral d'affection et de 35 045,30 euros au titre du préjudice économique par ricochet ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HM la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- l'AP-HM ne conteste pas sa responsabilité ;

- le tribunal a fait une insuffisante évaluation des préjudices dont elle demande réparation ;

- les moyens soulevés par l'AP-HM ne sont pas fondés.

Par une lettre du 16 décembre 2024, la cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt à intervenir est susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de ce que le jugement attaqué ne s'est pas prononcé sur la dévolution des frais d'expertise et a ainsi méconnu la règle applicable même sans texte à toute juridiction administrative, qui lui impartit, sauf dans le cas où un incident de procédure y ferait obstacle, d'épuiser son pouvoir juridictionnel et, par suite, il y a lieu, d'office, d'annuler dans cette mesure le jugement attaqué.

Par une lettre, enregistrée le 17 décembre 2024, Mme A..., représentée par Me Benhamou, a répondu à ce moyen d'ordre public.

Par une lettre, enregistrée le 23 décembre 2024, l'AP-HM, représentée par la SARL Le Prado - Gilbert, a répondu à ce moyen d'ordre public.

La procédure a été communiquée à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône qui n'a pas produit de mémoire.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la sécurité sociale ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Mahmouti,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public,

- et les observations de Me Touati, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme E... D... a été admise à l'hôpital Sainte-Marguerite le 5 septembre 2017 pour une cinquième cure annuelle dans le cadre du traitement de sa polyarthrite rhumatoïde. Après une première réaction allergique puis un choc anaphylactique, elle a reçu l'injection d'une dose de 20 milligrammes d'adrénaline. Transférée en urgence de réanimation au centre hospitalier de la Timone, elle y est décédée le 9 septembre 2017. Mme C... A..., fille cadette de la victime, a d'abord initié une transaction amiable avec l'AP-HM ayant donné lieu au versement d'une provision de 15 000 euros, avant de formuler une demande préalable en indemnisation le 6 janvier 2023, reçue le 11 janvier suivant par l'AP-HM. Par un jugement du 17 avril 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'AP-HM à payer la somme totale de 2 066 euros aux ayants-droit de Mme D..., dont Mme C... A..., et condamné l'AP-HM à payer la somme de 42 402 euros à Mme A... en réparation des préjudices économiques et des préjudices propres subis du fait du décès de Mme D..., après déduction faite de la provision de 15 000 euros d'ores et déjà versée. L'AP-HM relève appel de ce jugement en tant qu'il a procédé à l'évaluation des préjudices subis par Mme A.... Cette dernière demande, par la voie de l'appel incident, une meilleure indemnisation.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation du jugement attaqué, soulevé par l'AP-HM dans son mémoire introductif d'instance et non repris dans ses écritures ultérieures, n'est pas assorti des précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé et doit, dès lors, être écarté.

Sur le bienfondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le principe de responsabilité :

3. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. (...) ".

4. Il résulte de l'instruction, et il n'est d'ailleurs pas contesté, que le décès de Mme D... est directement et exclusivement imputable à l'injection d'adrénaline qui lui a été administrée à une dose près de 1 000 fois supérieure à celle prescrite. Par suite et comme l'a jugé à juste titre le tribunal, Mme A... est fondée à solliciter l'engagement de la responsabilité pour faute de l'AP-HM et la réparation intégrale des préjudices qui en découlent.

En ce qui concerne les préjudices de Mme A... en sa qualité de victime indirecte :

S'agissant du préjudice économique :

5. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'avis d'imposition 2017 de M. B... et Mme D..., que les revenus du premier s'élevaient, pour l'année 2016, avant le décès de Mme D..., à la somme de 27 783 euros et ceux de la seconde à 21 804 euros. Dès lors, les revenus du foyer l'année ayant précédé le décès de feu E... D... s'élevaient à la somme de 49 587 euros par an et non de 45 587 euros comme l'a jugé le tribunal et comme le reprend en appel l'AP-HM.

6. Il convient de déduire de ces revenus un taux de 20 % correspondant à la part de consommation personnelle de Mme D... avec un enfant à charge rattaché au foyer fiscal, soit la somme de 9 917,40 euros, portant le revenu annuel théoriquement disponible pour les membres du foyer survivants à un montant de 39 669,60 euros par an.

7. Après retranchement des revenus annuels de M. B... perçus lors de l'année qui suivait le décès de Mme D..., soit la somme de 29 813 euros, le préjudice annuel indemnisable pour le foyer s'élève à 9 856,60 euros par an.

8. Il y a lieu de répartir le préjudice annuel indemnisable pour le foyer, qui s'élève à 9 856,60 euros par an, entre M. B..., conjoint de la défunte, et Mme A..., fille de cette dernière, à hauteur, non de 50 % chacun comme l'a jugé le tribunal, mais de 80 % pour le conjoint et de 20 % pour la fille de la défunte, soit une somme de 1 971,32 euros pour Mme A....

9. L'indemnité allouée aux enfants de la victime décédée est déterminée en tenant compte de la perte de la fraction des revenus de leur parent décédé qui aurait été consacrée à leur entretien jusqu'à ce qu'ils aient atteint au plus l'âge de vingt-cinq ans. En l'espèce, le préjudice pour C..., née le 6 novembre 1999, entre le décès de sa mère et la date théorique de son départ du foyer à l'âge de 25 ans, soit le 5 novembre 2024, s'élève à 14 117,89 euros, étant précisé qu'il résulte de l'instruction qu'elle n'a quitté le foyer familial qu'en raison du décès de sa mère.

10. Enfin et comme le fait valoir Mme A..., il n'y a pas lieu de déduire la somme de 4 707,36 euros au titre de la rente BTP Prévoyance qu'elle a perçue du mois d'octobre 2017 jusqu'en septembre 2018 dès lors que celle-ci ne revêt pas un caractère indemnitaire.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le préjudice économique de Mme A... doit être fixé à la somme de 14 117,89 euros. L'AP-HM est donc fondée à soutenir que le tribunal en a fait une évaluation excessive en l'évaluant à la somme de 32 402 euros. Par là-même, Mme A... n'est pas fondée à soutenir que le tribunal en a fait une évaluation insuffisante.

S'agissant du préjudice d'affection :

12. Le tribunal n'a pas fait une insuffisante évaluation du préjudice d'affection subi par Mme A..., mineure et résidant au foyer au moment du fait générateur, en l'évaluant à la somme de 25 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que les préjudices de Mme A... en sa qualité de victime indirecte s'élèvent à la somme totale de 39 117,89 euros.

En ce qui concerne les préjudices de la victime directe :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

14. Il résulte de l'instruction que Mme D... a subi un déficit fonctionnel temporaire total durant les 5 jours de sa prise en charge à l'hôpital Sainte Marguerite puis au centre hospitalier de la Timone du 5 au 9 septembre 2017. Le tribunal n'en a pas fait une insuffisante appréciation en l'évaluant à la somme de 66 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

15. Le tribunal n'a pas une insuffisante évaluation des souffrances endurées par Mme D..., cotées à 4 sur 5 par l'expert, mais sur une durée de cinq jours, en l'évaluant à la somme de 2 000 euros.

S'agissant du préjudice esthétique temporaire :

16. Comme l'a jugé à juste titre le tribunal, il ne résulte pas de l'instruction que Mme D... ait eu conscience de se présenter altérée à la vue des tiers.

S'agissant du préjudice d'angoisse de mort imminente :

17. Comme l'a jugé à juste titre le tribunal, il ne résulte pas de l'instruction que Mme D..., rendue inconsciente en raison du fait générateur, ait eu conscience de sa mort imminente.

S'agissant du préjudice d'" AIPP " :

18. Comme l'a jugé à juste titre le tribunal, il ne résulte pas de l'instruction que Mme D..., ait subi une atteinte permanente à son intégrité physique autre que son déficit temporaire avant son décès. La demande faite au titre de ce poste de préjudice doit donc être rejetée.

19. Il résulte de tout ce qui précède que le tribunal n'a pas fait une insuffisante appréciation des préjudices subis par les ayants-droit de Mme D... en l'évaluant à la somme de 2 066 euros. L'appel incident de Mme A... doit donc, sur ce point, être rejeté. Au demeurant et comme le fait valoir l'AP-HM, cet appel incident, dès lors qu'il porte sur les préjudices propres de la victime alors que l'appel principal ne porte que sur les préjudices propres de ses proches, est irrecevable.

20. Il résulte de tout ce qui précède que le montant de l'indemnité à laquelle a droit Mme A... en sa qualité de victime indirecte s'élève à la somme totale de 39 117,89 euros, dont il convient de déduire la provision de 15 000 euros déjà versée par l'AP-HM à l'intéressée. D'où il suit que l'AP-HM doit être condamnée à payer la somme de 24 117,89 euros à Mme A... au lieu de celle de 42 402 euros à laquelle le tribunal l'a condamnée.

Sur la déclaration d'arrêt commun :

21. Il y a lieu de déclarer le présent arrêt commun à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône qui, régulièrement mis en cause dans la présente instance, n'a pas produit de mémoire.

Sur les frais d'expertise :

22. Le conjoint de Mme D..., M. B..., et les deux enfants de celle-ci, C... et Nathanel, ont obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Marseille la réalisation d'une expertise médicale. Le jugement attaqué ne s'est pas prononcé sur la dévolution des frais d'expertise et a ainsi méconnu la règle applicable même sans texte à toute juridiction administrative, qui lui impartit, sauf dans le cas où un incident de procédure y ferait obstacle, d'épuiser son pouvoir juridictionnel. Par suite et peu importe que Mme C... A... n'ait pas effectivement assumé les frais d'expertise lorsqu'ils ont été mis provisoirement à sa charge par le président du tribunal, il y a lieu, d'office, d'annuler dans cette mesure le jugement attaqué, d'évoquer sur ce point et de statuer sur la charge des frais d'expertise.

23. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de les mettre à la charge de l'AP-HM.

Sur les frais liés au litige :

24. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées par Mme A... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2109093 du 17 avril 2023 du tribunal administratif de Marseille est annulé en tant qu'il n'a pas statué sur la charge des frais de l'expertise ordonnée par le président du tribunal.

Article 2 : Les frais de l'expertise, taxés et liquidés à la somme de 2 850 euros et de 1 200 euros sont mis à la charge définitive de l'assistance publique - hôpitaux de Marseille.

Article 3 : L'indemnité de 42 402 euros que l'assistance publique - hôpitaux de Marseille a été condamnée à payer à Mme A... en sa qualité de victime indirecte par le tribunal administratif de Marseille dans son jugement n° 2109093 du 17 avril 2023 est ramenée à la somme de 24 117,89 euros.

Article 4 : Le jugement n° 2109093 du 17 avril 2023 du tribunal administratif de Marseille est réformé en tant qu'il est contraire à la présente décision.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse primaire d'assurance-maladie des Bouches-du-Rhône.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à l'assistance publique - hôpitaux de Marseille, à Mme C... A..., à la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône et à la caisse primaire d'assurance maladie des Hautes-Alpes.

Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025 où siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente-assesseure,

- M. Mahmouti, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 février 2025.

2

N° 23MA01569


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA01569
Date de la décision : 07/02/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Jérôme MAHMOUTI
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 16/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-07;23ma01569 ?
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