Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... B... A... a demandé au tribunal administratif de Marseille, d'une part, d'annuler l'arrêté du 17 juin 2024 par lequel le préfet des Alpes de Haute-Provence l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et a prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an, d'autre part, d'enjoindre au préfet des Alpes de Haute-Provence de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour lui permettant de travailler, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter d'un délai de quinze jours suivant la notification du jugement.
Par un jugement n° 2406888 du 14 août 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Marseille a annulé l'arrêté du 17 juin 2024 du préfet des Alpes de Haute-Provence en tant qu'il fixe le pays de renvoi, a enjoint au préfet des Alpes de Haute-Provence de réexaminer la situation de M. B... A... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement en lui délivrant, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour, sous un délai de huit jours à compter de la notification du jugement, et a rejeté le surplus des conclusions de la requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 30 août 2024, le préfet des Alpes de Haute-Provence demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 14 août 2024 en tant qu'il a annulé son arrêté du 17 juin 2024 en ce qu'il fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. B... A....
Il soutient que :
- la décision, prévoyant que M. B... A... est éloigné vers le pays dont il possède la nationalité ou tout pays dans lequel il est légalement admissible, n'a pas pour effet de l'obliger à repartir en Afghanistan ;
- il ne lui appartenait pas de rechercher un pays qui aurait été en mesure d'accueillir M. B... A... ;
- sa demande d'asile a été rejetée par décisions de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) et de la cour nationale du droit d'asile (CNDA), ainsi que sa demande de réexamen.
Par un mémoire, enregistré le 4 octobre 2024, M. B... A..., représenté par Me Grebaut, demande à la cour de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle, de rejeter la requête du préfet des Alpes de Haute-Provence, de confirmer le jugement du tribunal administratif de Marseille en tant qu'il a annulé l'arrêté du 17 juin 2024 du préfet des Alpes de Haute-Provence en ce qu'il fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'État au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il fait valoir que :
- l'arrêté en litige n'exclut pas la possibilité d'un renvoi vers son pays d'origine, l'Afghanistan ;
- il établit être exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- il n'a jamais reçu notification d'une décision de l'OFPRA statuant sur sa demande de réexamen mais a été convoqué le 24 octobre 2024 pour qu'il soit statué sur cette demande ;
- le tribunal n'était pas lié par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA ayant rejeté sa demande d'asile.
Par une décision du 25 octobre 2024, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Marseille a admis M. B... A... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné Mme Rigaud, présidente assesseure de la 2ème chambre, pour présider, en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative, la formation de jugement.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties le jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Danveau.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant de nationalité afghane né le 7 janvier 1994, est entré irrégulièrement sur le territoire français le 30 septembre 2022. Il a présenté le 6 juillet 2023 une demande d'asile qui a été rejetée par une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 8 janvier 2024, confirmée par une décision de la cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 21 mai 2024. Par un arrêté du 17 juin 2024, le préfet des Alpes de Haute-Provence lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination et prononcé à son encontre une interdiction de retour d'une durée d'un an. Par un jugement du 14 août 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Marseille a annulé cet arrêté en tant qu'il fixe le pays de renvoi et a enjoint au préfet des Alpes de Haute-Provence de réexaminer la situation de M. B... A.... Le préfet des Alpes de Haute-Provence relève appel de ce jugement.
Sur la demande d'admission à l'aide juridictionnelle :
2. Aux termes de l'article 20 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Dans les cas d'urgence (...), l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle peut être prononcée par la juridiction compétente ou son président (...) ".
3. Par une décision du 25 octobre 2024, M. B... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dès lors, les conclusions présentées par l'intéressé tendant à ce que la cour l'admette au bénéfice de l'aide juridictionnelle sont devenues sans objet à la date du présent arrêt. Il n'y a, dès lors, plus lieu d'y statuer.
Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :
4. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / (...) / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. ". Aux termes des stipulations de l'article 3 de cette convention : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
5. Il appartient au préfet chargé de fixer le pays de renvoi d'un étranger qui fait l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français de s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, en application de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que les mesures qu'il prend n'exposent pas l'étranger à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. La personne à qui le statut de réfugié a été refusé ou retiré ne peut être éloignée que si, au terme d'un examen approfondi et complet de sa situation, et de la vérification qu'elle possède encore ou non la qualité de réfugié, il est conclu, en cas d'éloignement, à l'absence de risque au regard des stipulations précitées.
6. Si le préfet est en droit de prendre en considération les décisions qu'ont prises, le cas échéant, l'OFPRA ou la CNDA saisis par l'étranger d'une demande de protection internationale, l'examen et l'appréciation par ces instances des faits allégués par le demandeur et des craintes qu'il énonce, au regard des conditions mises à la reconnaissance de la qualité de réfugié par la convention de Genève du 28 juillet 1951 et à l'octroi de la protection subsidiaire par l'article L. 512-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ne lient pas le préfet, et sont sans influence sur l'obligation qui est la sienne de vérifier, au vu de l'ensemble du dossier dont il dispose, que les mesures qu'il prend ne méconnaît pas l'article L. 721-4.
7. S'il est saisi, au soutien de conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi, d'un moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'apprécier, dans les mêmes conditions, la réalité des risques allégués, sans qu'il importe à cet égard que l'intéressé invoque ou non des éléments nouveaux par rapport à ceux présentés à l'appui de sa demande d'asile.
8. La décision en litige précise que M. B... A... a l'obligation de quitter le territoire français " pour rejoindre le pays dont il possède la nationalité ou tout pays dans lequel il est légalement admissible (à l'exception d'un Etat membre de l'Union européenne, de l'Islande, du Liechtenstein, de la Norvège ou de la Suisse) ". Ce faisant, le préfet doit être regardé comme ayant décidé qu'il pourrait notamment être reconduit en Afghanistan. Il ressort toutefois des pièces du dossier que par une décision de l'OFPRA du 31 juillet 2024, confirmée par une décision de la CNDA du 21 mai 2024, la demande d'asile présentée par M. B... A... a été rejetée. Cette dernière décision précise notamment que si l'intéressé faisait valoir qu'il craignait d'être persécuté par les talibans en raison de son engagement dans l'armée nationale afghane, de sa responsabilité dans la destruction de matériel leur appartenant, de son profil " occidentalisé " et de son séjour en Europe pour y demander l'asile, ses explications, insuffisamment circonstanciées et non vraisemblables, en particulier sur son identité, sa nationalité et sa province d'origine, compte tenu notamment d'un faux document produit, sur son rôle dans un incendie de matériel des talibans et sur son appartenance à l'armée nationale afghane, n'ont pas permis d'établir une vulnérabilité particulière et les menaces dont il ferait personnellement l'objet. Si, postérieurement à cette décision, M. B... A... a produit, d'une part, l'attestation, postérieure à l'arrêté en litige, d'un tiers présenté comme un colonel de l'armée afghane confirmant sa collaboration au sein de l'armée, d'autre part, une lettre de convocation et de menaces des talibans qui lui serait adressée, mentionnant un village de résidence distinct de celui qu'il a déclaré à l'OFPRA, ces éléments apparaissent insuffisamment probants, et ne permettent pas, à eux seuls, d'établir que M. B... A... faisait partie des forces de sécurité nationale de l'ancien gouvernement afghan et serait personnellement exposé à un risque de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour dans son pays d'origine. Les éléments d'information d'ordre général relatifs à la situation générale actuelle en Afghanistan ne sauraient davantage démontrer une vulnérabilité spécifique à l'égard des forces talibanes résultant selon lui d'un profil " occidentalisé " qui pourrait lui être imputé en cas de retour en Afghanistan, lequel ne ressort en tout état de cause pas des seules attestations d'associations évoquant son intégration en France depuis son arrivée récente en septembre 2022 et de la présence de l'un de ses frères ayant acquis la nationalité française. Enfin, la circonstance, au demeurant non établie en dépit d'une mesure d'instruction adressée à cet effet, que sa demande d'asile, qui a été rejetée définitivement, serait en cours de réexamen est sans incidence sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi, le préfet faisant valoir du reste, au vu du relevé TelemOfpra qu'il produit, qu'une première demande de réexamen a été rejetée pour irrecevabilité par décision de l'OFPRA du 31 juillet 2024. Par suite, le préfet des Alpes de Haute-Provence est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé son arrêté du 17 juin 2024 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination.
9. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... A... devant le tribunal administratif de Marseille à l'encontre de la décision fixant le pays de destination.
Sur les autres moyens dirigés contre la décision fixant le pays de destination :
10. L'arrêté litigieux vise notamment les dispositions applicables du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. En outre, cette décision, qui mentionne la nationalité de M. B... A... et son entrée irrégulière en France le 30 septembre 2022, mentionne de manière précise et circonstanciée sa situation, et mentionne que l'intéressé n'a pas établi être exposé à des peines ou des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine. Ce faisant, la motivation de l'arrêté attaqué, qui n'a pas à exposer de manière exhaustive l'ensemble des éléments propres à la situation personnelle de M. B... A..., apparaît suffisante tant en droit qu'en fait. Par suite, le moyen tiré d'une insuffisance de motivation de cette décision doit être écarté.
11. Si M. B... A... soutient que le préfet des Alpes de Haute-Provence n'a pas examiné les risques encourus par lui en cas de retour en Afghanistan et s'est estimé à tort lié par les décisions de l'OFPRA et de la CNDA, il ressort cependant des termes mêmes de l'arrêté attaqué que le préfet, après avoir indiqué la nationalité afghane de M. B... A... puis constaté que sa demande d'asile, présentée le 6 juillet 2023, avait été rejetée par décisions de l'OFPRA et de la CNDA, a relevé que l'intéressé " [n'établissait] pas être exposé à des peines ou traitements contraires à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de retour dans son pays d'origine ", puis ajouté que la décision ne contrevenait pas à l'article 3 de la convention. Dès lors, le préfet doit être regardé comme ayant vérifié que le renvoi du requérant vers son pays d'origine n'était pas contraire à ces stipulations. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet se serait senti lié par les décisions prises par l'OFPRA et la CNDA et aurait entaché sa décision d'un défaut d'examen de la situation de M. B... A... doit être écarté.
12. Enfin, pour les mêmes motifs que ceux exposés aux points 8 et 11, le moyen tiré de ce que le préfet des Alpes de Haute-Provence aurait commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. B... A... doit être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Alpes de Haute-Provence est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Marseille a annulé son arrêté du 17 juin 2024 en tant qu'il fixe l'Afghanistan comme pays de destination de la mesure d'éloignement. Il y a lieu, par suite, d'annuler les articles 2 et 3 de ce jugement.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement de la somme demandée par le conseil de M. B... A... en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
D É C I D E :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... A... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 2 : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2406888 du 14 août 2024 de la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Marseille sont annulés.
Article 3 : La demande présentée par M. B... A... devant le tribunal administratif de Marseille et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. C... B... A... et à Me Grebaut.
Copie en sera adressée au préfet des Alpes de Haute-Provence.
Délibéré après l'audience du 12 juin 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Rigaud, présidente assesseure, présidant la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- M. Mahmouti, premier conseiller,
- M. Danveau, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 juin 2025.
N° 24MA02282 2