Vu la requête, enregistrée le 8 septembre 2011 au greffe de la Cour sous le n° 11NC01514, présentée par le Préfet du Bas-Rhin ;
Le Préfet du Bas-Rhin demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1102694 en date du 30 août 2011 par lequel le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté en date du 12 mai 2011 par lequel il a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme Emma A, a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé l'Arménie comme pays de destination ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme A devant le Tribunal administratif de Strasbourg ;
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularité ; il vise un mémoire en réplique enregistré le 8 juillet 2011 qui ne lui a pas été communiqué ; si le Ttribunal a fondé son annulation sur des éléments nouveaux contenus dans ce mémoire, il encourt l'annulation, le principe du contradictoire ayant été méconnu ;
- il n'était pas tenu de saisir la commission du titre de séjour dès lors que Mme A ne remplissait pas effectivement les conditions pour obtenir un titre de séjour ;
- l'arrêté en tant qu'il refuse la délivrance d'un titre de séjour était suffisamment motivé en droit comme en fait ; il comprend les éléments propres à la situation de l'intéressée ;
- l'arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français n'a pas à être motivé en application de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'intimée n'est entrée en France qu'en décembre 2009, soit plus d'un an après le décès de son gendre ; sa fille a vécu seule avec ses trois enfants pendant 13 mois ; elle ne disposait d'un contrat de travail qu'à compter du 1er juin 2011, soit postérieurement à l'arrêté litigieux ; elle bénéficiait d'aides pour assurer l'entretien et la garde de ses enfants ; l'appelante ne démontre pas que sa fille ne peut embaucher quelqu'un pour assurer cette garde ; il n'est pas démontré que les grands-parents paternels des 3 enfants ne puissent apporter une aide morale ou financière ; par ailleurs, Mme A est mère de trois autres filles résidant en Arménie ; son père et ses deux soeurs y habitent également ; il pouvait à bon droit rejeter la demande de carte de séjour présentée sur le fondement de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; les stipulations de l'article 8 de la convention européennes de sauvegarde des droits de l'homme et de libertés fondamentales n'ont pas été méconnues ; l'arrêté n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la vie personnelle de Mme A ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2011, complété par mémoires enregistrés les 28 mars et 13 août 2012, présenté pour Mme Emma A, par Me Macé-Ritt, avocate, qui conclut au rejet de la requête et à ce que la Cour mette à la charge de l'Etat le paiement à Me Macé-Ritt, sous réserve d'une renonciation de sa part à l'indemnisation prévue par l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 196 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
Elle soutient que :
- le mémoire en réplique qu'elle a produit en première instance et qui a été enregistré le 8 juillet 2011 ne comprenait aucun moyen ou élément nouveau mais seulement des précisions ;
Sur le refus de titre de séjour :
- la commission du titre de séjour n'a pas été consultée contrairement à ce que prévoient les dispositions de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté comporte une motivation stéréotypée et donc insuffisante ;
- elle apporte aide et réconfort, tant sur un plan matériel qu'affectif, à sa fille, Burastan, et à ses trois jeunes petits-enfants, suite au décès de son gendre ; sa présence est indispensable à sa fille qui doit travailler dans un emploi supposant de grandes disponibilités horaires et qui n'a pas d'autres possibilités de garde entrant dans ses moyens financiers actuels ; la belle-famille de sa fille, qui vit à Tours, ne lui apporte aucun soutien ; pour sa part, ses autres enfants ne dépendent plus d'elle ; ainsi, le refus de lui délivrer un titre de séjour porte atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale ;
- en exécution du jugement, le préfet du Bas-Rhin lui a délivré le 18 octobre 2011 une carte de séjour temporaire portant mention " vie privée et familiale ", valable un an ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- l'arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français n'est pas motivé ;
- il est illégal du fait de l'illégalité de l'arrêté en tant qu'il porte refus de délivrance d'un titre de séjour ;
- pour les raisons sus-évoquées, il porte atteinte aux stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; il est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle et familiale ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de l'arrêté en tant qu'il porte refus de délivrance d'un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français ;
- elle aurait des conséquences d'une extrême gravité sur son état psychique puisqu'elle se trouverait éloignée à des milliers de kilomètres, impuissante à soulager la détresse de sa fille ;
Vu la décision du bureau d'aide juridictionnelle (section administrative d'appel) du tribunal de grande instance de Nancy en date du 19 janvier 2012 accordant l'aide juridictionnelle totale à Mme Emma A et désignant Me Macé-Ritt pour la représenter ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
Vu la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
Vu le code de justice administrative ;
Vu la décision du président de la formation de jugement de dispenser le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 octobre 2012 :
- le rapport de M. Tréand, premier conseiller ;
Sur la régularité du jugement :
1. Considérant qu'aux termes de l'article R. 611-1 du code justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux " ; qu'aux termes de l'article R. 741-2 du même code : " La décision mentionne que l'audience a été publique, sauf s'il a été fait application des dispositions de l'article L.731-1. Dans ce dernier cas, il est mentionné que l'audience a eu lieu ou s'est poursuivie hors la présence du public. / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. (..) " ;
2. Considérant que Mme A a produit un mémoire complémentaire daté du 6 juillet 2011, qui a été enregistré au greffe du Tribunal administratif de Strasbourg le 8 juillet 2011, soit postérieurement à l'audience qui était fixée au 7 juillet 2011 ; que, conformément aux dispositions du deuxième alinéa de l'article R. 741-2 du code de justice administrative, les premiers juges l'ont mentionné dans les visas du jugement ; que, toutefois, ce mémoire qui ne contenait aucun élément nouveau sur lequel le tribunal aurait fondé son jugement n'a pas été communiqué au Prefet du Bas-Rhin, les dispositions du dernier alinéa de l'article R. 611-1 du code justice administrative ne l'imposant pas ; qu'ainsi, le principe du contradictoire n'a pas été méconnu ;
Sur la légalité de l'arrêté du préfet du Bas-Rhin en date du 12 mai 2011 :
3. Considérant que suite au suicide de son gendre en octobre 2008, Mme A, de nationalité arménienne, est entrée en France en décembre 2009 afin d'apporter aide et réconfort, tant sur un plan matériel qu'affectif, à sa fille, Burastan B, âgée de vingt-cinq ans, et à ses trois jeunes petits-enfants, nés en 2005, 2006 et 2007 ; que sa fille, qui est en situation régulière, avait trouvé un emploi s'effectuant sur différents sites et nécessitant de très larges disponibilités horaires journalières du lundi au samedi ; que, dans ce contexte, en raison des difficultés tant pratiques que financières qu'occasionnerait le recours à des modes de garde classiques, Mme B ne bénéficiant que d'un salaire modeste lié à son emploi à temps partiel, la présence de Mme A apparaissait indispensable pour assurer une prise en charge constante de ses petits-enfants et permettre à sa fille de s'insérer professionnellement durablement ; qu'il n'est par ailleurs pas sérieusement contesté que la belle-famille de sa fille, qui vit à Tours, n'apporte aucun soutien à cette dernière ; qu'ainsi, en dépit de la brièveté de son séjour en France et de l'existence de ses trois autres filles, dont il n'est toutefois pas soutenu qu'elles ne soient pas autonomes et qu'elles dépendent de l'appelante, qui est par ailleurs veuve, l'arrêté litigieux en tant qu'il rejette la demande de titre de séjour de Mme A et lui fait obligation de quitter le territoire français doit être considéré comme ayant porté au droit de l'intéressée au respect de sa privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et a, par suite, méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'il est également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences, qui sont d'une particulière gravité, sur la situation personnelle et familiale de Mme A ; que la décision fixant le pays de destination doit, par voie de conséquence être considérée comme entachée d'illégalité ;
4. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le Prefet du Bas-Rhin n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Strasbourg a annulé l'arrêté en date du 12 mai 2011 par lequel il a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme Emma A, a assorti son refus d'une obligation de quitter le territoire français et a fixé l'Arménie comme pays de destination ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et des dispositions de la loi du 10 juillet 1991 :
5. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi susvisée du 10 juillet 1991 : " L'avocat du bénéficiaire de l'aide juridictionnelle peut demander au juge de condamner, dans les conditions prévues de l'article 75, la partie tenue aux dépens ou qui perd son procès et non bénéficiaire de l'aide juridictionnelle, une somme au titre des frais que le bénéficiaire de l'aide aurait exposés s'il n'avait pas eu cette aide. Il peut, en cas de condamnation, renoncer de percevoir la somme correspondant de la part contributive de l'Etat et poursuivre le recouvrement de son profit de la somme allouée par le juge " ; que Mme A a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que, par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles 37 et 75 de la loi du 10 juillet 1991 ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Mace-Ritt, avocate de Mme Emma A, renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros au bénéfice de Me Mace-Ritt ;
D É C I D E :
Article 1er : La requête susvisée du Prefet du Bas-Rhin est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera, en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, une somme de 1 000 € (mille euros) à Me Macé-Ritt, sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme Emma A.
Copie en sera adressée au préfet du Bas-Rhin.
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