Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bastia, en premier lieu, d'annuler l'arrêté n° 24 2A 20002 du 12 janvier 2024 par lequel le préfet de la Corse-du-Sud a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de trois ans et a fixé le pays à destination duquel il est susceptible d'être éloigné d'office et, en second lieu, d'enjoindre au préfet de la Corse-du-Sud de lui délivrer une carte de résident.
Par une ordonnance n° 2400256 du 11 mars 2024, le président du tribunal administratif de Bastia a rejeté cette demande comme irrecevable.
Procédure devant la Cour :
Par une requête enregistrée le 9 avril 2024 et un mémoire enregistré le 29 avril 2025, M. B..., représenté par Me Gallo puis par Me Bakayoko, demande à la Cour :
1°) d'enjoindre au préfet de la Corse-du-Sud de produire l'intégralité de son dossier administratif ;
2°) d'annuler l'ordonnance du 11 mars 2024 ;
3°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 12 janvier 2024 ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Corse-du-Sud, ou à tout autre préfet territorialement compétent, de lui délivrer une carte de résident portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai d'un mois sous astreinte de 200 euros par jour de retard, de lui enjoindre, dans l'attente de cette délivrance, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de sept jours sous astreinte de 200 euros par jour de retard, et de lui enjoindre de prendre sans délai toute mesure propre à mettre fin à son signalement dans le système d'information Schengen ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa demande de première instance était recevable ;
- il y a lieu d'inviter la préfecture à communiquer son dossier administratif, pour pouvoir contester le motif tiré de ce qu'il a déposé son dossier après l'expiration de son précédent titre ;
- l'auteur de l'arrêté attaqué est incompétent ;
- son comportement ne caractérise pas une menace pour l'ordre public ;
- l'arrêté porte une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- il réside habituellement en France depuis l'âge de treize ans ;
- il ne pouvait donc faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
- le refus d'octroi d'un délai de départ volontaire n'est pas motivé ;
- il est entaché d'une erreur de droit ;
- il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision portant interdiction de retour est injustifiée et disproportionnée.
Vu :
- la décision du 6 février 2025 par laquelle le président de la Cour a désigné Mme Anne-Laure Chenal-Peter présidente par intérim de la 6ème chambre ;
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le décret n° 2004-374 du 29 avril 2004 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Renaud Thielé, rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. Le 16 mars 2023, M. B..., ressortissant tunisien né le 3 août 1996, a demandé le renouvellement de sa carte de résident, valable du 8 novembre 2012 au 7 novembre 2022. Par un arrêté du 12 janvier 2024, le préfet de la Corse-du-Sud a rejeté cette demande et lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et interdiction de retour pour une durée de trois ans. Par l'ordonnance attaquée, dont M. B... relève appel, le président du tribunal administratif de Bastia a rejeté comme tardive sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
2. Aux termes de l'article L. 614-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français peut, dans les conditions et délais prévus au présent chapitre, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour, de la décision relative au délai de départ volontaire et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant. / Les dispositions du présent chapitre sont applicables au jugement de la décision fixant le pays de renvoi contestée en application de l'article L. 721-5 (...) ". Le premier alinéa de l'article L. 614-6 du même code dispose que : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français n'est pas assortie d'un délai de départ volontaire, le président du tribunal administratif peut être saisi dans le délai de quarante-huit heures suivant la notification de la mesure. ". Aux termes de l'article R. 421-5 du code de justice administrative : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".
3. Contrairement à ce qu'a retenu le président du tribunal administratif de Bastia, M. B... n'a pas soutenu avoir reçu notification de l'arrêté attaqué le 8 février 2024, mais le 8 mars 2024. En outre, il produit la copie du courrier de notification, qui a été expédié le 7 mars 2024. Dans ces conditions, sa requête introductive d'instance, enregistrée le 8 mars 2024 au soir, n'était pas tardive.
4. L'ordonnance attaquée, qui oppose à tort à M. B... la tardiveté de son recours, est donc irrégulière. Il y a donc lieu pour la Cour de l'annuler et d'évoquer immédiatement le litige.
Sur la mesure d'instruction demandée :
5. M. B... étant en mesure de contester utilement le motif par lequel le préfet a estimé que sa demande, présentée quatre mois après l'expiration de son précédent titre de séjour, devait être regardée comme une demande de nouveau titre, et non comme une demande de renouvellement, il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de communication.
Sur la légalité de l'arrêté préfectoral :
6. En premier lieu, par un arrêté n° 2A-2023-11-13-00002 du 13 novembre 2023, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture n° 2A-2023-131 du 13 novembre 2023, régulièrement publié sur le site Internet de la préfecture, le préfet de la Corse-du-Sud a, sur le fondement du 1° de l'article 43 du décret susvisé du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements, accordé à M. Czerwinski, secrétaire général de la préfecture et signataire de la décision attaquée, une délégation de signature à l'effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents à l'exception d'actes au nombre desquels ne figurent pas les décisions attaquées. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée manque en fait et doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La circonstance que la présence d'un étranger en France constitue une menace pour l'ordre public fait obstacle à la délivrance et au renouvellement de la carte de séjour temporaire, de la carte de séjour pluriannuelle et de l'autorisation provisoire de séjour prévue (...) ".
8. Il ressort des énonciations de l'arrêté attaqué que M. B... s'est rendu coupable, le 9 avril 2011, de faits de violence ayant entraîné une incapacité de travail n'excédant pas huit jours, le 23 novembre de faits de destruction ou dégradation de véhicule privé, le 3 janvier 2013 de vol par effraction, vol de véhicule et recel d'un bien provenant d'un vol, le 6 août 2015 de violence aggravé suivie d'incapacité supérieure à huit jours, le 15 décembre 2015 de détention d'espèce animale protégée, le 25 mai 2017 de vol aggravé et détention non autorisée d'une arme. Il s'est en outre rendu coupable, entre le 1er janvier 2016 et le 29 mai 2017, d'usurpation de plaque d'immatriculation, de recel de bien provenant d'un vol, de faux et d'usage de faux en écriture, de conduite d'un véhicule sans permis, de blanchiment d'argent, faits pour lesquels il a été condamné à une peine de quatorze mois d'emprisonnement et trois cents euros d'amende. La circonstance que M. B... était mineur lorsqu'il a commis les infractions datant de 2011, 2012 et 2013, et que les autres infractions n'ont pas donné lieu à des poursuites pénales est sans incidence sur la matérialité de ces infractions, qui n'est pas contestée. En estimant que ces faits permettaient d'établir que le comportement de M. B... représentait une menace pour l'ordre public, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article L. 412-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
9. En troisième lieu, si M. B... est entré en France en 1999, à l'âge de trois ans, dans le cadre du regroupement familial, il n'établit pas, comme il le soutient, être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Compte tenu de la menace pour l'ordre public que son comportement représente, ni la circonstance que ses parents, ses deux frères et l'un de ses oncles résident régulièrement en France, et que sa sœur a la nationalité française, ni la circonstance qu'il aurait fait des efforts d'insertion professionnelle ne suffisent à établir que la décision portant refus de séjour a porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte excessive au regard des motifs en vue desquels cette décision a été prise.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article L. 611-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Ne peuvent faire l'objet d'une obligation de quitter le territoire français (...) 2°) l'étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis qu'il a atteint au plus l'âge de treize ans (...) ". Si M. B... est entré en France en 2000 et y a effectué sa scolarité, les pièces qu'il produit ne permettent pas de regarder comme établi le caractère ininterrompu de sa résidence en France depuis qu'il a atteint sa treizième année, compte tenu de l'absence d'éléments permettant d'établir une présence physique continue de l'intéressé sur le territoire national entre le mois d'avril 2019 et le mois de mai 2021. Celui-ci n'établit donc pas pouvoir bénéficier de la protection instituée par les dispositions précitées.
11. En cinquième lieu, l'arrêté attaqué vise les dispositions de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sur lesquelles a entendu se fonder le préfet. Il précise que le comportement de M. B... représente une menace pour l'ordre public. Cet arrêté comporte ainsi, en ce qu'il refuse à ce dernier un délai pour quitter le territoire français, l'indication des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.
12. En sixième lieu, aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision. / L'autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. / Elle peut prolonger le délai accordé pour une durée appropriée s'il apparaît nécessaire de tenir compte de circonstances propres à chaque cas. L'étranger est informé par écrit de cette prolongation. ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : / 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public (...) ".
13. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 qu'en refusant d'octroyer à M. B... un délai de départ volontaire, le préfet a fait une exacte application du 1° de l'article L. 612-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les moyens tirés de l'erreur de droit et de l'erreur d'appréciation commises par le préfet doivent donc être écartés.
14. En septième lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. ". Et aux termes de l'article L. 612-10 : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. ".
15. Compte tenu de la menace que son comportement représente pour l'ordre public, et en dépit des attaches familiales dont il dispose en France et de l'ancienneté de son séjour dans ce pays, le préfet n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées des articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ni, ce faisant, porté une atteinte excessive au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté préfectoral attaqué est illégal. Ses conclusions à fin d'annulation doivent donc être rejetées, ainsi que, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : L'ordonnance n° 2400256 du 11 mars 2024 du président du tribunal administratif de Bastia est annulée.
Article 2 : La demande de première instance de M. B... ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Corse-du-Sud.
Délibéré après l'audience du 7 mai 2025, où siégeaient :
- Mme Anne-Laure Chenal-Peter, présidente,
- M. Renaud Thielé, président assesseur,
- M. François Point, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 28 mai 2025.
N° 24MA00841 2