Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
L'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) 2 L'Aiguade a demandé au tribunal administratif de Toulon de prononcer la décharge, en droits et majorations, du rappel de taxe sur la valeur ajoutée qui lui a été réclamé au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 et de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 2012.
Par un jugement n° 2002218 du 26 juin 2023, le tribunal administratif de Toulon a déchargé l'EURL 2 L'Aiguade, en droits et majorations, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, calculés sur la marge, qui lui ont été réclamés au titre de la cession d'un bien immobilier réalisée le 8 octobre 2012 et a rejeté le surplus de ses conclusions.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 25 août 2023, l'EURL 2 L'Aiguade, représentée par Me Gateau et Me Maurer, demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2002218 du 26 juin 2023 du tribunal administratif de Toulon ;
2°) de prononcer la décharge, en droits et majorations, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 2012 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme à chiffrer sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la rectification relative à la variation de stock est insuffisamment motivée ;
- cette rectification n'est pas fondée, dès lors qu'elle repose sur une qualification erronée d'une parcelle en terrain à bâtir ;
- les charges remises en cause correspondent à des dépenses justifiées et engagées dans son intérêt.
Par un mémoire en défense enregistré le 4 mars 2024, le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par l'EURL 2 L'Aiguade ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Platillero,
- et les conclusions de M. Ury, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. L'EURL 2 L'Aiguade, qui exerçait l'activité de marchand de biens et a opté pour l'impôt sur les sociétés, a fait l'objet d'une vérification de comptabilité, au terme de laquelle des propositions de rectification des 23 décembre 2015 et 29 avril 2016 lui ont été notifiées. A l'issue de la procédure, elle a été assujettie à un rappel de taxe sur la valeur ajoutée au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 2012 et à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés au titre de l'exercice 2012, assortis des intérêts de retard et de la majoration pour manquement délibéré. L'EURL 2 L'Aiguade relève appel du jugement du 26 juin 2023 par lequel le tribunal administratif de Toulon, après l'avoir déchargée, en droits et majorations, des rappels de taxe sur la valeur ajoutée, calculés sur la marge, qui lui ont été réclamés au titre de la cession d'un bien immobilier réalisée le 8 octobre 2012, a rejeté le surplus de ses conclusions tendant à la décharge, en droits et majorations, de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés à laquelle elle a été assujettie au titre de l'exercice 2012.
Sur la régularité de la procédure d'imposition :
2. Aux termes de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales : " L'administration adresse au contribuable une proposition de rectification qui doit être motivée de manière à lui permettre de formuler ses observations ou de faire connaître son acceptation (...) ".
3. Il résulte de l'instruction que la proposition de rectification du 23 décembre 2015 mentionne le 2 de l'article 38 du code général des impôts, l'année d'imposition et le montant de la base d'imposition, rappelle les montants qui avaient été déclarés au titre du stock et de sa variation et renvoie à sa partie relative à la taxe sur la valeur ajoutée, qui détaille les éléments chiffrés qui ont déterminé la valeur d'origine comptabilisée en stock du terrain cédé et le montant de la variation de stock à la suite de la cession compte tenu de cette valeur d'origine. Ainsi, la proposition de rectification énonce les motifs sur lesquels l'administration s'est fondée pour justifier la rectification envisagée, permettant à l'EURL 2 L'Aiguade de formuler ses observations de manière utile. Contrairement à ce qui est soutenu, la proposition de rectification est dès lors suffisamment motivée en ce qui concerne la rectification relative à la variation de stock. A cet égard, en l'absence d'irrégularité au regard de l'article L. 57 du livre des procédures fiscales, l'EURL 2 L'Aiguade n'est pas fondée à se prévaloir de l'article L. 80 CA du même livre.
Sur le bien-fondé des impositions :
En ce qui concerne la variation de stock :
4. Aux termes de l'article 38 du code général des impôts : " (...) 2. Le bénéfice net est constitué par la différence entre les valeurs de l'actif net à la clôture et à l'ouverture de la période dont les résultats doivent servir de base à l'impôt diminuée des suppléments d'apport et augmentée des prélèvements effectués au cours de cette période par l'exploitant ou par les associés. L'actif net s'entend de l'excédent des valeurs d'actif sur le total formé au passif par les créances des tiers, les amortissements et les provisions justifiés (...) ".
5. L'EURL 2 L'Aiguade a acquis le 3 mars 2011 une parcelle de 7 850 m² à Grimaud, qu'elle a portée en stock pour une valeur de 2 800 000 euros. Il est constant qu'elle a indiqué au cours de vérification de comptabilité dont elle a fait l'objet que le prix a été ventilé entre une villa déjà construite pour 800 000 euros et le terrain de 7 850 m² pour 2 000 000 euros. Elle a cédé le 8 octobre 2012 une parcelle de 2 500 m² détachée de la parcelle initiale au prix de 1 500 000 euros et a comptabilisé au titre de cet exercice une variation de stock d'un montant de 1 963 000 euros, ce qui aurait correspondu à une valeur comptable du terrain cédé de 837 000 euros. L'administration a toutefois constaté qu'il résultait des écritures comptables, compte tenu de la ventilation opérée, que le prix d'acquisition du terrain de 2 500 m² cédé s'établissait à 636 943 euros et a ainsi procédé à une rectification de la variation de stock comptabilisée à hauteur de 200 057 euros.
6. L'EURL 2 L'Aiguade fait valoir que cette rectification n'est pas fondée, dès lors qu'elle repose sur une qualification erronée de la parcelle cédée en terrain à bâtir au regard de la taxe sur la valeur ajoutée. Toutefois, contrairement à ce qu'elle soutient, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la rectification n'est pas fondée sur une qualification de la parcelle en terrain à bâtir au regard de la taxe sur la valeur ajoutée mais sur les propres éléments comptables déclarés en matière d'évaluation du stock. Par ailleurs, si l'EURL 2 L'Aiguade fait valoir que la parcelle cédée comportait également une construction, il est constant, ce que corroborent les modalités d'évaluation du stock explicitées au cours de la vérification de comptabilité, que cette construction, qui n'était pas affectée à l'habitation, était inhabitable et a d'ailleurs été démolie par l'acquéreur de la parcelle cédée, n'avait aucune valeur, la valeur comptable ne portant que sur la villa déjà construite. Et si la société soutient que la variation du stock comptabilisée aurait tenu compte de droits à construire sur la parcelle cédée, elle n'apporte aucun élément précis à l'appui de ses allégations selon lesquelles la ventilation comptable entre la construction et le terrain n'aurait pas tenu compte de tels droits. Dans ces conditions, c'est à bon droit que l'administration a évalué la variation du stock à partir des éléments qui ressortaient de la comptabilité de l'EURL 2 L'Aiguade.
En ce qui concerne les charges déduites :
7. Aux termes de l'article 39 du code général des impôts, rendu applicable à l'impôt sur les sociétés par l'article 209 du même code : " 1. Le bénéfice net est établi sous déduction de toutes charges, celles-ci comprenant (...) notamment : 1° Les frais généraux de toute nature (...) 5. Sont également déductibles les dépenses suivantes : a. Les rémunérations directes et indirectes, y compris les remboursements de frais versés aux personnes les mieux rémunérées ; b. Les frais de voyage et de déplacements exposés par ces personnes ; c. Les dépenses et charges afférentes aux véhicules et autres biens dont elles peuvent disposer en dehors des locaux professionnels ; d. Les dépenses et charges de toute nature afférentes aux immeubles qui ne sont pas affectés à l'exploitation ; e. Les cadeaux de toute nature, à l'exception des objets de faible valeur conçus spécialement pour la publicité ; f. Les frais de réception, y compris les frais de restaurant et de spectacles (...) Les dépenses ci-dessus énumérées peuvent également être réintégrées dans les bénéfices imposables dans la mesure où elles sont excessives et où la preuve n'a pas été apportée qu'elles ont été engagées dans l'intérêt direct de l'entreprise (...) ".
8. Si, en vertu des règles gouvernant l'attribution de la charge de la preuve devant le juge administratif, applicables sauf loi contraire, il incombe, en principe, à chaque partie d'établir les faits qu'elle invoque au soutien de ses prétentions, les éléments de preuve qu'une partie est seule en mesure de détenir ne sauraient être réclamés qu'à celle-ci. Il appartient, dès lors, au contribuable, pour l'application des dispositions précitées du code général des impôts, de justifier tant du montant des charges qu'il entend déduire du bénéfice net défini à l'article 38 du code général des impôts que de la correction de leur inscription en comptabilité, c'est-à-dire du principe même de leur déductibilité. Le contribuable apporte cette justification par la production de tous éléments suffisamment précis portant sur la nature de la charge en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'il en a retirée. Dans l'hypothèse où le contribuable s'acquitte de cette obligation, il incombe ensuite au service, s'il s'y croit fondé, d'apporter la preuve de ce que la charge en cause n'est pas déductible par nature, qu'elle est dépourvue de contrepartie, qu'elle a une contrepartie dépourvue d'intérêt pour le contribuable ou que la rémunération de cette contrepartie est excessive.
9. En vertu de ces principes, lorsqu'une entreprise a déduit en charges une dépense réellement supportée, conformément à une facture régulière relative à un achat de prestations ou de biens dont la déductibilité par nature n'est pas contestée par l'administration, celle-ci peut demander à l'entreprise qu'elle lui fournisse tous éléments d'information en sa possession susceptibles de justifier la réalité et la valeur des prestations ou biens ainsi acquis. La seule circonstance que l'entreprise n'aurait pas suffisamment répondu à ces demandes d'explication ne saurait suffire à fonder en droit la réintégration de la dépense litigieuse, l'administration devant alors fournir devant le juge tous éléments de nature à étayer sa contestation du caractère déductible de la dépense. Le juge de l'impôt doit apprécier la valeur des explications qui lui sont respectivement fournies par le contribuable et par l'administration.
10. En premier lieu, l'administration a remis en cause la déduction de charges correspondant notamment à l'achat de meubles, vaisselle, linge de maison, coffre-fort, appareils électro-ménagers tels qu'aspirateur, réfrigérateur, cave à vin, livres, luminaires, téléviseur, tableaux et vases. Si l'EURL 2 L'Aiguade fait valoir que l'achat de ces biens était destiné à mettre en valeur la villa en vue de sa cession suivant la technique de vente immobilière du " home staging ", elle se borne à produire un document général relatif à cette technique et un constat d'huissier établi le 8 janvier 2016 concernant le stockage de certains des biens dans un box à la suite de la cession de la villa, alors qu'elle reconnaît que son gérant l'occupait " quasi-quotidiennement ". Ces éléments ne remettent ainsi pas en cause le constat effectué par l'administration concernant le caractère personnel de ces dépenses, étrangères par nature à l'activité de marchand de biens de la société. Dans ces conditions, l'administration établit que ces dépenses ont été effectuées dans l'intérêt du gérant de l'EURL 2 L'Aiguade et n'ont pas été exposées dans l'intérêt de cette dernière.
11. Par ailleurs, si l'EURL 2 L'Aiguade soutient que certaines dépenses portaient sur l'achat de plantes et de végétaux destinés à l'embellissement des espaces extérieurs de la villa, elle se borne à produire des photographies destinées à montrer l'installation de ces végétaux dans les jardins du bien occupé par son gérant, ce qui est insusceptible de justifier du caractère professionnel et non personnel de ces dépenses, qui ne sont au demeurant pas précisément identifiées.
12. En deuxième lieu, l'EURL 2 L'Aiguade se prévaut de dépenses liées à la recherche d'acquéreurs potentiels, en visant des dépenses liées à la pratique du golf et des frais de restaurants situés à Lyon. D'une part, elle n'apporte aucun élément qu'elle seule est en mesure de produire permettant même de présumer que les dépenses afférentes à l'inscription de son gérant au golf de Beauvallon et à l'achat de matériels de golf, correspondant à une activité de loisirs exercée personnellement, auraient eu une quelconque utilité pour le développement de son activité. D'autre part, elle n'apporte pas plus d'éléments qu'elle seule est en mesure de produire, en se bornant à soutenir que son gérant aurait précisé le nom des convives et les relations d'affaires, permettant de présumer que les dépenses de restauration engagées à Lyon, lieu du domicile principal du gérant, auraient été engagées dans son intérêt.
13. Dans ces conditions, alors même que le montant de ces dépenses ne serait pas excessif, l'administration établit qu'elles n'ont pas été exposées dans l'intérêt de l'EURL 2 L'Aiguade. A cet égard, la requérante n'est en tout état de cause pas fondée à se prévaloir des énonciations des réponses ministérielles faites à M. B... le 8 juillet 1954 et à M. A... le 24 avril 1997 ni de celles de la doctrine administrative référencée BOI-BIC-CHG-10-20-20 n° 50, BOI-BIC-CHG-40-60 et BOI-BNC-BASE-40-60-60 n° 10, qui ne comportent aucune interprétation différente de la loi fiscale.
14. En troisième lieu, l'EURL 2 L'Aiguade se prévaut de dépenses de réception liées à l'obtention des signatures des colotis en vue de procéder à la division parcellaire du terrain dont elle était propriétaire, situé dans un lotissement. Toutefois, dès lors qu'elle ne précise pas quelles dépenses seraient concernées par son argumentation au sein de l'ensemble des charges remises en cause par l'administration, par ces seules considérations d'ordre général, l'EURL 2 L'Aiguade ne justifie pas du principe de déductibilité de charges à ce titre, à défaut de produire des éléments suffisamment précis portant sur la nature des charges en cause, ainsi que sur l'existence et la valeur de la contrepartie qu'elle en aurait retirées.
15. En quatrième lieu, l'EURL 2 L'Aiguade se prévaut de frais de déplacement et de carburant pour des voyages à Lyon où auraient été réalisées des démarches juridiques, comptables et bancaires ainsi que des opérations de prospection, ainsi que pour deux voyages en Espagne nécessaires à l'achat des plantes précitées. D'une part, elle n'apporte aucun élément à l'appui de ses allégations selon lesquelles les frais de déplacement à Lyon auraient été rendus nécessaires par son activité et non pas par les besoins de son gérant, dont le lieu du domicile principal était situé en banlieue lyonnaise. D'autre part, elle n'apporte aucun élément qu'elle seule est en mesure de produire permettant même de présumer que les dépenses de voyages en Espagne auraient été exposées dans son intérêt, l'administration relevant d'ailleurs que les voyages à l'étranger déduits étaient effectués par le gérant accompagné par son épouse en faisant appel à des agences de voyages mettant en place des excursions. Dans ces conditions, l'administration établit que ces dépenses n'ont pas été exposées dans l'intérêt de l'EURL 2 L'Aiguade.
16. Il résulte de tout ce qui précède que l'EURL 2 L'Aiguade n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté le surplus des conclusions de sa demande. Ses conclusions aux fins d'annulation de ce jugement et de décharge, en droits et majorations, de l'imposition en litige doivent dès lors être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
17. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme, au demeurant non chiffrée, au titre des frais que l'EURL 2 L'Aiguade a exposés.
D E C I D E :
Article 1er: La requête de l'EURL 2 L'Aiguade est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à l'entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) 2 L'Aiguade et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Copie en sera adressée à la direction de contrôle fiscal Sud-Est Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2025, où siégeaient :
- Mme Paix, présidente,
- M. Platillero, président assesseur,
- Mme Mastrantuono, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 avril 2025.
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N° 23MA02226