Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
Le préfet du Doubs a demandé au juge des référés du tribunal administratif de Besançon de prononcer, sur le fondement des dispositions de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales, repris à l'article L. 554-1 du code de justice administrative, la suspension de l'exécution de l'arrêté du 17 mai 2019 par lequel le maire d'Audincourt a interdit l'utilisation de tout produit contenant du glyphosate sur l'ensemble du territoire de la commune, jusqu'à ce qu'il soit statué au fond sur la légalité de cette décision.
Par une ordonnance n° 1901465 du 16 septembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon a suspendu l'exécution de cet arrêté.
Procédure devant la cour
I. Par une requête, enregistrée le 28 septembre 2019 sous le n° 19NC02902, la commune d'Audincourt, représentée par Me B..., demande au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance du 16 septembre 2019 ;
2°) de rejeter le déféré du préfet du Doubs ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- à titre principal, la demande de première instance était doublement irrecevable, étant introduite par un auteur incompétent et tardive ;
- à titre subsidiaire, l'ordonnance est irrégulière à défaut d'avoir répondu à son moyen en défense tiré de l'existence d'un péril imminent résultant de la carence de l'Etat et en raison de la contradiction entachant les motifs et le dispositif qui ordonne la suspension tout en ayant constaté la carence de l'Etat ;
- à titre subsidiaire, en l'absence de doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté en litige dans la mesure où la clause générale de compétence qui existe au profit des communes et l'application du principe de précaution l'autorisaient à adopter la mesure litigieuse. Le maire était même dans l'obligation de la faire afin de protéger les personnes vulnérables au sens du règlement (CE) n° 1107/2009 du parlement européen et du conseil du 21 octobre 2009.
Par un mémoire enregistré le 6 novembre 2019, le préfet du Doubs conclut au rejet de la requête.
Il soutient que sa demande était recevable, que l'ordonnance n'est pas irrégulière et que les moyens soulevés ne sont pas fondés.
Vu la décision dont la suspension est demandée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- le règlement (CE) n° 1107/2009 du parlement européen et du conseil du 21 octobre 2009.
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code rural et de la pêche maritime ;
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Vu la décision de la présidente de la cour désignant M. C..., président de chambre, pour statuer sur les demandes de référé.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le juge des référés a, au cours de l'audience publique du 28 novembre 2019 à 10h00, présenté son rapport et entendu les observations de Me A..., pour la commune d'Audincourt, qui persiste dans les conclusions de sa requête par les mêmes moyens et soutient en outre que le préfet n'établit pas avoir été empêché de signer la requête le 30 août 2019.
La clôture de l'instruction a été prononcée à l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 17 mai 2019, le maire d'Audincourt a interdit l'utilisation de tout produit contenant du glyphosate sur l'ensemble du territoire de la commune. Par une ordonnance du 16 septembre 2019, le juge des référés du tribunal administratif de Besançon, au motif que le moyen tiré de l'incompétence du maire d'Audincourt pour réglementer l'utilisation des produits phytopharmaceutiques sur le territoire de sa commune était, en l'état de l'instruction, propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté contesté, a fait droit à la demande du préfet du Doubs que soit ordonnée la suspension de l'exécution de cet arrêté. La commune d'Audincourt demande au juge des référés de la cour administrative d'appel de prononcer l'annulation de cette ordonnance et de rejeter la demande du préfet du Doubs.
Sur la régularité de l'ordonnance :
2. La commune d'Audincourt soutient que le juge des référés a insuffisamment motivé son ordonnance en n'exposant pas les arguments qu'elle a développés pour contester l'existence d'un doute sérieux sur la légalité de sa décision, notamment l'existence d'un péril imminent susceptible de justifier la compétence de son maire. Toutefois, eu égard à son office, le juge des référés, lequel a au demeurant visé ce moyen en défense, ne commet pas d'irrégularité lorsque, pour faire droit à la demande de suspension, il se borne à désigner les moyens de la requête qu'il regarde comme de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision contestée. Pour le même motif, la commune ne peut utilement soutenir que l'ordonnance serait irrégulière en raison d'une contradiction entachant les motifs et le dispositif qui ordonne la suspension tout en ayant constaté la carence de l'Etat. Ces moyens doivent donc être écartés.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
3. En premier lieu, aux termes du I de l'article 45 du décret du 29 avril 2004 relatif aux pouvoirs des préfets, à l'organisation et à l'action des services de l'Etat dans les régions et départements : " En cas d'absence ou d'empêchement du préfet, sans que ce dernier ait désigné par arrêté un des sous-préfets en fonction dans le département pour assurer sa suppléance, celle-ci est exercée de droit par le secrétaire général de la préfecture. / En cas de vacance momentanée du poste de préfet, l'intérim est assuré par le secrétaire général de la préfecture (...) ". Il ressort des pièces du dossier que la requête a été signée le 30 août 2019 par M. Setbon, secrétaire général de la préfecture assurant la suppléance du préfet, absent. Il n'est pas établi que le préfet du Doubs n'aurait pas été absent ou empêché lors de la signature de l'arrêté litigieux. La commune d'Audincourt n'est dès lors pas fondée à soutenir que, signée par le secrétaire général de la préfecture, la requête était irrecevable.
4. En second lieu, un recours gracieux ayant été adressé au maire d'Audincourt le 20 juin 2019 à l'encontre de l'arrêté du 17 mai 2019, implicitement rejeté le 20 août 2019, le délai de recours contentieux n'était pas expiré le 30 août 2019 lorsque la requête du préfet du Doubs a été introduite.
Sur le bien-fondé de l'ordonnance attaquée :
5. Aux termes de l'article L. 2122-24 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de l'exercice des pouvoirs de police, dans les conditions prévues aux articles L. 2212-1 et suivants. ". Aux termes de l'article L. 2212-1 du même code : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'Etat dans le département, de la police municipale, de la police rurale et de l'exécution des actes de l'Etat qui y sont relatifs. ". L'article L. 2212-2 du même code précise que : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : (...) 5° Le soin de prévenir, par des précautions convenables, et de faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux ainsi que les pollutions de toute nature, tels que les incendies, les inondations, les ruptures de digues, les éboulements de terre ou de rochers, les avalanches ou autres accidents naturels, les maladies épidémiques ou contagieuses, les épizooties, de pourvoir d'urgence à toutes les mesures d'assistance et de secours et, s'il y a lieu, de provoquer l'intervention de l'administration supérieure (...) ". L'article L. 2212-4 prévoit que : " En cas de danger grave ou imminent, tel que les accidents naturels prévus au 5° de l'article L. 2212-2, le maire prescrit l'exécution des mesures de sûreté exigées par les circonstances. / Il informe d'urgence le représentant de l'Etat dans le département et lui fait connaître les mesures qu'il a prises. ". L'article L. 2121-29 dispose : " Le conseil municipal règle par ses délibérations les affaires de la commune. Il donne son avis toutes les fois que cet avis est requis par les lois et règlements, ou qu'il est demandé par le représentant de l'Etat dans le département. Lorsque le conseil municipal, à ce régulièrement requis et convoqué, refuse ou néglige de donner avis, il peut être passé outre. Le conseil municipal émet des voeux sur tous les objets d'intérêt local ".
6. En premier lieu, il résulte des dispositions qui précèdent de l'article L.2121-29 du code général des collectivités territoriales que la commune d'Audincourt ne peut utilement invoquer la " clause générale de compétence " dont bénéficie le conseil municipal pour justifier la légalité de l'arrêté de son maire.
7. En deuxième lieu, il est constant qu'en vertu des dispositions combinées des articles L. 253-7 et suivants, R. 253-45 et D. 253-45-1 du code rural et de la pêche maritime, la police spéciale des produits phytopharmaceutiques a été attribuée, selon les cas, aux ministres chargés de l'agriculture, de la santé, de l'environnement et de la consommation ou au préfet du département dans lequel ces produits sont utilisés. S'il appartient au maire, responsable de l'ordre public sur le territoire de sa commune, de prendre les mesures de police générale nécessaires au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publique, le maire ne saurait s'immiscer dans l'exercice de cette police spéciale qu'en cas de péril imminent.
8. A ce titre, la commune requérante ne peut utilement invoquer le principe de précaution consacré à l'article 5 de la Charte de l'environnement, qui n'a pas vocation à justifier la légalité de mesures nécessaires à la prévention d'un péril imminent.
9. Par ailleurs, il est constant que le Conseil d'Etat par sa décision nos 415426, 415431 du 12 juin 2019, a annulé l'arrêté du 4 mai 2017 relatif à la mise sur le marché et à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants visés à l'article L. 253-1 du code rural et de la pêche maritime, notamment en tant qu'il ne prévoit pas de dispositions destinées à protéger les riverains des zones traitées par des produits phytopharmaceutiques, après avoir considéré que ces riverains devaient être regardés comme des " habitants fortement exposés aux pesticides sur le long terme ", au sens de l'article 3 du règlement (CE) n° 1107/2009 et rappelé qu'il appartient à l'autorité administrative de prendre les mesures nécessaires à la protection de la santé publique. Le Conseil d'Etat a enjoint en conséquence au ministre d'Etat, ministre de la transition écologique et solidaire, au ministre de l'agriculture et de l'alimentation, au ministre de l'économie et des finances et à la ministre des solidarités et de la santé de prendre les mesures réglementaires impliquées par sa décision dans un délai de six mois qui, à ce jour, n'est pas encore écoulé.
10. A supposer même que cette carence temporaire des autorités détentrices de la police spéciale de l'utilisation des produits phytopharmaceutiques soit de nature à justifier, en cas de danger grave et imminent, l'intervention en urgence du maire sur le fondement de ses pouvoirs de police générale, l'arrêté attaqué ne mentionne aucun élément qui, à Audincourt, caractériserait l'existence d'un péril imminent pour la population de cette commune, ce que ne peuvent constituer les seules indications contenues dans l'arrêté relatives à l'absence de certitude existant sur l'innocuité de la molécule glyphosate. Si dans ses écritures et à la barre, la commune d'Audincourt se prévaut de circonstances locales consistant en la présence dans la commune de cours d'eau, d'un lycée, d'écoles et d'un terrain de sport non éloignés de zones agricoles, ces éléments ne permettent, en tout état de cause, d'établir que l'usage actuel de glyphosates par les exploitants agricoles de la commune exposerait ses habitants et notamment les plus vulnérables d'entre eux à un péril grave et imminent justifiant l'intervention du maire dans le cadre de son pouvoir de police générale.
11. Il résulte de ce qui précède que la commune d'Audincourt n'est pas fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Il n'y a pas lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, le versement à la commune d'Audincourt d'une somme en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de la commune d'Audincourt est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à la commune d'Audincourt, au préfet du Doubs, au ministre en charge de l'environnement, au ministre en charge de l'agriculture et au ministre en charge de l'économie et des finances. Copie au préfet du Doubs.
Fait à Nancy, le 3 décembre 2019.
Le juge des référés,
Signé : P. C...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
Pour expédition conforme,
La greffière,
N. Basso
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