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27/06/2025 | FRANCE | N°22MA02052

France | France, Cour administrative d'appel de MARSEILLE, 2ème chambre, 27 juin 2025, 22MA02052


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Valbonne à lui payer la somme de 856 943,69 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'accident dont il a été victime, le 21 août 2010, à la suite de la chute de la porte du funérarium communal.

Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice, par des conclusions reconventionnelles, a demandé au tribunal de condamner la commune de Valbonne à lui payer la somme de 182 342,

64 euros en remboursement du versement de cette somme à M. D..., augmentée des intérêts et ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... a demandé au tribunal administratif de Nice de condamner la commune de Valbonne à lui payer la somme de 856 943,69 euros en réparation des préjudices subis du fait de l'accident dont il a été victime, le 21 août 2010, à la suite de la chute de la porte du funérarium communal.

Le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice, par des conclusions reconventionnelles, a demandé au tribunal de condamner la commune de Valbonne à lui payer la somme de 182 342,64 euros en remboursement du versement de cette somme à M. D..., augmentée des intérêts et de leur capitalisation.

La commune de Valbonne, par des conclusions reconventionnelles, a demandé au tribunal d'engager la responsabilité solidaire des sociétés Atelier Barani et Montanoa au titre de la garantie décennale.

Par un jugement n° 1905067 du 24 mai 2022, le tribunal administratif de Nice a condamné la commune de Valbonne à payer la somme de 188 970,44 euros à M. D..., après déduction des provisions déjà versées, et celle de 182 342,64 euros au CHU de Nice, après déduction des provisions déjà versées, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2020 et de leur capitalisation à compter du 27 janvier 2021 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date jusqu'au paiement de la somme due. Le tribunal a condamné les sociétés Atelier Barani et Montanoa à garantir, à parts égales, la commune de Valbonne à hauteur de 70 % des condamnations prononcées à son encontre. Le tribunal a mis les frais d'expertise liquidés et taxés à la somme de 3 210 euros à la charge de la commune de Valbonne.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 21 juillet 2022 et le 27 mai 2024, M. D..., représenté par la SELARL cabinet Chas, agissant par Me Chas, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 24 mai 2022 du tribunal administratif de Nice en tant qu'il a fixé le montant de l'indemnisation des préjudices subis ;

2°) de condamner la commune de Valbonne à lui payer la somme de 656 457,74 euros, après déduction des provisions déjà versées d'un montant de 72 000 euros, en indemnisation de ses préjudices, évalués comme suit :

- 160 euros au titre des dépenses de santé actuelles et frais divers ;

- 88 945,04 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels ;

- 22 250 euros au titre de l'assistance par tierce personne temporaire ;

- 17 568 euros au titre du déficit fonctionnel temporaire ;

- 10 000 euros au titre des souffrances endurées ;

- 4 000 euros au titre du préjudice esthétique temporaire ;

- 15 115 euros au titre des dépenses de santé futures ;

- 418 146,76 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ;

- 60 000 euros au titre de l'incidence professionnelle ;

- 34 400 euros au titre de l'atteinte à l'intégrité physique et psychique ;

- 20 000 euros au titre du préjudice d'agrément ;

- 4 000 euros au titre du préjudice sexuel ;

- 33 872,94 euros au titre des frais divers.

3°) de mettre à la charge de la commune de Valbonne la somme de 12 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

4°) de condamner la commune de Valbonne aux entiers dépens et notamment aux frais d'expertise d'un montant de 4 010 euros.

Il soutient que :

- la responsabilité de la commune de Valbonne est engagée pour défaut d'entretien normal de la porte du funérarium communal ;

- il a droit à l'indemnisation de ses préjudices comme détaillés ci-dessus.

Par un mémoire, enregistré le 30 août 2022, la caisse primaire d'assurance maladie du Var informe la cour de ce qu'elle n'entend pas intervenir dans l'instance.

Par des mémoires, enregistrés le 11 octobre 2023, le 30 avril 2024 et le 10 mars 2025, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice, représenté Me Broc, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

A titre principal :

1°) de faire droit à la demande d'infirmation du jugement formulée par M. D... concernant sa perte de revenus du fait du passage à demi-traitement à compter du 1er février 2020 ;

2°) de confirmer le jugement du tribunal administratif de Nice en ses autres dispositions ;

3°) de condamner la commune de Valbonne à lui payer la somme de 182 342,64 euros, après déduction des provisions déjà versées, selon décompte arrêté au 31 décembre 2019, assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 janvier 2020 et de leur capitalisation à compter du 27 janvier 2021 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date jusqu'au paiement de la somme due ;

4°) de condamner la commune de Valbonne à lui payer la somme de 226 468,74 euros, selon décompte du 1er janvier 2020 au 28 février 2025, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de son premier mémoire pour la somme de 123 538,06 euros et à compter de l'enregistrement de ses deux autres mémoires pour le surplus et de leur capitalisation ;

A titre subsidiaire :

5°) de condamner solidairement les sociétés Montanoa et Atelier Barani à lui payer la somme de 758 811,38 euros, assortie des intérêts au taux légal et de leur capitalisation jusqu'au paiement de la somme due ;

6°) de mettre à la charge de la commune de Valbonne, de la société Montanoa et de la société Atelier Barani la somme de 4 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- les blessures de M. D... n'ayant pas été contractées en service, il ne pouvait pas le maintenir à plein traitement ;

- M. D... était en mission lors de l'accident et a, dès lors, été pris en charge au titre de l'accident du travail ;

- sa créance doit être actualisée postérieurement au 31 décembre 2019, jusqu'au 28 février 2025.

Par un mémoire, enregistré le 27 mars 2024, la société Montanoa, représentée par Me Debette, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice en tant qu'il l'a condamnée à relever et garantir, avec la société Atelier Barani à proportion égales à hauteur de 70 % des condamnations prononcées, la commune de Valbonne ;

2°) de condamner la commune de Valbonne à lui rembourser les sommes déjà payées en vertu des décisions rendues ;

3°) subsidiairement, à l'infirmation du jugement du tribunal administratif de Nice en tant qu'il a rejeté sa demande tendant à être relevée et garantie par la société Atelier Barani, concepteur de l'ouvrage litigieux et de condamner celle-ci à lui rembourser les sommes payées ;

4°) encore subsidiairement, si la cour confirmait le jugement en tant qu'il a retenu sa responsabilité :

- de confirmer ce jugement en tant qu'il alloue à M. D... les sommes dues au titre des frais divers et dépenses de santé restés à charge, de l'assistance par une tierce personne, du déficit fonctionnel temporaire et de l'incidence professionnelle, du déficit fonctionnel permanent, et du préjudice sexuel et en tant qu'il rejette les demandes M. D... au titre des dépenses de santé futures, du préjudice d'agrément ;

- d'infirmer ce jugement en tant qu'il a alloué à M. D... la somme de 82 003 euros au titre de la perte de gains professionnels actuels, celle de 10 000 euros au titre des souffrances endurées, cette dernière devant être ramenée à 8 000 euros, celle de 3 500 euros au titre du préjudice esthétique temporaire, celle de 91 144,44 euros au titre de la perte de gains professionnels futurs ;

- d'infirmer ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à payer la somme de 182 342,64 euros dont 35 % à sa charge après déduction des provisions versées ;

- de rejeter la demande du CHU de Nice au titre du solde à recevoir chiffrée à la somme de 123 538,06 euros, des frais médicaux et pharmaceutiques ;

- de condamner le CHU de Nice, en l'état des provisions trop versées, à lui rembourser la somme de 18 633,48 euros ;

5°) de rejeter les demandes de la commune de Valbonne et du CHU de Nice au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dépens.

Elle fait valoir que :

Sur la responsabilité de la commune de Valbonne :

- le défaut d'entretien normal de l'ouvrage incombant à la commune de Valbonne est à l'origine du préjudice subi par M. D... ;

- la porte qui est un élément d'équipement, relève de la responsabilité biennale ;

- l'appel en garantie de la commune de Valbonne n'est recevable qu'à l'égard de la société Atelier Barani qui a conçu l'ouvrage à l'origine de l'accident ;

Sur les préjudices de M. D... :

- le préjudice subi par M. D... n'a pas de lien direct avec les désordres relevés par l'expert ;

- il n'est pas établi que les factures produites par M. D..., relatives aux dépenses de santé et frais divers, soient restées à sa charge ;

- la perte de gains professionnels actuels n'est pas établie ;

- le tribunal administratif de Nice a fait une exacte appréciation du montant alloué au titre de l'assistance par une tierce personne ;

- il a fait une exacte appréciation du préjudice tiré du déficit fonctionnel temporaire ;

- le montant alloué au titre des souffrances endurées ne saurait excéder 8 000 euros ;

- le montant alloué au titre du préjudice esthétique temporaire est disproportionné ;

- il n'y a pas lieu de faire droit à sa demande de dépenses de santé future au titre des cures thermales ;

- la perte de revenus alléguée au titre de la perte de gains professionnels futurs est sans lien directe avec l'accident survenu ;

- M. D... ne fait état d'aucun élément concret et objectif sur une perte de gains professionnels postérieure à sa consolidation ;

- il ne fait état d'aucun élément de nature à démontrer un préjudice tiré de la perte de vacations au titre de ses fonctions de pompier volontaire ;

- les arrêts de travails postérieurs à la consolidation de l'état de santé de M. D... sont sans lien avec l'accident ;

- le tribunal administratif de Nice a fait une exacte appréciation du montant alloué au titre de l'incidence professionnelle ;

- il a fait une juste appréciation du montant alloué au titre du déficit fonctionnel permanent ;

- il a fait une juste appréciation du montant alloué au titre du préjudice d'agrément ;

- il a fait une juste appréciation du montant alloué au titre du préjudice sexuel ;

- il a fait une juste appréciation du montant alloué au titre des frais divers ;

Sur les demandes du CHU de Nice :

- le CHU de Nice ne fait état d'aucun élément justifiant les frais médicaux et pharmaceutiques qu'il allègue avoir exposés.

Par un mémoire, enregistré le 15 avril 2024, la commune de Valbonne, représentée par la SELURL Phelip, agissant par Me Phelip, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice ;

2°) de rejeter les demandes de M. D... et du CHU de Nice ;

3°) de condamner solidairement les sociétés Atelier Barani et Montanoa à la garantir de l'intégralité des condamnations qui seraient prononcées à son encontre ;

4°) à titre subsidiaire, de ramener le montant des condamnations à de plus justes proportions ;

5°) en tout état de cause, de condamner le CHU de Nice à lui rembourser la somme de 43 344,57 euros correspondant à un trop perçu ;

6°) de mettre à la charge solidaire des sociétés Atelier Barani et Montanoa la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

Sur sa responsabilité :

- la chute de la porte a pour origine exclusive le défaut intrinsèque de celle-ci dont seuls les constructeurs devraient avoir à répondre ;

- la société Montanoa reste exclusivement responsable, vis-à-vis de la commune de Valbonne, des prestations défectueuses accomplies au titre du marché ;

Sur les préjudices de M. D... :

- M. D... a certainement été indemnisé de l'ensemble de ses préjudices par ses employeurs ;

- il n'établit pas qu'il n'aurait pas obtenu de remboursement de ses séances de rééducation, ni qu'il y a un lien entre celles-ci et l'accident ;

- il n'établit pas qu'il ne peut plus réaliser l'entretien de son jardin, qui sont sans relation avec l'accident ;

- il ne démontre pas que la franchise de sécurité sociale n'aurait pas été prise en charge par sa mutuelle ;

- il ne démontre pas avoir réglé à son employeur les frais de reprographie ;

- il ne produit aucune pièce établissant la réalité de l'assistance par une tierce personne qui lui aurait été fournie sur la période contestée ;

- les pertes de gains professionnels ne sont pas justifiées dans leur principe et leur quantum ;

- la somme allouée au titre des préjudices patrimoniaux permanents est excessive ;

- la somme attribuée au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires est totalement exorbitante ;

- la somme allouée au titre du déficit fonctionnel permanent ne saurait excéder 25 000 euros ;

- M. D... ne justifie pas de son préjudice d'agrément, la somme réclamée étant en tout état de cause exorbitante ;

- il ne démontre pas avoir subi un préjudice sexuel ;

Sur les demandes du CHU de Nice :

- le CHU de Nice est irrecevable, en appel, à demander le paiement des sommes correspondant aux dépenses relatives aux années 2020 et 2021 dont le montant total s'élève à 50 675,03 euros ;

- il n'existe pas de lien de causalité entre les salaires et charges réglées à compter du 1er février 2017 et l'accident subi par M. D... ;

- les frais médicaux ne sauraient être considérés comme justifiés pour la somme de 91 099,26 euros.

Par une lettre du 4 avril 2025, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que la cour est susceptible de soulever d'office un moyen d'ordre public tiré de l'irrecevabilité des conclusions d'appel provoqué présentées par le centre hospitalier universitaire de Nice dont la situation n'est pas aggravée par l'issue réservée à l'appel principal.

Par un mémoire, enregistré le 8 avril 2025, le centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice, représenté Me Broc, a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public.

Il fait valoir que :

- son appel provoqué est recevable à l'instar de celui des caisses de sécurité sociale sur le fondement de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ;

- il doit pouvoir former appel à tout moment en reprenant sa demande de première instance, augmentée le cas échéant pour tenir compte des prestations nouvelles versées et des charges supportées depuis l'intervention du jugement.

Par un mémoire, enregistré le 16 avril 2025, la société Montanoa, représentée par Me Debette, a présenté ses observations en réponse au moyen d'ordre public.

Elle fait valoir que :

- l'appel provoqué du CHU de Nice est irrecevable ;

- les conclusions présentées par M. D... n'aggravent pas la situation du CHU de Nice.

Par un mémoire, enregistré le 1er mai 2025, la société Atelier Barani, représentée par Me Dersy, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nice du 24 mai 2022 en tant qu'il l'a condamnée à garantir, à part égale avec la société Montanoa, la commune de Valbonne à hauteur de 70 % des condamnations prononcées à son encontre ;

2°) de rejeter les conclusions formées par le CHU de Nice, la commune de Valbonne et toutes autres parties à son encontre ;

3°) subsidiairement, de ramener le montant des sommes allouées à M. D... à de plus justes proportions ;

4°) encore subsidiairement, de condamner solidairement la commune de Valbonne et la société Montanoa à la garantir de toute condamnation qui pourrait être prononcée à son encontre ;

5°) de mettre à la charge solidaire de tout succombant la somme de 10 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les dépens.

Elle fait valoir que :

- les conclusions formées par le CHU de Nice à son encontre sont irrecevables car elles sont présentées pour la première fois en appel ;

- ces conclusions sont prescrites car présentées pour la première fois au-delà du délai de prescription quadriennale ;

- la responsabilité de la commune de Valbonne doit être engagée à l'encontre de M. D..., en sa qualité de propriétaire et donc de gardienne de l'ouvrage litigieux ainsi que du fait du manquement à ses obligations d'entretien de ce dernier ;

- sa responsabilité, en sa qualité d'architecte, ne peut être engagée ;

- subsidiairement, les préjudices dont M. D... demande l'indemnisation n'ont pas de lien direct et certain avec l'accident ;

- encore subsidiairement, les conclusions présentées par le CHU de Nice à son encontre ne sont pas détaillées.

Vu :

- les autres pièces du dossier ;

- l'ordonnance n° 1300796 du 26 juillet 2013 par laquelle le juge des référés du tribunal de Nice a condamné la commune de Valbonne à verser à M. D... la somme de 25 000 euros à titre de provision ;

- l'arrêt de la cour administrative d'appel de Marseille n° 13MA03303 du 19 juin 2014 condamnant la commune de Valbonne à verser au CHU de Nice la somme de 200 000 euros à titre de provision ;

- l'ordonnance n° 1501456 du 12 novembre 2015 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a condamné la commune de Valbonne à verser à M. D... une provision complémentaire de 15 000 euros et au CHU de Nice une provision complémentaire de 80 000 euros ;

- l'ordonnance n° 1801151 du 18 septembre 2018 par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Nice a condamné la commune de Valbonne à verser à M. D... une provision complémentaire de 32 000 euros et au CHU de Nice une provision complémentaire de 70 000 euros.

Vu :

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 ;

- la loi n° 96-370 du 3 mai 1996 ;

- l'ordonnance n° 59-76 du 7 janvier 1959 ;

- l'ordonnance n° 2017-53 du 19 janvier 2017 ;

- le décret n° 88-386 du 19 avril 1988 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le président de la cour a désigné Mme Rigaud, présidente assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222 26 du code de justice administrative, la formation de jugement.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Rigaud ;

- les conclusions de M. Gautron, rapporteur public ;

- les observations de Me Fernez, représentant M. D..., celles de Me Gillet, représentant le centre hospitalier universitaire de Nice, et celles de Me Bisson, substituant Me Dersy, représentant la société Atelier Barani.

Considérant ce qui suit :

1. M. D..., alors qu'il était en mission dans le cadre de ses activités de sapeur-pompier volontaire avec son groupe d'intervention, parallèlement à ses fonctions d'infirmier au centre hospitalier universitaire (CHU) de Nice, a été victime de la chute du portail du funérarium municipal mis à leur disposition par la commune de Valbonne. En tentant de ralentir la chute du portail qui était en train de se dégonder et ne parvenant pas à le retenir, il a été écrasé sous le poids de ce portail coulissant de 700 kg. M. D... a été transporté au service des urgences du CHU de Nice où lui ont été diagnostiquées de multiples fractures au niveau du bassin. Après avoir été pris en charge par les services de réanimation puis de traumatologie du CHU de Nice, M. D... a été admis, du 6 septembre 2010 au 22 septembre 2010 au centre de rééducation spécialisé Hélio marin de Vallauris. Il relève appel du jugement du 24 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Nice a condamné la commune de Valbonne à lui payer la somme de 188 970,44 euros.

Sur le bien-fondé du jugement :

Sur la responsabilité de la commune de Valbonne :

2. Aux termes de l'article 1-5 de la loi du 3 mai 1996 relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers : " Une protection sociale particulière est garantie au sapeur-pompier volontaire par la loi n° 91-1389 du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service. ". Aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires : " Le sapeur-pompier volontaire victime d'un accident survenu ou atteint d'une maladie contractée en service ou à l'occasion du service a droit, dans les conditions prévues par la présente loi : / 1° Sa vie durant, à la gratuité des frais médicaux, chirurgicaux, pharmaceutiques et accessoires ainsi que des frais de transport, d'hospitalisation et d'appareillage et, d'une façon générale, des frais de traitement, de réadaptation fonctionnelle et de rééducation professionnelle directement entraînés par cet accident ou cette maladie ; / 2° A une indemnité journalière compensant la perte de revenus qu'il subit pendant la période d'incapacité temporaire de travail ; / 3° A une allocation ou une rente en cas d'invalidité permanente. (...) ". Aux termes de l'article 19 de la même loi : " Les sapeurs-pompiers volontaires qui sont fonctionnaires, titulaires ou stagiaires, ou militaires bénéficient, en cas d'accident survenu ou de maladie contractée en service ou à l'occasion du service, du régime d'indemnisation fixé par les dispositions statutaires qui les régissent. / Les intéressés peuvent toutefois demander, dans un délai déterminé à compter de la date de l'accident ou de la première constatation médicale de la maladie, le bénéfice du régime d'indemnisation institué par la présente loi s'ils y ont intérêt. (...). ". L'article 20 de la même loi dispose que : " Aucun avantage supplémentaire ne peut être accordé par les collectivités locales et leurs établissements publics pour l'indemnisation des risques couverts par la présente loi. La présente loi s'applique à tous les sapeurs-pompiers volontaires, quel que soit le service dont ils dépendent ".

3. Ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les sapeurs-pompiers volontaires victimes d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle peuvent prétendre, au titre des préjudices liés aux pertes de revenus et à l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par cet accident ou cette maladie. Les dispositions du c de l'article 20 de la loi du 31 décembre 1991, éclairées par les travaux préparatoires de la loi du 31 juillet 1962 de finances rectificative pour 1962, desquelles elles sont issues, se bornent à exclure l'attribution d'avantages supplémentaires par les collectivités locales et leurs établissements publics au titre de cette réparation forfaitaire. Elles ne font, en revanche, pas obstacle à ce que le sapeur-pompier volontaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels obtienne de la personne publique auprès de laquelle il est engagé, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.

4. En l'espèce, il résulte de l'instruction que M. D... n'a pas opté pour le régime d'indemnisation institué par la loi du 31 décembre 1991 relative à la protection sociale des sapeurs-pompiers volontaires, comme le permet l'article 19 de cette loi. N'ayant pas opté pour ce régime d'indemnisation, il peut rechercher la responsabilité de la personne publique qu'il estime responsable de ses préjudices sur le fondement du défaut d'entretien normal en qualité d'usager de l'ouvrage public.

5. Il résulte de l'instruction que la commune de Valbonne a mis à la disposition du service départemental d'incendie et de secours, le local du funérarium municipal afin que les sapeurs-pompiers puissent s'y reposer et éventuellement y déjeuner. Dans ces conditions, M. D..., sapeur-pompier volontaire et agent du CHU de Nice, avait la qualité d'usager de l'ouvrage public dont le portail qui s'est effondré sur lui constitue un accessoire indispensable dès lors que son défaut rend impropre à sa destination ledit local.

6. Il appartient à l'usager d'un ouvrage public qui demande réparation d'un préjudice qu'il estime imputable à cet ouvrage de rapporter la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre celui-ci et le préjudice invoqué. La collectivité en charge de l'ouvrage public ne peut être exonérée de l'obligation d'indemniser la victime qu'en rapportant, à son tour, la preuve soit que cet ouvrage faisait l'objet d'un entretien normal, soit que le dommage est imputable à une faute de la victime ou à un cas de force majeure.

7. Il résulte de l'instruction, et notamment du rapport de M. A..., expert judiciaire nommé dans le cadre de la procédure pénale à laquelle a donné lieu l'accident survenu à M. D..., que la chute du portail est consécutive à la rupture des pièces métalliques de fixation et de roulement situées en partie haute et reliant l'ossature métallique du portail au rail horizontal. La commune de Valbonne fait valoir que l'origine de la chute du portail réside exclusivement dans des vices de conception et de pose de ce portail et que l'entretien de ce dernier était impossible. Selon l'expert judiciaire, la faiblesse initiale de la conception du portail est la cause première des ruptures ayant entraîné la chute du portail. Toutefois, la commune de Valbonne n'établit pas l'impossibilité qu'elle allègue d'avoir procédé à l'entretien de l'installation, conformément à la notice d'entretien dont elle a été destinataire après réception de l'ouvrage. L'expert précise qu'un entretien et des visites annuelles de routine auraient permis de déceler les anomalies et en particulier la rupture prématurée de l'axe du chariot central. La commune n'établit ainsi pas, comme il lui incombe pourtant, un entretien normal de l'ouvrage. C'est ainsi à bon droit que le tribunal administratif a retenu la responsabilité de la commune de Valbonne et l'obligation pour cette dernière de réparer les dommages affectant M. D....

Sur les préjudices :

8. Il résulte du rapport d'expertise du 3 juin 2019 que l'état de santé de M. D... peut être regardé comme consolidé le 21 août 2016.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux temporaires :

S'agissant des dépenses de santé actuelles :

9. M. D... demande le remboursement de séances d'actes de manipulations ostéopathiques à hauteur de 160 euros. Il résulte de l'instruction que, contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, le requérant justifie, en versant les factures correspondantes, s'être acquitté de frais, en lien avec son accident, d'un montant de 30 euros le 10 juin 2014 et le 23 février 2015, de 25 euros le 18 juin 2014, le 22 juillet 2014, le 2 septembre 2014 et le 1er décembre 2014. Il y a donc lieu de condamner la commune de Valbonne à verser au requérant la somme de 160 euros au titre des dépenses de santé actuelles restées à charge.

S'agissant des frais divers :

10. M. D... demande le paiement des honoraires du médecin-conseil, des franchises de sécurité sociale restées à sa charge et des frais de dossier médical. Il résulte de l'instruction que le requérant justifie avoir exposé de frais d'honoraires du médecin-conseil pour un montant de 1 000 euros. Il produit également la facture consécutive à la demande de dossier médical qu'il a déposée préalablement au déroulement de l'expertise médicale de première instance. Il s'est acquitté de la somme de 72,94 euros de frais de reproduction et d'envoi postal des documents médicaux. Il convient ainsi de condamner la commune de Valbonne à verser la somme de 1 072,94 euros au requérant.

S'agissant de l'assistance par une tierce personne :

11. Il résulte du rapport d'expertise que M. D... a eu besoin de l'assistance par une tierce personne à hauteur de 3 heures par jour sur la période du 23 septembre 2010 au 30 novembre 2010, puis de 2 heures par jour sur la période du 1er décembre 2010 au 1er juin 2011, et enfin d'1 heure par jour sur la période du 2 juin 2011 au 21 mars 2013. Il ne résulte pas de l'instruction que M. D... aurait perçu, au cours de la période, l'allocation personnalisée d'autonomie, la prestation de compensation de handicap ni même le crédit d'impôt prévu à l'article 199 sexdecies du code général des impôts. Sur la base d'un taux horaire moyen évalué à partir du salaire minimum interprofessionnel de croissance augmenté des charges sociales, qui s'établissait alors à 13 euros, et d'une année de 412 jours comprenant les congés payés et jours fériés, les frais au titre de l'aide d'une tierce personne sur cette période s'élèvent ainsi, comme l'ont justement retenu les premiers juges, à la somme de 18 078 euros.

S'agissant de la perte de gains professionnels actuels :

12. Il résulte de l'instruction qu'entre la date de l'accident, le 21 août 2010, et celle de la consolidation de son état de santé, le 21 août 2016, M. D... a subi une perte de ses vacations de sapeur-pompier volontaire d'un montant mensuel de 755 euros. Ainsi, les premiers juges ont fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en allouant à M. D... la somme de 54 360 euros.

13. M. D..., titulaire du diplôme d'Etat d'infirmier depuis le 30 novembre 2009, était, depuis le 1er décembre 2009 et à la date de l'accident, détaché dans le grade d'infirmier de classe normale de catégorie B stagiaire au sein du CHU de Nice. Il résulte de l'instruction que le requérant n'a pu être titularisé dans son emploi, à l'issue de l'année de stage, qu'en raison de son état de santé résultant de l'accident survenu le 21 août 2010 et a ainsi perdu une chance sérieuse d'occuper l'emploi d'infirmier titulaire à compter du 1er décembre 2010.

14. Il résulte de l'instruction que, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif, M. D... a subi une perte de revenus, liée à l'absence de primes de service d'un montant total de 12 177,70 euros, et à l'absence des indemnités pour les dimanches, jours fériés et travail de nuit d'un montant de 18 387 euros.

15. Le requérant demande également l'indemnisation de la perte de revenus liée à l'absence d'évolution et de passage d'échelon. Il résulte de l'attestation produite par le CHU de Nice qu'en l'absence de l'accident du 21 août 2010, M. D... aurait été titularisé dans le grade d'infirmier catégorie B, au 7e échelon, le 1er décembre 2010. Il en résulte qu'il aurait dû être promu au 8e échelon à compter du 1er décembre 2013 et que cette promotion n'est pas intervenue. En conséquence, il a effectivement subi une perte de revenus liée à l'absence de passage d'échelon du fait de l'accident. Néanmoins, M. D... n'aurait pu prétendre qu'au passage au 8e échelon et non au grade supérieur, l'avancement de grade n'étant pas un droit pour l'agent public, tandis que le 9e échelon de son grade a été supprimé par arrêté du 19 mai 2016 relatif à l'échelonnement indiciaire applicable aux corps régis par le décret n° 88-1077 du 30 novembre 1988, applicable au 1er janvier 2017, soit avant une potentielle acquisition du 9e échelon par le requérant. Cette perte de revenus s'élève ainsi à la somme de 4 993,09 euros.

16. Par suite, il sera fait une exacte évaluation des pertes de gains professionnels actuels en évaluant ce préjudice à la somme totale de 89 917,79 euros.

En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux permanents :

S'agissant des dépenses de santé futures :

17. M. D... demande l'indemnisation des frais de cures thermales annuelles nécessaires au regard de son état de santé consécutif à l'accident du 21 août 2010 et pour un montant total de 15 000 euros. Il résulte du rapport d'expertise que le requérant peut être admis à la prise en charge d'une cure thermale dans un cadre rhumatologique sans qu'il ne soit établi de date à partir de laquelle il n'en aurait plus le besoin. A défaut, la demande de M. D..., limitée à dix ans de cure, est justifiée par les pièces médicales versées. Le forfait thermal dans le cadre d'un traitement rhumatologique est établi à 641,90 euros par avenant à la convention nationale organisant les rapports entre les caisses d'assurance maladie et les établissements thermaux. Il résulte également du rapport d'expertise que l'état de santé du requérant nécessite 40 séances de rééducation fonctionnelle annuelles pour une durée de trois ans, postérieurement à la consolidation. Une séance de kinésithérapie, en tarif conventionné de secteur 1, coûte 16,13 euros. Par conséquent, il sera fait une exacte appréciation de ce chef de préjudice en allouant à M. D... la somme de 8 354,60 euros.

18. Le rapport d'expertise du 3 juin 2019 prévoit des frais annexes au titre de l'achat d'un siège de bain et d'un réhausseur de WC au titre des préjudices patrimoniaux temporaires avant consolidation. M. D... ne produit cependant aucun élément de nature à justifier de l'achat d'un tel matériel. Par suite, il n'est pas fondé à demande une indemnisation à ce titre.

S'agissant des frais d'entretien du jardin :

19. M. D... demande l'indemnisation des frais d'entretien du jardin de sa propriété pour un montant total de 32 400 euros. Il établit d'une part qu'il effectuait lui-même les travaux d'entretien de son jardin, et notamment d'élagage de la végétation, avant l'accident dont il a été victime en 2010, et d'autre part que ces travaux sont imposés par la copropriété dont relève son habitation afin que ses arbres n'empiètent pas sur les parties communes. Il résulte également de l'instruction, et notamment du rapport d'expertise que l'état séquellaire de M. D... l'empêche désormais de réaliser lui-même ces travaux et que cet entretien nécessite l'intervention annuelle d'une société de jardinage pour procéder à l'élagage de ses arbres. M. D... établit, par les factures qu'il produit, s'être acquitté de la somme de 3 600 euros, au paiement de laquelle il convient de condamner la commune de Valbonne. Ce préjudice ne présente toutefois, pour l'avenir, pas de caractère certain de sorte que M. D... n'est pas fondé à en demander l'indemnisation.

S'agissant de la perte de gains professionnels futurs :

20. M. D... évalue sa perte de gains professionnels futurs à 479 244,14 euros. Il résulte de l'instruction que M. D..., âgé de 55 ans à la date de la consolidation de son état de santé, pouvait exercer son activité de sapeur-pompier volontaire jusqu'à l'âge de 60 ans à partir duquel l'engagement de sapeur-pompier volontaire prend fin de plein droit. Les premiers juges ont retenu à bon droit la somme de 72 480 euros au titre de la perte des vacations de sapeur-pompier volontaire au motif qu'il a été déclaré définitivement inapte à toutes fonctions au sein des sapeurs-pompiers.

21. M. D... demande l'indemnisation d'une perte de pension au titre de son activité de sapeur-pompier. Si, à la lecture combinée des articles 5 et 11 du décret n°2017-912 du 9 mai 2017 relatif aux différentes prestations de fin de service allouées aux sapeurs-pompiers volontaires, il aurait pu prétendre au bénéfice d'une prestation de fidélisation et de reconnaissance, il est patent que celle-ci n'est toutefois ouverte qu'à partir d'au moins quinze ans d'ancienneté. Au moment de l'accident, le requérant, qui a commencé cette activité en 1997, n'avait que treize ans d'ancienneté. L'indemnisation de ce préjudice, qui ne revêt qu'un caractère hypothétique, sera, par suite rejetée.

22. M. D... présente également une demande d'indemnisation au titre des revenus qui lui seront versés à l'occasion de la liquidation de sa pension de retraite d'infirmier. Il résulte de l'instruction que l'intéressé n'a pas encore été admis à faire valoir ses droits à la retraite. Par suite, le préjudice allégué présente un caractère seulement éventuel et ne saurait donc donner lieu à réparation.

23. Le requérant se prévaut d'un préjudice lié à une perte de revenus résultant d'un passage à mi-traitement à compter du 1er février 2020. Aux termes des dispositions de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite, à l'exception des blessures ou des maladies contractées ou aggravées en service, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à sa mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident ". Les dispositions de l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires s'applique au : " fonctionnaire civil qui se trouve dans l'incapacité permanente de continuer ses fonctions en raison d'infirmités résultant de blessures ou de maladie contractées ou aggravées soit en service, soit en accomplissant un acte de dévouement dans un intérêt public, soit en exposant ses jours pour sauver la vie d'une ou plusieurs personnes ". Ainsi, M. D... ne pouvait prétendre au bénéfice des dispositions de l'article 41 de la loi du 9 janvier 1986 et conserver son plein traitement à la suite de l'accident du 21 août 2010.

24. Il résulte de l'instruction que M. D... a été détaché sur le poste d'infirmier de catégorie B le 1er décembre 2009 au 7e échelon. Il résulte de ce qui a été exposé aux points 13 et 15 que M. D... a perdu une chance sérieuse de passer au 8e échelon le 1er décembre 2013. En raison de l'accident du 21 août 2010, le requérant n'est passé au 8e échelon qu'au 1er janvier 2021. Le requérant peut ainsi obtenir la réparation du préjudice tiré du retard d'évolution et de passage d'échelon. Il résulte de la grille indiciaire du grade d'infirmier catégorie B que ce préjudice peut être évalué à la somme de 8 000,08 euros. En revanche, il n'est pas fondé à se prévaloir d'un préjudice résultant de l'absence de passage au grade supérieur, l'avancement de grade n'étant pas un droit pour l'agent public. Il résulte de ce qui précède que M. D... est fondé à demander la condamnation de la commune de Valbonne à lui verser la somme de 8 000,08 euros au titre de ce chef de préjudice.

25. Il résulte de l'instruction que le requérant a perçu, lors de son passage à demi-traitement à compter du 1er février 2020, un complément de revenu par le comité de gestion des œuvres sociales (CGOS). Contrairement à ce qu'il soutient, M. D... ne produit aucun élément de nature à établir qu'il n'a bénéficié de cette compensation que cinq mois par an. Par conséquent, il ne peut obtenir l'indemnisation que de la différence entre son salaire initial et les revenus qu'il percevait durant son congé longue maladie de la part du CHU de Nice et du CGOS entre le 1er mai 2020 et le 6 octobre 2022, date de début du congé pour invalidité temporaire imputable au service à partir duquel il a recommencé à bénéficier de son plein traitement. Par suite, le montant de ce chef de préjudice s'élève à 1 852,50 euros.

26. M. D... demande l'indemnisation de la perte de prime de service pour la période de 2017 jusqu'à l'âge de la retraite pour un montant total de 21 260,54 euros. Il résulte de l'instruction, notamment des attestations délivrées par le CHU de Nice au requérant qu'il n'a pu bénéficier de ses primes de services durant la période de 2011 à 2021 inclus du fait de l'arrêt de travail du 1er octobre 2010, lequel est en lien avec l'accident du 21 août 2010. Ainsi, M. D... est fondé à demander la réparation de la perte des primes pour la période de 2017 à 2021 inclus. Par suite, le montant total de ce chef de préjudice s'élève à 10 382,34 euros.

27. Il résulte de l'instruction que M. D... bénéficiait d'indemnités mensuelles au titre des services accomplis les dimanches, jours fériés et services de nuit s'élevant à 299,49 euros par mois pour la période du 21 août 2010 au 31 décembre 2014, de 301,41 euros par mois pour la période du 1er janvier 2015 au 30 juillet 2018 et la période du 1er août 2018 au 30 avril 2020. Par suite, le montant d'indemnisation de ce chef de préjudice s'élève à 34 962,02 euros.

28. Par suite, il sera fait une exacte évaluation des pertes de gains professionnels futurs en évaluant ce préjudice à la somme totale de 127 676,94 euros.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux temporaires :

S'agissant du déficit fonctionnel temporaire :

29. Il ressort du rapport d'expertise définitif que M. D... a présenté un déficit fonctionnel total du 21 août 2010 au 22 septembre 2010, de 75 % du 23 septembre 2010 au 30 novembre 2010, de 50 % du 1er décembre 2010 au 1er juin 2011, de 33 % du 2 juin 2011 au 21 mars 2013 et de 25 % du 22 mars 2013 au 20 août 2016, date de consolidation. Il sera fait une plus juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant la somme de 11 600,90 euros.

S'agissant des souffrances endurées :

30. Les souffrances endurées par M. D... ont été évaluées par l'expert à 4,5/7. En fixant l'indemnisation de ce préjudice à 10 000 euros, les premiers juges en ont fait une évaluation qui n'est ni insuffisante, ni excessive.

S'agissant du préjudice esthétique temporaire :

31. Le préjudice esthétique temporaire a été évalué par l'expert à 3/7. Les premiers juges en ont fait une juste appréciation en allouant à M. D... la somme de 3 500 euros.

En ce qui concerne les préjudices extra-patrimoniaux permanents :

S'agissant du déficit fonctionnel permanent :

32. Les premiers juges ont fait une juste appréciation du montant de l'indemnisation du préjudice tiré du déficit fonctionnel permanent dont souffre M. D... depuis la consolidation de son état de santé, évalué à 20 %, en lui attribuant la somme de 30 000 euros.

S'agissant de l'incidence professionnelle :

33. Il ressort du rapport d'expertise définitif déposé le 3 juin 2019 que M. D... est définitivement inapte à la pratique de la profession d'infirmier, ainsi qu'à l'activité de sapeur-pompier volontaire. Il demeure inapte à assumer toutes professions imposant la station debout et la marche prolongées et le port de charges lourdes. Par suite, les premiers juges ont fait une juste évaluation de ce préjudice en allouant la somme de 10 000 euros.

S'agissant du préjudice d'agrément :

34. Il résulte de l'instruction que M. D... subit un préjudice d'agrément définitif concernant la pratique du canyoning, la conduite des véhicules tout terrain, motocross et bateaux, les randonnées en montagne et le jardinage. Il en sera fait une juste appréciation en lui allouant à ce titre la somme de 3 000 euros.

S'agissant du préjudice sexuel :

35. Il résulte du rapport d'expertise médicale que M. D... souffre d'une gêne persistante lors des rapports sexuels, ainsi qu'une baisse de libido en rapport avec les troubles psychologiques présentés et traitement psychotrope y afférent. Ces troubles, consécutifs à l'accident du 21 août 2010, sont en lien direct avec celui-ci. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce chef de préjudice en allouant à M. D... la somme de 4 000 euros.

36. Il résulte de ce qui précède que la somme de 188 970,44 euros que la commune de Valbonne a été condamnée à payer à M. D... doit être portée à 320 961,17 euros.

Sur les conclusions de la commune de Valbonne à l'encontre du CHU de Nice :

37. La commune de Valbonne demande la condamnation du CHU de Nice à lui payer la somme de 43 344,57 euros en remboursement d'un trop perçu en exécution du jugement attaqué. Il résulte toutefois de l'instruction que le congé de longue maladie et le congé de longue durée dont a bénéficié M. D... sont en lien direct avec l'accident dont il a été victime le 21 août 2010. Les conclusions de la commune de Valbonne doivent donc, en tout état de cause, être rejetées.

Sur l'appel provoqué du CHU de Nice :

38. Un appel provoqué est recevable dès lors que l'appel principal est accueilli, que les conclusions ne soulèvent pas un litige distinct et que la décision rendue sur l'appel principal est susceptible d'aggraver la situation de l'auteur de l'appel provoqué.

39. Il résulte de ce qui vient d'être dit que le présent arrêt, statuant sur l'appel principal de M. D..., dirigé contre l'article 1er du jugement attaqué en ce qu'il fixe le montant que la commune de Valbonne est condamnée à lui payer en réparation de ses préjudices, n'aggrave pas la situation du CHU de Nice, lequel n'est en outre pas fondé à se prévaloir du régime prévu par l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale. Ses conclusions d'appel provoqué tendant à la réformation du jugement attaqué en tant qu'il condamne la commune de Valbonne à lui payer les sommes correspondant aux salaires et charges patronales versés à M. D..., présentées après l'expiration du délai d'appel, sont donc irrecevables et doivent être rejetées.

40. Les conclusions du CHU de Nice dirigées contre les sociétés Montanoa et Atelier Barani, qui n'ont pas été soumises aux premiers juges, ont le caractère de conclusions nouvelles en appel et sont, par suite, irrecevables.

Sur l'appel provoqué de la société Montanoa et de la société Atelier Barani :

41. Les sociétés Montanoa et Atelier Barani demandent que la responsabilité de la commune de Valbonne soit pleine et entière, d'infirmer le jugement rendu en ce qu'il les a condamnées à la relever et garantir à proportions égales à hauteur de 70 % des condamnations prononcées. Ces conclusions, présentées après l'expiration du délai d'appel ont le caractère d'appel provoqué.

42. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur ce fondement ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables. Il incombe au juge administratif, lorsqu'est recherchée devant lui la responsabilité décennale des constructeurs, d'apprécier, au vu de l'argumentation que lui soumettent les parties sur ce point, si les conditions d'engagement de cette responsabilité sont ou non réunies et d'en tirer les conséquences, le cas échéant d'office, pour l'ensemble des constructeurs.

43. Par ailleurs, la fin des rapports contractuels entre le maître d'ouvrage et l'entrepreneur, consécutive à la réception sans réserve d'un marché de travaux publics, fait obstacle à ce que, sauf clause contractuelle contraire, l'entrepreneur soit ultérieurement appelé en garantie par le maître d'ouvrage pour des dommages dont un tiers demande réparation à ce dernier, alors même que ces dommages n'étaient ni apparents ni connus à la date de la réception. Il n'en irait autrement que dans le cas où la réception n'aurait été acquise à l'entrepreneur qu'à la suite de manœuvres frauduleuses ou dolosives de sa part. Toutefois, si le dommage subi par le tiers trouve directement son origine dans des désordres affectant l'ouvrage objet du marché, la responsabilité de l'entrepreneur envers le maître d'ouvrage peut être recherchée sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs.

44. Il ressort du rapport de l'expert judicaire désigné dans le cadre de la procédure pénale que la principale cause de rupture des trois poulies, ayant entrainé la chute du portail, est due à la légèreté du système de fixation installé en partie haute, accentuée par l'utilisation de pièces métalliques facilement oxydables et par des sections insuffisantes au regard du poids et de la dimension du portail. Le métal constitutif des chariots ne présentait donc pas une résistance mécanique suffisante. Ce défaut de conception et de réalisation, auquel s'est ajouté un défaut d'entretien normal du système de coulissement, a rendu l'ouvrage impropre à sa destination. Dans ces conditions, la commune de Valbonne est fondée à appeler en garantie les sociétés Atelier Barani et Montanoa, chargées respectivement de la conception et de la réalisation du portail.

45. Dans ces conditions, et compte tenu de la part prise par les sociétés Montanoa et Atelier Barani dans la réalisation de l'ouvrage, le partage des responsabilités retenu par les premiers juges n'a pas lieu d'être modifié. Il y a donc lieu de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a condamné les sociétés Barani et Montanoa à garantir à parts égales la commune de Valbonne à hauteur de 70 % de la condamnation prononcée à l'encontre de cette dernière. L'appel en garantie formé par la société Montanoa à l'égard de la société Atelier Barani et celui formé par cette dernière contre la société Montanoa doivent donc être rejetés.

Sur la déclaration d'arrêt commun :

46. La caisse primaire d'assurance maladie du Var a fait valoir devant la cour qu'elle n'entendait pas intervenir dans l'instance. La caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes, appelée à la cause, n'a formulé aucune prétention. Par suite, il y a lieu de leur déclarer le présent arrêt commun.

Sur les conclusions de M. D... aux fins d'opposabilité du jugement :

47. Il résulte de l'instruction que la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes a été régulièrement appelée à présenter ses observations dans le cadre du présent litige. Par suite, le présent arrêt lui est opposable de ce seul fait.

Sur la charge des frais d'expertise :

48. Dans les circonstances de l'espèce, les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme totale de 3 210 euros sont laissés à la charge définitive de la commune de Valbonne.

Sur les frais liés au litige :

49. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de la commune de Valbonne la somme de 2 000 euros à payer à M. D... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce et en application des mêmes dispositions, il y a lieu de laisser à chacune des autres parties la charge des frais exposés et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 188 970,44 euros que la commune de Valbonne a été condamnée à payer à M. D... par l'article 1er du jugement du 24 mai 2022 du tribunal administratif de Nice est portée à 320 961,17 euros, sous déduction des provisions déjà versées et détaillées dans les visas.

Article 2 : Le présent arrêt est déclaré commun à la caisse primaire d'assurance maladie du Var et à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Nice du 24 mai 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 4 : La commune de Valbonne versera à M. D... la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés totale de 3 210 euros sont laissés à la charge définitive de la commune de Valbonne.

Article 6 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D..., au CHU de Nice, à la commune de Valbonne, au service départemental d'incendie et de secours des Alpes-Maritimes, à la société Atelier Barani, à la société Montanoa, à la caisse primaire d'assurance maladie du Var et à la caisse primaire d'assurance maladie des Alpes-Maritimes.

Copie en sera adressée au Dr B... C..., expert.

Délibéré après l'audience du 12 juin 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Rigaud, présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222 26 du code de justice administrative ;

- M. Mahmouti, premier conseiller ;

- M. Danveau, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 juin 2025.

2

N° 22MA02052


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de MARSEILLE
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22MA02052
Date de la décision : 27/06/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme RIGAUD
Rapporteur ?: Mme Lison RIGAUD
Rapporteur public ?: M. GAUTRON
Avocat(s) : SELARL PHELIP & ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 29/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-06-27;22ma02052 ?
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