Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Danveau,
- et les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., née le 15 octobre 1958, a été victime d'une chute sur la voie publique le 20 août 2016, entraînant une déchirure méniscale. En raison de la persistance des douleurs, elle a été hospitalisée du 25 au 27 janvier 2017 au centre hospitalier universitaire Sainte Marguerite à Marseille pour subir le 26 janvier 2017 une résection méniscale par arthroscopie. Suite à cette opération, une algodystrophie lui a été diagnostiquée. Mme B... a sollicité, sur le fondement de l'article R. 532-1 du code de justice administrative, la désignation d'un expert, qui a remis son rapport. Elle a par ailleurs saisi l'AP-HM, dont dépend l'hôpital Sainte Marguerite, d'une demande indemnitaire préalable datée du 5 mai 2021, qui a été rejetée par décision du 23 juillet 2021.
Par un jugement n° 2108378 du 28 novembre 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'AP-HM à indemniser Mme B... à hauteur de la somme de 3 000 euros. Mme B... demande à la cour de réformer ce jugement en ce qu'il n'a fait droit que partiellement à sa demande.
Sur la régularité du jugement :
2. Contrairement à ce que soutient Mme B..., les premiers juges ont suffisamment explicité, au point 9 du jugement, les motifs pour lesquels la demande tendant à l'indemnisation de ses préjudices autres que celui d'impréparation devait être rejetée. La requérante n'est donc pas fondée à soutenir que le jugement serait entaché d'irrégularité sur ce point.
Sur le fond :
3. D'une part, aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...) ".
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen (...) ".
5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. D'autre part, en cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chances de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question. Enfin, indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.
6. Enfin, aux termes du II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) II. - Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire. (...) ". Aux termes de l'article D. 1142-1 du code de la santé publique : " (...) Présente également le caractère de gravité mentionné au II de l'article D. 1142-1 un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ayant entraîné, pendant une durée au moins égale à six mois consécutifs ou à six mois non consécutifs sur une période de douze mois, un arrêt temporaire des activités professionnelles ou des gênes temporaires constitutives d'un déficit fonctionnel temporaire supérieur ou égal à un taux de 50 %. / A titre exceptionnel, le caractère de gravité peut être reconnu : / 1° Lorsque la victime est déclarée définitivement inapte à exercer l'activité professionnelle qu'elle exerçait avant la survenue de l'accident médical, de l'affection iatrogène ou de l'infection nosocomiale ; (...) ".
7. Il résulte de l'instruction que suite à son accident du 20 août 2016, Mme B... a subi un traumatisme au genou gauche. Une lésion méniscale latérale à type d'anse de seau a été diagnostiquée au vu des résultats de l'imagerie par résonance magnétique du 11 octobre 2016, conduisant, selon l'indication opératoire posée par le chirurgien, à pratiquer une résection par arthroscopie. Il résulte du rapport d'expertise que Mme B... n'a, préalablement à l'intervention litigieuse sur son genou du 26 janvier 2017, pas été informée des complications potentielles d'une résection méniscale sous arthroscopie, telles que l'algodystrophie, qui constitue un risque connu de la réalisation de ce type d'intervention au vu de la littérature médicale citée par l'expert.
8. Si le rapport de l'expert confirme que Mme B... souffre d'une sévère complication algodystrophique, il relève toutefois que cet état pathologique au niveau du genou peut avoir pour origine une intervention chirurgicale ou une simple contusion. L'expert est ainsi incertain sur la cause précise de ce syndrome régional douloureux complexe (SDRC), en soulignant que sa survenance est consécutive à son accident du 20 août 2016 " et/ou au geste effectué par le Dr D... le 26 janvier 2017 ". Il précise que " la torsion du genou de Mme B..., assorti du geste chirurgical du Dr D... ont donc sans doute concouru à l'éclosion de ce SDRC (...) sans que la responsabilité du praticien puisse à notre sens être retenue ". Dans ces conditions, il ne résulte pas de l'instruction que les séquelles dont l'intéressée demande réparation seraient exclusivement - ou en tout ou partie -, en lien avec son état antérieur, consécutif notamment à l'accident dont elle a été victime le 20 août 2016. Dès lors, il ne peut, en l'état de l'instruction, être écarté tout lien entre ces séquelles et l'intervention de résection par arthroscopie subie le 20 octobre 2016, dont l'algodystrophie constitue, ainsi qu'il a été dit, un risque connu. Par ailleurs, si l'expert estime que l'intervention chirurgicale a été conforme aux règles de l'art et aux données acquises de la science, il s'interroge cependant sur la disparition du ligament croisé antérieur de Mme B... constatée entre les imageries par résonance magnétique du 11 octobre 2016 et du 7 mars 2017, sans pour autant établir de lien entre celle-ci, l'intervention litigieuse et la survenue de l'algodystrophie. Enfin, l'intéressée fait valoir qu'elle a dû mettre fin à son activité professionnelle antérieure du fait de ces séquelles, et se prévaut d'un déficit fonctionnel temporaire de plus de trois ans et demi qui n'est toutefois pas déterminé en l'absence de précisions apportées par l'expert sur la nature et l'étendue de l'ensemble des préjudices subis en lien avec l'intervention litigieuse. Eu égard à ces éléments, l'indemnisation des préjudices de Mme B... est susceptible éventuellement d'incomber également à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) au titre de la solidarité nationale, en vertu des dispositions précitées du code de la santé publique.
9. Dans ces circonstances et en l'état des incertitudes mentionnées au point précédent, il y a lieu d'ordonner une expertise médicale complémentaire, après avoir mis en cause l'ONIAM, aux fins qui seront précisées dans le dispositif de la présente décision et de réserver jusqu'en fin d'instance tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt.
D E C I D E
Article 1er : Il est ordonné, avant de statuer sur les conclusions de la requête de Mme B..., une expertise confiée à un chirurgien orthopédiste, qui aura pour mission :
1°) de se faire communiquer tous documents utiles à l'accomplissement de sa mission et notamment ceux qui sont relatifs au suivi médical, aux interventions, soins et traitements dont Mme B... faisait l'objet avant l'intervention du 26 janvier 2017 ;
2°) de décrire précisément l'état de santé et la pathologie de Mme B... à la date de son hospitalisation ;
3°) de déterminer si la résection méniscale par arthroscopie pratiquée le 26 janvier 2017 a été décidée et effectuée conformément aux règles de l'art ;
4°) de déterminer si Mme B... a été informée par le centre hospitalier universitaire Sainte Marguerite des risques liés à l'arthroscopie ;
5°) de déterminer si l'algodystrophie dont souffre l'intéressée est imputable à son état antérieur, résultant notamment de sa chute survenue le 20 août 2016, ou à l'intervention litigieuse du 26 janvier 2017 ;
6°) de préciser, dans l'hypothèse où l'algodystrophie serait à la fois imputable à un état antérieur et à l'intervention litigieuse du 26 janvier 2017, quelle est la part (en pourcentage) respectivement imputable à cet état et à l'intervention chirurgicale ;
7°) de déterminer, compte tenu de l'état de santé de la patiente avant la réalisation de l'acte et de son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'elle aurait fait, si Mme B... avait une possibilité raisonnable de refuser l'arthroscopie et, dans l'affirmative, de chiffrer la perte de chance de l'intéressée de se soustraire aux risques qui se sont produits (pourcentage) ;
8°) de donner tous les éléments d'appréciation utiles pour déterminer l'ensemble des préjudices qui découlent directement et de manière certaine de l'intervention subie par Mme B... et de préciser, notamment, la durée du déficit fonctionnel temporaire total ou partiel en en précisant le taux, la date de consolidation, le taux de déficit fonctionnel permanent, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, l'incidence professionnelle ainsi que tout autre élément de nature à permettre à la cour de se prononcer sur les préjudices subis par Mme B....
9°) de fournir à la cour tous éléments utiles à la solution du litige.
Article 2 : L'expert accomplira la mission définie à l'article 1er dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.
Article 3 : L'expertise sera menée contradictoirement entre Mme B..., l'AP-HM, l'ONIAM et la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Article 4 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires, dans le délai qui sera fixé par le président de la cour. Il en notifiera copie aux personnes intéressées, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord desdites parties.
Article 5 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, à l'office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.
Copie en sera adressée à M. A..., expert.
Délibéré après l'audience du 23 janvier 2025, où siégeaient :
- Mme Fedi, présidente de chambre,
- Mme Rigaud, présidente assesseure,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 février 2025.
N° 24MA00167 2