Vu la procédure suivante :
Par une requête enregistrée le 7 mai 2019, la société Fe Sainte-Anne, représentée par MeA..., demande au juge des référés :
1°) d'ordonner, sur le fondement des dispositions de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de la décision du 26 février 2019 par laquelle le préfet de la Haute-Marne a refusé de modifier les conditions d'exploitation des éoliennes E 3, E 5 et E 7 du parc éolien de Châteauvillain et lui a enjoint de présenter une nouvelle demande d'autorisation environnementale, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision ;
2°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'urgence est constituée dès lors que la décision préjudicie de manière grave et immédiate à sa situation pour trois raisons :
- en premier lieu, cette décision risque de lui faire perdre le bénéfice du tarif d'achat dit E 14 de l'électricité dès lors que les éoliennes devaient être mises en service le 31 décembre 2018 au plus tard pour bénéficier de cette obligation d'achat à ce tarif ; si le ministre a accepté de prolonger jusqu'au 30 avril 2019 le délai de mise en service des éoliennes, la décision contestée l'empêche toutefois de les mettre en service ; en outre, le préfet imposant le dépôt d'une nouvelle demande d'autorisation environnementale, elle risque de perdre le bénéfice du tarif d'achat E 14 alors que la différence de prix est importante puisque le tarif d'achat est de 8,254 € le kWh contre 4,30 € au tarif du marché ;
- en deuxième lieu, la décision contestée a pour effet de retarder le chantier de construction des éoliennes ainsi que la mise en service et l'exploitation effective ; ce retard sera à l'origine d'un manque à gagner important alors qu'elle a investi près de 7 millions d'euros et que le déficit d'exploitation de l'année 2018 est de près de 400 000 euros ;
- en troisième lieu, la décision contestée menace de péremption les permis de construire qui lui ont été transférés par la société Innovent et dont elle a obtenu la prorogation le 31 mai 2018 pour une durée d'un an ;
- l'intérêt public qui s'attache à la décision préfectorale est hypothétique ;
- les moyens invoqués sont de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ;
- en effet, le préfet a méconnu les règles de la procédure contradictoire dès lors que le silence gardé pendant deux mois à compter de la réception de sa demande valait décision implicite d'acceptation ; il appartenait donc au préfet d'engager une procédure contradictoire avant de retirer cette décision individuelle créatrice de droits ;
- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des articles L. 181-14 et R. 181-46 du code de l'environnement dès lors que le changement de mâts ne porte pas atteinte à la sécurité ou à la salubrité publique ni aux intérêts paysagers de la zone et n'est pas davantage de nature à porter atteinte aux intérêts écologiques.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 juin 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Le ministre soutient que :
- le litige ne relève pas de la compétence matérielle de la cour administrative d'appel ; si les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître des litiges portant sur des décisions relatives aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent énumérées à l'article R. 311-5 du code de justice administrative, elles ne sont pas compétentes pour statuer sur les décisions préfectorales prises à la suite de demandes de modification des activités ou installations telles que définies à l'article R. 181-46 du code de l'environnement tant en référé qu'au fond ;
- la condition d'urgence n'est pas remplie dès lors que la société Fe Sainte-Anne est elle-même à l'origine du retard de son projet en sollicitant, plusieurs années après avoir obtenu les autorisations requises, la modification de la structure des mâts des éoliennes ; elle a donc créée elle-même la situation d'urgence dont elle se prévaut ; elle n'établit pas le manque à gagner qui résulterait de la décision contestée et n'établit pas qu'elle ne pourrait bénéficier d'une nouvelle prorogation du bénéfice de l'obligation d'achat ; l'intérêt général qui s'attache à la préservation de l'environnement s'oppose à la demande de suspension dès lors que la modification de l'aspect des mâts risque de modifier les impacts paysagers ; l'arrêté de prorogation de la mise en service des installations étant devenu caduc depuis le 30 avril 2019, la requérante doit déposer une nouvelle demande d'autorisation ;
- les moyens invoqués ne sont pas de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision attaquée ; en effet, le silence du préfet sur un " porter-à-connaissance " prévu par les articles L. 181-14 et R. 181-46 du code de l'environnement ne fait pas nécessairement naître de décision implicite d'acceptation mais conduit l'administration à imposer, s'il y a lieu, des prescriptions complémentaires ou en cas de modifications substantielles à inviter l'exploitant à présenter une nouvelle demande d'autorisation ; la décision contestée ne s'analyse donc pas comme le retrait d'une décision créatrice de droits nécessitant la mise en oeuvre d'une procédure contradictoire ; la décision contestée est suffisamment motivée ; elle n'est pas entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors que les modifications envisagées présentent un caractère substantiel compte tenu de l'impact du projet sur les sites et paysages.
Par un mémoire, enregistré le 18 juin 2019, la société Fe Sainte-Anne conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; elle soutient en outre que :
- le litige relève de la compétence matérielle de la cour administrative d'appel, l'ensemble du contentieux éolien terrestre ayant été confié aux cours ; la décision attaquée qui refuse la modification de l'exploitation fait partie des décisions énumérées au 20° de l'article R. 311-5 du code de justice administrative ;
- l'urgence est constituée dès lors que les retards accumulés dans la réalisation de son projet sont imputables à des causes indépendantes de sa volonté ; aucun intérêt public tiré de la protection des paysages ne s'attache à l'exécution de la décision ; l'autorisation d'exploiter n'est pas caduque.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le décret n° 2018-1054 du 29 novembre 2018 ;
- le code de l'environnement ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision dont la suspension est demandée.
Vu la décision de la présidente de la cour désignant M. Meslay, président de chambre, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 19 juin 2019 à 14 h :
- le rapport de M. Meslay, juge des référés ;
- les observations orales de MeB..., représentant la société Fe Sainte Anne, ainsi que celles de MmeD... ; la société Fe Sainte Anne persiste dans les conclusions de sa requête par les mêmes moyens ;
- les observations de M. C..., représentant le ministre de la transition écologique et solidaire qui conclut au rejet de la requête.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 19 juin 2019 à 21h49, présentée par la société Fe Sainte Anne qui n'a pas été communiquée.
Vu la note en délibéré, enregistrée le 21 juin 2019, présentée par le ministre de la transition écologique et solidaire qui n'a pas été communiquée.
Considérant ce qui suit :
1. Par courrier du 21 décembre 2018, la société Fe Sainte Anne a porté à la connaissance du préfet de la Haute-Marne les modifications qu'elle envisageait d'apporter à ses installations, concernant trois éoliennes de son parc éolien, autorisé par arrêté du 30 novembre 2016, portant sur la structure des mâts des éoliennes E3, E5 et E7 qu'elle envisageait de construire en structure hybride (acier et panneaux de bois). Par décision du 26 février 2019, le préfet de la Haute-Marne a refusé de modifier les conditions d'exploitation des éoliennes E 3, E 5 et E 7 du parc éolien de Châteauvillain et lui a enjoint, si elle souhaitait maintenir ce projet, de présenter une nouvelle demande d'autorisation environnementale. La société Fe Sainte Anne, qui a demandé le 26 avril 2019 au tribunal administratif de Châlons-en-Champagne d'annuler cette décision du 26 février 2019, a également demandé à ce tribunal la suspension de son exécution. Par deux ordonnances des 3 mai et 6 mai 2019, le président du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne a, d'une part, rejeté la requête en référé-suspension présentée par la société Fe Sainte Anne sur le fondement de l'article R. 522-8-1 du code de justice administrative et, d'autre part, transmis la requête au fond à cette cour en application de l'article R. 351-3 du code de justice administrative. La société Fe Sainte Anne demande au juge des référés de cette cour la suspension de l'exécution de la décision précitée du 26 février 2019.
Sur la compétence de la cour :
2. Le ministre soutient que si les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître des litiges portant sur des décisions relatives aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent énumérées à l'article R. 311-5 du code de justice administrative, elles ne sont pas compétentes pour statuer sur les décisions prises à la suite de demandes de modification des activités ou installations telles que définies à l'article R. 181-46 du code de l'environnement.
3. D'une part, aux termes de l'article R. 311-5 du code de justice administrative : " Les cours administratives d'appel sont compétentes pour connaître, en premier et dernier ressort, des litiges portant sur les décisions suivantes, y compris leur refus, relatives aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent classées au titre de l'article L. 511-2 du code de l'environnement, à leurs ouvrages connexes, ainsi qu'aux ouvrages de raccordement propres aux producteurs et aux premiers postes du réseau public auxquels ils sont directement raccordés : 1° L'autorisation environnementale prévue par l'article L. 181-1 du code de l'environnement ; (...) 8° L'autorisation d'exploiter une installation de production d'électricité prévue par l'article L. 311-1 du code de l'énergie ; (...) 20° Les décisions modifiant ou complétant les prescriptions contenues dans les autorisations mentionnées au présent article. ". Le décret n° 2018-1054 du 29 novembre 2018 instituant ces dispositions du code de justice administrative est entré en vigueur le lendemain de sa publication conformément aux dispositions de son article 26. Ces dispositions étaient donc entrées en vigueur à la date d'édiction de la décision contestée et sont applicables au présent litige.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 181-14 du code de l'environnement : " Toute modification substantielle des activités, installations, ouvrages ou travaux qui relèvent de l'autorisation environnementale est soumise à la délivrance d'une nouvelle autorisation, qu'elle intervienne avant la réalisation du projet ou lors de sa mise en oeuvre ou de son exploitation. En dehors des modifications substantielles, toute modification notable intervenant dans les mêmes circonstances est portée à la connaissance de l'autorité administrative compétente pour délivrer l'autorisation environnementale dans les conditions définies par le décret prévu à l'article L. 181-31. / L'autorité administrative compétente peut imposer toute prescription complémentaire nécessaire au respect des dispositions des articles L. 181-3 et L. 181-4 à l'occasion de ces modifications (...) ". Il résulte des dispositions de l'article R. 181-46 du code de l'environnement que lorsque des modifications substantielles sont apportées à des activités, installations, ouvrages ou travaux qui relèvent de l'autorisation environnementale, l'exploitant doit solliciter la délivrance d'une nouvelle autorisation environnementale soumise aux mêmes formalités que l'autorisation initiale. En revanche, lorsque des modifications notables, mais non substantielles, sont apportées aux activités, installations ou ouvrages, le préfet fixe, s'il y a lieu, des prescriptions complémentaires en vertu du II du même article, ou adapte l'autorisation environnementale dans les formes prévues à l'article R. 181-45.
5. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la décision par laquelle l'administration accepte ou refuse, comme en l'espèce, de modifier ou de compléter les prescriptions contenues dans les autorisations mentionnées à l'article 23 du décret du 29 novembre 2018 entre dans la catégorie des décisions énumérées au 20° de l'article R. 311-5 du code de justice administrative. Les conclusions tendant à la suspension de l'exécution de la décision du 26 février 2019 par laquelle le préfet de la Haute-Marne a refusé de modifier les conditions d'exploitation des éoliennes E 3, E 5 et E 7 relèvent dès lors de la compétence matérielle de la cour en application des dispositions précitées de l'article R. 311-5 du code de justice administrative.
Sur les conclusions aux fins de suspension :
6. Aux termes de l'article L. 521-1 du code de justice administrative : " Quand une décision administrative, même de rejet, fait l'objet d'une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d'une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l'exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l'urgence le justifie et qu'il est fait état d'un moyen propre à créer, en l'état de l'instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ".
7. L'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre, à un intérêt public ou à d'autres intérêts privés individuels ou collectifs légitimes. Il appartient au juge des référés d'apprécier globalement et concrètement, compte tenu des éléments fournis par le requérant et des différents intérêts en présence, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue.
8. Pour justifier de l'urgence, la société requérante invoque trois séries de considérations. Elle soutient, tout d'abord, que la décision contestée aura pour effet de lui faire perdre le bénéfice du tarif (dit E 14) de l'électricité, fixé à un prix plus élevé que celui du marché, dès lors que la date de mise en service de ses installations expirait le 30 avril 2019. A supposer cette affirmation avérée, la perte de ce tarif est imputable à la requérante qui n'a pas mis en oeuvre l'autorisation d'exploiter qui lui avait été accordée par arrêté du 30 novembre 2016 modifié notamment par arrêté du 5 octobre 2017 dans des délais prévus par cette autorisation. Elle fait valoir ensuite que la décision attaquée a pour effet de retarder le chantier de construction des éoliennes ainsi que leur exploitation effective et que ce retard sera à l'origine d'un manque à gagner important alors qu'elle a investi près de 7 millions d'euros et que le déficit d'exploitation de l'année 2018 s'élève à près de 400 000 euros. Toutefois, à supposer ces montants d'investissement et de perte d'exploitation établis, le refus contesté n'est pas la cause directe de ces investissements et de ce déficit. Par ailleurs le manque à gagner invoqué n'est pas sérieusement chiffré et n'est que la conséquence du comportement et de la stratégie technologique, quelle que soit son bien-fondé, de la société Fe Sainte-Anne qui n'a pas mise en oeuvre l'autorisation dont elle bénéficiait. La requérante soutient enfin que la décision contestée menace de péremption les permis de construire qui lui ont été transférés par la société Innovent et dont elle a obtenu la prorogation pour un an. La décision attaquée n'a pas pour effet de frapper de péremption ces permis de construire et leur péremption éventuelle n'est que la conséquence de l'absence d'achèvement des travaux de construction qui résulte de décisions de la société Fe Sainte-Anne. Ainsi, les considérations invoquées, à les supposer établies, ne sont pas de nature à établir l'existence d'une situation d'urgence justifiant la suspension de la décision attaquée. En outre, la société requérante ne saurait invoquer, pour justifier de l'urgence, une situation dans laquelle elle s'est elle-même, au moins partiellement, placée, en ne mettant pas en oeuvre l'autorisation dont elle était titulaire en raison notamment d'un changement de stratégie technologique.
9. Dans ces conditions, la condition d'urgence n'est pas remplie et les conclusions aux fins de suspension de la décision contestée, présentées sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de justice administrative, et celles tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la société Fe Sainte Anne est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la société Fe Sainte Anne et au ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Marne.
Fait à Nancy, le 25 juin 2019.
Le juge des référés,
Signé : P. Meslay
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et solidaire en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme,
La greffière,
S. Robinet
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N° 19NC01381