Vu la requête sommaire et le mémoire ampliatif enregistrés au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat le 7 septembre 1988 et le 6 janvier 1989 sous le n° 101759 et au greffe de la Cour administrative d'appel le 9 janvier 1989 sous le n° 89NC00793, présentée par la société anonyme "Compagnie industrielle des abrasifs", ayant son siège social ..., représentée par le président de son conseil d'administra-tion, venant aux droits et obligations de la société à responsabilité limitée "Compagnie industrielle des abrasifs - France" ayant précédemment son siège social à DOMBASLE- SUR-MEURTHE (54110), tendant à ce que la Cour :
- annule le jugement en date du 1er juillet 1988 par lequel le tribunal administratif de NANCY a rejeté la demande de la SARL "Compagnie industrielle des abrasifs - France" en décharge du complément de taxe sur la valeur ajoutée, ainsi que des pénalités y afférentes, auxquelles elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981 ;
- lui accorde la décharge des impositions contestées ;
Vu l'ordonnance du 2 janvier 1984 par laquelle le Président de la 9ème sous-section de la section du contentieux du Conseil d'Etat a transmis le dossier à la Cour administrative d'appel ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été dûment averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience du 9 octobre 1990 :
- le rapport de M. PIETRI, Conseiller,
- et les conclusions de Mme FELMY, Commissaire du Gouvernement ;
Considérant que la SARL "Compagnie industrielle des abrasifs - France" fait appel d'un jugement, en date du 1er juillet 1988, par lequel le tribunal administratif de NANCY a rejeté sa demande en décharge du supplément de taxe sur la valeur ajoutée auquel elle a été assujettie au titre de la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981 ;
Sur la recevabilité des conclusions relatives aux remboursements de frais :
Considérant que la société requérante a facturé à la "Compagnie industrielle des abrasifs S.A." les sommes correspondant, d'une part, à des achats de meules abrasives qui sont laissées gratuitement à la disposition de ses clients après que leur essai par ceux-ci s'avère négatif, d'autre part, à des frais d'opérations de virements bancaires effectués par la société requérante pour le règlement de ses factures d'achat à CIA Bruxelles S.A. ; que devant le tribunal administratif la société requérante a limité par un mémoire du 28 juin 1984 ses conclusions à la contestation de l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée des recettes provenant, d'une part, au titre de la période du 1er janvier au 31 décembre 1978, du remboursement des frais commerciaux afférents aux essais négatifs des meules abrasives, d'autre part, au titre de la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981, du remboursement des frais financiers ; que, dès lors, les conclusions relatives au non assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée de ces opérations pour la période du 1er janvier 1979 au 31 décembre 1981, constituent une demande nouvelle en appel et sont à ce titre irrecevables ;
Sur l'imposition des remboursements de frais :
Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 256 du code général des impôts dans sa rédaction applicable à la période d'imposition du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1979 : "1. Les affaires faites en France au sens des articles 258 et 259 sont passibles de la taxe sur la valeur ajoutée lorsqu'elles relèvent d'une activité de nature industrielle ou commerciale, quels qu'en soient les buts ou les résultats. 2. Cette taxe s'applique, quels que soient : d'une part, le statut juridique des personnes qui interviennent dans la réalisation des opérations imposables en leur situation au regard de tous autres impôts ; d'autre part, la forme ou la nature de leur intervention ..." ; que sont ainsi imposables toutes les opérations qui relèvent d'une activité industrielle ou commerciale même si, comme les recettes correspondant à des remboursements de frais, elles n'ont pas pour objet et ne peuvent pas avoir pour résultat la réalisation d'un profit ; que les sommes qui ont été, en l'espèce, versées à la SARL CIA France en remboursement de frais financiers et de frais commerciaux par la société CIA Bruxelles S.A., constituent des recettes de nature commerciale ; que, par suite, elles doivent être assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée en vertu de l'article 256 précité ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à soutenir que lesdites recettes n'entraient pas dans le champ d'application des dispositions dudit article 256 ;
Considérant, en second lieu, que la société requérante invoque sur le fondement de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales, la doctrine administrative exprimée par une note du 29 décembre 1975 selon laquelle, bien que les remboursements de frais soient passibles de la taxe sur la valeur ajoutée, "il ne sera procédé à aucune régularisation au titre du passé, à moins bien entendu que les redressements ne demeurent injustifiés au regard de la doctrine appliquée jusqu'ici", et par une réponse ministérielle à une question parlementaire, qui a précisé que cette note du 29 décembre 1975 avait entendu maintenir les instructions antérieures relatives à la non-imposition des remboursements de frais ; qu'il résulte tant des termes mêmes de cette réponse que de la référence faite par la note du 29 décembre 1975 à "la doctrine appliquée jusqu'ici", que ces documents ont eu pour seul objet d'indiquer que les instructions antérieures relatives à l'assujettissement à la taxe sur la valeur ajoutée du remboursement de frais continueraient à s'appliquer ; que ces instructions, qui sont en date du 15 juin 1969, précisent que, "lorsque plusieurs entreprises distinctes ayant entre elles des liens plus ou moins étroits confient à l'une d'entre elles l'exécution de tâches communes ... les sommes encaissées par cette entreprise et qui constituent le remboursement exact de fournitures ou de prestations de services à une autre entreprise ne constituent pas des affaires imposables à la taxe sur la valeur ajoutée" ; qu'ainsi ces instructions ne concernent que le cas particulier des remboursements de frais opérés entre des entreprises liées entre elles au profit de celle qui a été chargée d'une tâche commune ; que les remboursements de frais effectués par la société CIA S.A. à la société CIA France, qui ne justifie pas de l'exécution de tâches communes au sens des dispositions précitées, ne sont pas visés par ces instructions ; que, dès lors, la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir des dispositions de l'article L.80 A du livre des procédures fiscales ;
Sur le droit à déduction
Considérant qu'aux termes de l'article 271 du code général des impôts : "La taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les éléments du prix d'une opération imposable et déductible de la taxe sur les valeurs ajoutée applicable à cette opération" ; qu'aux termes de l'article 273 du même code : "1) Des décrets en Conseil d'Etat déterminent les conditions d'application de l'article 271. Ils fixent notamment ... les modalités suivant lesquelles la déduction de la taxe ayant grevé les biens en services qui ne sont pas utilisés exclusivement pour la réalisation des opérations imposables doit être limitée ou réduite" ; qu'en application l'article 238 de l'annexe II du même code dans sa rédaction antérieure au décret n° 79-1163 du 29 décembre 1979 dont les dispositions ont été applicables à compter du 1er janvier 1980 : "N'ouvrent pas droit à déduction : 1) les biens, objets ou denrées distribués sans rémunération ou moyennant une rémunération très inférieure à leur prix normal, notamment à titre de commission, salaire, gratification, rabais, bonification, cadeau, quelle que soit la qualité du bénéficiaire ou la forme de distribution. Cette exclusion ne concerne pas les objets de faible valeur conçus spécialement pour la publicité" ; que le même article dans sa rédaction issue du décret du 29 décembre 1979 dispose que : "N'est pas déductible la taxe ayant grevé : 1) des biens cédés et des services rendus sans rémunération ou moyennant une rémunération très inférieure à leur prix normal, notamment à titre de commission, salaire, gratification, rabais, bonification, cadeau, quelle que soit la qualité du bénéficiaire ou la forme de la distribution, sauf quand il s'agit de biens de faible valeur" ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la non-facturation des meules, dont les essais se sont révélés négatifs, par la société requérante à ses clients participe du processus de commercialisation mis en oeuvre par elle aux fins d'obtenir la vente de ses produits ; qu'il suit de là que cette pratique doit être analysée comme une opération entrant dans le champ d'application de l'article 271 précité et ouvrant à ce titre droit à déduction de la taxe sur la valeur ajoutée ayant grevé lesdits produits et non, ainsi que le prétend l'administration, comme une distribution ou cession sans rémunération de biens ou services au sens de l'article 238 sus rappelé de l'annexe III du code général des impôts ; que la société CIA France est dès lors fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif a rejeté sa demande tendant à ce qu'il soit accordé la décharge de la taxe sur la valeur ajoutée rappelée sur les meules non facturées à ses clients, et à laquelle elle a été assujettie pour la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981 ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de renvoyer la société requérante devant le directeur départemental des services fiscaux afin de déterminer le montant de la déduction ;
Article 1 : Il est accordé décharge du complément de taxe à la valeur ajoutée correspondant à la déduction de la taxe à la valeur ajoutée ayant grevé les meules non facturées pour la période du 1er janvier 1978 au 31 décembre 1981. La SARL "Compagnie industrielle des abrasifs France" est renvoyée devant le directeur départemental des services fiscaux pour le calcul du montant de cette déduction.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la société "Compagnie industrielle des abrasifs - France" est rejeté.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de NANCY en date du 1er juillet 1988 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société "Compagnie industrielle des abrasifs - France" et au ministre délégué, chargé du Budget.