Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La Société par actions simplifiée (SAS) Laboratoires G... a demandé au tribunal administratif de Strasbourg de prononcer la décharge de la cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés et de la contribution exceptionnelle sur cet impôt auxquelles elle a été assujettie au titre de l'exercice clos au 31 janvier 2003, ainsi que des pénalités correspondantes.
Par un jugement n° 1601095 du 6 février 2018, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 avril 2018, la SAS Laboratoires G..., représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Strasbourg du 6 février 2018 ;
2°) de prononcer la décharge de ces impositions, ainsi que des pénalités correspondantes ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- dès lors que les insuffisances en litige ne pouvaient être regardées comme révélées par une instance devant les tribunaux, au sein de l'article L. 170 du livre des procédures fiscaux, l'administration fiscale ne pouvait bénéficier du délai spécial de reprise de dix ans ;
- les rectifications sont donc irrégulières en ce qu'elles portent sur un exercice prescrit ;
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé que le coût relatif aux activités de MM. F... et C..., pour lesquels un contrat d'assistance entre elle et la société Rocal, leur employeur, avait été signé, était constitutif d'un acte anormal de gestion, dès lors qu'ils ont progressivement étendu leur mission auprès de la société Rocal et qu'elle avait une contrepartie réelle et sérieuse à conserver ces salariés sous sa dépendance économique ;
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré comme suffisamment probantes les auditions de ses anciens dirigeant, actionnaire, membre du directoire et salariés selon lesquelles M. A... exerçait la fonction de dirigeant de fait de la société LHL pendant les années 2002 à 2006 ;
- une proportion de 90 % des coûts salariaux de M. A..., sans qu'aucune méthode sérieuse ne vienne appuyer l'affirmation selon laquelle il exerçait son activité à hauteur d'un tel pourcentage, n'est pas établie ;
- les rectifications en litige ne reposent que sur des témoignages déposés dans un contexte d'un conflit ouvert entre l'entreprise et d'anciens salariés, dont la réalité n'est pas établie ;
- dans le cadre de l'instance pénale, une ordonnance de non-lieu a été rendue dans cette affaire ;
- l'administration n'établit pas l'existence de manquements délibérés autrement que par l'instruction pénale, qui s'est soldée par un non-lieu.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 septembre 2018, le ministre de l'action et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 30 janvier 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 17 février 2020 à 12h00.
Un mémoire présenté pour la SAS Laboratoires G... a été enregistré le 14 février 2020 et, ne comportant aucun élément nouveau, n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020 ;
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Di Candia, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Peton, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de l'exercice de son droit de communication auprès de l'autorité judiciaire, consécutive à une plainte de M. E..., ancien employé puis membre du directoire de la SAS Laboratoires G..., l'administration a obtenu des informations lui permettant de considérer que les coûts salariaux que cette dernière avait exposés pour l'emploi de MM. F... et C..., mis à disposition de sa filiale, la société Rocal, ainsi que 90 % des coûts salariaux exposés pour l'emploi de M. A..., mis à disposition de la société luxembourgeoise Laboratoires homéopathiques du Luxembourg (LHL), dont l'associé majoritaire est M. D... G..., également actionnaire de la SAS Laboratoires G..., constituaient des actes anormaux de gestion. La société requérante a en conséquence été assujettie, par une proposition de rectification du 19 octobre 2012, établie selon la procédure contradictoire, à une cotisation supplémentaire d'impôt sur les sociétés, au titre de l'exercice clos en 2003, assortie d'une majoration pour manquement délibéré. La société requérante relève appel du jugement du 6 février 2018 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à la décharge de cette imposition supplémentaire.
Sur le bien-fondé de l'imposition en litige :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales alors en vigueur, dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 188 C du même livre : " Même si les délais de reprise prévus à l'article L. 169 sont écoulés, les omissions ou insuffisances d'imposition révélées par une instance devant les tribunaux (...) peuvent être réparées par l'administration des impôts jusqu'à la fin de l'année suivant celle de la décision qui a clos l'instance et, au plus tard, jusqu'à la fin de la dixième année qui suit celle au titre de laquelle l'imposition est due". Des insuffisances ou omissions d'imposition ne peuvent pas être regardées comme révélées par une instance devant les tribunaux au sens de cet article lorsque l'administration dispose d'éléments suffisants lui permettant, par la mise en oeuvre des procédures d'investigations dont elle dispose, d'établir ces insuffisances ou omissions d'imposition dans le délai normal de reprise prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales. Il en va également ainsi lorsque, à la date à laquelle l'administration dispose de ces informations, le délai prévu à l'article L. 169 du livre des procédures fiscales est expiré et qu'elle n'est plus en mesure, sur ce seul fondement, de réparer les insuffisances et omissions d'imposition. La circonstance que ces informations seraient ultérieurement mentionnées dans une procédure judiciaire n'ouvre pas à l'administration le droit de se prévaloir de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales dès lors qu'en pareille hypothèse, ces informations ne peuvent être regardées comme ayant été révélées par cette instance.
3. La SAS Laboratoires G... soutient que les insuffisances ou les omissions d'imposition ne peuvent être regardées comme révélées par l'instance ouverte par la plainte pénale de M. E... dès lors que le service disposait, à la suite des vérifications de comptabilité engagées en 2004 auprès d'elle-même et de la société Rocal en ce qui concerne la période du 1er janvier au 31 décembre 2003, de l'ensemble des éléments lui permettant de remettre en cause les facturations aux sociétés Rocal et LHL de la mise à disposition de MM. F... et C..., d'une part, de M. A..., d'autre part.
4. Cependant, si la société établit que la vérificatrice a demandé des explications sur les prestations facturées chaque année au titre des conventions d'assistance, il ne résulte pas de l'instruction, notamment pas du contrat d'assistance signé le 2 janvier 2001 entre la société Rocal et la société requérante, que l'administration fiscale aurait disposé, avant l'exercice de son droit de communication, d'éléments suffisamment précis pour savoir, au besoin par la mise en oeuvre des procédures d'investigation dont elle dispose, que ces mises à disposition à la société Rocal, qui faisaient l'objet d'une refacturation partielle, pour un montant de 3800 euros, concernaient en réalité l'intégralité de l'activité professionnelle de MM. F... et C..., ainsi que l'ont révélé les auditions réalisées par le juge d'instruction. Il en va de même de la mise à disposition de M. A... à la société luxembourgeoise LHL, qui n'a fait l'objet entre les deux sociétés d'aucun contrat et n'a donné lieu à aucune refacturation.
5. Dans ces conditions, les insuffisances d'impôt sur les sociétés ayant donné lieu aux rehaussements en litige doivent être regardés comme ayant été révélées par l'instance devant le juge d'instruction près le tribunal de grande instance de Metz au sens et pour l'application de l'article L. 170 du livre des procédures fiscales, de sorte que l'administration pouvait à bon droit, contrairement à ce que soutient la société requérante, se prévaloir du délai spécial de reprise ouvert par ces dispositions.
6. En deuxième lieu, en vertu des dispositions combinées des articles 38 et 209 du code général des impôts, le bénéfice imposable à l'impôt sur les sociétés est celui qui provient des opérations de toute nature faites par l'entreprise, à l'exception de celles qui, en raison de leur objet ou de leurs modalités, sont étrangères à une gestion normale. Constitue un acte anormal de gestion l'acte par lequel une entreprise décide de s'appauvrir à des fins étrangères à son intérêt, hors le cas où la situation de deux sociétés serait telle que la première puisse être regardée comme ayant agi dans son propre intérêt en s'appauvrissant au profit de la seconde. C'est au regard du seul intérêt propre de l'exploitation concernée et non celui du groupe que l'administration doit apprécier si les opérations litigieuses correspondent à des actes relevant d'une gestion commerciale normale. S'il appartient à l'administration d'apporter la preuve des faits sur lesquels elle se fonde pour estimer qu'une société a commis un acte anormal de gestion en renonçant à des recettes, elle est réputée apporter cette preuve dès lors que cette entreprise n'est pas en mesure de justifier qu'elle a bénéficié en retour de contreparties.
7. D'une part, si la société requérante avait refacturé à la société Rocal une somme de 3 800 euros au titre de l'assistance matérielle qu'elle lui avait apportée, l'administration a réintégré dans le bénéfice imposable de la société requérante la somme totale de 114 132 euros, correspondant à la totalité des coûts salariaux relatifs à l'emploi de MM. F... et C..., motif pris de ce qu'ils avaient intégralement été mis à disposition de la société Rocal. Il résulte de l'instruction, notamment des auditions concordantes de Messieurs E..., Maurice, Robert, F..., C..., et de Mme K..., salariés de la société requérante au cours de l'exercice en litige, que, contrairement à ce que soutient la société requérante, M. F... et M. C... exerçaient la totalité de leur activité professionnelle au sein de la société Rocal respectivement depuis 2001 et 1995. Si la société requérante explique qu'elle avait un intérêt stratégique à placer des employés de confiance au sein des effectifs de la société Rocal, afin qu'elle puisse être informée des évènements majeurs susceptibles d'y intervenir, elle n'apporte aucun élément précis relatif aux informations obtenues dans l'intérêt de son activité, en contrepartie de l'absence de facturation correspondant à ces mises à disposition. Elle n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'elle a bénéficié d'une contrepartie suffisante en mettant MM. F... et C... à disposition de la société Rocal.
8. D'autre part, l'administration a également réintégré dans les bénéfices de la société requérante 90 % de la rémunération versée à M. A... au titre de l'exercice clos en 2003, au motif qu'il exerçait son activité au profit de la société luxembourgeoise LHL à concurrence de telles proportions. Il résulte de l'instruction, notamment des auditions concordantes de mêmes personnes, mais également de MM. I..., ancien dirigeant de la société Rocal, de Mme G..., ancienne actionnaire de la SAS Laboratoires G..., de M. J..., ancien membre du directoire et de MM. H... et A..., anciens salariés de la société requérante, que M. A..., à l'exception de certaines missions, était le seul dirigeant de fait de la société LHL entre 2002 et 2006, celle-ci ne comptant par ailleurs que deux salariés prenant ses ordres auprès de lui. Si la société requérante fait grief à l'administration de s'être fondée sur les auditions de témoins qui étaient en conflit avec elle, tel n'est pas le cas de la totalité des personnes auditionnées, dont les auditions font état des mêmes éléments. Dans ces conditions, et alors même que cette mise à disposition n'a été formalisée dans aucun contrat et n'a donné lieu à aucune refacturation de la société requérante à la société LHL, l'administration, eu égard aux auditions de M. I..., selon lequel M. A... avait conservé des missions à l'export vers l'Espagne et le Portugal pour le compte de la société requérante, et de M. E..., qui avait estimé à 98 % la part de ses activités pour LHL, doit être regardée comme apportant la preuve que M. A... était mis à disposition de la société LHL à concurrence de 90 % de son temps. Si la société requérante fait valoir que cette proportion a été surévaluée, elle n'apporte, au soutien de ses allégations, aucun élément précis, se bornant à indiquer que l'activité de M. A... s'étendait dans toute l'Europe, et à produire des rapports d'activité de nature à confirmer que l'intéressé effectuait des missions ponctuelles dans différents pays européens, sans qu'il soit possible de déterminer la part de son activité pour son compte. Dès lors, c'est à bon droit que le service a qualifié d'acte anormal de gestion le coût ainsi supporté indûment par la société requérante. Cette dernière n'est, par suite, pas fondée à soutenir qu'elle a bénéficié d'une contrepartie suffisante en mettant M. A... à disposition de la société LHL.
9. En dernier lieu, l'autorité de la chose jugée en matière pénale ne s'attache qu'aux décisions des juridictions de jugement qui statuent sur le fond de l'action publique. Tel n'est pas le cas des ordonnances de non-lieu que rendent les juridictions d'instruction quelles que soient les constatations sur lesquelles elles sont fondées. Par suite, à supposer même que la société requérante ait entendu soulever sur ce point un moyen, la circonstance que l'instruction de la plainte avec constitution de partie civile de M. E... ait été clôturée par une ordonnance de non-lieu rendue le 7 avril 2015 est sans incidence tant sur l'exercice du délai spécial de reprise par l'administration que sur l'appréciation du caractère normal de la gestion de la société, laquelle au demeurant, comme il a été dit plus haut, s'effectue au regard de l'intérêt propre de l'entreprise.
Sur les pénalités pour manquement délibéré :
10. La société requérante reprend en appel, sans apporter d'élément nouveau, le moyen tiré de ce que l'administration fiscale n'a pas établi son intention délibérée d'éluder l'impôt. Il y a lieu d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à juste titre par le tribunal administratif de Strasbourg dans son jugement du 6 février 2018.
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société SAS Laboratoires Lehnig n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à la décharge des impositions supplémentaires et des pénalités y afférentes.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie tenue aux dépens ou la partie perdante, une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : La requête de la SAS Laboratoires G... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Laboratoires G... et au ministre de l'action et des comptes publics.
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N° 18NC01159