Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Ribulione a demandé au tribunal administratif de Bastia d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 4 mai 2022 par lequel le maire d'Ajaccio a refusé de lui délivrer un permis de construire une résidence de cent trente-huit logements sur les parcelles cadastrées section BL nos 46, 48, 49, 138 et 139, chemin de la Carosaccia, au lieudit Croix d'Alexandre.
Par un jugement n° 2200836 du 14 mars 2024, le tribunal administratif de Bastia a fait droit à cette demande.
Par une ordonnance n° 24MA00929 du 18 avril 2024, la présidente de la cour administrative d'appel de Marseille a transmis au Conseil d'Etat, en application de l'article
R. 351-2 du code de justice administrative, la requête de la commune d'Ajaccio, enregistrée le
17 avril 2024 au greffe de cette Cour.
Par une décision n°493572 du 5 novembre 2024, le Conseil d'Etat a attribué le jugement de la requête de la commune d'Ajaccio à la cour administrative d'appel de Marseille.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés sous le n° 24MA02751 les 17 avril et
27 juin 2024 et 5 février 2025, la commune d'Ajaccio, représentée par Me Guillini de la selarl Parme avocats, demande à la Cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bastia du 14 mars 2024 ;
2°) de rejeter la demande de la SAS Ribulione ;
3°) de mettre à la charge de la SAS Ribulione la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune soutient que :
- le jugement attaqué n'est pas suffisamment motivé en ce qu'il ne précise pas les raisons pour lesquelles a été écartée son exception en défense, qui n'était pas inopérante, tirée de la compétence liée du maire pour retirer le permis de construire sollicité ;
- le maire était tenu de retirer le permis tacite né au bénéfice de la pétitionnaire, dès lors, d'une part, que sa demande n'était pas accompagnée d'une autorisation de lotissement pour la division parcellaire qu'elle implique et, d'autre part, que le projet n'est pas raccordable au réseau public d'assainissement, en méconnaissance de l'article UC 4 du règlement de plan local d'urbanisme ;
- par conséquent, sont inopérants les moyens, de légalité externe, tirés du respect de la procédure contradictoire préalable et de l'insuffisante motivation du retrait ;
- en jugeant le contraire, le tribunal a commis une erreur de droit, a inexactement qualifié les faits de l'espèce et les a dénaturés ;
- le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté en litige n'est en tout état de cause pas fondé ;
- il est renvoyé aux moyens en défense développés en première instance, en réponse aux moyens critiquant les motifs de cet arrêté.
Par un mémoire en défense, enregistré le 20 décembre 2024, la SAS Ribulione, représentée par Me Nesa, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune d'Ajaccio la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en faisant valoir que les moyens d'appel ne sont pas fondés et au surplus que les motifs de l'arrêté en litige ne sont pas légaux.
Par une ordonnance du 22 janvier 2025 la clôture d'instruction a été fixée au
6 février 2025, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Revert,
- les conclusions de Mme Balaresque, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. La SAS Ribulione a déposé le 30 décembre 2021 une demande de permis de construire valant division parcellaire pour la réalisation de quatre bâtiments comprenant
138 logements, dont 35 logements sociaux, sur les parcelles cadastrées section BL nos 46, 48, 49, 138 et 139, situées chemin de la Carosaccia, lieu-dit Croix d'Alexandre, à Ajaccio. Par un arrêté du 4 mai 2022, le maire d'Ajaccio a refusé de faire droit à cette demande. Mais, par un jugement du 14 mars 2024, dont la commune d'Ajaccio relève appel, le tribunal administratif de Bastia a annulé cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés ".
3. Pour faire valoir devant le tribunal qu'étaient inopérants les moyens développés par la SAS Ribulione à l'appui de sa demande dirigée contre l'arrêté de refus de permis de construire du 4 mai 2022 et consistant à soutenir que, cet arrêté devant être qualifié de retrait de permis de construire tacite, il n'était pas motivé et avait été pris sans respecter la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l'article L. 122-1 du code des relations entre le public et l'administration, la commune d'Ajaccio affirmait que son maire était en situation de compétence liée pour refuser de délivrer cette autorisation et partant, pour retirer le permis tacite, aux motifs que le projet résultait d'une division parcellaire n'ayant pas donné lieu à déclaration préalable et qu'il n'est ni raccordé ni raccordable au réseau public d'assainissement. En écartant comme non sérieuse l'argumentation de la commune d'Ajaccio tirée d'une situation de compétence liée, dont il a rappelé précisément les motifs, le tribunal, qui pour annuler l'arrêté en litige a accueilli les moyens de légalité externe tirés du retrait irrégulier d'un permis tacite, a suffisamment motivé son jugement et n'a pas omis de se prononcer sur le moyen en défense de la commune. Les moyens de celle-ci tirés de la méconnaissance de l'exigence rappelée par l'article L. 9 du code de justice administrative et de l'omission à se prononcer sur un moyen en défense doivent donc être écartés.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Aux termes de l'article L. 600-4-1 du code de l'urbanisme : " Lorsqu'elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d'urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l'ensemble des moyens de la requête qu'elle estime susceptible de fonder l'annulation ou la suspension, en l'état du dossier ". Il appartient au juge d'appel, saisi d'un jugement par lequel un tribunal administratif a prononcé l'annulation d'une décision intervenue en matière d'urbanisme, de se prononcer sur les différents motifs d'annulation retenus par les premiers juges en application de ces dispositions, dès lors que ceux-ci sont contestés devant lui.
5. Pour annuler l'arrêté en litige, les premiers juges se sont fondés sur les motifs tirés, d'une part, de ce que cette décision, devant être regardée comme le retrait d'un permis de construire tacite, n'a pas été précédée de la procédure contradictoire prévue à l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration et, d'autre part, de l'insuffisante motivation de cet arrêté.
En ce qui concerne la nature de la décision en litige :
6. Selon l'article R. 424-1 du code de l'urbanisme, et sous réserve des exceptions prévues par ce code, le silence gardé par l'autorité compétente au terme du délai d'instruction sur une déclaration préalable ou une demande de permis au titre du code de l'urbanisme vaut, selon les cas, décision tacite de non-opposition à cette déclaration ou permis tacite de construire, d'aménager ou de démolir. Il en résulte que l'auteur d'une déclaration préalable ou d'une demande de permis est réputé être titulaire d'une décision de non-opposition ou d'un permis tacite si aucune décision ne lui a été notifiée avant l'expiration du délai réglementaire d'instruction de son dossier.
7. Il ressort des pièces du dossier que les services de la commune d'Ajaccio ont accusé réception de la demande de permis de construire de la SAS Ribulione le 31 décembre 2021 et que le 13 janvier 2022, les services de la communauté d'agglomération du pays ajaccien, chargés de l'instruction des demandes d'autorisations d'urbanisme déposées sur la commune d'Ajaccio, lui ont indiqué que le délai d'instruction de sa demande, fixé à trois mois en application des dispositions du c) de l'article R. 423-23 du code de l'urbanisme, était majoré d'un mois en application des dispositions du a) de l'article R. 423-24 du même code et qu'en conséquence, elle serait réputée titulaire d'un permis de construire le 30 avril 2022 si aucune décision ne lui était notifiée avant cette date. Il est constant que ce délai d'instruction de quatre mois n'a pas été une nouvelle fois modifié ou majoré par le service instructeur. Il suit de là que l'arrêté en litige signé le 4 mai 2022 et notifié postérieurement doit être regardé, non pas comme portant refus du permis de construire sollicité par la SAS Ribulione, mais comme ayant implicitement mais nécessairement retiré le permis tacite né à son bénéfice le 30 avril 2022, ainsi que l'a jugé le tribunal.
En ce qui concerne la légalité de la décision en litige :
8. Or, aux termes de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : " La décision de
non-opposition à une déclaration préalable ou le permis de construire ou d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peuvent être retirés que s'ils sont illégaux et dans le délai de trois mois suivant la date de ces décisions. Passé ce délai, la décision de non-opposition et le permis ne peuvent être retirés que sur demande expresse de leur bénéficiaire. (...). " L'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose que : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. " Aux termes de l'article L. 121-2 du même code : " Les dispositions de l'article
L. 121-1 ne sont pas applicables : / 1° En cas d'urgence ou de circonstances exceptionnelles ; / 2° Lorsque leur mise en œuvre serait de nature à compromettre l'ordre public ou la conduite des relations internationales. / 3° Aux décisions pour lesquelles des dispositions législatives ont instauré une procédure contradictoire particulière. (...). " Et aux termes de l'article L. 122-1 de ce code : " Les décisions mentionnées à l'article L. 211-2 n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. Cette personne peut se faire assister par un conseil ou représenter par un mandataire de son choix. / L'administration n'est pas tenue de satisfaire les demandes d'audition abusives, notamment par leur nombre ou leur caractère répétitif ou systématique. ". La décision portant retrait d'un permis de construire est au nombre de celles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Elle doit, par suite, être précédée d'une procédure contradictoire, permettant au titulaire du permis de construire d'être informé de la mesure qu'il est envisagé de prendre, ainsi que des motifs sur lesquels elle se fonde, et de bénéficier d'un délai suffisant pour présenter ses observations.
9. D'une part, si l'arrêté en litige indique, au visa des avis défavorables de la communauté d'agglomération du pays ajaccien des 10 février et 19 avril 2022, que la parcelle d'assiette du projet n'est pas raccordable au réseau public d'eaux usées, que cet établissement public ne maîtrise pas le foncier et que le plan de masse du dossier de demande ne fait pas apparaître de bassin de stockage des eaux pluviales, et s'il vise le code de l'urbanisme, le plan d'aménagement et de développement durable de Corse et le plan local d'urbanisme de la commune, il ne précise pas les dispositions législatives ou réglementaires qui sont ainsi méconnues par ce projet, et n'est donc pas motivé en droit.
10. D'autre part, il n'est pas contesté que la SAS Ribulione n'a pas été mise à même de présenter ses observations sur la mesure de retrait que le maire envisageait de prendre, ni sur les motifs de celle-ci. L'intéressée a donc été privée du bénéfice effectif de la garantie attachée au caractère contradictoire de la procédure prévue par les articles L. 121-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration, ainsi que l'a jugé à bon droit le tribunal.
11. Certes, s'il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une demande en ce sens, de retirer, en cas d'illégalité, un permis de construire dans le délai de trois mois à compter de sa délivrance posé par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, cité au point 8, il n'est pas tenu de le faire s'il est nécessairement conduit, pour relever cette illégalité, à porter une appréciation sur les faits de l'espèce.
12. La commune d'Ajaccio fait valoir, comme elle le faisait devant le tribunal, qu'en l'absence d'autorisation des divisions parcellaires annoncées par le projet et relevant du régime du lotissement, et qu'en application de l'article UC4 du règlement de plan local d'urbanisme relatif à l'obligation de raccorder les constructions au réseau public d'assainissement, le maire était en situation de compétence liée pour retirer le permis d'aménager tacite né au bénéfice de la
SAS Ribulione le 30 avril 2022.
13. Mais si le maire d'Ajaccio était tenu de refuser de délivrer cette autorisation pour de tels motifs s'ils étaient fondés, il n'était pas en revanche, contrairement à ce que soutient la commune, en situation de compétence liée pour retirer ce permis tacite de sa propre initiative.
14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Ajaccio n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a prononcé l'annulation de cet arrêté de retrait d'un permis tacite, à la fois pour méconnaissance de l'obligation de motivation posée par l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et pour méconnaissance de la procédure contradictoire préalable au retrait d'une décision créatrice de droits prévue par les articles L. 121-1 et suivants du même code.
Sur les frais liés au litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la SAS Ribulione, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par la commune d'Ajaccio et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de
celle-ci une somme de 2 000 euros à verser à la SAS Ribulione au titre de ces mêmes dispositions.
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune d'Ajaccio est rejetée.
Article 2 : La commune d'Ajaccio versera à la SAS Ribulione la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Ajaccio et à la société par actions simplifiées Ribulione.
Délibéré après l'audience du 29 avril 2025, où siégeaient :
- M. Duchon-Doris, président de la Cour,
- M. Revert, président assesseur,
- M. Martin, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 mai 2025.
N° 24MA027512