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04/04/2025 | FRANCE | N°23MA03052

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 04 avril 2025, 23MA03052


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille :



- de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) à lui payer à titre principal, la somme de 338 908,78 euros à parfaire, à titre subsidiaire, la somme de 305 018 euros, en réparation des préjudices qu'elle a subis à la suite du traitement par irradiation dont elle a fait l'objet le 20 juin 2007 ;

- de condamner l'AP-HM à lui payer la somme de 50 000 euros e

n réparation de son préjudice moral d'impréparation.



Par un jugement n° 2104150 du 20 octobr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Marseille :

- de condamner l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) à lui payer à titre principal, la somme de 338 908,78 euros à parfaire, à titre subsidiaire, la somme de 305 018 euros, en réparation des préjudices qu'elle a subis à la suite du traitement par irradiation dont elle a fait l'objet le 20 juin 2007 ;

- de condamner l'AP-HM à lui payer la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral d'impréparation.

Par un jugement n° 2104150 du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'AP-HM à payer à Mme B... la somme de 218 036,89 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'intervention du 20 juin 2007 et la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral d'impréparation.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n° 23MA03052, le 19 décembre 2023, et trois mémoires enregistrés les 4 avril 2024, 5 avril 2024 et 19 avril 2024, Mme B..., représentée par Me Leca, demande à la cour :

1°) à titre principal, de condamner l'AP-HM à lui payer la somme totale de 1 006 523,54 euros en réparation des préjudices subis à la suite du traitement par irradiation subi le 20 juin 2007, et la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral d'impréparation ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner l'AP-HM à lui payer la somme totale de 443 581,14 euros en réparation des préjudices subis à la suite du traitement par irradiation subi le 20 juin 2007, et la somme de 50 000 euros au titre du préjudice moral d'impréparation et d'ordonner une expertise en aggravation de sa situation professionnelle ;

3°) de mettre à la charge de l'AP-HM la somme de 6 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'AP-HM a manqué à son devoir d'information prévu à l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, ce qui l'a privée d'une chance estimée à 100 % d'éviter que les risques se réalisent ;

- l'AP-HM a commis plusieurs fautes médicales lors de sa prise en charge ;

- elle a droit à la réparation du préjudice d'impréparation subi, à hauteur de 50 000 euros ;

- ses préjudices en lien avec la prise en charge fautive doivent être indemnisés comme suit :

frais divers : 55 115,42 euros

déficit fonctionnel temporaire : 5 893,50 euros

souffrances endurées : 8 000 euros

préjudice esthétique temporaire : 4 000 euros

perte de gains professionnels actuels : 44 689 euros

perte de gains professionnels futurs : 562 942,40 euros

incidence professionnelle : 50 000 euros

besoins d'assistance par une tierce personne : 229 383,22 euros

déficit fonctionnel permanent : 34 500 euros

préjudice d'agrément : 6 000 euros

préjudice sexuel : 6 000 euros.

Par deux mémoires en défense enregistrés les 22 janvier 2024 et 16 avril 2024, l'AP-HM, représentée par la SELARL Le Prado-Gilbert, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête de Mme B... ;

2°) par la voie de l'appel incident, d'annuler le jugement attaqué et de rejeter l'ensemble des demandes présentées par Mme B... devant le tribunal.

Elle fait valoir que :

- les demandes nouvellement formulées par Mme B... sont irrecevables en tant qu'elles excèdent celles formulées en première instance ;

- aucune faute dans l'indication opératoire et la technique proposée ne peut lui être reprochée ;

- il ne peut être considéré que la patiente, correctement informée, aurait de façon certaine renoncé à l'opération ; celle-ci a seulement perdu une chance de renoncer à l'intervention, qui ne saurait être évaluée à un taux supérieur à 50 % ;

- les indemnités allouées par le tribunal doivent être ramenées à de plus justes proportions ;

- les demandes présentées au titre des pertes de gains professionnels et futurs et de l'incidence professionnelle sont infondées.

La procédure a été communiquée à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes et à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, qui n'ont pas présenté d'observations.

II. Par une requête, enregistrée sous le n° 23MA03061, le 20 décembre 2023, et deux mémoires enregistrés les 22 janvier 2024 et 16 avril 2024, l'AP-HM, représentée par la SELARL Le Prado-Gilbert, demande à la cour d'annuler le jugement n° 2104150 du 20 octobre 2023 du tribunal administratif de Marseille et de rejeter les conclusions présentées par Mme B....

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal a été saisi ;

- c'est à tort que le tribunal a retenu une faute résultant du choix d'un traitement par radiochirurgie ;

- il ne peut être considéré que la patiente, correctement informée, aurait de façon certaine renoncé à l'opération ; celle-ci a seulement perdu une chance de renoncer à l'intervention, qui ne saurait être évaluée à un taux supérieur à 50 % ;

- les demandes indemnitaires nouvellement formulées par Mme B... sont irrecevables en tant qu'elles excèdent celles formulées en première instance ;

- les indemnités allouées par le tribunal devront être ramenées à de plus justes proportions ;

- les demandes présentées au titre des pertes de gains professionnels et futurs et de l'incidence professionnelle sont infondées.

Par deux mémoires enregistrés les 5 avril 2024 et 19 avril 2024, Mme B..., représentée par Me Leca, conclut aux mêmes fins et par les mêmes moyens que dans sa requête enregistrée sous le n° 23MA03052.

La procédure a été communiquée à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes et à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône, qui n'ont pas présenté d'observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- le code de la sécurité sociale ;

- le décret n° 2024-2 du 2 janvier 2024 ;

- l'arrêté du 18 décembre 2023 relatif aux montants minimal et maximal de l'indemnité forfaitaire de gestion prévue aux articles L. 376-1 et L. 454-1 du code de la sécurité sociale pour l'année 2024 ;

- l'arrêté du 30 décembre 2022 fixant le montant du tarif minimal mentionné au I de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles pour 2023

- l'arrêté du 30 décembre 2021 relatif au tarif minimal mentionné au I de l'article L. 314-2-1 du code de l'action sociale et des familles et fixant son montant pour 2022 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Danveau,

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., née le 13 mai 1970, a présenté, en 2001 et 2007, deux méningiomes. La première tumeur, pariétale gauche assez volumineuse, a fait l'objet d'une ablation chirurgicale en 2006. Les suites de cette opération ont été simples. Le second méningiome, fronto-basal et de petite taille, a été traité par radiochirurgie à l'hôpital de la Timone à Marseille le 20 juin 2007. Mme B... a ensuite souffert de céphalées, de douleurs orbitaires et oculaires ainsi que de troubles de la concentration et de la mémoire. Les résultats de l'imagerie par résonance magnétique (IRM) du 7 novembre 2007 ont mis en évidence la présence d'un oedème frontal droit dans la zone d'irradiation. L'intéressée a saisi au préalable, le 27 février 2017, la commission de conciliation et d'indemnisation (CCI) des accidents médicaux Provence-Alpes-Côte d'Azur, qui a ordonné la désignation de deux experts, respectivement neurochirurgien et psychiatre, lesquels ont remis leur rapport le 22 février 2018. Par un avis du 19 avril 2018, la CCI a estimé que l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille (AP-HM) avait manqué à son obligation d'information de la patiente et que la prise en charge de l'intéressée était fautive. Invitée par la commission à présenter à Mme B... une offre d'indemnisation, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM) a proposé une indemnité le 17 août 2018 sur la base d'un taux de perte de chance de 50 %. Cette offre a été refusée par Mme B... qui a saisi le tribunal administratif de Marseille.

2. Par un jugement du 20 octobre 2023, le tribunal administratif de Marseille a condamné l'AP-HM à payer à Mme B... la somme de 218 036,89 euros en réparation des préjudices qu'elle a subis du fait de l'intervention du 20 juin 2007 et la somme de 5 000 euros au titre du préjudice moral d'impréparation. Par une requête n° 23MA03052, Mme B... relève appel de ce jugement et sollicite une meilleure indemnisation de ses préjudices. Par une requête n° 23MA03061, l'AP-HM demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal et de rejeter l'ensemble des demandes présentées par Mme B....

3. Les deux requêtes présentées par Mme B... et l'AP-HM sont dirigées contre le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.

Sur la régularité du jugement :

4. En se bornant à soutenir que " le jugement attaqué est insuffisamment motivé au regard des moyens dont le tribunal a été saisi ", l'AP-HM ne permet pas à la cour d'apprécier le bien-fondé de ce moyen. Au demeurant, il résulte de la lecture du jugement querellé que les premiers juges ont expressément répondu aux moyens contenus dans les mémoires produits par les parties. Dès lors, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué serait insuffisamment motivé ne peut être qu'écarté.

Sur la responsabilité de l'AP-HM :

En ce qui concerne la faute médicale :

5. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ".

6. Il résulte de l'instruction, et notamment de l'expertise, que le méningiome situé au niveau du lobe frontal a été diagnostiqué en 2001, en même temps qu'un anévrisme cérébral qui avait été traité. Il est décrit par l'expert comme étant de " toute petite taille ", mesurant seulement neuf millimètres, et non évolutif, ses dimensions étant restées stables jusqu'à la date de l'intervention en 2007. L'expert précise que Mme B... ne présentait aucun des facteurs associés à un risque d'évolutivité du méningiome, qui concerne davantage les hommes, les personnes souffrant de symptômes provoqués par la tumeur et d'un oedème péritumoral et celles atteintes d'un méningiome dont le diamètre initial est supérieur à vingt millimètres, et qui se manifeste par la présence à l'IRM d'un hypersignal T2 dans la tumeur. Si l'expert relève que le traitement par radiochirurgie, moins invasif qu'une intervention chirurgicale, révèle une efficacité importante sur ce type de lésion avec une très faible morbidité, il note cependant que le petit méningiome en cause ne comportait pas en lui-même le risque de survenance d'un oedème cérébral, ce dernier constituant en revanche une complication connue et non exceptionnelle du traitement par radiochirurgie survenant dans 15 % des cas, avec des séquelles permanentes constatées dans 5 à 10 % des cas. Il ajoute que le traitement " n'était ni nécessaire ni indispensable au stade où se présentait cette tumeur " et que " l'évolution prévisible de la tumeur était le plus vraisemblablement une très faible évolutivité voire même pas d'évolutivité du tout ". Ainsi, une simple surveillance régulière par IRM du méningiome était possible en lieu et place de ce traitement, ce que soulignent tant l'expert que la CCI, cette dernière ayant retenu la faute de l'établissement hospitalier. Il suit de là que le traitement par radiochirurgie présentait, dans le cas particulier de Mme B..., un risque de complication supérieur au risque attaché à l'absence d'intervention, de telle sorte que le rapport bénéfices / risques de l'intervention était défavorable. Ces éléments ne sont pas sérieusement remis en cause par l'avis d'un neurochirurgien du 23 juillet 2018, produit pour la première fois en appel, qui se borne à rappeler l'efficacité du traitement par radiochirurgie des méningiomes, à soutenir qu'il constituait la seule solution envisageable pour Mme B... et à affirmer que celle-ci, qui souhaitait effectuer ce traitement, avait été suffisamment informée des risques de l'intervention. Dès lors, l'AP-HM, en réalisant l'intervention litigieuse dont la nécessité immédiate n'était pas établie et qui présentait un risque supérieur à l'absence d'intervention et à la mise en place d'une simple surveillance par IRM, a fait courir un risque injustifié à sa patiente. Par suite, l'AP-HM a commis une faute médicale de nature à engager sa responsabilité.

En ce qui concerne le défaut d'information :

7. Aux termes de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique : " Toute personne a le droit d'être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu'ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus. (...) Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables. Seules l'urgence ou l'impossibilité d'informer peuvent l'en dispenser. Cette information est délivrée au cours d'un entretien individuel. (...) En cas de litige, il appartient au professionnel ou à l'établissement de santé d'apporter la preuve que l'information a été délivrée à l'intéressé dans les conditions prévues au présent article. Cette preuve peut être apportée par tout moyen (...) ".

8. Il résulte de ces dispositions que doivent être portés à la connaissance du patient, préalablement au recueil de son consentement à l'accomplissement d'un acte médical, les risques connus de cet acte qui soit présentent une fréquence statistique significative, quelle que soit leur gravité, soit revêtent le caractère de risques graves, quelle que soit leur fréquence. En cas de manquement à cette obligation d'information, si l'acte de diagnostic ou de soin entraîne pour le patient, y compris s'il a été réalisé conformément aux règles de l'art, un dommage en lien avec la réalisation du risque qui n'a pas été porté à sa connaissance, la faute commise en ne procédant pas à cette information engage la responsabilité de l'établissement de santé à son égard, pour sa perte de chances de se soustraire à ce risque en renonçant à l'opération. Il n'en va autrement que s'il résulte de l'instruction, compte tenu de ce qu'était l'état de santé du patient et son évolution prévisible en l'absence de réalisation de l'acte, des alternatives thérapeutiques qui pouvaient lui être proposées ainsi que de tous autres éléments de nature à révéler le choix qu'il aurait fait, qu'informé de la nature et de l'importance de ce risque, il aurait consenti à l'acte en question.

9. Si l'APHM fait valoir que Mme B... a signé le 19 juin 2007, soit la veille de l'opération de traitement du méningiome, une fiche de consentement indiquant, de manière sommaire, que la patiente a reçu " une information claire, complète et appropriée à [s]on état (...) sur la nature, les objectifs et les risques des examens diagnostiques et/ou des actes thérapeutiques médicaux ou chirurgicaux qui seront pratiqués ", elle ne conteste pas que l'information délivrée ne comportait aucune indication sur le risque d'une poussée oedémateuse du lobe frontal, qui constitue une complication connue et non exceptionnelle ainsi qu'il est dit au point 6. En outre, en ne fournissant pas à Mme B... une information complète sur les autres solutions possibles pour le traitement de son méningiome, l'AP-HM doit être regardée comme ayant délivré une information insuffisante sur les différents traitements proposés et l'existence de solutions alternatives, en méconnaissance des prescriptions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique. A cet égard, il ressort tant des conclusions de l'expert que de l'avis de la CCI, que la taille du méningiome en cause, de l'ordre de neuf millimètres, était réduite et n'avait pas évolué depuis sa découverte six ans auparavant et que le traitement radiochirurgical, en dépit de son efficacité sur ce type de tumeur, n'était pas indispensable au traitement de l'affection dont elle souffrait, dès lors qu'une simple surveillance par IRM aurait pu suffire. Enfin, la circonstance que Mme B... ait disposé de plusieurs mois entre la consultation sur sa pathologie suivie le 26 janvier 2007 et l'intervention radiochirurgicale qui a eu lieu le 20 juin 2007 n'a aucune incidence sur la faute commise par l'AP-HM au titre de son devoir d'information. Par suite, Mme B... est fondée à soutenir qu'elle n'a pas reçu l'information prévue par les dispositions de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique.

10. Toutefois, il n'y a pas lieu d'examiner la perte de chance, pour Mme B..., de renoncer à l'opération subie ayant pu résulter de ce défaut d'information dès lors que la faute médicale, décrite au point 6, oblige l'AP-HM à une réparation intégrale des préjudices en résultant.

Sur les préjudices :

En ce qui concerne le préjudice d'impréparation :

11. Indépendamment de la perte d'une chance de refuser l'intervention, le manquement des médecins à leur obligation d'informer le patient des risques courus ouvre pour l'intéressé, lorsque ces risques se réalisent, le droit d'obtenir réparation des troubles qu'il a subis du fait qu'il n'a pas pu se préparer à cette éventualité. S'il appartient au patient d'établir la réalité et l'ampleur des préjudices qui résultent du fait qu'il n'a pas pu prendre certaines dispositions personnelles dans l'éventualité d'un accident, la souffrance morale qu'il a endurée lorsqu'il a découvert, sans y avoir été préparé, les conséquences de l'intervention doit, quant à elle, être présumée.

12. Mme B... a présenté un oedème cérébral qui constitue une complication connue du traitement par radiochirurgie qu'elle a subi. La requérante, qui n'a pu, en l'absence d'information apportée sur les risques de cette intervention, se préparer à l'apparition de cette complication et des séquelles qui en ont résulté, établit la réalité de son préjudice moral, dont la réalité doit être présumée. Dans les circonstances de l'espèce, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation excessive de ce poste de préjudice en en fixant la réparation à la somme de 5 000 euros.

En ce qui concerne les autres préjudices :

S'agissant des préjudices patrimoniaux temporaires :

13. Si Mme B... présente une demande d'indemnisation de ses dépenses de santé, à hauteur de 165 euros, correspondant à deux séances d'ostéopathie effectuées en 2017 et 2018 et à deux consultations médicales d'un spécialiste en 2020 et 2021, il ne résulte pas de l'instruction que ces dépenses de santé, à supposer même qu'elles soient effectivement restées à la charge de l'intéressée, seraient en lien direct et certain avec les conséquences dommageables de l'intervention litigieuse. C'est ainsi à bon droit que le tribunal a rejeté la demande relative à ces dépenses de santé.

14. Il résulte du rapport d'expertise qu'un besoin d'assistance non spécialisée par une tierce personne a été retenu par l'expert à hauteur de six heures par jour sur la période du 20 juillet 2007 au 29 février 2008 et de deux heures par jour sur la période du 1er mars 2008 au 10 juillet 2009, date de la consolidation de l'état de santé de Mme B.... Il ne résulte pas de l'instruction que Mme B... aurait perçu, au cours de celles-ci, l'allocation personnalisée d'autonomie ou la prestation de compensation de handicap. En revanche, l'avis d'imposition établi au titre de l'année 2007 montre la perception d'un crédit d'impôt de 463 euros au titre de l'emploi d'un salarié à domicile, qu'il y a lieu en conséquence de déduire. Enfin, pour déterminer l'indemnité due au titre de ce chef de préjudice, les premiers juges ont retenu un taux journalier de 13 euros, qui apparaît représentatif des valeurs du salaire minimum interprofessionnel de croissance et des taux moyens des cotisations sociales obligatoires sur la période en cause, et qu'il n'y a pas lieu, en l'espèce, de porter, comme demandé par la requérante, à une somme supérieure de 20 euros, qui n'est en tout état de cause pas justifiée. Par suite, sur la base de ce taux horaire de 13 euros, et d'une année de 412 jours comprenant les congés payés et jours fériés, les frais au titre de l'aide d'une tierce personne sur cette période s'élèvent ainsi à la somme de 33 933 euros.

15. Il résulte de l'instruction et de ce qui vient d'être exposé au point précédent que l'expert a retenu, sur la période antérieure à la consolidation de l'état de santé de Mme B..., un besoin d'assistance par une tierce personne au titre d'une " aide-ménagère ", sans faire état, de manière distincte, de la nécessité d'une aide humaine supplémentaire pour s'occuper de ses enfants et en particulier de son deuxième enfant souffrant de troubles du spectre autistique. La requérante, qui affirme que l'état de santé de cet enfant a aggravé le besoin d'assistance par une tierce personne pendant les deux premières années qui ont suivi sa naissance en 1998, n'établit en tout état de cause pas la réalité d'un tel besoin en lien avec les fautes commises par l'AP-HM en 2007. Les pièces médicales concernant la pathologie dont souffre sa fille, établies en 2002, 2005, 2016 et 2019 ne sont pas davantage probantes. Par suite, la demande d'indemnisation présentée par Mme B... au titre de frais d'aide à domicile pour ses enfants, doit être rejetée.

16. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport d'expertise, que Mme B..., qui a occupé, en dernier lieu et pendant deux ans entre 1995 et 1997, un emploi en qualité de téléprospectrice et d'hôtesse d'accueil, n'a ensuite plus exercé d'activité professionnelle. Si celle-ci soutient qu'elle ne perçoit plus de revenus professionnels depuis 2008, en s'appuyant sur deux avis d'imposition révélant en 2006 et 2007 des salaires de 27 947 euros et 17 384 euros, il résulte de l'instruction que ces salaires sont ceux déclarés par son mari, ce que confirment les numéros fiscaux figurant sur les documents fiscaux produits. Par ailleurs, l'expert précise que le couple a ensuite divorcé, expliquant ainsi que les avis d'imposition produits à compter de l'année 2008 sont établis au seul nom de la requérante, et mentionnent, à partir de 2009, la perception de pensions alimentaires. Par suite, la demande d'indemnisation de la perte de revenus alléguée pour la période allant du 20 juin 2007 à la date de consolidation de son état de santé, au demeurant non retenue par l'expert et la CCI, doit être rejetée.

S'agissant des préjudices extrapatrimoniaux temporaires :

17. Il résulte du rapport d'expertise que Mme B... a subi, en lien avec les fautes commises par l'AP-HM, un déficit fonctionnel temporaire partiel à hauteur de 50 % du 20 juillet 2007 au 29 février 2008, et de 25 % du 1er mars 2008 au 10 juillet 2009, la date de consolidation de son état de santé ayant été fixée au 11 juillet 2009. Il sera fait une juste évaluation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 3 892 euros.

18. Les souffrances endurées par Mme B... ont été évaluées par l'expert à 3 sur 7, eu égard aux effets secondaires occasionnés par la radiochirurgie. Les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de l'indemnité due en réparation de ce préjudice en le fixant à 3 600 euros.

19. L'expert a retenu un préjudice esthétique temporaire subi par Mme B..., estimé à 2 sur 7, celle-ci étant restée alitée pendant plusieurs mois entre juillet 2007 et février 2008 et ayant subi une altération temporaire de son apparence physique, telle qu'une perte de cheveux. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à Mme B... la somme de 1 800 euros.

20. Il résulte de ce qui précède que le montant total des indemnités auxquelles peut prétendre Mme B... en réparation de son préjudice d'impréparation et de ses préjudices temporaires s'élève à la somme totale de 48 225 euros.

S'agissant des préjudices permanents :

21. Le rapport d'expertise du 20 février 2018 retient notamment que Mme B..., souffrant d'asthénie, de troubles de l'humeur de type dépressif, de la statique, de langage et de troubles cognitifs, présente un taux de déficit fonctionnel permanent de 15 % et qu'elle a besoin, postérieurement à la consolidation de son état de santé, d'une assistance par une tierce personne non spécialisée de quatre heures par semaine. Toutefois, il ressort également de ce rapport, établi par un neurochirurgien et un psychiatre, que l'essentiel de la symptomatologie de la requérante présente une dimension subjective. Il est relevé, à la date de l'examen de Mme B..., " l'absence de signe neurologique franc en ce qui concerne la motricité, le tonus, les réflexes, les sensibilités " et seulement " une minime instabilité à la station debout ". Si l'existence de troubles simulés ou utilitaires, de troubles de conversion ou d'une sinistrose a été exclue par l'expert psychiatre, ce dernier confirme cependant une somatisation excessive pouvant s'expliquer par une " personnalité névrotique et psychopathologiquement vulnérable " et des " difficultés de résilience dans un contexte socio-environnemental délétère (insertion professionnelle préalable précaire et démobilisation durable, fille handicapée, rupture affective malgré nouvelle relation ultérieure...) ". Il est enfin souligné que Mme B... ne suit aucun traitement psychiatrique. Dans ces conditions, eu égard aux conclusions de ces opérations d'expertise, datant de 2018, et aux incertitudes sur l'état de santé de l'intéressée et son évolution en lien avec le traitement par radiochirurgie subi en 2007, notamment aux effets éventuels d'un traitement psychiatrique qui aurait ou pourrait améliorer sa situation, l'état de l'instruction ne permet pas à la cour de déterminer l'existence des préjudices permanents invoqués par la requérante et, le cas échéant, l'étendue de ces préjudices antérieurement et postérieurement à la date de son arrêt. Il y a lieu, dès lors, d'ordonner une expertise aux fins précisées dans le dispositif du présent arrêt et de réserver, jusqu'en fin d'instance, les droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt.

D E C I D E

Article 1er : L'AP-HM est condamnée à payer à Mme B... la somme de 48 225 euros.

Article 2 : Il est ordonné, avant de statuer sur le surplus des conclusions des requêtes de Mme B... et de l'AP-HM, une expertise confiée à un neurochirurgien, qui aura pour mission, au vu des pièces du dossier et notamment du précédent rapport d'expertise :

1°) de dire, à compter de la date de consolidation de l'état de santé de Mme B... fixée au 10 juillet 2009, si celui-ci a justifié et justifie encore une assistance par une tierce personne, en précisant les dates de début et de fin de cette aide ainsi que sa nature et son importance en nombre d'heures par semaine ou par jour ;

2°) de déterminer, à compter de cette même date de consolidation, s'il existe un déficit fonctionnel permanent et dans l'affirmative en fixer le taux ;

3°) de donner tous les éléments permettant d'évaluer les autres postes de préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux permanents en lien avec la faute commise par l'AP-HM tels que la perte de gains professionnels, l'incidence professionnelle, le préjudice esthétique, le préjudice d'agrément, le préjudice sexuel, et le cas échéant, d'en évaluer l'importance.

Article 3 : L'expert accomplira la mission définie à l'article 2 dans les conditions prévues par les articles R. 621-2 à R. 621-14 du code de justice administrative.

Article 4 : L'expertise sera menée contradictoirement entre Mme D... B..., l'Assistance publique - Hôpitaux de Marseille, la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes et la caisse primaire d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

Article 5 : L'expert déposera son rapport au greffe en deux exemplaires, dans le délai qui sera fixé par le président de la cour. Il en notifiera copie aux personnes intéressées, notification qui pourra s'opérer sous forme électronique avec l'accord desdites parties.

Article 6 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'à la fin de l'instance.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., à l'Assistance publique -Hôpitaux de Marseille, à la caisse commune de sécurité sociale des Hautes-Alpes et à la caisse primaire centrale d'assurance maladie des Bouches-du-Rhône.

Copie en sera adressée à M. C... et à M. A..., experts.

Délibéré après l'audience du 27 mars 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Fedi, présidente de chambre,

- Mme Rigaud, présidente assesseure,

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2025.

N° 23MA03052, 23MA03061


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23MA03052
Date de la décision : 04/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme FEDI
Rapporteur ?: M. Nicolas DANVEAU
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : LECA;LECA;SARL LE PRADO - GILBERT

Origine de la décision
Date de l'import : 13/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-04;23ma03052 ?
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